La rue, ma maison (mis en forme par Christian Chaillet). Auteurs : CHAILLET Perrine -BERROD Sarah

Christian Chaillet

O'Lydie vit sur un pont dans le centre de Toulouse depuis des années. Y est-elle heureuse? Son logement est-il celui qu'elle estime être parfait ? A vous de répondre.

«La rue, ma maison»

Sommaire

Introduction

Première Partie : le pont d'une vie

Deuxième Partie: une question de société

Conclusion

 

 

 

Première Partie :

LE PONT D'UNE VIE

 

Le lieu

Avenue de la Gloire

Rue Denis Papin

O'Lydie habite dans son logement parfait au Nord-Est de la ville de Toulouse, en Haute-Garonne, et plus précisément dans l'avenue de la Gloire. Cette avenue est proche de la gare Matabiau, ainsi que de la médiathèque. Elle passe au-dessus des voies ferrées et est bordée d'immeubles d'habitations ainsi que de petits commerces. Au niveau du pont, se trouve l'abri de O'Lydie.

La vie du quartier est animée, avec un passage régulier et fréquent des riverains, que ce soit à pied ou en voiture. Les transports en commun passent également dans cette rue. Comme commerces, on peut noter : une épicerie, un petit casino, un salon de coiffure, un bar lounge, un bureau de tabac, un bar pmu et un magasin de lingerie.

Comme toutes les grandes villes, les quartiers de la gare sont réputées dangereux et difficiles. Toulouse ne fait pas exception à la règle, des hôtels de passe et des «zonards» y ont élu domicile. Malgré ceci, le quartier où a élu domicile O'Lydie est bien plus agréable qu'il ne peut le laisser penser, du moins la journée, et ce peut-être par la proximité du canal et par l'ambiance ethnique qui s'en dégage.

 

 

 

L'habitat

 

Le logement  de O'Lydyie se situe sur un pont où passe en-dessous de nombreuses voies ferrées. Sur ce pont y circulent voitures et piétons grâce à un large trottoir. C'est sur ce même trottoir qu'O'Lydie a élu domicile depuis 4 ou 5 ans.

Son abri se remarque de loin, par le dispositif, son lieu puis par la couleur bleu de la bâche qui en est le principal matériau.

Cet habitat est composé de divers matériaux : une grande bâche bleu donc, des sacs poubelles (où l'on trouve des affaires personnelle), des couvertures et de la ficelle.

La bâche bleu qui est le matériau principal est tenu par de la ficelle à la rambarde du pont sur un pan. Sur les trois autres pans la bâche est maintenue par les sacs plastiques. Pour éviter le contact avec le sol, des couvertures sont disposées sur le sol.

Il n'y a pas d'ouvertures, tout l'espace est calfeutré permettant ainsi un minimum d'isolation. Pour pallier au problème d'étanchéité, des bouteilles d'eau découpées (permettant d'obtenir uniquement le «cul de la bouteille») sont disposées à des endroits clés de l'abri. Ces récipients permettent de récolter l'eau, lorsqu'il pleut, afin de l'évacuer à l'extérieur.

L'abri mesure 3m40 de long sur 1m10 de large et 1mdehaut. Ces dimensions ne permettent guère d'y rester debout et très peu de temps dans la position assise.

 

 

Les observations

 

Durant notre recherche d'un sujet pertinent pour ce concours sur LE LOGEMENT PARFAIT, nous avons hésité à étudier cet abri. En effet lors de notre première enquête de terrain, notre première confrontation avec cette installation fut forte et bouleversante. À vrai dire, nous nous demandions s'il y avait bien une personne qui habitait sous ces bâches, ou si ce n'était qu'un amoncellement de poubelles laissées à l'abandon sur ce pont. Pour savoir avec certitude si une personne habitait bel et bien là, nous avons observé pendant un moment : les bâches au bout de quelque temps se sont mises à bouger sans que personne n'en sorte mais notre opinion était faite, le vent ne pouvait être la cause de ces mouvements.

En examinant plus attentivement le cadre de vie de cette personne, nous nous sommes rendues compte que les personnes passant à proximité de l'abri n'y prêtaient pas attention. Ce comportement peut s'expliquer par plusieurs faits : soit ces personnes ne peuvent imaginer qu'une personne habite là, soit elles sont au courant de la situation mais n'y prêtent plus attention.

Parmi une circulation assez dense et régulière sur ce pont, une voiture de police est passée. Cette dernière a elle aussi ignorée cet abri. L'ont-ils déjà contrôlé auparavant ? Savent-ils qu'une personne demeure ici ?

