La Traversée-1946-Ch.33

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Daniel Trepper accoudé au bastingage du navire était captivé par un banc d’une douzaine de dauphins. Avec l’efficacité d’un scalpel, ils fendaient, en zigzaguant les lames provoquées par l’étrave du navire. Sa première pensée fut d’aller chercher Sarah, pour qu’elle contemple ce merveilleux spectacle, mais comme la plupart des passagers elle était couchée dans le fond de sa couchette. À contrecœur il était monté seul sur le pont quand Sarah s’était levée péniblement sur son coude pour lui dire dans un souffle, --- Je t’en supplie, va prendre l’air, je ne veux pas que tu me voies dans cet état et je ne comprends pas comment tu peux supporter cette odeur pestilentielle.

Les cales destinées normalement à un autre usage, avaient été transformées en dortoirs pour pouvoir transporter le plus grand nombre d’émigrants possible vers la Palestine. L’air chaud confiné et l’odeur de gasoil combinés avec le violent orage de la nuit dernière avaient provoqué un mal de mer générale. La nourriture de la veille avait quitté la plupart des estomacs et les relents du vomi avaient envahi le Theodor Herzl, bâtiment faisant route vers le pays de Canaan.

Le pays de Canaan c’était une vieille histoire qui commença il y a environ 2000 ans avant l’ère chrétienne. Abraham fils de Thera, descendant de Sem, fils de Noé fut le premier à entendre parler de la terre promise par une voix qui venait de nulle part. Entendait-il des voix...ou plutôt une voix ? Avait-il des hallucinations : c’est possible, le soleil tapait dur dans la région. On peut penser aussi que c’était simplement Dieu, qui pour la première fois, pour des raisons mystérieuses, se manifestait ouvertement à un homme choisi parmi les tributs de la Mésopotamie. On peut également penser qu’Abraham avait la boujotte, qu’il voulait visiter du pays et avait trouvé le prétexte de la voix pour convaincre sa femme Sarah et Loth, son neveu, fils de son frère Haran décédé, pour prendre la route vers d’autres cieux. Bref, cette voix lui conseilla de quitter Ur et lui promit des nouvelles terres pour sa postérité au pays de Canaan. Un bon matin, après avoir rassemblé leur troupeau, ils partirent tous les trois et parcoururent le Moyen Orient dans tous les sens ; d’Ur en Chaldée, traversent l’Iraq, firent étape à Babylone, vinrent à Mari en Syrie, continuèrent vers Hâran, Carchemish et Alep. On les voit à Katnah, Amman, Damas et Hamath. À chacune de ses haltes Abraham dressa un autel à la voix qu’il appelle Yahvé. Il franchit le Jourdain, et là, découvrit enfin la terre promise. Mais il ne s’arrêta pas, pas encore. Abraham s’enfonça dans le désert du Neguev, parti en Égypte puis revint faire la guerre aux rois qui occupaient la terre promise.

Tout est vrai ou tout ça est faux. La voix était-elle authentique ? Abraham semblait vraiment entendre des messages envoyés par Yahvé.

Au 15e siècle, Jeanne d’Arc fut brûlée pour les mêmes raisons.

Au 20e siècle, Abraham serait probablement, ou enfermé pour aliénation mentale, ou guru d’une secte puissante. Il y a plus de 4000 ans, c’était plausible. Abraham abandonna la multitude des dieux de la région et donna les bases d’une nouvelle religion en créant de la voix, un dieu unique invisible, omnipotent et omniscient.                                                                                                                   Abraham eut deux fils ; le premier, Ismaël, de son esclave Agar et sur le tard, Sarah, sa femme légitime donna le jour à un fils nommé Isaac. Par jalousie Sarah demanda à Abraham de donner la liberté à Agar, ce qui signifiait la laisser sans la protection de la tribu et la mort certaine. Contre sa volonté Abraham accéda à sa demande. Dieu vint au secours d’Agar et lui dit, --- Sois sans crainte pour ton fils, il deviendra le père d’une grande nation. Les descendants d’Ismaël et d’Isaac s’entre-tuent encore aujourd’hui.

