La drague comme dans un fauteuil

Romuald Ward

Les MP3 ont tué la drague songea Christophe en reprenant son journal gratuit. Avec la miniaturisation des écouteurs chaque personne voyageait individuellement, imperméable au reste de la rame. Il soupira en regardant de nouveau sa voisine de tramway, une blonde à frange et nez retroussé, des tâches de rousseur et des gros seins pointus, qui regardait encore par la vitre après avoir ignoré ses deux phrases d'accroche. Divorcé deux ans plus tôt, Christophe était d'un physique banal, sans être laid ou repoussant. A 31 ans, il avait conservé une allure sportive et un catogan des nineties. Mais surtout ne possédait ni charisme ni confiance en lui. Deux raisons pour lesquelles les femmes le fuyaient avant de pouvoir découvrir ses qualités.
Au travail il ne voyait que ses trois collègues de bureau. Sur les trajets il lui arrivait parfois de discuter avec la boulangère en sortant de l'anonymat des transports en commun. Au tennis de table il ne voyait que des hommes de son âge. Et comme sa femme avait la garde de l'enfant, Christophe ne pouvait même pas rencontrer les mères de l'école primaire. Alors, assis dans le tramway de retour du travail et entouré d'une multitude d'écouteurs et de la rousse qui faisait semblant de ne pas l'entendre, il prit la décision de s'inscrire à un site de rencontres.

Christophe débuta par les premières sites gratuits indiqués par les moteurs de recherche. Bien assis dans son fauteuil il remplit des formulaires, détailla sincèrement ses hobbys et ses goûts, puis ses attentes, rédigea des textes de présentation sérieux et denses en plusieurs versions, et explora l'ensemble de son ordinateur pour être sûr de trouver ses meilleures photos. Cela lui prit deux soirs studieux et pleins d'espérance.
Ensuite Christophe parcourut les pages et passa de très longs moments à écrire consciencieusement aux femmes dont il trouvait les profils intéressants, sans ne regarder que la photo, cherchant les affinités de caractère ou de goût, avec un message différent à chacune pour toucher le cœur de sa cible, de longs développements sans concupiscence sur les randonnées en montagne, les musées d'art Renaissance, les concerts de piano. Plus d'une vingtaine de courriels plaisantes. À une heure du matin il s'arrêta, content de lui.
Christophe s'était persuadé que les femmes inscrites recherchaient en priorité un mariage d'amour, par affinité, et fut très surpris le soir suivant de découvrir une dizaine de réponses dans sa messagerie. Il les ouvrit plein d'espoir : « Je reçois de 9h à 23h tous les jours, je n'accepte que les hommes courtois et généreux. » Suivait un portable et l'adresse du salon de massage. « Jeune étudiante nécessiteuse, je cherche des aventures d'un soir pour poursuivre mes études ». La fille avait joint plusieurs photos avenantes en dentelle.
Les autres messages allèrent aussi à la corbeille. Une seule réponse était venue directement sur son profil ; un numéro de téléphone seul, envoyé par une fille très jolie, 30 ans, blonde aux yeux bleus et CSP+, dans une grande ville voisine. Il appela : « Bonjour » dit une voix douceâtre et enregistrée « vous êtes sur le numéro du plaisir, il vous sera facturé 2,34 € la minute à partir de ».
Au cours des jours suivants, Christophe essaya plusieurs autres sites, où il récoltait des numéros surtaxés ou de prostituées, et des curiosités comme « j'organise un bukkake pour ma femme, si tu veux participer, RDV à etc... » Christophe chercha le mot dans son dictionnaire, puis sur Internet, haussa les sourcils et effaça l'invitation.

