La Rencontre

brajkina

   Cette immuable volonté qui l'avait poussé à arriver jusqu'ici, qu'en était-elle à présent ? Face à cette figure parfaitement emblématique et irrésistiblement inaccessible il se trouvait complètement délesté de toute forme de courage. Il avait toujours cru qu'on ne connaissait réellement quelqu'un que quand on l'avait en face de soi, cette fois-ci, il mesurait toute l'ampleur de son erreur.

    Il ne s'était jamais retrouvé aussi démuni et indécis devant un autre être humain. Le souffle court il continuait à fixer ces yeux d'un gris morne et dont la passion semblait éteinte depuis des dizaines d'années sans pouvoir émettre quelque son que ce fut. A cet instant il maudit son être tout entier, il avait attendu ce moment avec tant d'impatience, tant de volonté et tellement d'attentes et maintenant qu'il s'y trouvait confronté, il ne parvenait même pas à dire un mot. Juste un mot. Il entreprit de réfléchir à ce qu'il dirait pour briser ce silence qui s'éternisait. Surtout pas un cri. Il fallait quelque chose de censé. Il y avait pensé un nombre incalculable de fois avant ça, et il lui était impossible de s'en souvenir arrivé au moment fatidique.

    Cet homme qui avait changé sa vision du monde, cet homme qu'il connaissait par cœur, cet homme qu'il n'avait jamais rencontré auparavant, il réalisa qu'il n'avait même pas entendu sa voix en face à face. La voix grave et douce qui annonçait de rudes propos, sans équivoque, il ne l'écoutait que par l'intermédiaire de leurs téléphones. Un sentiment d'angoisse le parcouru comme une caresse qui se mua en peur indicible de ne pas être à la hauteur. La joie qu'il éprouvait pourtant de voir enfin son mentor le poussait à insister, à réfléchir plus fort plutôt que d'écouter sa raison qui lui hurlait de fuir. Était-ce bien une bonne idée de le rencontrer ? Le mythe aurait peut-être du en rester un.

    Soudain, le vieil homme ouvrit la bouche et d'une voix claire, annonça comme une fatalité « Je t'imaginais plus grand. ». L'autre répondit aussitôt, comme si sa mécanique de la parole venait de se débloquer net « Et moi je t'imaginais plus jeune. ». S'en suivit un long silence, mais tout à fait différent du précédent. C'était un souffle qui apaisait, et tandis que les deux hommes se regardaient dans les yeux, le silence qu'il partageait disait « c'est bien toi, je te reconnais ». Ils se sourirent l'un à l'autre et le vieux éclata d'un rire franc et enfantin qui dénotait parfaitement avec son âge pendant que les muscles de son élève se relâchaient et qu'il s'allumait une cigarette toujours en souriant, rassuré et profondément heureux.

Signaler ce texte