La Reine des Neiges

chleurk

Il n'aurait pas dû être là, dehors par cette nuit glaciale, en chemise alors qu'il faisait moins huit. Il n'aurait pas dû être là. Toujours rejeter le blâme sur l'autre. Toujours.

J'aurais pu dire "Je n'aurais pas dû l'attendre", "Je n'aurais pas dû savoir qu'il viendrait vraiment", "Je n'aurais pas dû pouvoir le prédire".

J'aurais pu.

Il était là, devant moi, un souffle givré s'échappant de ses lèvres entrouvertes et gercées par le froid. Tout était blanc autour de lui, sorte de tempête polaire en plein Paris. Et ses yeux, ses yeux bleu acier qui me plantaient, chaque seconde un peu plus, une lame en plein cœur. Il y avait dans son regard ce que j'y avais toujours trouvé.

De l'amour, de la tendresse, des promesses…Et de la haine. Oui, une petite pointe de pure haine qui grandissait à vue d'œil.

Il n'aurait pas dû être là et pourtant il l'était. Après toutes ces journées à l'attendre. Après toutes ces larmes versées.

Il était là le jour où j'avais décidé de ne plus penser à lui, de l'oublier, de l'enterrer vivant au fond de ma mémoire.

Et ses prunelles amères qui me poignardaient encore et encore.

J'aurais dû tirer le rideau, ne plus le voir, ne plus le subir, ne plus… Oui, j'aurais dû.

Je me souviens que je portais ce soir-là. La tenue traditionnelle d'un samedi soir comme les autres. Pantalon de jogging hors d'âge, chemise de nuit Snoopy enfouie sous une couverture polaire. J'étais moi.

J'étais moi mais je n'étais plus celle qu'il avait connue. Elle était morte. Une pneumonie chopée en restant trop longtemps sur cette banquise de trottoir parisien, à l'attendre.

Maintenant c'était lui qui attendait. Et il ne partirait pas.

Je suis restée devant la fenêtre, mes yeux plantés dans les siens, saignant toutes les larmes de mon cœur. J'avais chaud. Lui froid. Je voulais sortir. Lui entrer.

Je voyais son visage pâlir, devenir blanc, puis presque bleu.

Il a reculé d'un pas. Est monté dans sa voiture. A démarré. N'est jamais revenu.

J'y repense aujourd'hui. J'aurais pu y repenser hier. Ou demain. J'y repense aujourd'hui parce qu'il fait froid.

Parce que ma playlist a décidé de m'imposer tout ce qu'on écoutait ensemble.

Parce que l'enfant qui se tient devant moi est le sien et qu'il l'ignore.

Parce que je n'ai jamais fait que fuir quelqu'un qui m'attendait et attendre quelqu'un qui me fuyait.

Parce que, l'un dans l'autre, on découvre qu'on tient à quelque chose quand il est trop tard.

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