La Poupée
Soda Pop
Le sentiment que les petites filles éprouvent pour leur poupée est véritablement assez bizarre, et je l'ai ressenti si vivement à travers ma fille et si longtemps que, sans l'expliquer, je puis aisément le définir.
Il n'est aucun moment de leur enfance où elles se trompent entièrement sur le genre d'existence de cet être inerte qu'on leur met entre les mains, et doit développer en elles le sentiment de la maternité, pour ainsi dire de la vie. Du moins, quant à ma fille, je ne me souviens pas d'avoir jamais cru que sa poupée fût un être animé : pourtant elle a ressenti pour certaines de celles qu'elle a possédées une véritable affection maternelle. Ce n'était pas précisément de l'idolâtrie, quoique l'usage de faire aimer ces sortes de fétiches aux enfants soit un peu sauvage et nous ramènerait volontiers aux temps anciens.
Je ne me rendais pas bien compte de cette affection, mais je pense que si j'avais pu l'analyser, j'y aurais trouvé quelque chose d'analogue avec ce que les fervents catholiques éprouvent en face de certaines images de dévotion. Ils savent que l'image n'est pas l'objet même de leur adoration, et pourtant ils se prosternent devant l'image, ils la parent, ils l'encensent, ils lui font des offrandes. Les anciens n'étaient pas plus idolâtres que nous, quoi qu'on en ait dit. En aucun temps les hommes éclairés n'ont adoré ni la statue de Jupiter ni l'idole de Mammon, contrairement aux esprits incultes. Mais en tout temps aujourd'hui comme jadis, les esprits incultes ont été assez empêchés de faire une distinction bien nette entre le dieu et l'image.
Il en est ainsi, je pense, des enfants en général. Ils sont entre le réel et l'impossible. Ils ont besoin de soigner ou de gronder, de caresser ou de briser ce fétiche d'enfant ou d'animal qu'on leur donne pour jouet, et dont on les accuse à tort de se dégoûter trop vite.
Il est tout simple, au contraire, qu'ils s'en dégoûtent. En les brisant, ils protestent contre le mensonge. Un instant ils ont cru trouver la vie dans cet être muet qui bientôt leur montre ses muscles de fil de laiton, ses membres difformes, son cerveau vide, ses entrailles de coton ou de filasse. Et le voilà qui souffre l'examen, qui se soumet à l'autopsie, qui tombe lourdement au moindre choc et se brise d'une façon ridicule.
Comment l'enfant aurait-il pitié de cet être qui n'excite que son mépris ?
Plus il l'a admiré dans sa fraîcheur et dans sa nouveauté, plus il le dédaigne quand il a surpris le secret de sa fragilité.
Les petites filles et les petits garçons ont aimé casser les poupées, les faux chats, les faux chiens, les faux petits hommes. Mais il y a eu par exception certaines poupées qu'ils ont soignées comme de vrais enfants. Quand ils avaient déshabillé la petite personne, s'ils voyaient ses bras vaciller et ses mains se détacher de ses bras, ils la sacrifiaient vite à des jeux belliqueux ; mais si elle était solide et bien faite et qu'elle résistait aux premières épreuves, elle devenait leur fille et ils lui rendaient des soins infinis. Ils la faisaient respecter alors des autres enfants avec une jalousie incroyable…
Un petit joyau votre texte !
· Il y a presque 9 ans ·Je me souviens qu'à 17 ans, lors d'un déménagement, j'ai laissé partir au feu,le vieux "nounours" de ma sœur, et pourtant je n'en avais jamais eu. Bizarrement, j'en ai eu du regret par la suite. Est-ce pour cela, qu'à présent, est assis, fidèle au poste, un petit "nounours", sur ma table de chevet ...sans doute ce regret de n'en avoir jamais câliné dans mon enfance ... ? !
Louve
Le joyau c'est votre participation Martine !!! Le joyau c'est votre fidélité à mes petits textes ! Le joyau c'est votre intervention... c'est du velours, un miel ! Merci !
· Il y a presque 9 ans ·Soda Pop
Quel joli compliment ! Merci Soda Pop !
· Il y a presque 9 ans ·Louve