La première fois que je l'ai vue

franekbalboa

Les rencontres font parfois de grandes choses. Et les gens en font encore de plus grandes. Je me souviens, j'étais en prépa, la première fois que je l'ai vue. Elle n'avait à mes yeux rien de spécial, et moi, je n'étais qu'un petit gars, manquant de confiance en lui. Le temps nous offrit la possibilité de nous connaître. Et je me suis rendu compte à quel point je m'étais trompé.
Mon premier regard sur elle fut des plus banals, et elle ne m'accorda à peine une fraction de seconde. Elle portait de jolies chaussures rouges, un jeans parfaitement ajusté, couleur bordeaux, une élégante chemise blanche avec une petite rayure en travers, rouge, elle aussi, et une cravate à damiers rouge et noir. Son regard simple, son sourire timide, ses longs cheveux noirs entrecoupés ça et là de petits éclairs blancs, son visage rond, ses joues malgré tout légèrement creusées, ses sourcils offrant une douceur incomparable à ce visage si enfantin... Ses yeux étaient d'un vert où l'on se perdrait aisément, elle avait un rouge à lèvres de couleur sombre, offrant une nuance des plus élégantes à son visage tacheté de taches de rousseur et de grains de beauté.
Nous fîmes alors connaissance, et échangions des bribes de messages, nous travaillions ensemble, enfin surtout elle, il faut avouer que j'étais sacrément paresseux, et elle devait m'en vouloir de toujours réussir sans jamais rien faire...
Il n'en fut rien.
Alors que l'ensemble de la classe partait en vacances à la mer, nous étions quelques uns à rester en Touraine. L'air chaud de l'été nous étouffait, mais consommer des glaces du côté de Plumereau en refaisant le monde. Nous finissions généralement nos soirées près de la Loire, à nous interroger sur des sujets totalement stupides.

Un soir où le temps était bien plus frais, notre rituel nous amena sur le pont qui dominait le fleuve. Le vent la faisait frissonner, je vis un long tremblement la parcourir de bout en bout. Je n'hésitai pas et enlevant ma veste, je l'enveloppais dedans.
Elle était toute frêle et tremblante, et au moment où je refermais la veste, elle cessa instantanément de trembler. Elle sourit en me regardant, et se tourna vers l'eau. Elle serra doucement la veste contre son corps, et posa sa tête sur mon torse. Je sentais sa chaleur palpable. Elle allait bien, et était apaisée. Je ne sais pourquoi ça me plaisait tant, mais la sentir détendue était chose si rare que je me sentis privilégié. Dans un élan de douceur, je l'enserrai contre moi. Elle déposa un baiser sur ma joue, tendrement, je l'acceptai et fut à mon tour totalement détendu. Nous continuâmes notre contemplation de l'eau, puis je la raccompagnai chez elle. Sur le palier de son appartement, je m'apprêtai à la laisser, mais elle me saisit la main et me fit entrer dans son studio. Elle m'installa sur le canapé, et me servit un verre d'eau.

Je la sentais terrifiée, mais rassurée. Elle s'assit, face à un tableau sublime représentant deux chiens et leur maître. Timidement, elle enleva la veste, la déposa sur le dossier. Puis tomba simplement dans mes bras. Je l'enserrai, simplement, tendrement. Tout fut dans la retenue et la libération. Elle s'apaisa, je me laissais légèrement aller. Nous nous embrassâmes délicatement, les joues, le front, la bouche, nous nous enserrions et continuions à nous câliner, tout en douceur, tout en finesse. Les habits, l'heure, l'alcool, l'eau, la pièce n'avaient plus d'importances, nous étions ensemble, dans les bras l'un de l'autre, nous vivions, nous aimions, sourions.
La nuit fut courte, mais tellement reposante... Il y en eût tant, et pourtant, celle-ci fut la plus belle... Peut-être la beauté de la première?

Signaler ce texte