 

 

 

Les entretiens avec O'Lydie

 

Pour notre première prise de contact, il nous a fallu dépasser nos appréhensions ainsi que nos préjugés. Nous avions peur que cette personne ne veuille pas nous rencontrer, nous pensions passer pour des voyeurs en la questionnant sur son habitat de «misère».

 

 

Nous avons décidé d'aller à sa rencontre. Pour nous préparer, nous avons observé le lieu et pris un premier contact avec le buraliste d'à côté.

Le jeudi 6 mai nous sommes retournées sur les lieux bien décidées à pouvoir enfin la rencontrer. Malheureusement, après quelques minutes d'observation, nous n'avons vu personne sortir de l'abri. Etant sûres de sa présence nous avons essayé de lui parler depuis  l'extérieur mais la bâche était un véritable obstacle au dialogue et nous n'avons eu aucune réponse. Nous lui avons donc laissé un mot, coincé entre la bâche et un parapluie, lui expliquant brièvement qui nous étions et notre démarche en lui donnant «rendez-vous» au dimanche suivant. Faute de lui parler nous sommes allées questionner le buraliste à proximité.

Ce monsieur a pu nous renseigner sur le parcours de cette femme vivant sur ce pont depuis quatre à cinq ans. Originaire de Paris elle a une fille de dix-huit ans qui lui a été retiré par la DDASS il y a quelques années. En effet elle vivait de la même manière avec sa petite fille sur Paris. A la suite du retrait de son enfant elle a déménagé sur Toulouse. Sa famille lui rend visite tous les deux/trois mois. Le buraliste nous a également appris que tout le voisinage s'était mobilisé pour essayer de l'aider et avait donc pris contact avec des associations et les autorités locales mais ces interventions furent un échec car O'Lydie ne veut absolument pas quitter cet endroit.

Le 9 mai, première rencontre. En arrivant à proximité du pont, nous l'avons aperçue avec son chien à côté de son abri. Après un bref récapitulatif quand-à nos interrogations, nous sommes parties à sa rencontre. A vrai dire le premier contact fut assez impressionnant et difficile. Nous nous sommes présentées en tant qu'auteurs du petit mot laissé quelques jours auparavant près de son habitat. Elle ne se souvenait pas de ce qu'il y avait d'écrit sur ce mot(ou plutôt sait-elle vraiment lire?), nous avons dû lui réexpliquer nos intentions et pourquoi cette rencontre. Dans un climat tendu, et par un temps pluvieux nous attendions avec appréhension sa réponse: accepterait-elle de nous parler de son abri et de répondre à nos questions ? Après un long silence (qui nous sembla durer une éternité), elle finit par accepter d'un petit « oui » et un haussement d'épaule. Le dialogue pouvait alors s'engager. Mais peut-on vraiment parler de dialogue ? En effet la conversation fut brève, et on pouvait déceler dans le regard d'O'Lydie une certaine inquiétude. La pluie venant de cesser, elle était en train de remettre en état son abri. On a pu se rendre compte ainsi que des bouteilles d'eau servaient de «gouttières».

 

 

Elle nous a confirmé que dans les sacs poubelles suspendus le long du pont des affaires personnelles y étaient stockées et que personne n'avait jamais osé venir lui prendre. Le choix de cet endroit avait été influencé par la proximité des commerces qui lui assurent ainsi sécurité et facilité pour subvenir à ses besoins. Elle n'avait pas eu de difficultés particulières à mettre en œuvre son abri. Elle s'est débrouillée seule et a seulement acheté de grandes bâches bleues comme structure principale. O'Lydie n'est pas seule, un gros chien du nom de Yaourt lui tient compagnie. Après avoir pris des relevés de son abri nous sommes parties.

Mardi 18 mai, nous sommes retournées sur le pont dans l'idée d'en savoir un peu plus sur le mode de vie d'O'Lydie dans son logement parfait, et notamment grâce aux commerçants du quartier. Le premier était un des employés de la petite épicerie. Très agréable il nous a parlé longuement d'O'Lydie. Celle-ci vient régulièrement dans son commerce pour s'y procurer de la nourriture pour elle et Yaourt, ou bien encore du savon et du shampooing. Ses repas sont principalement faits de pain, de fromage, de jambon et d'eau en bouteille. Elle refuse de se faire offrir ses courses, ainsi que toute avance. Selon les propres termes de ce monsieur «même si un centime manque, elle retourne à son abri chercher l'argent qu'il manque». Lui et son collègue lui apportent de temps en un café pour le partager avec elle et aussi partager un moment pour discuter. Un des employés de l'épicerie et propriétaire d'un camion avait proposé à O'Lydie de garer le camion près du pont pour qu'elle puisse y dormir. Elle a décliné la proposition. Nous avons également tenté de lui offrir quelque chose à manger mais comme nous avait prévenu l'épicier, ce fut sans succès. Malgré son refus de toute aide elle mendie parfois sur son pont. Ce même pont est son troisième lieu de vie sur Toulouse, le premier se trouvant au bord du canal et le suivant proche d'un autre pont de la ville.

