la rue

lebrouillondefinitif

nous étions au ras des murs, nous rasions les murs, nous tirions nos chemises pour cacher nos fesses plates, nous marchions au crépuscule.

on rentrait chez nous. derrière des portes fermées à double tour, on mangeait les restes, on mangeait en silence à lécher les assiettes et dormions sur des matelas tâchés.

nos caves plein de bouquins de poches. nos cœurs plein de ressentiments.

nous avancions contre le vent. nous grelottions dans nos pulls mouillés.

on mangeait dans la rue de mauvaises choses pour nous remplir. on zigzaguait entre les merdes de chiens et les crachats noirs, on disparaissait sous un ciel bas.

demain. on serrait les poings. on sentait poindre cette vague de vide qui poussait le reste à l’extérieur.

on entendait siffler le vent dans nos écouteurs, en sifflements bizarres.

ces rues qui s’éteignaient à mesure que un à un, nous rejoignions les ombres. nos yeux se fermaient. nous sentions nos poitrines aller et venir au-dessus de nos ventres tendus comme des baudruches.

nos épaules qui se chahutent, nos coudes qui pénètrent les côtes des autres, nos ongles dans les yeux, et nos chairs arrachées par les dents des autres.

sur du bois mort, des corps qui se raccrochent et marchent en pleine lumière. les murs qui nous rasent, les murs qui se plaquent là où l’on n’est pas.

on prend l’espace, on reprendrait l’espace. dedans est dehors, et cet espace me remplit, et je respire, je respire à fond, et ma chemise ne suffit plus à cacher mon cul.

de partout, nos silhouettes déséquilibrées, regonflées et virevoltantes, rouges du sang des autres. l’heure était venue

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