LA SAINTE DES SALTIMBANQUE

Hervé Lénervé

Pas trés gai le conte.

Il souffrait tant chaque jour, qu'il devait résister pour ne pas se donner la mort et ce fut quand il souffrit moins, qu'il ne résista plus. Mais nous n'en sommes pas encore là, revenons un peu en arrière.

Il n'avait rien dans la vie, sinon un singe déluré et une fille dévouée. Son singe l'aidait à gagner sa vie, sa fille l'aidait à trouver une raison à la gagner. Les temps étaient durs, trop durs pour un seul homme et lui, aussi démuni, fut-il, il n'était pas seul, il avait son enfant chérie qui le récompensait des efforts quotidiens pour ne serait-ce que de subsister. Il était saltimbanque et allait de village en village divertir de quelques rires des enfants de gueux aussi pauvres que lui. Donc, sa fille était sa seule richesse, il ne vivait pas pour lui, il ne vivait que pour elle, et il est vrai que l'enfant méritait l'abnégation de vivre encore un peu. On ne pouvait rester indifférent à tant de grâce réunie en la même personne. Partout où elle passait, elle embellissait la résignation, c'était un rayon de joie qui chavirait les cœurs meurtris, qui laissait croire à des jours meilleurs, qui redonnait l'illusion aux désillusionnés.

Le conté était régenté par un Abbé, homme de Dieu, qui n'avait rien du saint et tout du tyran. Dans ces temps de croyance, si l'on croyait en Dieu, il fallait croire au Diable, tout autant et notre ecclésiastique était davantage l'émissaire du mal que celui de la miséricorde. Il n'était pas miséricordieux, il était diablement démoniaque. Son seul plaisir résidait dans la souffrance de son prochain, comme d'autres trouvent une motivation dans l'altruisme, chacun sa méthode pour valoriser la dérision de sa propre insignifiance. L'Abbé n'avait pas son pareille pour martyriser ses serfs, chaque jour, que Diable fait, il trouvait de nouvelles tortures à leur infliger. Sa dernière ingéniosité était de promouvoir la délation comme règle institutionnalisée. Il était aisé, quand, tous n'ont rien, et lui tout, d'encourager par une bourse de quelques écus la pire des bassesses. Dénoncer ses parents, dénoncer ses enfants, dénoncer ses amours devinrent le quotidien de son empire et rien ne pouvait tant le réjouir de voir l'ignominie absolue régner en maître sous son emprise dans son empire. L'enfant du saltimbanque n'était qu'une fillette habillée de haillon, pourtant nul besoin d'être clairvoyant pour déceler à travers les grimaces de l'enfance la beauté qu'elle serait, car elle était déjà, magnifique, malgré l'âge des jeux puérils. Il fallut peu pour que l'Abbé qui était un expert en femme plus qu'en bondieuserie repère la belle enfant dans ses tournées de bourg en bourg quand elle accompagnait son père dans sa lourde charge de soulager pour une fraction de temps la chape de plomb de la population.

L'abbé envoya son âme damnée lui ramener la petite à l'abbaye, il la reçut dans son bureau, une cellule monastique le jouxtait, c'était là, où il troussait la majorité des belles et jeunes paysannes. Il n'était pas homme à perdre son temps dans une cour assidue, les jeunes impressionnées ou terrorisées se laissaient culbuter à leur première entrevue. Mais notre enfant, qui s'appelait Violette n'était pas de celles à se laisser violer si facilement, quand elle entra dans le bureau, toute l'austérité de la pièce s'éclaira d'une autre lumière, pour peu on aurait pu la décrire comme accueillante. L'abbé, le nez dans ses registres, ne s'en aperçut quand levant les yeux, les lieux étaient différents baignés d'un halo surnaturel, il ne lui vint pas à l'esprit qu'il puisse être divin, le mysticisme n'était pas son fort, pourtant le voile du doute passa furtivement dans son regard.

-         Que me voulez-vous, Monsieur l'Abbé ?

-         Tu peux m'appeler mon père.

-         Vous ne l'êtes pas et j'en ai déjà un qui me convient bien et que j'aime.

-         Ma fille, nous sommes tous les enfants de Dieu et je suis son élu sur Terre.

-         Ça, c'est vous qui le dites.

-         Surveille ton impertinence, petite. Il pourrait te nuire de remettre en cause ma légitimité.

-         Que voulez-vous de moi, Monsieur l'Abbé ?

-         Je veux te donner de l'amour mon enfant, approche.