A la suite de cette rencontre, nous sommes allées questionner la propriétaire du Petit Casino, situé un peu plus haut dans la rue. Cette dame, très charmante a confirmé les dires de l'épicier nous affirmant qu'elle avait refusé de se faire offrir une pomme. Par contre lorsqu'elle lui dépose un coli de nourriture devant son abri, le coli est accepté.

La maman d'O'Lydie tente de garder contact avec sa fille mais celle-ci s'y oppose catégoriquement. Selon la propriétaire sa famille pourrait l'aider financièrement à sortir de cette situation. Cela pose donc question : qu'en est-il vraiment de sa situation ? Subie ? Choisie ?

 

Après avoir recueilli ces nombreuses informations nous sommes allées voir O'Lydie qui se trouvait sur le trottoir en face du sien. Etonnamment le beau temps a rendu l'entretien plus agréable que la fois précédente. La discussion fut plus naturelle et relevait davantage de l'échange que d'un questionnement. Elle se souvenait de nous et fut plus avenante. Le dialogue fut interrompu par un incident : Yaourt, sur le trottoir d'en face voulu nous rejoindre sans prêter attention aux voitures. Sa maitresse s'est alors précipitée pour le protéger, se mettant elle-même en danger. On s'est rendu compte de l'importance que son compagnon avait pour elle. Ce chien est très bien entretenu (ce jour là il sentait le shampooing à plein nez), elle nous a même confié qu'il était beaucoup plus gros que lorsqu'on lui avait offert.

Ce jour-là, on a pu tirer quelques traits de la personnalité d'O'Lydie : c'est une personne digne, qui prend soin d'elle. Elle ne veut pas être redevable envers les autres et ne veut en aucun cas déranger. C'est quelqu'un de timide discrète qui parle peu et difficilement d'elle. Sa situation laisse penser qu'un évènement tragique s'est produit dans sa vie et fut le déclencheur de cette situation déjà ancienne.

Le jeudi 27 mai. Nous avons voulu continuer à parler avec elle mais à quelques mètres du pont, nous nous sommes rapidement rendu compte que ce n'était pas le bon jour. O'Lydie semblait tourmentée, faisant les cent pas devant son abri, traversant la route à l'improviste. Elle nous parue désorientée. Ne voulant pas la troubler davantage nous nous sommes éloignées. Beaucoup de questions nous sont venues : que s'était-il passé ? Etait-il arrivé malheur à son chien ? Était-elle sous l'effet de drogues ? Des gens l'avaient-ils embêté ? Son abri s'était-il abimé sous l'orage?

Le dimanche 30 mai, nous sommes revenues sur les lieux. Le temps étant maussade et pluvieux l'entretien fut de courte durée. Nous l'avons remercié du temps qu'elle nous a accordé ainsi que de sa gentillesse. Nous n'avons pas eu l'impression que cette expérience fut pour elle quelque chose de très intéressant, cela lui était égal.

 

 

Deuxième Partie :

UNE QUESTION DE SOCIÉTÉ

 

L'habitat précaire

 

Aujourd'hui on compte en France 24000 abris de fortune. Ils sont le résultat de phénomènes de société (crise économique, manque de logement, marché du travail en difficulté, migrations de populations étrangères…).

On se rend compte en se promenant dans nos villes, que de plus en plus de personnes y ont élu domicile. Cela prend diverses formes allant du simple couchage sur un matelas de journaux à l'abri plus élaboré fait de matériaux trouvés au hasard des rues. Ces abris sont le résultat de l'expérience de chacune de ces personnes et sont amenées à évoluer dans le temps. En effet des modifications peuvent y être faites par confort ou par changement de saison, ou bien encore par le mode de vie de cette personne (nomade ou sédentaire).

L'espace public occupé de cette manière devient un lieu quasiment privatif. En effet comme le souligne Pascale Pichon, enseignante et chercheuse au CNRS ces structures assurent une sécurité à ces personnes en les protégeant des intrus et des regards. À cela il faut ajouter que des objets personnels peuvent y être conservés et ainsi renforcer le caractère intime de l'abri. Cela renvoie à une autre notion importante : celle du seuil. Une séparation est alors créée entre l'intérieur et l'extérieur. Notre expérience avec O'Lydie nous a permis de nous rendre compte de ce caractère privé qu'offre l'abri. Il est très fort : jamais nous ne franchirons son seuil.

