La république du nouveau monde ou le clignotant prologue
Farid Adafer
La république du nouveau monde ou le clignotant
Prologue
Paris. Une contre allée. Un grand appartement. Quatre personne en plein après midi se plaignant de la chaleur suffocante et devisant autour d’une boisson rafraîchissante.
La dame hôte :
-Avez vous lu la chronique littéraire de la « Revue des livres » ?
Un homme, la quarantaine. Etui à cigarette. Costume trois pièces vissés sur le corps. Une élégance de façade et un fard qui semble trop lourd à porter. Prend un verre.
-Oui comme d’habitude, oh il n’ y a rien de très nouveau à part cet auteur qu’on dit sortir des sentiers battus, mais qui se prend pour un philosophe de plus.
Autre dame. Vissée sur son siège à chapelure orange. Semble ne pas être là, mais rebondit beaucoup. Son châle de marque voile son cou trop blanc et volète qui file sur ses doigts agiles et effilés. Croise les jambes comme pour dire quelque chose de profond. Un chapeau couronne son air dadais et narquois à la fois :
-Ah oui, l’autre là, celui qui s’appelle comme un joueur de tennis, je crois. Oh quelle prétention dans le discours, c’est simple on n’y comprends guère ou alors a peine que ce qu’il veut qu’on ne comprenne pas au fond. C’est toute cette histoire avec l’élargissement vers le « nouveau monde » qui monte à la tête de ces jeunes à bobs.
Homme, la cinquantaine, cultivé et très affable. Habillé élégamment comme pour une représentation de théâtre à la mode. Sa coupe de cheveux droite semble comme figé, lisse et vermoulue. Un air pincé, mais un regard détendu. Des yeux évasifs. Un air de vie lui colle aux moustaches.
-Vous êtes un peu dur avec ce garçon. Il faut bien renouveler le genre, montrer des têtes nouvelles que le public qui nous remplacera, sera capable d’identifier… Je lui reconnais une tentation assez tentaculaire si j’ose dire, à ce federa. Une profondeur cependant que sa gabegie a vite fait d’enterrer.
-C’est à dire M.Bruno, vous faites tant de cachotteries et de détours pour parer au plus simple ? reprend l’ hote.
-Mais c’est qu’il faut mettre une belle robe pour aller danser, voyez vous. Je disais donc que sa gabegie, n’a d’égal que ses tours de passe-passe qui sont remplis de vide, mais sont remplis quand même. Car il faut bien s’amuser en pensant et penser à s’amuser également avec les mots. Oh, tout cela me donne soif.
L’ hôte reprend alors sa place au milieu du carré de soir. Elle se lève tranquillement de son canapé en cuir. Presque lascivement. Elle appelle sa servante, semble faire le tour de l’assemblée pour voir si rien ne manque et dispose ses invités à se rasseoir autour d’elle. Semble mener la partie. avec l’avantage de jouer à domicile. Elle reprend :
-Parlez-vous donc là de poésie, mon cher ? Car je ne vois vraiment pas comment parler peu en faisant rêver (c’est pour moi cela la poésie), peut se comparer à ces longues diatribes qui ne peuvent provoquer que le décollage d’une nuée de mouches autour d’un pot de nuisances !
-Vous voulez dire de merde ? Dites les choses enfin !
Entrée tardive du dernier homme. Monsieur X. Monsieur X, sorte de sage sorti tout droit des faubourgs du XIX e siècle. Traits marqués et visage profond, regard implacable et moqueur à la fois. Beaucoup d’élégance, et une attitude qui pourrait passer pour suffisante.
-Arrgh, lâcha til comme un air de satisfaction qui s’échappa de son gosier, histoire de se mêler à la joute. Tombe sur un fauteuil moelleux, denoue son écharpe, air avide et allègre en même temps.
- « De quoi parliez vous au juste ? »
-Tenez, mon cher, prenez un verre et taisez vous ! Nous parlions de l’écrivain joueur de tennis, federera ou quelque chose. Il nous semblait que ce petit s’écoutait parler plus qu’il n’écrivait, un point c’est tout. Il devrait donner des conférences confraternels sur ce besoin quasi liturgique de donner de la compensation à la douleur par la logorrhée, et je pense qu’il serait bien le seul à s’écouter parler. D’ailleurs c’est bien simple, je ne sais absolument pas où il veut en venir.
