La pute du XVI°

Pierre Magne Comandu

Mais oui tu la connais.


Tu la connais, la blondasse du métro, ses cheveux secs, ses rides tirées, ses lèvres rouges maquillées. Tu le connais, son sourire de mépris, ses commissures des lèvres qui partent direction plus bas que terre, sa bouche à l'envers et les deux valises d'égocentrisme attachées des deux côtés de sa gueule. Histoire de mieux te donner envie de te jeter sur les rails plutôt que dans la rame.


Tu la connais, la dame qui a pris tellement de botox pour ne pas vieillir que deux ans de botox l'ont  mieux enlaidie que l'auraient embellie dix ans de vieillesse. Tu le connais, son miroir dans sa main, son reflet des rayons du soleil matinaux qui aveugle tous les passagers, son fard rouge sur les joues et les trente-cinq odeurs de son parfum pestilentiel. Un mélange fameux dont l'odeur n'a d'équivalent à ta nez que le goût d'un potage aux trente-cinq légumes à ta bouche.


Tu la connais, la riche héritière qui sort son chihuaha en laisse de cuir, et laisse son valet en costume fermer la porte dorée de sa résidence sur l'avenue Foch, et l'escorter jusqu'aux vitres teintées de sa voiture. Tu le connais, son manteau brun de fourrure Fendi, son écharpe en renard Hermès, son sac en crocodile Louis Vuitton, ses Louboutins en petites mains d'un homme et d'une femme de l'ombre, son iPhone 6 réservé le premier jour et orné d'une coque d'or et de diamants qui brillent aux yeux du petit peuple. Et, bien sûr, son futur cercueil en plaqué or que tu lui paieras avec tes économies de petit salarié de la classe moyenne.


Tu la connais, la bourgeoise dans l'attente de la ligne 1 à Charles de Gaulle - Étoile, ses talons lentement levés et ses lèvres dégoûtées devant tant d'immondices, parce que les escaliers du métro c'est trop d'efforts, mais parce que marcher dans la rue c'est trop d'efforts aussi et que les rues de Paris ne sont plus sûres. Tout ça à cause des arabes bien sûr, attention à toi étranger né dans le XX°.


Tu la connais, la connasse, éduquée dans la plus pure tradition parisienne, protégée des lointaines frontières de son pays, le XVI°. Tu le connais, son regard haut fixé sur le seul point vide de la voie où elle ne peut croiser aucun jeune qui viendrait souiller son champ de vision, son rictus dès que le sac de quelqu'un effleure les écailles de crocodile de son sac à main, son lancinant et sec « Alors, jeune homme, on ne s'excuse pas ». Sans t'adresser un seul regard sous ses lunette teintées bien sûr. 


Tu la connais, celle-là. Tu l'as croisée. Elle a sali son regard en te voyant. Tu as sali ta mémoire en la voyant. Elle t'a fui. Tu lui as dit dans ta tête « Bon débarras, connasse. Retourne crever sur l'avenue Foch avec Liliane Bettencourt et Nicolas Sarkozy, pendant que Samba ton valet te prépare les côtelettes d'agneau ». Elle s'est dit « Mon Dieu, que l'arrêt de métro est loin de la résidence, je vais devoir marcher, quelle horreur, il faudra que Samba écrive une lettre au préfet pour moi pour lui demander de rajouter une station — s'il sait écrire, bien sûr, ce qui n'est pas donné, vu qu'il est noir ». Oh oui, tu la connais.


Et bien, dis-lui sincèrement d'aller se faire foutre.

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