La réalité du cybersexe
Romuald Ward
Ted avait voulu mieux voir l'océan Pacifique, sombre et immense, mais des panneaux indiquaient que la clôture était électrifiée. Le jeune homme retourna vers la piscine en suivant le sentier, pour que son costume ne soit pas abîmé par les buissons d'épineux, et d'un pas peu pressé revint vers les dizaines d'invités discutant avec de grands verres à cocktails, reluquant les filles, parlant affaires, tandis que des serveuses et actrices excitantes folâtraient autour d'eux. Des lampes puissantes assuraient la visibilité de la fête pour les voisins de la San Fernando Valley.
- Ted ! Je t'ai cherché partout ! Il faut que je te présente aux autres. Trépignant Steve lui saisit une manche de veste anglaise et Ted dut allonger le pas pour suivre l'empressement de son patron dont le ventre baldinguait sous la chemise hawaïenne.
Ils traversèrent une cohue d'hommes – dont deux membres de la Chambre des représentants de Californie – qui encourageaient deux filles à se caresser sur un transat, puis des groupes épars de commerciaux en costume cravate, de scénaristes ou réalisateurs s'empiffrant aux buffets, et de producteurs bedonnants entourés d'actrices, et quelques rares acteurs, reconnaissables à leurs tatouages et leurs muscles exubérants.
Steve, chemise ouverte sur sa bedaine proéminente de sexagénaire, son triple menton allégé d'un sourire ultrabright médical, le plaça devant un groupe d'une dizaine hommes qui auraient pu être les pères et grand-pères des actrices pornographiques qui virevoltaient autour de leurs bras.
- Je t'avais dit qu'elle me plairait ma baraque ! Ça te change de Park Avenue mon garçon lui murmura-t-il, puis sa main et son diamant se posèrent sur l'épaule du costume sur-mesure de Ted :
- Messieurs, je vous présente Edward K Boyd, un trader que la crise m'a permis de récupérer à ma direction financière. Tiens mon garçon, prends un verre.
Ted se servit sur le plateau tenu par une métisse à l'immense sourire. Le rebord était placé de sorte à remonter ses gros seins, légèrement vêtus. Elle se déhancha ensuite, en mini-jupe sur des talons compensés.
- Pas de crise pour nous ! Jamais les affaires ont été aussi belles lui dit un vieil homme en costume. David Brosel, je dirige Cybersex Entertaiment, enchanté.
- De même. J'ai travaillé avec vos avocats à l'argumentaire du lobby pornographique contre l'amendement fiscal sur les revenus issus d'Internet.
Les hommes présents étaient tous propriétaires ou dirigeants du sexe sur internet, un seul avec son épouse en robe de soirée. Une actrice qui avait su réussir sa reconversion.
- Ted, regardez. Pas l'océan, la vallée.
Outre quelques riches villas, Steve lui montrait les lampadaires des hangars et des parcs, de rares immeubles et des centres commerciaux. Une ville industrielle typique de l'ouest pensa Ted en regrettant le centre de Boston, puis il fut distrait par une demi-dizaine de filles, toutes en jupe ou short et avec de profonds décolletés, qui caracolaient autour de réalisateurs en riant – derrière lui, il entendait un propriétaire de studios raconter sa nuit avec deux d'entre-elles.
- À San Fernando sont tournés 90% des films pornos américains lui annonçait fièrement Steve. Pas les gonzos avec gugusse qui tringle bobonne tout en tenant le caméscope dans le camping-car, mais les vrais, avec décors, costumes, etc... Il y a 13 000 films porno par an dans le monde et des centaines de millions de dollars. Des fortunes se sont construites à San Fernando Valley depuis les années 70, quand on y a tous installés nos studios.
- Steve, tu parles du passé protesta David, les mains prises par un toast au saumon et une coupe de champagne. Quand on a commencé il n'y avait des cinémas spécialisés. Toi et moi avons fait fortune en vendant des VHS par correspondance, et maintenant même les sex-shops ferment. Aujourd'hui c'est tout du virturel. Mes commerciaux disent que le sexe sur Internet pèse 12% des pages web, 25% des requêtes Google, 35% des téléchargements...
En croquant son toast, David se tourna vers ses confères :
- Le business n'est plus pour les producteurs de films comme Steve, mais aux sites distributeurs comme le mien, avec les filles virtuelles à la demande sur webcam.
