La sosatiété

eymeric

Votre vision de la vie c'est les grands bacs à chaussures juste devant les jeux pour enfants à Ikea. Vous avez l'impression que pour être bien dans ses pompes il faut absolument être rangé dans une case. Vous jouez constamment au morpion, vous entourez d'un cercle bien vicieux ceux que vous n'arrivez pas à mettre dans une de vos cases puis vous tirez une croix dessus. Jésus n'aurait pas tenu 10 minutes avant d'être crucifié avec vous. La vérité c'est que je suis constamment en état de satiété, vous pensez l'être aussi mais on ne parle pas de la même faim. C'est paradoxal parce que sur les sujets sur lesquels vous devriez vous suffire de peu vous êtes en état de satiété à réclamer continuellement. Puis sur les sujets sur lesquels vous devriez chercher toujours plus loin, vous vous contentez de peanuts. Vous êtes plus une sosatiété qu'une société. C'est toute cette complexité-là que je souhaite aborder avec vous.


Putain vous avez voulu à tout prix m'enfermer dans une case, dans un vase. Vous m'avez déraciné de certaines de mes valeurs, vous m'avez foutu dans ce vase, puis vous m'avez demandé de m'y contraindre, de m'y tenir. Mais moi ma créativité je n'arrive pas à la contenir dans si peu d'espace. Résultat: ça a débordé, ça a tellement débordé que le vase s'est renversé et moi j'ai fini par tomber et me noyer dans cette créativité. Ça a fini par me saouler, j'ai bu la tasse. Puis j'ai vu la casse, ce que ça a causé, tout ce que je n'ai pas osé, toute cette nausée, toutes ces questions auxquelles je ne répondais que par des "no sé". Dans ce tourbillon m'emmenant dans les zones les plus abyssales je n'y voyais pas le fond. Si fond il y avait bien entendu... En tout cas typhon il y avait. Donc un petit fond je me remettais. Puis je ressassais cette époque où on me chantait "les chiffons-fon-fon les petites marionnettes". Je me disais qu'à cette époque il n'y avait pas de cases, on ne rêvait que de pégase, de la force d'hercules. Il n'y avait pas de "recule" qui tienne, on avançait telle une tempête, tant pis pour les dégâts occasionnés. On pensait avant tout présent avant d'entrevoir le futur. Il n'y a qu'à voir, on mettait constamment des goals volants au foot. À croire que se concentrer derrière, vouloir juste assurer son derrière et être décisif qu'une fois ne nous plaisait pas. On voulait être partout à la fois, assurer les derrières et l'attaque en même temps, on voulait frapper à chaque fois. En soi, on voulait tout sauf être dans une case. Paradoxalement c'est dans une case qu'on tourne le plus en rond. A force de faire les choses trop carrées on finit par avoir une vie linéaire, plate comme l'horizon ou les fesses de Paris Hilton. Ils ne t'ont pas dit que la moindre bosse les effraie ? Ils t'ont juste dit "bosse et fais ce que je te dis". En fait ils veulent, ou vous (tout dépend de quel côté du terrain vous vous situez) voulez galvauder ce gars qui vaut des millions. Ce gars qui ne rêve que de Suzuki, d'accélérer sans trop savoir comment il ralentira le lendemain, sans trop savoir comment retentira le son de cloche chez ses voisins. On lui a dit t'es trop heureux tchh tchh tu caches quelque chose. Il n'a pu que répondre tchh tchh tu gâches quelque chose. Tu gâches quelque chose parce que malgré tes simagrées, il arrivait à se construire loin de ta case, mais il a fallu que tu viennes rationaliser tout ça. Saleté de mathématiques, il faut toujours chiffrer l'amour, chiffrer le bonheur, quantifier l'amour, quantifier le bonheur. Putain mais pourquoi a-t-il fallu que vous vouliez foutre tout ça dans un verre à moitié vide ou plein ?

Vous êtes des boulimiques du bonheur ! Votre état de satiété, vous ne voulez pas vraiment le rassasier, et pourtant qu'est-ce que vous mangez.... Vous voulez cette fille, ou ce garçon, puis quand vous êtes avec, vous voulez quelqu'un d'autre… En fait c'est toujours pareil: vous bouffez, vous bouffez puis comme à la fin ça ne vous va pas, vous vous faites vomir. Pour le bonheur c'est pareil, vous êtes des boulimiques du bonheur. Vous mangez de belles histoires mais vous ne vous suffisez pas vraiment de celles-ci, il vous en faut toujours plus jusqu'au point de vous en dégoûter. Et dans cette boulimie chronique vous avez UN aliment favori, celui qui est toujours de trop, celui que vous utilisez toujours pour vous faire vomir. Cet aliment c'est le passé ! Au lieu de lui faire un doigt d'honneur vous vous en servez à chaque fois comme les deux doigts au fond de la gorge pour vous faire vomir. Je crois que vous avez vraiment mal compris l'utilité du passé. Je vous vois sur la route de la vie et je vois que vous vous faites tous chier à trimballer une grande charrette, une grande charrette avec inscrit dessus « Passé ».

