La source de la vie

Elsa Saint Hilaire

Conte australien


En des temps où notre  mémoire se perd, sur la vaste étendue de terre plate, des créatures parfois mi-hommes, parfois mi-animaux ou mi-plantes émergèrent du sol pour certains ou descendirent du ciel pour d'autres, puis sillonnèrent le monde, créant au gré de leur fantaisie les montagnes, les sources, les lacs, les animaux, les plantes, et les hommes. Le « Temps du Rêve » terminé et juste avant de s'enfoncer sous le sol ou de regagner le ciel, ils abandonnèrent au pied du rougeoyant mont Uluru, une petite fille prénommée Meehni et un bébé kangourou qu'ils ne prénommèrent pas. La montagne cachait une source précieuse qui permirent à l'enfant et à l'animal, devenus des amis inséparables, de subsister, aux plantes de fleurir et fructifier, à l'acacia de former ses épines, à l'eucalyptus de produire ses feuilles odorantes et aux poissons de s'égayer dans une eau cristalline. Quand la saison chaude menaça d'assécher la source, Meehni et le petit kangourou-sans-prénom explorèrent le bush à la recherche d'un autre point d'eau où étancher leur soif. Des heures durant, sous les rayons meurtriers d'un soleil implacable, ils cherchèrent, tâtèrent, humèrent le sol en vain. À bout de forces, ils se reposèrent à l'ombre d'un eucalyptus dont ils mâchèrent les feuilles racornies pour en extraire un peu de sève. C'est alors que la fillette remarqua dans le lointain, au creux du lit aride d'une ancienne rivière une tache sombre et que son cœur se gonfla d'espoir.

- En se réfugiant sous terre, nos ancêtres ont dû crever une nappe souterraine et l'eau tente de remonter jusqu'à nous, dit-elle d'une voix faible au petit kangourou-sans-prénom. L'esprit du Serpent arc-en-ciel qui commande à l'eau et à la pluie habite cet endroit. Si j'en avais encore la force, je creuserais jusqu'à ne plus sentir le bout de mes doigts. Mais la vie me quitte et le grand sommeil alourdit mon corps. Va… tendre ami, creuse aussi longtemps que tu pourras et sauve ton existence…

Le kangourou hésita puis ramassa une pierre éclatée dont il comprit que le bord tranchant lui servirait à forer le sol caillouteux du lit de la rivière. Il rassembla tout son courage et s'éloigna, le cœur serré, en petits bonds de moins en moins agiles. Il creusa, creusa si longtemps et si bien, que soudain de l'eau surgit du sol. Son envie de se désaltérer était pressante, mais un seul regard vers Meehni le dissuada de goûter à cette manne providentielle. La petite, allongée au pied de l'eucalyptus agonisait. « Je dois la sauver » pensa-t-il en regardant avec envie la surface miroitante. Il se saisit de la pierre tranchante et découpa sa peau au niveau de son ventre, la décolla pour former une grande poche, puis il se coucha sur la flaque fraîche et remplit cette extravagante besace jusqu'à ras-bord. Quand il rejoignit Meehni, celle-ci respirait faiblement, mais les quelques gouttes que le petit kangourou-sans-prénom laissa glisser sur ses lèvres lui épargnèrent une mort certaine. Pour récompenser sa générosité, Wollunqua, le dieu de la pluie et de la fertilité décida que le petit-kangourou-sans-prénom serait une femelle et qu'elle et ses sœurs auraient toutes désormais sur le ventre une poche; une poche qui serait la source de la vie.

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