 

De plus les lieux choisis ne sont pas anodins. Pour la sécurité et la pratique il est plus aisé de s'installer dans la ville, tandis que pour le «confort» et la mise en œuvre d'installation, les périphéries sont plus adaptées. D'après l'équipe américaine de David Snow les lieux qui nous semblent les moins accueillants sont en fait les plus riches pour les sans-abri (les lieux les moins construits, les friches ou encore des terrains vagues ou les bords des grands axes de circulation). On peut souligner cette thèse par le choix du lieu de vie d'O'Lydie. Elle a élu domicile sur un pont ferroviaire où circulent de nombreux véhicules, piétons, dans un quartier peu accueillant : un espace pour vivre qui parait très surprenant. Pourtant  elle nous évoque des raisons valables telles que la sécurité (par le passage) et la praticité (grâce aux commerces à proximité et aux nombreux piétons pour la mendicité).

Dans ces abris hétéroclites vivent des personnes avec des histoires toutes différentes les unes des autres. Pour la plupart ce sont des hommes entre 31 et 50ans (57% contre 43% de femmes pour les SDF parisiens) venant de milieux sociaux peu aisés voire pauvre. Selon des statistiques la moitié des sans abri connaissent leurs parents, auraient un père venant de la CSP des ouvriers. Cette situation a pu également arriver plus tardivement suite à un licenciement, un surendettement, un divorce, des problèmes familiaux, la perte d'un proche. Une étude de l'INSEE de 2014 montre que 4 SDF sur10 sont inscrits à l'ANPE et 3 sur 10 ont un emploi précaire (intérim, cdd).

La population SDF évolue depuis ces dernières années. On observe de plus en plus de jeunes, de travailleurs pauvres (dont le revenu est insuffisant pour accéder à un logement), des immigrés aussi, plus touchés que les français par le chômage.

L'espace public (trottoirs, parcs, ponts, gares, halls d'immeubles,…) qui les reçoit est en fait divisé en deux zones : les passants et les «habitants du bitume». Ces deux mondes se confrontent quotidiennement. On peut se demander si un échange est possible entre les deux alors que tout les sépare.

 

Un lien social fragile

 

 

O'Lydie et son logement sont des abstractions pour les riverains et des passants : ces derniers passent à côté de son abri sans même y prêter attention, alors qu'il est bien plus visible que certains logements au 15 ième étage d'une tour. Toutefois, cela peut paraitre légitime, ces personnes peuvent effrayer non pas par personnellement mais par leur situation. Croiser le regard d'une personne démunie renvoi à notre quotidien qui peut basculer du jour au lendemain.

Tout de même nous ne pouvons ignorer que la France est un des pays les plus généreux et beaucoup de sans-abri comme O'Lydie peuvent se nourrir grâce à ces dons. Contrairement à certaines classes de la population les sans-abri mendient pour subvenir à leurs besoins personnels et immédiats. Il est donc complexe d'expliquer les relations qui peuvent «unir» ces groupes sociaux. Malgré les regards timides et les centimes donnés à la va-vite bon nombre de citoyens font des dons à des associations (habits, nourriture, fournitures,…) principalement grâce à l'idée de cadre social qu'apportent les associations.

 

Conclusion : Un logement parfait ? Il s'agit là d'un concept si personnel qu'il ne peut pas exister, sinon pour celui qui le considère comme tel.

 

Reprenons le cas d'O'Lydie, cette dame refuse toute aide d'associations ou de ces «voisins». Dans ce cas est-il possible de lui venir en aide ? Evelyn Dyb a écrit au sujet des SDF «Ceux qui n'ont pas besoin d'assistance font-ils toujours partie de la catégorie des sans-abri ?». O'Lydie possède un logement parfait. Dans la mesure de ses moyens intellectuels et financiers.

 

O'Lydie refuse toute aide et quand à partir de cet endroit cela n'est pas envisageable. Elle se «sent bien» dans ce lieu. Les forces publiques ne pouvant la forcer à partir à part en la mettant en centre de rétention, ce qui n'est pas une solution, le pont de l'avenue de la Gloire (le bien nommé) semble avoir trouvé ses locataires : O'Lydie accompagné de son fidèle compagnon : le chien Yaourt.

CHAILLET Perrine -BERROD Sarah

Architectes  

 

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