La première fois qu'elle m'a sourit

Michael Ramalho

Travaux dirigés

L'impersonnel Bâtiment des Langues surplombe, rigolard les mornes années de ma vie estudiantine.
Je suis en retard et malgré le peu d'intérêt que suscite en moi le cours de travaux dirigés du jour, je commence à presser le pas. Ma sacoche sous le bras, je traverse en courant la passerelle qui s'élève au-dessus du trou sans fond où gisent mes espoirs déçus. L'ascenseur. Jamais ! Je monte quatre à quatre les marches jusqu'au septième. En reprenant mon souffle, je constate avec soulagement que le professeur est plus en retard que moi. Les "autres" en revanche sont biens présents. Ils s'agitent sans but pour remplir le vide de l'attente et conversent bruyamment. Dans l'espace confiné du couloir, leurs discussions forment un brouhaha inintelligible. Je m'éloigne d'eux à la recherche d'un peu de lecture sur les murs. Emploi du temps, résultats de partiels, demandes de babysitting, n'importe quoi plutôt que de les entendre. Une présence derrière moi. Un bruissement de vêtements se frottant l'un à l'autre.  Un couple s'embrasse à pleine bouche. Une stupeur ardente m'envahit et m'empêche de détourner le regard. Des mains d'une finesse exquise aux ongles vernis de noir caressent une tignasse brune. Elles deviennent fébriles et descendent les long d'un dos large et musclé. Une pause dans l'étreinte. La femme halète et me remarque. Elle me sourit. Les quelques boucles noires qui couvrent son visage rosé par le plaisir achève de me couper le souffle. L'homme a encore soif d'elle. Tandis qu'elle me sourit, il plonge dans son cou. Et soudain je disparais. Elle entrouvre la bouche, lève la tête et ses pupilles disparaissent dans le ciel de ses yeux. Elle revient, me regarde. Du marron clair dans des tourbillons aux formes noisettes qui m'aspirent. Elle me sourit à nouveau. Invitation ? Provocation ? Je suis de ceux à qui l'on demande rarement de répondre à ces questions. Je n'en ai aucune envie mais je me force à détourner le regard. Je me recompose et prie pour que le professeur finisse par arriver. Les minutes passent. Les étudiants, fatigués d'attendre commencent à partir. Un fourmillement dans le bas ventre. Je risque un regard en direction des amants. Plus rien. Un sentiment de soulagement mêlé de déception s'empare de moi. Occasion manquée ? Ne sois pas ridicule. La vie, ce n'est pas du cinéma. Les couloirs sont déserts. Je m'assois un instant dans l'espoir de graver dans mon esprit la scène à laquelle je viens d'assister. Elle pourra me resservir plus tard. Il est temps de partir. Le pas lourd, je gagne la cage d'escalier Une présence au-dessus de ma tête. Volutes carmines de sensualité. Effluves torrides. Ils sont là. Encore plus haut. Du feu dans mes veines. L'animal en moi. Sans me cacher, je monte. Un brusque développement de ma personnalité. Des respirations haletantes alternées de gémissements contenus rebondissent contre les murs et m'atteignent à tous les coups.
L'homme est en train de la dévorer avec ces baisers. L'appétissante courbe du menton, la fraîcheur fruitée de ses lèvres, les joues soyeuses qu'il goûte délicatement, le mignon nez en trompette qu'il mordille tendrement. Toujours plus soif d'elle. Une main entreprenante trouve un chemin sous sa jupe et offre à mon regard, le spectacle magnifique d'un bas en dentelle noire, sur une cuisse galbée. Ma maudite présence la fait remonter de sa noyade brûlante. Elle me sourit. Mes vêtements sont sur le point d'exploser. Et soudain, le ressac passionné de l'homme s'interrompt. Il se lève et me regarde. C'est mon visage que je vois. L'autre c'est moi. La première fois qu'elle m'a souri, j'ignorai que c'était pour un tel voyage. L'autre c'est moi collé à elle. Presque en elle. L'odeur de son parfum. La chaleur de son corps. Ma main sur sa cuisse qui n'en finit pas d'aller plus haut. Ses vêtements qui forment une barrière entre nos deux corps et que j'ai envie de mettre en pièce. L 'autre c'est moi ! Vraiment ?

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