La tragédie des points communs ou l’harmonie des désaccords

André Maltère

Converser et draguer en dehors du commun.


“Tous ces types passent leur temps à s’expliquer, à reconnaître avec bonheur qu’ils sont du même avis. Quelle importance ils attachent, mon Dieu, à penser tous ensemble les mêmes choses.”

Jean-Paul Sartre, la nausée


“J’ai appris de bonne heure à me dissimuler dans les mots qui étaient en réalité des nuages. Le don de reconnaitre des similitudes n’est, en effet, rien d’autre que des vestiges affaiblis de la vieille compulsion à devenir semblable aux autres, et à se conduire comme eux.”

Walter Benjamin, enfance berlinoise



Qui se ressemble s’ennuie


Dans le monde plat des rencontres ordinaires, on ne se croise que dans le périmètre d’un cercle social. Mille prétextes factuels y font naitre d’insipides conversations: le retard du professeur, l’irascibilité du patron ou le parfum de la stagiaire.

Ces conversations ne permettent pas de grands rapprochements. Elles n’en ont d’ailleurs pas l’ambition. Le contexte, le temps, les épreuves communes suffisent à rendre complices les inconnus.

La conversation, ici, n’est qu’un commerce d’informations et de politesses.


Mais au delà des cercles sociaux, cette îles sans relief assiégées par un océan de peur, se trouve un continent foisonnant de richesses et de promesses de bonheurs.

Ce continent se nomme l’inconnue.

Il vous terrorise ; vous ne savez pas même comment l’aborder.

De quoi lui parler ? L’inconnue n’a ni la même histoire ni les même aspirations que vous. C’est précisément là une aubaine pour votre conversation.



« Moi aussi, je… »: le cul-de-sac des conversations


Trop souvent, l’on se façonne un masque à l’image de la femme que l’on convoite. La similitude simulée par le « moi aussi, je » est l’outil le plus commun des séducteurs inconscients et des conservationnistes maladroits.

La ressemblance n’est pourtant pas le seul prétexte valable pour parler de soi à une inconnue; la nuance en est un meilleur.


Elle: J’adore la peinture contemporaine, j’ai été voir une exposition sur la place du corps de la femme dans notre société, c’était bouleversant. Tu aimes l’art contemporain ?

Le mâle lambda, pourtant plus passionné par sa plastique que par l’art, affecterais à cet instant un vague intérêt partagé; décision fatale pour le cours de la discussion.

Vous: Oui j’aime beaucoup, mais je n’ai pas trop l’occasion d’aller voir des expositions.

Elle: Ah. Tu devrais…

Vous: Oui. Alors, heu… Cette exposition, tu l’as vue quand ? Dans quel quartier ? C’était de qui ?


Le point commun est une impasse. Il peut transformer les conversations les plus légères en désagréables interrogatoires.

En outre, comme le laisse entendre la sagesse populaire :

«Avec les femmes, ce qui compte, c’est d’être soi-même. »

Or, donnez l’impression d’être soi-même, c’est avant tout ne pas être l’autre.


La fécondité du désaccord



Les désaccords sont bien plus fertiles pour vos conversations que ne le sont les similitudes.

-Elle: J’adore la peinture contemporaine, j’ai été voir une exposition sur la place du corps de la femme dans notre société, c’était bouleversant. Tu aimes l’art contemporain ?

Vous: Je trouve ça superbe que tu sois aussi passionnée et sensible à l’art. Mais pour être franc, non. Je me sens complétement perdu devant les œuvres contemporaines. Je me retrouve plus dans les peintures classiques qui t’emportes immédiatement dans leurs univers idéalisés plutôt que de simplement te questionner.


Elle sera surprise par votre sincérité: ses perroquets de prétendants ont toujours tu leur perplexité pour s’assurer ses faveurs. Elle ne pourra néanmoins pas être blessée par votre désaccord car vous l’aurez exprimé avec un langage émotionnel et subjectif.


Elle: Ah. C’est vrai qu’il y a des artistes contemporains qui sont difficiles à comprendre mais ceux que j’apprécie m’emportent aussi à leur manière. Et ça me plait d’avoir d’avantage de liberté d’interprétation. Je trouve la peinture ancienne trop ennuyeuse.

Vous: Je comprends, je trouvais ça ennuyeux aussi avant mais avec le temps, j’ai appris à faire l’effort de vraiment me plonger dans les œuvres. Il m’a fallut plusieurs années pour y arriver.

Elle: C’était la même chose pour moi avec l’art contemporain !


En affirmant vos différences de goûts vous poussez votre interlocutrice à se confier d’avantage pour expliquer les siens et remontez le cours de sa sensibilité. Vous voilà bientôt arrivés au cœur des choses, ce qu’il vous reste de commun à tous les deux: l’émotion.



La communauté des émotions


En parlant de vos expériences, de vos goûts et de vos projets avec le langage émotionnelle, vous les rendez subitement dignes d’intérêt pour elle.

Le désaccord devient un prétexte pour retrouver ce que vous avez, malgré lui, de commun avec votre interlocutrice. Ainsi, plus vous êtes différent de quelqu’un -en surface- plus votre conversation vous pousse vers l’intimité.



Vous pouvez donc laisser l’obsession des points communs aux incurieux satisfaits par des rencontres sans surprise ni profondeur.

Pour le gouailleur, l’âme sœur n’est pas une âme jumelle.

Signaler ce texte