La tirade du C.V
Grégory Veilleur
— Vous ! Vous avez un CV… heu… Un CV… Inintéressant.
— C'est tout ?
— Oui.
— Ah non, c'est un peu court jeune homme, on peut maudire, oh dieu, de bien des manières en somme, en variant le ton. Par exemple, tenez :
Compulsif : « Moi monsieur si j'avais un tel CV, il faudrait sur-le-champ que je me le refasse ! »
Marital : « mais vous n'êtes pas à votre place ! Pour voir, cessez de dormir au hamac ! »
Descriptif : « c'est du toc, il y a un hic, c'est en vrac ! Que dis-je c'est en vrac, c'est une longue insulte ! »
Pluvieux : « de quoi sert ce carton hirsute ? De défouloir, Monsieur, ou d'abri à guano ? »
Voluptueux : « avez-vous à ce point le cœur gros, qu'indirectement, vous vous mîtes en quatre, pour tendre au patron une pareille plaque ? »
Truculent : « ça monsieur, lorsque vous l'imprimez, l'encre rouge vous sort-elle du nez sans qu'un client ne crie : il saigne ! Ça lui plaît ! »
Avenant : « gardez-vous, votre espoir préservé par ce tracte, de chuter comme une éponge molle ! »
Tendre : « surveillez donc son cholestérol, cessez alors de le charger comme un âne ! »
Pédant : « le brouillon veule, Monsieur, que le misérable lui-même s'empresserait de jeter à la fosse, dût avoir sous le front tant de nerfs ! Sur une bosse… »
Ricaneur : « quoi, l'ami, vous vous levez à l'aube ? Pour trouver du travail, c'est extrêmement commode ! »
Malade : « aucun mouchoir ne peut, tissu d'Arsenal, te moucher tout entier, c'est la quête du Graal ! »
Mélancolique : « il n'a pas eu de veine »…
Flatteur : « pour Pôle emploi, quelle aubaine ! »
Défaitiste : « Monsieur, préparer votre baluchon ! »
Psychologue : « vous remettez-vous parfois en question ?»
Conseiller : « désolé, Monsieur, voilà, je l'ai lu, il y a de belles poubelles, en face de la rue ! »
Vulgaire : « wesh ! T'es teubé ? Eh tonton ! T'as d'la merde dans l'œil, c'est qui ton Daron ? »
Militaire : « soldats, mutinerie ! ».
Menteur : « vous cherchez donc un CDI ?
Parfait monsieur, 16h45, au boulot ! »
Enfin, parodiant Macron en un sanglot : « voilà donc un pauvre qui est traits de son être, a enfin tout compris ! Il en blêmit, peut-être ! »
— Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit,
Si vous aviez de l'éthique et moins de mépris,
Mais d'éthique, Ô paradoxal employé, vous n'en n'eûtes jamais un atome, et d'emploi, vous ne savez que dire au peuple : crois !
Eussiez-vous eu d'ailleurs l'intention qu'il faut, pour pouvoir là, devant le chômeur averti, me servir de toutes ces folles tromperies, que vous n'eussiez pas accusé une part de la moitié de mon important CV, car on me les sert quand même, avec assez de verve, mais je ne permets plus que l'État me les serve.