Un soir enfin, Fiona lui écrivit pour se retrouver par webcam. Quand il cliqua sur le lien, il fut renvoyé sur une nouvelle page avec une autre fille connectée et en soutien-gorge : une jolie brune, au teint de lait, les lèvres charnues et roses, aux seins potelés serrés et appétissants, qui leva la tête d'un magazine. Un téton dépassait. Sur son ventre il y avait un tatouage coquin, tournant du nombril au pubis, comme une piste à suivre. Assise sur un lit dans une chambre sobre, elle lui mima un baiser, pointa sa langue fine et aguicheuse et écarta un peu ses bretelles, se penchant vers l'objectif. Bandant dans son pyjama, Christophe s'amusât d'une fille aussi facilement excitée, prête à se montrer au premier venu, et commença à écrire précipitamment dans l'interface. Pendant ce temps, elle s'était mise à quatre pattes et lui montrait ses fesses, remuantes et pleines, bien plus belles que son ex-femme. Son string montait haut sur les hanches, et quand elle s'allongea sur le dos, ses jambes semblaient interminables, fermes et douces. Christophe écrivait à présent sans regarder le clavier, d'une seule main – il n'avait pas pu résister. Il l'examinait, son sourire immuable, se déplaçant lascivement sur le couvre-lit usé, levant lentement les jambes en remuant ses fesses, et se déhanchait même à quatre pattes.
Soudainement elle écarta les jambes ; le temps de prouver qu'elle était rasée sous la petite culotte ; puis elle se releva d'un bond en riant, passant sa main dans les cheveux d'un geste professionnel, balançant la tête en arrière comme une actrice hollywoodienne. Christophe était enchanté de sa bonne fortune et, toujours assis dans son fauteuil, se masturbait vivement. Enfin le temps passé sur Internet allait être rentabilisé. Avec ses deux mains, elle souleva ses seins et les fit rouler, les deux auréoles avec leurs piercings en avant : Christophe s'impatientait qu'elle se déshabille totalement et se montre nue.
Mais la brune saisit un gode hors-champ et se le passa sur les lèvres langoureusement, fixant d'un œil flasque la caméra, puis répondit en mauvais anglais. Ensuite une fenêtre s'afficha pour qu'il inscrive son numéro de CB.

La deuxième semaine il s'était déjà désinscrit de sept sites gratuits et se résolut à un abonnement onéreux sur six mois. Énervé, il recopia ses annonces précédentes et envoya le même message aux soixante filles de son âge et de sa ville. Il ne s'attarda sur presque aucune, repéra une Lucie adorablement blonde et quelques autres qui pourraient être voisines de palier.
Le lendemain, Christophe préféra lire un livre. C'est le surlendemain qu'il découvrit la demi-douzaine de réponses, toutes de vraies femmes à conquérir : « je ne veux pas de plan Q, il faudra d'abord me séduire. Je veux retomber amoureuse d'un homme qui me protège et m'écoute. On peut d'abord discuter par message et ensuite, plus tard, par webcam. Si jamais on se verra, ce sera d'abord dans un lieu public. Rien ne presse. Je veux d'abord être sûre de mes sentiments, même si cela doit prendre plusieurs mois. » Il ne lut pas la fin du message. « J'ai très envie d'être maman et tu as un physique solide. Est-ce que tu as déjà des enfants ? Des soucis de santé ? ». Poubelle. Une autre avait été aussi claire : « Kikoo lol, j'adore les poneys et le rap, j'aimerai travailler dans la musique ou à la télé, mais là je suis en BTS esthéticienne. Je cherche un homme pour me faire découvrir l'Amour et m'emmener au restaurant, en boîte, au ciné. »
Le message de Lucie, qu'il relut deux fois, était le plus intelligent, qui parlait de ses goûts et sa solitude due à sa timidité. Elle se félicitait qu'Internet ait pu faire tomber cette barrière du premier regard, et elle regrettait de ne pas avoir commencé plus tôt. Contrairement à lui, elle n'était pas contre une love-affaire, mais ne refusait rien, et se qualifiait « d'expérimentatrice ». Cela lui plut.
Il ne parla sexe avec aucune pendant les premiers jours. Christophe avait deviné que tous parlaient avec de multiples contacts à la fois. Parfois l'une cessait de lui répondre. Quelquefois il passait plusieurs heures sur le tchat avec une fille, parlant comme s'il était à une terrasse avec une fille draguée.
- Et sinon, physiquement, à part la photo ?.
- J'ai une queue de cheval.
- Gros porc.
Christophe n'eut pas le temps de répondre que c'étaient ses cheveux qu'il était blacklisté. A d'autres il dût justifier sa préférence au PSG plutôt qu'à l'OL, à la soupe plutôt qu'à la salade, à la fellation plutôt qu'à la sodomie, à la natation au lieu de l'équitation.
Lucile était la plus rigolote, et avec elle il était capable de passer des dizaines de minutes sans se torturer à relancer la conversation. Ils s'échangèrent leurs mails personnels.
Une autre lui expliqua au bout de trois jours d'échanges passionnés qu'elle vivait au Congo et qu'elle pourrait le joindre s'il versait quelques milliers d'euros pour le billet d'avion.
Carole, « esthéticienne qualifiée » de 32 ans pour une « rencontre non-amoureuse » lui demanda soudainement ce qu'il pensait du sexe anal.
- Heu ?
- Oui, je veux savoir si tu aimes ça.
- Vraiment ? Pourquoi ?
- Dis-moi pourquoi ça te plaît si c'est le cas.
Il réfléchit un moment, la main sur sa queue de cheval. La discussion l'aguichait fermement.
- J'aime bien, parce que c'est inhabituel et excitant pour les deux, et que la femme est toute offerte, attentive et receveuse ; et que c'est très serré pour moi, et que ça oblige d'aller très lentement pour lui faire plaisir.
- T'es vraiment dégueulasse ! Un mec comme les autres ! Je suis anti-sodomie. Jamais de ma vie je me sortirai avec un homme qui veut m'enculer, c'est immonde et humiliant, contre-nature, faut être pervers.
Puis « Carole vous a banni ».