- Les gens veulent du rêve, un scénario, une histoire, pas juste des saynètes. Je suis persuadé que les DVD, mêmes vendus sur internet, resteront les plus gros volumes financiers prétendit Steve qu'avait irrité le ton professoral de David. Celui-ci secoua ses implants argentés :
- Non, la clientèle veut du personnalisé, du réel, pas du fantasme. Même le sexe ne fait plus rêver : ce que les hommes, et même les femmes, veulent sur internet, c'est la fille d'à côté, pouvoir tchater avec elle, et du direct. Les films porno d'une heure-trente disparaîtront.
Rubicond, Steve s'apprêta à vanter les mérites de ses DVD quand Ted le coupa :
- Excusez-moi, mon téléphone.
- 70% des hommes de 18 à 24 ans vont au moins une fois par mois sur un site porno poursuivit David. Celui de Shirley Brist attire des dizaines de milliers d'internautes par jour ! Les clients en ligne sont l'avenir, leur argent n'est pas virtuel. Et on n'est plus au temps où les garçons voyaient leur première fille nue dans un club de strip-tease.
En entrant dans la fastueuse villa de stuc et de bois rares Ted bouscula trois scénaristes et deux actrices, puis se glissa dans le hall, entre un palmier en pot et une photo de Steve posant avec l'équipe d'un de ses films. Un couple descendait en se rhabillant, et il reconnut un autre producteur. La fille nerveuse allumait une cigarette.
- Non, vous pouvez pas utiliser le premier amendement pour justifier l'origine des revenus. Dites à l'IRS d'attendre la réponse de notre service juridique.
Trois serveurs en tenue blanche franchirent le seuil avec d'autres plateaux de queues de homards et deux jeunes filles les montrèrent du doigt. L'une avait une robe translucide sans sous-vêtements. En six mois au service de Porn Production, Ted ne s'était pas habitué à l'omniprésence des actrices et lors de son arrivée avait viré de ses nouveaux bureaux tous les affiches ou livres non comptable.
- Cite le livre fiscal 25-17 sinon. Là je suis chez le boss, à San Fernando. Sa maison et ses amis.
Il se retourna à un bruit de talons ; une blonde avançait à pas timide, avec une jupe rouge à pois blanc et un haut blanc très ouvert dans le dos et qui soutenait avantageusement sa poitrine. Ses yeux verts fouillaient le hall. Ted la suivit du regard, cherchant à la reconnaître.
- Il y a plein d'actrices qui couchent avec tout le monde et tous les mecs en vue des studios et leurs patrons débita-t-il à voix basse. Et l'équivalent de ma prime de Noël en homard et champagne.
Ted reconnut l'actrice, Shirley, qui travaillait pour un concurrent. Le dernier comité de direction de la firme avait évoqué le rachat de son contrat, et pour la première fois Ted fut excité en réunion lorsque circulèrent des photos. Chez lui, il s'était branlé en la cherchant sur des sites internet, avait téléchargé des films et des images, et ne se lassait pas de la regarder depuis sa chaise, une fois rentré du travail.
La jeune fille traversa la pièce avec grâce. Leurs yeux se croisèrent. Quand elle dut s'effacer pour laisser entrer un producteur, son cigare et l'actrice à son bras qui allaient à l'étage, elle ajusta sa longue chevelure, son nez fin levé au plafond imitation Versailles.
- J'y retourne. Rappelez-moi si nécessaire.
Ted discuta brièvement taxes locales avec le propriétaire d'une chaîne de sex-shops de l'Oregon. Puis David l'aborda près du buffet, alors que Ted s'approchait de la blonde. Il était impatient de pouvoir discuter avec cette fille sur laquelle il s'est masturbé, et dont il connaissait toutes les positions et les détails. .
- Que pensez-vous de notre beau lobby ?
- C'est un bel aréopage qu'a réunit Steve concéda prudemment Ted. Le virtuel devient réel.
- L'une des plus belles associations professionnelles ! Pensez qu'en France les premiers porno remontent à la création du cinéma ! Que c'est grâce à nous que les cassettes vidéos et Internet ont eu un tel succès ! Que c'est la pornographie qui a fait le succès des projecteurs super-8, des Polaroids ou en France, du Minitel !
Il but un peu de Cognac, regarda les invités s'amuser autour de lui.
- Steve sait vraiment réussir ses fêtes.
