Il la voit il la veut. Chaque jour. Elle n'est jamais la même. Se vend toujours à d'autres, impies inconscients de leur bonheur. Il la voit il la veut. Quelle qu'elle soit elle l'attire toujours. Il ne passe jamais les portes de cet enfer aux milles tentations. Il s'arrête devant et renifle l'odeur. Il se damnerait plus pour ce parfum.Il la voit il la veut. Il renifle en rêvant, il rêve qu'il renifle. Il rêve qu'un beau jour il pourra se l'offrir. Il rêve. Et la réalité, sous les traits d'un client ou d'un passant maussade, revient le bousculer, lui remettre dans la face ce qu'il est réellement. Un pauvre type qui bave devant une vitrine. Le Paradis du Palais. L'enfer de sa faim. Depuis les quelques mois qu'il erre dans les rues, il n'a trouvé de salut que dans cette adoration salivante. La vie ne tient à rien. Pour lui ce rien s'incarne dans une tarte aux fraises. Ridicule dites-vous? Mais l'absurdité n'a pas attendu l'homme pour être reine du monde.Quand il se couche, au creux de la nuit sur son carton trop dur, c'est à elle qu'il pense. Il rêve qu'il la croque, que la saveur trop suave de la gelée lui attaque légèrement les gencives. Trop de sucre. Trop de bonheur dans la bouche qui pue. La gelée rosée collante dégouline généreusement sur la commissure des lèvres, avant de se cramponner aux poils de sa barbe affamée. Puis vient la texture jubilatoire du fruit encore frais. Acidité. La bouche devient fraise. La langue palpite de joie et les papilles jouissent. Le craquant de la pâte ramollie par le jus fruité. Tout ce sucre. Tout ce bonheur. Ça lui rappelle les gâteaux que sa mère ne lui faisait jamais.Lorsqu'il se réveille, inédite sensation du rêve encore là. Mais la bouche est pâteuse, engluée des restes d'un mauvais vin du soir, celui qu'on se partage entre clochards. Celui à un euro la brique d'un litre. Le vin aigre au même goût que leur vie.Cinq euros la tarte. Il ne peut pas. Non. Avec cinq euros il tient deux jours, parfois trois. Il tient pour tenir. Il tient malgré lui. Parce que la vie, quand même, ça s'accroche drôlement même quand ça ne vaut rien.
Très joli texte...
· Il y a environ 12 ans ·Alex De Querzen