La première fois.

amaende

(soupir)

La première fois, et pas MA première fois. Tellement que je n'étais pas là.. Ou l'histoire d'un regret farci de remords d'un truc loupé et irrattrapable. Encore un...

ELLE. Elle, donc, était là, accompagnée de deux marmots crottés et moitié-nus. Là, pile au milieu. Elle m'a coupé la (ma) route. Je me pensais dans un traquenard. Mon vélo ! Mais j'allais y perdre bien plus. Y briser ma mémoire, et mes souvenirs, même...

Pour situer, j'avais entrepris Le Grand Tour : direction "La Gandouze", puis retour. La Gandouze était la grande surface du Père Noël de nos rêves. La décharge municipale à air libre. Tout cadeau : une profusion de bidules en tout genre, genre le meilleur des trente dernières années. Du vieux tépaz aphone, au Goldorak fulguro-décapité, en passant par tout ces objets qui squattent notre espace vital quotidien. Fallait juste se pencher et glaner... Sauf si "ils" étaient là. En effet, aux beaux jours les manouches débarquaient. Fini le paradis. C'était chez eux. Ils vivaient là. ...Et nous à côtés. Techniquement, nous avions tout à y perdre, à les côtoyer. Mais moins folkloriquement, tous enfants sur le même tas d'or-dure, ceci se résumait souvent à, dix billes contre un méga-ressort, une voiture -destroye- contre une poupée -camée- etc, etc... Ainsi filait la vie. La Vraie !

Mais pour en revenir à cette histoire... J'étais sur la route en train de vélo-voler. Mais là, ils m'ont fait barrage. A trois contre un, je n'avais aucune chance. Mon vélo et la vie : voilà ce que j'allais perdre en un instant. Elle, comme une (mini) gitane de carte postale. C'était une vraie. La peau marron cuivre, des longs cheveux bouclés plus noirs que du charbon, et plus luisant que la lune, une robe typique gavée de froufrous, le tout avec d'immenses boucles d'oreilles espagnolantes et plein de bijoux en or, et encore, et encore... Encore en roulotte tirée par des chevaux incertains, elle était de ce type là. Les plus roms bohèmes des manouches de gitans, que ceux avec qui nous avions quelques contacts, leurs jetaient même des pierres !

Je la décris comme ça, parce que j'en avais souvent vu. Mais elle, je n'ai jamais eu le temps de la voir, en fait. Elle m'arrête les bras grands ouverts au détour d'un virage, me forçant à me vautrer direct au fossé. Je relève mon pauvre vélo en mal de direction, et tente de forcer le barrage à pied. Elle veut m'attirer vers la bute. Les deux marmots pendants à ces bras implorent un « Non » suppliant. Apparemment, elle ne veut pas des sous ou à manger comme ses mères qui passaient régulièrement taxer ma vielle à la maison... Quoiqu’il en soit, moi je ne lâche pas mon vélo. Ces grands frères, que je pressens derrière ce monticule, vont me dépouiller complet-total.

Elle me demande toujours et sans cesse « Viens », « Viens », « Viens »... Le reste aux sonorités exotiques me reste inintelligible... Je reste muet d'incompréhension entre elle et les deux hurleurs. Là, n'y tenant plus, elle les envoie ad patress à grands coups de mandales dans la gueule, qu'un chien n'en recevra jamais autant. Ils comprennent de suite, et partent en criant à la mort... Elle se retourne, et fond vers moi. Elle va me foutre ma rouste ! Elle repousse le vélo que je lui ai tendu par capitulation expresse... Elle ne le veut pas ?! Elle me tire par la main et le bras. Deux têtes de moins que moi, mais une telle détermination dans ce regard... Vert ?

Seul mon vélo résiste à son dessin, en entravant un peu notre progression. A peine cinq mètres derrière les premiers kékés, elle me tire tellement fort à elle, que je ne peux que lui tomber dessus. Et de lâcher mon vélo des mains. « Adieu vélo rouge, je t'ai tant... »

J'arrête de suite de m'en faire pour mon vélo lorsqu'elle s'affaire à baisser mon pantalon, et de remonter sa robe. J'ai cru qu'elle voulait m'émasculer, ou un truc comme ça. A la place, elle me brise les reins avec de multiples saccades de ses jambes qui m'encerclent les hanches en tenaille. Je reste interdit. Noyé par une extrême confusion tout autant mentale que physique, je reste glacé comme une pierre tombale. C'est là qu'elle entreprend de m'embrasser furieusement afin de réveiller en moi quelque chose que je ne connaissais pas encore.

Et que je n'ai plus connu depuis, que par anticipation... Sans pour autant...

Sans pour autant, finalement...

Je pourrais baptiser ça LA pulsion sexuelle primale. Mais c'est encore trop humanisé le trip. C'était tout autant animal que tellurique. Reptilien ? Comme si nous étions les premiers et les derniers êtres vivants sur cette putain de Terre. Un truc furieux et plus lourd que ta propre rémanence temporelle. Fougueux au possible, instinctif, explosif.

...et rapide aussi...

Trop.

Très loin du conte de fée, des sentiments, de la rencontre, de l'échange, et de toutes ces foutaises d'après...

Une déconnexion mentale alliée à une explosion.

Pour en revenir à cette parenthèse désenchantée, une fois sa volonté assouvie. Ou du moins, et plus objectivement parlant, qu'elle a compris qu'elle ne pourrait plus rien obtenir de moi, elle m'a laissé. Bêtement. J'ai vu un de ses petits seins blanc et laiteux vite se recouvrir. C'était une enfant. Je ne l'étais plus...

J'ai fui, à jamais plus me retourner. Juste détordre ce putain de vélo, et appuyer de tout mes poumons sur ses pédales. Mais déjà je ne fuyais plus la peur, je me précipitais vers mon trou noir mémo-psycho-relationnel….

Si le truc, qui a de suite remplacé mon innocence perdu, c'était sa famille qui allait me découper en rondelle car j'avais déshonoré leur fille ; une foule de questions allait débouler après coup : voulait-elle échapper à un mariage forcé ?, ne pas donner sa virginité à son promis ?, savoir ce que c'était avant son "passage à la casserole" ?, cacher un outrage par un autre?, briser une ligne (ou une infamie) familiale ?, voir obéir à un rite obscure ? Je ne le saurais jamais.

Je ne le saurais jamais !

Je ne saurais jamais.

Rien.

J'ai attendu longtemps après leur départ pour revenir dans le coin.

Et pourquoi mézigue (ndlr : moi), hein ?!

Je ne l'ai jamais revue. Même pas une qui lui ressemble plus ou moins, de près ou de loin... Lecteur, toi qui a un prénom, une image, une date à laquelle te raccrocher, profites-en pour moi, je t'en serais grès... Moi je n'ai rien.

Car je n'y étais même pas.

« Chante, rossignol chante... »

Une fois à la maison, je n'osais même pas regarder mon entre jambe. J'ai dû rester longtemps sans sortir, manger, ni boire (...). Et carrément plus encore, sans me laver. Elle m'avait bien émasculé. Psychologiquement. Déjà que j'étais un sauvage, ceci ne m'a jamais bien encouragé à voir les filles. Il a fallu qu'un jour, on me colle en pension pour que la norme et la promiscuité sociales m'encouragent à aller voir de "l'autre côté"...

Mais, c'était mort d'avance.

Désolé.

...les filles...

Nous n'avons que les souvenirs que nous méritons...

Signaler ce texte