La petite s'approcha du vieux libidineux,  sans crainte, elle n'était que pureté. L'homme de dieux lui ceintura la taille, qu'il trouva encore plus mince qu'il ne l'avait imaginé. Il fut surpris de sa finesse, certes, mais plus encore de l'énergie qui traversa son corps et inonda son esprit d'images d'allégresse. Il lâcha l'enfant, qui le fixait du regard des justes, comme s'il s'était brulé à un tison.

-         Qui es-tu, Démon ? Fut sa défense.

-         Je ne suis rien, sinon votre obligé, Monsieur l'Abbé. Répondit l'enfant plus ironique qu'obséquieuse.

-         Je n'aime pas ton ton. Baisse les yeux et soumets-toi !

-         L'humilité ne s'adresse pas aux puissants.

-         Comment as-tu appris à parler ainsi.

-         L'école de la vie est ma classe d'études.

-         Sais-tu lire ?

-         Non, Monsieur l'Abbé.

-         Ton milieu n'autorise pas l'apprentissage de ton langage.

-         L'extérieur est une chose importante pour comprendre, mais l'intérieur l'est aussi.

-         Que veux-tu dire.

-         Des voix m'enseignent.

-         Tu es le Diable !

-         Je ne suis rien, sinon peu.

-         Dis-moi les blasphèmes de ton père et je te laisse aller.

-         Mon père n'a pas le temps de blasphémer, il doit gagner notre subsistance.

-         Tu l'auras voulu, le Ciel m'en est témoin.

-         Ne mêlez pas Dieu à votre seule responsabilité.

L'abbé qui n'était guère croyant, s'empourpra nonobstant de la couleur des évêques.

Une abbaye a aussi ses cachots, la fillette y fut enfermée en attente de jugement pour hérésie, une formalité administrative. L'abbé soupçonnait de la sorcellerie, il était aisé de classer à sa convenance, soit dans la démonologie, soit dans les miracles tout ce que l'on ne pouvait pas comprendre et la vie entière n'était qu'incompréhension en ces temps obscurs. Pourtant, notre abbé qui croyait en avoir fini avec cette affaire, fit des rêves, il eut des songes en dormant comme il se doit, d'abord, puis éveillé par la suite, comme il se doit moins, le rêve se transformant en fantasme le jour. Il ne réussissait pas à chasser de son esprit l'image de la fillette, cette vision le hantait à présent jours et nuits, il en déduit que l'enfant l'avait ensorcelé par quelques sortilèges. Il expliquait son obsession par des forces maléfiques extérieures, sans soupçonner que son mal pût être endogène. Il commença par épier en secret la petite dans sa geôle. Geôle qu'il ne reconnut pas, le lieu, d'ordinaire, respirait la misère à l'état brut, celui du malheur séculaire, celui qui existe depuis que l'animal s'est fait homme, or à présent, bien que l'endroit fut bien le même, il était tout autre. Plus d'odeur de sueurs, d'urines, d'excréments, de désolation et de désespoir accrochés aux murs, mais des fragrances agréables de violettes, les teintes aussi y étaient différentes, le cachot s'éclairait d'une lumière calme et apaisante. L'enfant restait propre et ses effets rapiécés étaient immaculés. Elle attendait sans peur, ses traits gracieux restaient accorts dans la méditation. « Mais que pouvait bien attendre cette fillette, sinon la torture, puis la mort en délivrance ? » Se fit la réflexion l'abbé. Il ne comprenait pas la situation, et les hommes d'Eglise n'aiment rien que moins que de ne pas comprendre, leurs dogmes expliquant tout ce qu'il y a à comprendre sur cette Terre. L'abbé se fit une deuxième réflexion, fugace qu'il balaya aussitôt d'un revers de raison ; « et si ça existait vraiment ? Si devant moi, cette enfant était une sainte ? Balivernes que cela, tout juste bonnes pour la populace. »

Dans les jours suivants il ne put que penser à l'enfant et décida que le seul remède à son mal était de brûler l'objet de ses obsessions. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Un bucher de fagots secs fut promptement dressé et la fillette revêtue d'une robe blanche attachée dessus. Dans les badauds rassemblés pour assister à la fête, son père était en larmes, quant au  public, il était en liesse, il y avait si peu d'occasion de se divertir, que seul les bûchers égayaient la langueur des travaux forcés. Heureusement les crémations étaient nombreuses et gratuites. Pourtant, ce jour, une ombre agitait la foule, il n'était pas normal que la suppliciée soit si stoïque et si belle, d'habitude les sorcières étaient toutes tordues et haranguaient la foule par des immondices d'injures et de crachats. Là, c'était dommage, la jeune fille rayonnait de clarté.