Parce que chaque nouveau jour est une nouvelle longue route au début de laquelle vous retrouvez la charrette du passé que vous amenez bêtement avec vous. Du coup vous vous fatiguez avec, voire même vous vous faites mal. Mais aucune loi n'a dit que vous deviez la trimballer, vous avez juste pris ce réflexe bidon. Vous pouviez juste prendre quelques éléments de votre passé qui vous serviront, les analyser en route puis les laisser sur le bas-côté. Votre passé n'est pas un chien que vous devez avoir peur d'abandonner, votre passé ne doit pas être un chien de bonne compagnie. Votre passé doit être cette charrette que vous laissez jusqu'au prochain marchand. Mais vous verrez qu'en la délaissant vous atteindrez plus vite votre but. Et cessez avec cette maxime "ce qui ne tue pas rend plus fort" c'est archi-faux. Toute personne ayant déjà enterré un proche sait que c'est faux : ça ne vous tue pas, ça vous blesse mais ça ne rend pas plus fort, en aucun cas; ça fera toujours mal ! C'est vous et vous seul qui choisissez ce qui vous rend plus fort. Un boxeur est meilleur boxeur lorsqu'il évite les coups que lorsqu'il les encaisse, demandez à Ali !​ 

En somme, je pense que vous vous fatiguez pour rien. Si jamais vous saviez vous reposer, ça pourrait encore aller, mais ce n'est même pas le cas. Entre mal-bouffe et bouffé par le mal que sont ces drogues, ces fêtes, ces relations qui vous consument et que vous consommez à outrance, je cerne très bien les poches sous vos yeux. Vous y stockez tellement qu'elles vont finir par lâcher. Ce ne sont pas des poches recyclables donc éliminez-les, n'essayez pas d'entretenir cette constante fatigue, faites quelque chose. Un jour, on m'a dit « prends le temps de te questionner, de savoir comment tu vas, de te reposer ». C'est là que je me suis rendu compte cousin que poser la tête sur le coussin n'est pas forcément un coup sain. Car encore faut-il savoir lâcher prise, ne pas penser constamment aux coups derrière la tête, mais garder en tête que ceux en tête de liste protègent toujours les idées qu'ils ont derrière la tête. Il ne s'agit pas toujours de se la creuser, faut savoir laisser se reposer la terre où germent les idées. De la même manière, tu ne peux pas constamment te créer des souvenirs, tu dois pouvoir les apprécier aussi. C'est comme si tu prenais 48 000 photos mais que tu ne les regardais jamais… Ironie du sort, c'est ce que nous faisons. Donc on a inventé Snapchat histoire de dire : on est tellement des boulimiques du bonheur qui consommons à outrance que désormais nos moments de bonheur dureront 10 secondes. Allez, mange et mange vite, ne mâche même pas. Puis on s'étonne qu'on vomisse… On s'étonne que je ne mâche pas mes mots, on s'étonne que je ne digère pas mes maux, on s'étonne qu'on ait la tête sous l'eau pire que Némo, on s'étonne qu'on reste sous le haut du porche rêvant d'une Porsche mais ne faisant rien pour. Et le pire c'est qu'on est presque prêt à verser le liquide rouge pourpre pour de telles sottises. So tizze, vas-y, bois encore de l'alcool, noie-toi dans ton pseudo sérum de vérité. C'est Rhum ton sérum c'est ça ? Et tu penses que ce Rhum est une route qui mène à Rome ? Je ne viens pas là faire le moralisateur, faites ce que vous voulez, mais faites-le juste pour les bonnes raisons. Eh lecteurs, ça fait longtemps que j'ai rendu ma carte d'électeur. Ce qui veut dire que je ne prêche pour aucune paroisse. Non pas par paresse mais depuis la crèche j'ai eu du mal à apprécier les caresses des gens du carrosse alors qu'ils rossent des innocents ! J'essaye juste de tirer, non pas une sonnette d'alarme, mais une sonnette d'attention pour dire attention : certaines situations de ton quotidien ne sont que désillusion. Reprends vraiment le contrôle de ta vie, décide d'avancer seul et non pas avec la charrette du passé car c'est coutume dans notre société. On y revient, j'ai peut-être divagué dans la forme durant le dernier paragraphe mais le fond est là. Contrairement à certains, coucou Yann Moix. Oui parce que la pulpe est au jus de fruit ce que Yann Moix est à la société : de la merde qui gêne. Cela dit, vous pouvez tout à fait aimer la pulpe hein, vous la digèrerez toujours mieux que ce que régurgite Yann Moix. Vomissez donc Yann Moix ce sera toujours mieux que de vomir ce fake bonheur que vous consommez à outrance. Cette digression étant finie, revenons-en à nos moutons.

