La seule représentation que la fillette avait de son père…
Christel Belle Des Champs
La seule représentation que la fillette avait de son père tenait en une photo pendue au-dessus de la cheminée. Quantité de fois, sa mère ou sa grand-mère avait décroché le portrait du mur pour que l'enfant observe à loisir ce visage qui aurait dû lui être familier.
Elle y voyait un jeune homme au regard fier, portant l'uniforme et arborant une imposante moustache. L'imaginaire de l'enfant avait été nourri de cette photo et des anecdotes racontées par sa mère et sa grand-mère.
Ce jeune homme, qu'elle n'avait jamais appelé papa, était quelque part sur le front, sans qu'elle sache ce que cela voulait dire. La seule chose qu'elle avait comprise, c'est qu'il fallait attendre. Attendre la fin de la guerre, attendre le retour du père.
Le jour où on avait frappé à la porte, elle était allée ouvrir en courant, avec la fougue de l'enfance. Et puis il y eut ce visage derrière la porte qui lui rappelait vaguement quelqu'un. Le cri de sa mère, dans son dos, avait confirmé son doute. C'était lui. C'était son père, il était de retour.
Le regard moins fier, la moustache moins flamboyante, et surtout, ce que la photo de buste ne montrait pas, une jambe de pantalon flottante. Une béquille sous chaque bras et une seule chaussure.
Il mit plusieurs minutes avant de frapper à la porte. Il entendait la vie de la maison derrière la porte et se demandait comment revenir dans cette vie. Puis il toqua.
Une enfant lui ouvrit. Louise avait six mois la dernière fois qu'il l'avait vue. Aujourd'hui elle était grande, elle courait et ouvrait la porte toute seule. Elle était là, devant lui, dans sa robe à carreaux, avec ses anglaises et sa frimousse pleine de questions. Il voulut lui sourire mais ne fut pas sûre d'y parvenir.
Il se demandait comment s'adresser à cette enfant déjà si grande.