La farandole se poursuivit. Chacun reprit son rôle. On s’exprima en des termes semblables. Monsieur X regarda un temps le manège. En amateur de discussions piquées, et enlevées, sans jamais donner l’impression d’y toucher. Son meilleur jeu : écouter les autres, goûter de tous ses sens, et attendre avant de répartir. Joue à la volée. Son attirail de mascarade sort lorsqu’il ferraille à plusieurs. Observateur. Sans fards quand la moutarde lui monte à la tête. Dangereux, pour l’union des faux-semblants. Il s’incruste :
-Mais, excusez cher hôte cette remarque, vous-même, où voulez-vous en venir ?
-Ah ça y est voilà que l’ancien radote ! Excusez-moi, M.X, mais vous me faites cet effet là, franchement quand vous montez sur vos chevaux mystérieux ! Qu’est ce que vous voulez que je vous dise de plus ! On parle pour ne rien dire, depuis des lustres, on a tout fait et écrit puis voilà tout. On s’exprime ; on jette notre fiel sur ce qui est nouveau, car sinon où prendre les quelques petits plaisirs de la discussion. Ce ne sont que des marivaudages de l’esprit.
-Parlons en d’esprit, du fondement de l’esprit. Vous vous ne vous êtes jamais dit qu’il fallait justement tout refaire ?
-Ah, voilà que le vieux délire !
-Je suis bien d’accord avec vous sur ce point. Il faut du délire, pour du renouveau, il faut de la folie, pour de la sagesse et du chaos pour régénérer toutes ces cellules mortes ! Voilà ce que je vois chez ce joueur de tennis raté. Il n’y a rien à dire, alors nous nous disons tout sans jamais rien signifier. Chercher le sens, même dans l’ère du vide, signifier, c’est déjà dire plus que ce que nous disons là. Et je prête à ce refada ou je ne sais quoi une ambition simple mais réformatrice de le faire. Il semble parler pour ne rien dire, mais dit sûrement une chose qui vous dépasse. Trop souvent, nous lisons des choses qui semblent parler et prétendent éviter de le faire ou ne jamais provenir d’une énergie qui le fait. D’une énergie de bienfaisance. Que la musique ou le cinéma par exemple soient des arts ludiques où la fluidité de l’émotion est importante ne doit pas nous faire dévisser de l’art du discours. Car si le verbe ne servait qu’à cela, à produire des images : à quoi servirait-il, cet esprit, hein ? L’émotion c’est une chose, deviser en est une autre !
-Oh, vous étés bien aussi verbeux que lui tiens ! Vous devriez bien vous entendre tous les deux, On dit qu’il a la même …C’est bien simple, vous me fatiguez !
-Mais je joue mon rôle, ma chère comme chacun de nous. Vous, celui de l’hôte lucrative qui compte ses invites comme les perles autour de son cou, et il n’y en a pas à s’en faire une histoire. Il y a encore du monde devant chez vous qui fait la queue ! Certains feraient des courbettes à votre propre mère pour vous accompagner et rentrer dans ces mondanités. Mais tout ceci, qui nous plait, je ne vais pas faire l’innocent, n’est qu’inconstance et stupidité. Il faut nous fouetter le nerf !
-Alors pourquoi venez-vous encore ici donc vielle charogne ? Je me demande même comment je vous tolère encore chez moi !
-Oh vous savez, il m’est agréable quelquefois, en tant que vieil homme de balancer des vérités qui ne sont pas bonnes à dire, mais tellement agréables à entendre, une fois que le fruit est mangé et que la lie est bue. On n’a qu’une vie ! Vous savez au fond de moi que je ne suis pas méchant et tout ceci est un jeu. Mais dans ce jeu, je tiens à jouer la fin de mon rôle, le bout de la chandelle. Je veux encore aller plus vite que votre bile. C’est ce que vous aimez au fond de vous : être titillée en place publique et vous remémorer ces combats qui par chance ont fait de nous ce que nous sommes, et par mégarde ont défait de nous tant de choses. Je suis votre poil à gratter et mon rôle est on en peut plus précieux dans votre garde robe. Vous ne m’échangeriez pour rien au monde dans votre manège et moi aussi.
Il fit une pause, car il tenait son auditoire, en bien ou en mal.
-Allez, embrassons nous et allons boire de cette liqueur fraîche que nous aimons tant !
-Oui eh bien,, vous avez bien de la chance d’être gracieux tout de même, se retourna l’hôte ensevelie sous un charme rotors et une volonté de garder sa première main. Se retournant vers les autres, qui en silence goûtent à la joute sans en perdre une miette :
-N’est ce pas une tête de cochon que celui là, fraîchement !? lanca-t-elle en meneuse de revue ?!
Tout le monde se met à rire dans un éclat général, avant de se servir une grande tasse de produit miracle !