La Rue est morte

Oskar Kermann Cyrus

Derrière le temps qu’il fait dehors, le temps d’écrire ces petits mots. Cette missive inutile qui n’adresse rien à personne. J’ai lu quelque part, autour d’une page de journal, rubrique des gens blessés, que le décès du grand coma gris allait arriver sous peu. Et puis c’est comme ça ; on n’arrête pas de le répéter, en dehors de la fièvre cannibale, c’est comme ça veut dire un peu : c’est fini, c’est passé, on y peut rien. On ne se dévore pas encore sous le soleil lourd de l’été. La chaleur et la folie ne sont pas encore ensemble conjuguées. Il faut attendre. Que le monde s’écrase lui-même sous son propre poids, et que le suicide soit une affaire universelle. On y peut pas grand chose, c’est comme ça, murmurent-ils en chœur entre leur dents serrés, l’abandon dans la poitrine, la fin dans le ventre qui tord les entrailles. Et le visage plat et impassible, le regard vide de ceux qui, là et là-bas, attendent toujours le retour des promesses avalées par les grands poupons qui nous dirigent.

J’ai lu comme ça, un jour de grand vent et où les nuages étaient bas, dans un fauteuil du salon, au détour malheureux d’une page de journal, la page des grands blessés qui n’ont pas survécus : La rue est morte. Non, c’était plus choc, plus tragique, plus grand, plus gros, plus gras:

LA RUE EST MORTE


Que va-t-on faire de nos avenirs perdus. Sans interrogation sur le monde à venir, puisque d’avenir il n’y a pas de monde, tout juste des lambeaux de présents qui se prolongent péniblement sur la route abîmée de l’évolution. Sans rire. Sans rire voudrez-vous bien m’épeler le mot « liberté » que l’on écrit plus que dans la langue de bois. Sans rire, sans rire, voudrez-vous bien lire, écouter, dormir sans penser que demain, sous nos pieds incertains il y aura un sol, mais plus de monde…

Cela fait maintenant deux mois que je n’écris plus de points d’interrogation. Je n’en ai plus l’utilité, puisqu’à chaque question me revient le souffle d’un vent creux, qui tout juste s’agite un peu avant de repartir secouer son corps frêle dans d’autres cervelles disponibles. A chaque question la seule réponse est : Tais-toi et marche. Tais-toi, marche, va vers ce bout-là, celui que l’on veut, écoute, obéis, marche. Tais-toi, ne pense pas. Marche.

Aujourd’hui sur les pavés il y avait du sang. Des traces qui s’allongeait loin vers l’horizon sans la promesse rassurante de s’arrêter un moment. Le crâne fracassé, la chaussé défoncée, la rue gisait là comme un serpent mort, une dépouille qui rassure les uns, inquiète les autres, et me terrifient. Il était comme un odeur de banalité dans la dépouille du tragique, un souffle rassurant et inquisiteur prêt à occuper les esprits disponibles, et qui chuchotait comme ça: Tais-toi et marche.

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