Dieu est sensé tout connaître, tout savoir, et pourtant il doutait de ses pouvoirs. Il voulu tester la fidélité d’Abraham. ---Prends ton fils Isaac et va-t’en au pays de Moriyya, et là tu l’offriras en holocauste sur une montagne désignée par moi. Un autre travers de Dieu : il était taquin, dans le morbide, mais taquin quand même. Bref ! à la dernière minute l’Ange de Yahvé descendit du ciel pour arrêter le bras d’Abraham armé d’un couteau. L’Ange dit, --- Ne fais aucun mal à ton fils, je sais maintenant que tu crains Dieu. Abraham leva les yeux et aperçu un bélier qui s’était pris les cornes dans un buisson. Il l’offrit en holocauste à la place de son fils. On peut croire que la scène s’est vraiment passée comme elle est racontée dans la Bible. À cette époque, pour plaire aux différents dieux, des sacrifices humains étaient couramment pratiqués et on peut penser qu’Abraham imagina cette rocambolesque histoire pour substituer le sacrifice animal au sacrifice humain.  Les agnostiques penseront qu’Abraham est un personnage de légende qui ne doit son existence qu’à l’imagination fertile des hommes. 

Sarah meurt à Hebron. Abraham lui fit construire un tombeau ou il alla la rejoindre lorsque Yahvé le rappela à son tour.

Ce tombeau est aujourd’hui une source de conflit entre les descendants des frères ennemi ; Isaac et Ismaël.

Les famines causées par la sécheresse étaient nombreuses dans la région. Vers 1500 avant notre ère la disette chassa les Hébreux vers le delta du Nil. Au début l’entente entre les Égyptiens et les Hébreux fut totale. Mais peu à peu les Hébreux se multiplièrent en nombre et en puissance. Situation insupportable pour le pharaon. Les deux ou trois siècles suivant les Hébreux vécurent en esclavage en Égypte. En ce temps-là le pharaon voulant empêcher les enfants d’Israël de s’accroître donna l’ordre de tuer tous les nouveau-nés ; Moïse fut l’un d’eux. Il fut sauvé d’une mort certaine par sa mère et sa sœur. Les deux femmes confectionnèrent un berceau dans lequel elles déposèrent l’enfant et laissèrent dériver la frêle embarcation au fil du Nil. Moïse fut recueilli par la fille du pharaon et élevé comme un prince à la cour. Très vite convaincu de l’horrible situation de son peuple, Moïse rejeta les dieux qui permettaient cette abomination. Après avoir tué un tortionnaire égyptien, Moïse prit la fuite et trouva refuge dans les déserts de Midian, chez un prêtre polythéiste dont il épousa la fille. Il rechercha le dieu d’Abraham et c’est dans le feu d’un buisson qu’il entendit la voix de Yahvé lui dire de sortir son peuple d’Égypte et de partir vers la terre promise. ---Par mon alliance avec Abraham, Isaac et Jacob sous ta conduite je vais mener le peuple d’Israël vers une contrée où ruissellent le lait et le miel.

Vers 1280 avant l’ère chrétienne, après maintes péripéties, sous la conduite de Moïse ce troupeau de misérables fuyards quitta l’Égypte pour retrouver le pays de Canaan. Pour son malheur cette région du monde était une voie de passage entre les civilisations d’Afrique et celles d’Orient. Ce qui occasionna une succession d’invasions dans les deux sens. Pour pouvoir se fixer sur ce sol fertile mais dangereux il fallait inventer une idéologie socioreligieuse avec des bases solides, former un groupe cohérent peu ouvert sur les autres peuples de la région. Signer un pacte avec ce dieu unique, guerrier et jaloux qui donnerait en contrepartie sa protection divine. C’est exactement ce qu’élabora Moïse durant l’errance dans le désert du Sinaï. Dieu donna à Moïse les tables de la Loi et les 613 préceptes. Pendant les 40 années de l’exode la horde de misérables, anciens esclaves se transforma en un peuple structuré formé de 12 tributs. Moïse mourut avant d’arriver au pays de Canaan.

Malgré l’alliance avec Yahvé les invasions et les guerres se perpétrèrent au fil du temps et les juifs ne purent se maintenir sur la terre promise. Ils furent dispersés par les Romains après la deuxième destruction du temple en 70 de notre ère.

Selon ses propres convictions, chacun avec sa propre sensibilité peut convenir que toute cette histoire n’est qu’une légende ou que Moïse fut le législateur, celui qui structura le culte à Yahvé, dieu unique, héritage d’ Abraham. Aujourd’hui, le judaïsme, le christianisme et l’islam, chacun pour sa propre cause, honore avec ferveur Yahvé, Allah et Dieu, qui sous trois noms différents sont la même divinité, qui probablement tourmenté pour avoir échoué dans son Œuvre, n’ouvre plus la bouche depuis plusieurs siècles.