Parlons de l'endroit où sont nos moutons, parlons de leurs près, essayons de voir si le bonheur s'y trouve vraiment. Parfois je me couche dans l'herbe et je regarde le ciel, je me dis que c'est simple mais beau. Comme cette phrase est bébête à souhait mais juste. Puis même là, une fois que j'ai apprécié un tant soit peu le moment, un certain négativisme revient me hanter. Puis ma plume vient comme le chasseur de fantôme venant chasser et extérioriser ça. Donc laissez-moi vous confier un problème qui, selon moi, est dans la continuité de tout ce qu'on a pu dire : Les lunettes de soleil. C'est quand même dingue : début décembre on réclame du soleil et on le réclame toute l'année dès qu'il n'y en a pas. Puis un jour arrive le soleil et que décidons-nous de faire ? De l'atténuer. On réclame une grosse part à manger puis on la coupe en deux et en jette la moitié. Là ça vous paraît anodin mais c'est tellement significatif de notre société. On réfute l'idée d'être ébloui par ce qui a de plus lumineux dans le monde, et après c'est moi qui suis négatif. En fait c'est des lunettes anti-bonheur. Bien entendu je grossis le trait à tel point qu'il devienne une bande. Mais c'est la bande originale de votre vie ! On ne nous apprend pas à accepter le lumineux, par contre on est parés depuis des années à recevoir le sombre. On l'attend même ! Le comble c'est que dans les pays où il y a le plus de soleil à l'année et bien les lunettes de soleil : ils ne connaissent pas.

J'ai beau parfois m'allonger dans l'herbe afin d'apprécier le moment présent, je dois quand même poursuivre ma route. Donc je me lève puis je repars, je démarre la voiture et j'avance. Sauf que comme la vie s'apparente plus à une route de la ville qu'à la route 66 approchant de Las Vegas et bien on y trouve des feux. Tu es parfois obligé de t'arrêter pour que tout le monde puisse avancer. Et parfois, lors de cet arrêt, tu échanges avec une personne sans le savoir. Parfois, lors de ton arrêt au feu rouge, tu observes plus que dans toute une journée. Je te parle de ce moment où le feu s'arrête et comme regarder au loin devant toi t'effraie un peu, et bien tu détournes la tête. Puis c'est là, c'est là que tu croises le regard de quelqu'un, c'est là où pendant quelques secondes tu interagis sans vraiment agir. C'est là que tu te rends compte que vous êtes sur la même route et mais que pourtant, vous êtes si différents; c'est là que tu te rends compte que tu es constamment dans 3 réalités différentes. Parce que lorsque tu détournes le regard de cette personne par peur de voir quelque chose de beaucoup mieux ou de pire que toi, tu tombes sur quelqu'un qui traverse la rue. Et là tu vois une femme. Une femme livide au milieu d'une belle journée car elle est droguée. Il fait un grand soleil puisque tu t'es couché tout à l'heure dans l'herbe mais pour elle tout est gris. Elle avance au ralenti, la bouche ouverte car plus la force de la fermer mais pourtant aucune parole n'en sort. Parfois elle parle mais ne communique jamais; ça fait bien longtemps que rien n'est sorti d'elle, ça fait bien longtemps que seulement de la drogue rentre en elle. Putain voir ça te fait peur, tu ne le souhaites à aucun de tes proches, mais tu penses aussi que tu ne fais rien pour l'aider. Donc tu sers très fort le volant et tu pries pour que ça passe au vert, tu pries pour pouvoir avancer car tu n'as nulle part où détourner le regard. L'air hagard tu paniques, tu cherches dans ton panier de boulimique du bonheur un truc à te mettre sous la dent. Mais non tu ne peux pas parce que c'est interdit de manger au volant, parce que lorsqu'on roule, on roule ! Tu es bien trop un produit de cette société pour en défier les règles même les plus absurdes. Donc tu y reviens, l'air chevrotant, tu y penses, tu prends du recul sur la situation et tu vois que tu es constamment dans un tourbillon d'émotions. En fait, on est constamment dans 3 réalités selon toi: la nôtre dans laquelle nous écoutons notre musique dans notre voiture et observons. La vôtre lorsque vous nous observez, ou observez comment on se situe vis à vis de vous. Et la troisième, le tout que nous formons tous ensemble sur la route. Puis bam « Sur ma route oui », la chanson de Black M vient te couper toute cette réflexion qui semblait bien partie, tu as trouvé ta sortie de secours sans trop crier au secours. Pas vraiment besoin parce qu'ici on t'aide constamment à t'échapper de toute sorte de réflexions constructives.​       