- Bon ça va dit-elle, on est tout les deux conformes à nos photos.
C'est Lucile qui avait suggéré d'utiliser les webcams.
- Pas de tromperie sur la marchandise répondit-il, et elle rougit.
- Ça fait deux semaines qu'on s'écrit, c'est bizarre de se parler seulement maintenant, alors qu'à présent on se connaît.
Son visage ovale n'était pas très affirmé, mais elle était jolie, un nez fin avec des cheveux courts, des yeux bleus séduisants qui fixèrent Christophe.
- C'est la première fois que tu fais des rencontres pour le sexe ?
- Oui. Ça te dérange pas de parler sexe comme ça, alors qu'on se connait peu ?
- C'est ça qui est grisant, de ne pas se connaître mais de discuter.
- Ça me gêne un peu.
- Fais pas ton timide. Moi j'aime tout avec les hommes.
- Comme quoi ?
- Huum... J'adore sucer par surprise quand c'est pas encore tout à fait dur. Ou alors quand on baise en me secouant pas derrière.
- J'adorerai te baiser pour sentir tes seins contre ma poitrine.
- Seulement si tu as des pectoraux.
Pour la surprendre Christophe enleva son tee-shirt d'un geste et bomba le torse devant la webcam. Elle s'approcha de l'écran.
- Wouah, joli. Ça donne envie.
- A ton tour dit-il, campé sur sa chaise.
Lucile remonta doucement son pull, montrant un ventre appétissant, puis un soutien-gorge marron et blanc. Elle enleva lascivement les manches, et pivotait des épaules en fixant Christophe pour montrer ses seins de profil, puis se les caressa devant la webcam qui la coupait à la taille.
- Ça donne envie.
- Vraiment ? Envie comment ?
Il lui sourit et mima la masturbation. Elle pressa ses seins l'un contre l'autre, les faisant gonfler hors du coton ;
- Je les sors si tu me la montre. Lucile sortit sa langue et fit mine de se lécher les tétons.
Christophe recula encore son fauteuil et se débraguetta doucement. D'une main Lucile défit l'agrafe. Comme il baissa un peu son caleçon, alors elle lui montra un téton entier. Il la lui présentât peu à peu ; grande et fine, dressée, avec peu de poils. À son tour Lucile montra ses seins totalement ronds, aux auréoles brunes foncées. Ils étaient lourds, pleins, comme des pamplemousses mûrs. Pour garder les mains occupées, elle se caressait la poitrine, et Christophe lui fit remarquer que ses tétons étaient durs.
Elle sourit le plus angéliquement possible :
- Profite-en si tu veux.
Comme sa main tournait autour de son sexe il la posa dessus.
- Vas-y, fais-le devant moi.
- C'est super excitant de le faire devant toi qui reste assise, tes seins me plaisent beaucoup.
- Oui, continue. Je ne vais pas bouger.
Elle ne perdait pas une miette, fascinée, penchée en avant. Sa main se caressait le ventre, puis le pubis, un peu plus bas, sous le rebord de la table.
- Tu te touches ?
- Oui. Ta bite me donne envie.
Christophe se masturbait en veillant à ne rien cacher à la caméra, et il se rendait compte que ses yeux devaient être exorbités à l'écran.
- Tu aimerai quoi là ?
- Ma langue autour de ton gland... en le prenant dans ma bouche...
Il haletait en l'examinant comme un voyeur. Ses seins reposaient sur la table, opulents et indolents, étendus pour l'attendre.
- Et tu fais quoi Lucile avec ta main ?
- Huum... Je n'ai que deux doigts pour l'instant... Et toi ça te plaît de te branler sur mes seins ?
Elle se redressa et ils la suivirent, se balançant au rythme de son coude sous la table.
Ils poussaient des petits cris exagérés pour se motiver, puis Christophe vit qu'elle soufflait, bouche ouverte à la caméra. Lui s'appliquait à ce que ce ne soit pas trop rapide, mais était heureux d'avoir enfin eu une rencontre sur internet. La fille à présent se masturbait pour de vrai en direct devant lui, sans avoir réclamé sa carte bleue ou un billet d'avion.
Ils jouirent en même temps : Christophe s'éclaboussa sur la poitrine et le ventre avant de lâcher son sexe, et les autres jets aspergèrent sa paume et ses cuisses. Lucie avait eu une série de mouvements d'épaules puis avait posé sa tête sur le clavier pour se finir ; ses doigts la caressèrent encore, elle finissait en répétant « oui, oui » au mépris de ses voisins. Puis elle cria et resta immobile à souffler.
- Tu es très belle et très érotique là. J'en ai mis partout en te regardant te branler la flatta Christophe depuis son fauteuil.
Il eut l'impression de la voir ramper à l'écran pour se redresser, et elle laissa ses bras inertes sur ses flancs. Ses seins battaient au rythme de sa respiration, qui chuintait dans le micro.
- Bon, je pense qu'on peut se rencontrer là. Demain soir ?