Daniel Trepper, André Goldman, Sarah Nistor, Joseph Blumenfeld ainsi que la plupart des émigrants sur le Théodor Herzl ne voulaient plus confier leur vie de simples mortels à un dieu qui durant les siècles passés avait trahi plusieurs fois son peuple et qui en détournant la tête et fermant les yeux durant les dix années du régime hitlérien, resta indifférent aux 6 millions de juifs assassinés. Il était plus prudent pour les femmes et les hommes de bonne volonté de prendre en main leur destin et ne pas espérer des soi-disant miracles venant d’un super-esprit invisible qui n’existent que dans les religions ou dans les Comics américains.

Daniel se demandait quelle était la raison du comportement des dauphins. Suivaient-ils ce mastodonte de métal dans l’espoir d’une récompense ou était-ce simplement un petit bout de route convivial ? Que représentait à leurs yeux cette masse énorme indifférente à leurs ébats ? Avaient-ils de l’imagination au point de penser qu’ils suivaient un super-dauphin ? Où alors s’amusaient-ils beaucoup du manque de souplesse de cet amas de ferraille lourd et lent. À cette heure matinale, le pont était vide...ou presque. Un jeune homme la tête penchée, les mains dans les poches de son pantalon s’approchait lentement. Lorsqu’il fut à sa hauteur, Daniel Trepper le héla, --- Viens voir un étonnant tableau... c’est magique.

André se pencha sur la rambarde et pendant un certain temps, en silence, ils contemplèrent les mammifères marins qui avec grâce suivaient le navire.

Puis, pour une raison mystérieuse les dauphins d’un même mouvement quittèrent son sillage.

Daniel Trepper et André Goldman se présentèrent, ils se sourirent et se serrèrent la main.

André désigna la proue du navire,--- Nos accompagnateurs nous ont laissés tomber. Tant pis ! Nous allons rester entre nous. Tu as remarqué, nous ne sommes que deux sur le pont ce matin. Nous devons être les seuls survivants de la tempête de la nuit dernière. Ce voyage, m’apprend au moins une chose, c’est que je ne suis pas sujet au mal de mer.

--- Moi, c’est pareil. Même pas un homme d’équipage. Plus malin que nous, ils ont probablement abandonné ce vieux rafiot.

Ils plaisantaient côte à côte, appuyés sur la rambarde, les yeux rivés sur l’horizon, là où le bleu de la mer et le bleu du ciel se confondaient.

--- Tu avais déjà fait une traversée ? Demanda André

--- Non.

--- Moi non plus. Toute cette eau. Ça me donne une très vague idée de l’immensité de la terre.

---Alors ne lève pas la tête, c’est encore plus vaste.

André rit --- Voilà que nous devenons poètes... ou philosophes, c’est comme tu voudras.

--- Tu es Belge ? Demanda Daniel

--- Oui, et toi aussi. Avec notre accent... une fois, il est difficile de se tromper. De Bruxelles ?

--- De Bruxelles.

--- Tu as de la famille en Israël ?

--- Non, je n’ai de la famille nulle part, Hitler s’est chargé de la réduire à une seule personne ; ton serviteur.

--- Et toi ?

--- Non, comme toi...seul de chez seul.

Après un silence, il ajouta,---nous n’allons pas nous apitoyer sur notre sort, les 90 % des gens de ce bateau ont la même histoire...ou pire encore. Il pensait à Joseph Blumenfeld, son compagnon de voyage, pour l’instant cloué au fond de son lit.

Nouveau silence rompu par Daniel.

--- Je suis probablement la seule personne qui ne devrait pas être sur ce tas de ferraille.

--- Ne me dis pas que tu vas en Palestine contre ton gré.

--- Contre mon gré...non. Mais il y a un an, si quelqu’un m’avait prédit ce voyage, je lui aurais ri au nez.

---Alors, pourquoi ?

---C’est tout simple... par amour.

---Tu vas rejoindre une jeune fille ?

--- Non, nous voyageons ensemble. Nous allons nous marier à notre arrivée. Il y a un an je ne la connaissais même pas. 

André ne fit rien pour arrêter le récit de Daniel. Il était évident que celui-ci avait envie de parler.