- Il m'a été dit que c'est l'industrie du porno qui a obtenu dans les années 80 que les cassettes soient VHS plutôt que Betamax ? Le moins cher plutôt que le meilleur, pour vendre plus.
- Tout à fait, et pareil maintenant avec le Blue-Ray et le HD-DVD, les fabricants ont eu peur que leurs ventes de lecteurs DVD s'effondrent si le porno n'obtenait pas le format le moins coûteux à produire... Et grâce à Internet, nos entreprises sont florissantes. Internet c'est des filles à poil et des chatons en photo. Mais on ne peut pas gagner d'argent avec les seconds !
David prit soudainement un ton intimiste.
- Je ne voudrais pas vous choquer, mais vous savez dans notre business, personne ne vous reprochera jamais d'essayer une actrice ou de réclamer quelque chose à une fille.
- Je ne m'attendais pas forcément à ça. Steve m'a embauché pour introduire son entreprise en bourse.
- Oh, il n'y a pas de soucis si vous préférez les hommes, les années 90 sont passées par là.
- Non, c'est juste que c'est un gouffre à côté des cocktails de Wall Street. Les filles comme elles n'étaient pas à la soirée, seulement offertes avec la chambre d'hôtel si on avait fait une bonne année.
- Regardez la petite blonde là-bas. C'est Shirley Brist, elle a eu le First Time Award l'année dernière à San Diego. Allez lui parler, elle cherche à faire racheter son contrat d'exclusivité avec Virtual Lust par votre patron.
Ted s'approcha de la jeune fille croisée un peu plus tôt, un cocktail coloré à la main. Son cœur battait la chamade, et il tremblait un peu. A force de se branler avec elle, il avait cessé de penser qu'elle existait réellement. Des quatre femmes qui discutaient, Shirley était la plus jeune, mais Ted ne savait lui donner un âge – il se contenta d'apprécier son visage angélique, ses cheveux vaporeux et ses yeux bleus profonds. Il se présenta, elle lui proposa de s'asseoir à l'écart.
- Quand j'ai signé avec Virtual Lust, j'étais étudiante. Aujourd'hui, mes DVD sont ceux qui se vendent le plus, et j'ai 17 000 followers sur Twitter ! Sauf que mon salaire n'a rien pour les revenus internet et que je suis sous exclusivité pour cinq ans.
- J'en ai vu quelques-uns .Il hésita et ajouta : je vous ai trouvé très jolie. C'est déconcertant de vous rencontrer à présent.
- Pour moi Internet, c'est plus de scènes à tourner, plus vite, alors que mon salaire augmente en fonction des tournages et pas des ventes, qui progressent beaucoup plus vite ! Pourtant avec 4 millions d'américains dépendants au cybersexe, j'y suis pour quelque chose.
Ted était déconcerté de son discours commercial, prononcé tout en triturant lascivement ses boucles, les jambes allongées, dénudées par la mini-jupe à pois qu'elle avait remontée. Sa capacité de concentration était abolie par la superposition de souvenirs des téléchargements. Autour d'eux, la centaine d'invités s'égayait joyeusement tandis que les serveurs apportaient de nouvelles bouteilles. Quelques filles dansaient près de la piscine où un DJ diffusait Californication.
- Il y a quatre ou cinq webmestres qui vivent à la sueur de mon cul. Des emplois qui ne sont pas virtuels.
- Vous n'avez pas d'agent pour votre carrière ?
- Il ne pensait qu'à coucher avec moi.
- Steve Lampusa est au courant ?
- Vous lui direz. Il me connait, il m'a même peloté le cul à l'Adult Entertainement Congress il y a trois mois. A la tribune.
- Vous avez votre contrat avec vous ?
- Suivez-moi.
Il ne se leva pas tout de suite, le regard d'abord fixé sur ses fesses fermes au sommet des talons aiguilles. Ted les voyaient telles qu'à l'écran. Elle marchait comme en posant ses pieds sur une ligne imaginaire, balançant des hanches à chaque pas. Ted lui ouvrit la porte du hall alors que son érection déformait son pantalon. Elle se glissa sous son bras, et grimpa à l'étage en passant une main dans son dos. Rouge et gêné, Ted était pourtant heureux de toucher une aussi jolie fille.
Elle le conduisait à une chambre du premier étage, et elle s'agenouilla au-dessus d'une énorme valise où Ted reconnu des vêtements érotiques et des dizaines de DVD.