On alluma le feu, le bois pourtant sec ne voulut pas prendre, on y versa une bonne rasade d'huile, si ce n'était pas malheureux de gâcher de la bonne huile pour cela. Enfin le feu crépita dans des flammes de joie et tout brûla, les fagots le mat, les liens, mais pas l'enfant. Elle resta indemne, toujours aussi claire, même pas noircie de cendres. Là, il y avait un problème de taille, que faire d'une sorcière ignifuge ?

« La noyer ! » Une clameur collégiale s'élevait de la foule qui avait réponse à tout. On se déplaça à la rivière et envoya par le fond l'enfant mains et pieds liés, préalablement lestée de quelques pierres, c'était la procédure. Mais rien à faire encore, le corps du délit à noyer flottait à la surface. Que faire d'une sorcière qui est insubmersible ?

« Qu'on la pende ! » Toujours la foule qui ne lâchait rien.

Rebelote, Corde qui cède, bon admettons, elle était usée jusqu'à la corde, la corde. On la remplace par une neuve, elle tient, ouf ! Mais peine perdue, la fillette ne s'étrangle nullement, elle reste docile à se balancer en souriant comme si elle était au manège. Maintenant que faire d'une Pandore qui ne se pend pas ?

« La décapiter… la lapider… la faire bouillir. » Là, les avis divergeaient dans la meute.  Certains ne disaient plus rien, ils se grattaient la tête et à force de se la gratter, c'est connu, ils stimulèrent leurs méninges et des idées nouvelles se formèrent : « Les sorcières, on connait, on en a déjà brûlé de pleins tombereaux. Ici, c'est différent et si on était face à autre chose ? Oui ! Mais à quoi ? »

La réponse se fit connaître d'elle-même, car l'enfant s'entoura d'un halo de lumière d'une blancheur aveuglante et tous s'agenouillèrent à terre en remplaçant leur haine par la vénération en un temps si court qu'il devînt non mesurable, la versatilité de « l'intelligence » collective.

On dégagea l'enfant, on lui toucha les cheveux, on se prosterna devant elle. Lequel commença à crier au Miracle, nul ne le sait, mais tous reprirent le mot en cœur. On était venu voir bruler une sorcière, on repartirait avec une Sainte.

Le père de l'idolâtrée se jeta à ses genoux et elle petite, se pendit à son coup en l'embrassant. En retrait l'abbé voyait le vent tourner, la situation lui échapper, elle lui échappa tant qu'il reçut la première pierre et à une pierre lancée, une autre suivra, c'est une règle immuable, puis bien d'autres le feront, c'est une loi générale. L'abbé succomba à cet automatisme des effets de la lâcheté. Il gît agonisant à terre et tous l'oublièrent aussi vite qu'ils l'avaient toujours redouté.

Puis tout alla très vite, la rumeur voyage plus vite que la lumière, la Sainte fut récupérée par les dignitaires ecclésiastiques, elle fut reçue de prélats en cardinaux, jusqu'au pape. On l'exhiba partout pour faire reculer l'obscurantisme et le paganisme, elle partit dans des tournées incessantes à travers le vaste monde chrétien. On l'utilisa, la manipula pour évangéliser tel les jésuite des contrées indigènes, convertir les autochtones au véritable Dieu, elle devint l'ambassadrice du prosélytisme

 

Son père ne la revit jamais, il avait perdu son enfant, on la lui avait enlevée au nom des intérêts supérieurs. Il savait qu'elle ne manquerait jamais de rien, qu'elle serait traitée comme une Reine, il en était heureux pour elle, mais lui n'avait plus aucune raison à gagner si durement sa vie. Il y mit fin.

FIN

  • Les phrases sont longues (Proust sort de cette plume !) mais ce n'est pas forcément un défaut. Ça donne du lyrisme, ce que j'ai personnellement perdu à l'usage... et parce que je suis toujours pressé d'en finir avec une histoire :)

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Mario Pippo

    • Certains disent de Proust qu’il étire le temps des sensations, des envies, des émotions, des sentiments. Il les décrit durant des pages comme d’autres peignent un paysage pendant des plombes. Il donne l’impression d’avoir tout son temps, d’avoir l’éternité devant lui et l’éternité n’est jamais prête à finir une histoire. Maintenant le lecteur est un homme pressé ou même une femme déjà sortie, alors Proust n’écrivait que pour lui-même son intemporalité. Ouuua, le con ! Merci d’avoir été, je le pressens, au bout de mes lignes. La vie n’est-elle pas assez dérisoire pour qu’on s’y éternise ?

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Ce fut peut-être le seul coq qui ne fut pas mangé (il portait la poisse.) après avoir été cuit, qui l'eut cru?

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • Question du trivial pursuit: qui fut brûlé sur la place publique en Suisse en 1474? Un coq, car il avait pondu un oeuf.

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

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