--- En 1942, mes parents me cachèrent, pas loin de Bruxelles, à Dilbeek pour être précis. Je n’oublierais jamais l’instant où mon père m’enleva des bras de ma mère en pleurs pour me laisser chez les De Vries. Ma mère accroupie me tenait serré dans ses bras et ses larmes coulaient contre ma joue. Par contagion je pleurais aussi, et pourtant je n’étais pas vraiment triste. Par-dessus son épaule, je regardais les poules, les oies, la mare aux canards et j’entendais meugler les vaches dans l’étable. Je pensais que mon séjour serait comme des vacances et je n’imaginais pas un instant que je ne reverrai plus mes parents. Non, je ne me suis pas inquiété. Jean et Arlette De Vries...des Flamands...des gens biens...je leur ai fait beaucoup de mal en partant. Jean m’a tout appris sur la terre, les cultures maraîchères, les animaux de la ferme. Le braconnage également. Il lisait les traces des lapins, débusquait les lièvres et savait tout sur les faisans. Lorsqu’il posait un collet, ça ne ratait jamais. Tous les jours, été comme hivers, à 5 heures du matin, Jean attelait son cheval à la carriole remplie de légumes et de fruits et partait au marché. Combien de fois, l’aie-je supplié de m’emmener avec lui. De peur que je me fasse prendre, il n’a jamais voulu que je l’accompagne. Pour eux, je tombais du ciel. Ils n’avaient pas d’enfant et rêvaient de m’adopter. Ils me voyaient prendre leur succession à la ferme. Les choses se seraient probablement passées ainsi. Mais la guerre terminée, une femme des services sociaux juif... m’apporta des vêtements et quelques friandises. Très gentille, toujours souriante. Elle prit l’habitude de venir deux fois par mois. Comment est-elle arrivée chez les De Vries ? Mystère.

---Oui, dit André en souriant. Heureusement que les juifs sont plus malins que les Allemands.

--- Très drôle ! Un jour elle me proposa de venir visiter les locaux de leur mouvement...je rencontrerai des camarades. Cela ne m’intéressait pas vraiment mais je n’ai pas osé dire non. Jean et Arlette n’y virent aucune malice. À juste raison, pourquoi les aurais-je quittés ?

C’est là que j’ai rencontré Sarah. Et toi tu voyages seul ?

--- Non, avec un ami. Joseph Blumenfeld. Réfugié de Pologne. Il est arrivé l’année dernière à Bruxelles, au centre de la rue du Coteau. Nous sommes devenus amis. Mais continue ton histoire.

--- Après cette première journée, si tu m’avais demandé ce que je pensais de  Sarah, je t’aurais répondu; qui c’est Sarah? Moi qui avait l’habitude du silence, j’étais en compagnie de jeunes de mon âge qui gesticulaient beaucoup et parlaient haut et fort. J’y suis retourné la semaine suivant en me disant que c’était la dernière fois. Pourquoi l’ai-je remarqué parmi tous ces jeunes excités ? Je n’en sais rien, où peut-être cette façon qu’elle avait de s’isoler du groupe m’a intrigué. Pendant que les autres parlaient avec excitation de politique, du futur état d’Israël, Sarah restait le front collé à la vitre, silencieuse, agrippée à un sac à main en cuir défraîchi. Sarah n’était pas très grande, mince, pas particulièrement jolie, ni laide non plus d’ailleurs, elle avait le teint pâle des blondes. De grands yeux bleus...rêveurs, qui semblaient regarder ailleurs. Ses cheveux tirés en arrière et ordonnés en chignon lui donnaient un air sévère...non pas sévère plutôt triste...nos pas triste non plus. Disons mélancolique. Elle me faisait penser à un Buster Keaton féminin. Je n’étais pas été séduit, loin de là, mais plutôt curieux. Cette visite au centre qui devait être la dernière ne fut en réalité que la deuxième.  Peut-être que d’avoir été isolé pendant la guerre, avait fait de moi quelqu’un de solitaire, allergique à la vie en collectivité et me rapprochait de cette fille triste, toujours seule. Tous les jeunes de notre groupe avaient entre 15 et 18 ans chapeautés par des moniteurs pas plus vieux. A ma troisième réunion  je fus accueilli à bras ouverts. Tous me donnèrent une importance que je n’avais sûrement pas. Un peu comme si on attendait que moi pour qu’enfin l’assemblée devienne intéressante. Ils avaient un don extraordinaire pour te mettre à l’aise. Je compris très vite que le but principal était de nous intéresser au futur état d’Israël. Notre encadrement était d’une transparence désarmante. Mais tout cela se passait très gentiment, sans endoctrinement d’aucune sorte. Lorsque l’un ou l’une d’entre nous prenait la décision de partir, les deux ou trois meneurs de jeu regardaient le futur kibboutzim avec admiration et trouvaient incroyable de ne pas avoir eu cette idée plus tôt. Comme je te l’ai dit, je n’aimais pas la vie en communauté et j’étais peut-être trop soupçonneux. En regardant évoluer toute cette jeunesse, j’avais la certitude d’être le seul à voir les choses de cette manière. Je ne blâmais personne, la plupart d’entre nous, orphelin et sans espoir en Belgique espéraient se construire une vie où on leur foutrait enfin la paix. J’avais particulièrement sympathisé avec un dénommé Albert, futur émigrant convaincu. Nous prenions le même tram. Il descendait quelques arrêts plus loin, moi j’allais jusqu’au terminus. Pendant le trajet, nous parlions de choses et d’autres. Pour tout dire, c’était surtout lui qui parlait de son sujet préféré : Eretz Israël. Plus tard quelques indices, m’ont fait penser qu’Albert était un espion chargé de savoir si j’étais un candidat au départ. Je n’étais même pas certain qu’il habitait vraiment dans ma direction.