Sauf qu'il y a un truc qui t'a échappé, c'est que pendant que tu chantais Black M à tue-tête dans la première réalité qui est la tienne, j'étais en train de t'observer depuis la deuxième qui est la mienne. J'étais ce gars sur ce banc qui lisait puis décrochait la tête de son livre à peu près toutes les deux minutes; soit par volonté d'observer la même droguée que tu as vu passer, soit par questionnement en tentant de chercher une réponse vers ce beau et grand voir majestueux ciel… Bleu. Puis j'en suis arrivé à fermer le livre et à me questionner moi-même. Je me suis d'abord fait la remarque que je pensais avoir des accointances avec le milieu mais ça coince tant. Je veux dire, j'ai du mal à situer mon rapport à l'écriture, pourquoi je fais ça, pour qui je me prends dans ce début de texte, qui suis-je pour croire que mon avis importe. Avant je me disais « c'est tout ce don dont j'ai besoin », puis c'est comme si Don Sosatiété, le parrain en chef de la troisième réalité était venu saupoudrer le mien de doutes. Avant les blabla qui pouvaient me rendre blafard, je les envoyais far far away.

Sauf que maintenant, ​je suis en train de devenir tout ce que vous vouliez et tout ce que je ne voulais pas. Il n'y a pas de quoi se voiler la face, ma grande roue est voilée, j'avance au ralenti. Je suis en train de rentrer dans le métro boulot dodo. J'ai quitté le vélo en tandem, et son ciel bleu, pour le métro et ses rails gris. J'ai quitté mon verre d'eau pour mon vin de pinard habituel. Mais pas celui que tu apprécies, celui que tu bois par mépris, celui que tu vois comme solution avant de voir rouge mais qui t'approche de la cirrhose. J'ai quitté la bienfaisance pour les railleries, les bonnes séances de cinéma pour l'ennuie. L'ennuie qu'on trouve seulement dans les quincailleries un dimanche après-midi. Ça c'est mon enfer. Et ce n'est pas en faire tout un plat, c'est juste que je vois l'encéphalogramme de ma vie sans une bosse. Plus de sel, que du seum. Plus rien ne m'attire, plus rien de magnétique, comme si l'aimant en forme de U avait disparu. Pourtant il vient se greffer au sel, c'est pour ça que je suis seul. Puis comme eux me manquent, cette absence se greffe à elle et donc à son tour elle est seule. Parce que sans savoir qui me manquent ou ce qui me manquent, je le fais payer à celle qui partage ma vie. Pourtant je n'ai pas un sous, et quand je partage ma vie c'est toujours grotesque : je me retrouve juste avec un V et un E; et j'ai beau le tourner dans tous les sens ça reste moche : je n'y vois pas le V de victoire, mais qu'une hutte dans laquelle je serai enfermé. Et dedans je me retrouve avec ce E, sauf que c'était EUX qui me manquaient. Alors sous mon V je m'enfume, j'étouffe et je peine à remettre les points sur les I. Et si pour une fois, à la place de vouloir mettre des points, je cherchais juste à me taper des barres je pourrais peut-être alors transformer ça en instant T. Cet instant qui compte tant.         

Puis pour m'échapper de tant de questions sans réponse je décide de me lever. Je me suis rendu compte qu'en face de moi à l'abri bus, une jeune fille levait la tête de son Iphone et semblait aussi s'égarer. En fait c'est ça le truc c'est que je suis Il et Elle, Toi et moi, je suis ton oncle, ta tante, ta mamie, ton papi, ton père, ta mère, ta cousine, ton cousin, ton ami, ton amie, ta femme, ton mari, je suis Charlie et ses drôles de dames, je suis les femmes de chambre des drôles de dames, je suis l'agent des impôts qui vire ces femmes de chambres de leurs chambres de bonnes, je suis cette bonne meuf qui tapine, je suis ce vendeur de sapin, je suis celui qui cherche à tout prix la monnaie, en fait je suis tous les rôles que peut offrir cette grande pièce qu'est la vie. Je suis toutes les strates de cette sosatiété, j'ai faim mais je ne sais pas vraiment de quoi …

 

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