- Je suis en tournée promotionnelle en Californie à partir de demain justifia-t-elle en s'asseyant sur l'énorme lit, deux oreillers, un couvre lit à rayures blanches et rouges, sous des photos de Marylin Monroe et Jayne Mansfield. Avec Internet, on a des vies de stars maintenant.
Il lui effleura les doigts en prenant la liasse et s'assit contre elle. Ted débuta la lecture sous le regard brillant de l'actrice.
- Je vais l'emmener pour l'étudier, et cela me fera un souvenir de vous.
- Vous savez la première greluche peut se créer un blog et se foutre à poil. Mais être actrice, faire fantasmer les hommes, c'est un vrai métier.
Sans le regarder elle s'était laissée glisser entre ses cuisses, au pied du lit, et lui enlaça la taille en embrassant son entre-jambe.
- Alors je vais vous laisser une raison de convaincre Steve.
Elle enleva la ceinture et les boutons pour lécher son boxer, puis sortir son sexe, tout en le regardant ardemment. Ted était aux anges.
Le premier contact avec ses lèvres fut une décharge électrique, comme si après avoir regardé un film il entrait dedans. Elle le lécha longtemps, en tournant la tête autour de son sexe et en poussant des gloussements bruyants, relevant la tête, pour qu'il voit sa langue s'agiter sur son gland. Il découvrit qu'elle avait un piercing et s'aperçut qu'il ne l'avait pas embrassée. En se penchant il caressa érotiquement ses cheveux, qui lui renvoyèrent une odeur de laque, et entreprit de lui défaire son bustier. Ses seins étaient fermes, et il caressa ses tétons des pouces tout en promenant ses doigts. Il ne sentit pas de poche de silicone. Pendant ce temps Shirley, s'étant rappelée l'absence de caméra, s'appliquait à des mouvements méthodiques de va-et-vient de ses lèvres tout en le caressant de la langue.
- Continue Shirley.
- Appelle moi Laurie s'il te plaît. Shirley c'est au travail.
- Je ne pourrais plus jamais te regarder sur internet après cette fellation.
Elle continua de le lécher, et Ted se sentit au bord de la jouissance mais il la souleva par les épaules ; sa langue lui caressa le clitoris et les lèvres, qu'il trouva étonnamment flasques pour une fille de cet âge, et il promena ses mains sur la peau de son ventre et de ses hanches, s'égratigna un doigt dans le piercing du nombril. Comme sur Internet, il sentait des étincelles dans son bas-ventre en regardant Shirley, appuyées sur les coudes, seins tendus, la tête en arrière qui créait une cascade blonde de cheveux – et s'imagina à la place d'un acteur. Puis elle l'attira à lui et il tenta de l'embrasser, mais elle tourna la tête, alors il lécha ses seins, qu'il trouva doux et sucrés, comme une pelure de pêche. Sur le coup il songea que jamais Internet transmettra les odeurs et les textures. Appuyé sur les avants-bras il progressa dans la chatte de l'actrice, par petits coups, mais elle le précipitait à lui. Alors qu'il voulait faire durer la pénétration par de lents mouvements, Shirley accélérait ses mouvements de bassins, serrant ses jambes contre les siennes, et enfin en lui caressant les fesses de ses ongles longs. Concentré sur les sensations de son sexe dans le vagin et du contact des seins contre son torse, Ted ne s'aperçut pas qu'elle lui offrait aussi une bande-son de film jusqu'au moment où il éjacula, et qu'elle se tût subitement en se détournant.
- Désolé d'avoir été si rapide. C'est que tu es particulièrement excitante – il pensa le terme mieux approprié que belle. Mais elle haussa les épaules en se relevant.
- Je me suis vrai cru dans un film porno, tu es vraiment très bien. Le sexe sur Internet est quand même beaucoup mieux en vrai.
- Parle de moi à Steve s'il te plaît.
Elle s'accroupit près d'un sac à main français, dévoilant ses fesses et même son sexe en se penchant, ce qui fit bander de nouveau Ted, et elle se rejeta sur le lit pour allumer sa cigarette. Ted repoussa le paquet, et se surprit à la regarder ; nue, sans maquillage ni éclairage, les yeux éteints, elle était anonyme. Indifférente à l'érection de Ted et sans quitter du regard le mur, elle lui demanda soudainement si à Wall Street aussi les secrétaires devaient coucher pour réussir, ou si leurs compétences suffisaient.