Lucile était déjà assise sur une banquette du bar, mais côté fenêtre, loin du couloir. Il s'assit en face.
- J'ai préféré venir en avance.
De près, elle avait un nez plus long et des pommettes plus hautes qu'à l'écran. Ses lèvres pleines étaient d'un rouge naturel. Un fin tee-shirt rouge vif dépassait légèrement de son pull orange. Le décolleté, étroit et profond, montrait une peau douce et velouteuse, d'un rose pâle rehaussé du pendentif discret en argent assorti aux boucles d'oreilles. Ses boucles blondes rebondissaient sur ses épaules et son dos, et ses mains posées devant elle attendaient sagement.
Le serveur apporta des chocolats. Ils se regardaient timidement. C'est lui qui rompit la glace :
- On était plus bavard hier.
Elle rit, et ils parlèrent du site, puis de cinéma et des travaux du tramway. Les autres clients étaient au comptoir, avec du vin blanc, des tickets de PMU et des cacahouètes. Ensuite, Christophe rougit et se pencha un peu, à voix basse :
- Tu étais très excitante hier soir. J'ai adoré.
- C'est bien de te voir aussi, ça m'a beaucoup plu. J'étais très excitée.
- Tes seins m'ont fait bander comme un âne, et t'avais vraiment l'air chaude.
- Ils t'ont plu mes seins ? Tu aimerais les lécher c'est ça ?
- J'aimerai surtout que tu me suces pendant que je les matte.
- Écoute, pas de souci. Si on sort ensemble, je te suce sans les mains. On verra si t'éjacule avant que je me retire.
Il n'eut qu'à se pencher un peu pour poser ses mains juste derrière ses oreilles, et l'attirer à lui. Ils s'embrassèrent au milieu de la table, radieux. Ses lèvres se collaient ardemment à lui, humides et chaudes, et cela l'excitait davantage. Après quelques secondes, sa langue le caressa en tout sens, et il s'imaginât déjà la magnifique fellation. Sous la table, il sentit qu'elle promenait ses doigts sur ses cuisses, cherchant à remonter davantage.
- Lucile, ça va te paraître rapide, mais j'ai envie qu'on aille chez moi. Maintenant. Je suis trop excité.
- D'accord. Aide-moi juste à me relever.
Il ne s'étonna pas de la demande, jeta cinq euros entre les tasses et s'approcha de la banquette en se penchant vers elle, soudainement très gênée et émue. Son pied buta quelque-chose. Il se pencha et vit deux roues de vélo avec des tubes.
- Il faut le déplier.
Christophe extirpa le fauteuil roulant.
- Désolée. Mais sans Internet, personne ne veut sortir avec moi.

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