Bref ! Un jour, à la fin d’une réunion, Albert me prit par le bras, ---Attends moi, je rentre avec toi, j’habite de ton côté.

Sur le chemin il parlait bien sûr de son sujet de prédilection ; Eretz Israël. Il parlait...parlait...parlait. Je ne l’écoutais pas. Je n’attendais qu’une ouverture pour pouvoir lui poser des questions sur la jeune fille au sac. Je ne connaissais pas encore son nom.

Je plongeai dans la brèche lorsqu’il dit, --- Je suis content, nous formons un bon groupe, nous nous entendons bien.

--- Oui, à part cette jeune fille qui reste toujours à l’écart.

---Sarah ? Il faut la comprendre. Nous avons tous eu des proches déportés et assassinés. Sarah a du mal à s’en remettre. Ses parents, deux sœurs et deux frères, arrêtés vers la fin de la guerre, disparus en fumée. C’est un miracle qui l’a sauvé. Elle culpabilise d’être encore en vie.

J’étais impressionné par les paroles d’Albert mais je ne fis aucun commentaire.

Sans en avoir l’air la semaine suivante j’observais Sarah à la dérobade en faisant mine de participer aux discussions.

Il fut décidé d’aller le dimanche suivant picniquer dans la forêt de Soignie. Le point de rencontre était au terminus du tram vicinal. Toujours en avance je fus le premier sur place, impatient de la voir arriver.

Mes sentiments pour Sarah étaient confus. Elle m’intriguait, me fascinait et à la limite ma curiosité avait un côté malsain. Ce que m’avait raconté Albert n’était malheureusement qu’un événement banal pour la plupart des familles, mais Sarah donnait l’impression de ressentir l’abomination subie par les siens avec une acuité particulière. Je la sentais fragile...orpheline...vraiment orpheline.

André et Daniel avaient plusieurs fois fait le trajet de la proue à la poupe. Appuyés sur le bastingage ils observaient l’étrave fendant l’eau. Dans ce no man’s land apaisant qu’était la mer, propice aux confidences, Daniel était heureux d’avoir trouvé quelqu’un à qui il pouvait raconter l’aventure qui bouleversait sa vie.

Se retournant vers André, --- Je t’ennuie avec mon histoire ?

André pensait que c’était probablement la première fois qu’il avait l’occasion de la raconter. --- Non, pas du tout, continue.

---Sarah ne s’intéressait à rien, son regard était toujours lointain. Je pensais que le picnic était la bonne occasion pour me faire remarquer par elle. À l’arrêt du tram, nous étions déjà plusieurs au rendez-vous lorsque je la vis arriver avec son sac en bandoulière précieusement serré contre sa hanche. Elle nous fit un vague sourire et pour la première fois, j’entendis le son de sa voix. Des mots banals, dans le genre, --- J’espère que je ne vous ai pas fait attendre ? Pour moi l’intonation douce de sa question avait des inflexions qui me charmèrent. Je ne m’en rendais pas compte...du moins pas encore, mais tout en elle me séduisait. Le tram arrivait. L’idée que j’étais un habile tacticien, que j’allais la subjuguer par mes premières paroles, tomba très vite. C’était facile lorsque je faisais les demandes et les réponses mais paralysé par ma timidité, j’oubliais complètement mon scénario. Elle s’était assise côté fenêtre d’une banquette vide. Je m’assieds auprès d’elle. Sarah tourna la tête, me sourit mais ne dit mot. Nous ne prononçâmes pas une parole de tout le voyage. La gorge nouée, je ne savais pas du tout comment entamer la conversation. Je suis resté muet. Tu sais ce qu’elle m’a avoué beaucoup plus tard ? C’est ma timidité, mon silence durant ce voyage en tram qui l’avait séduite. Arrivé dans la forêt de Soignies, je m’en voulais à mort. J’élaborais un nouveau scénario. Je n’eus pas l’occasion de l’appliquer. Nous fûmes en groupe toute la journée. Nous avons mangé dans l’herbe, participer quelques jeux styles scouts. Puis nous sommes rentrés. Dans le tram assis à côté de moi...Albert m’a fait une grosse tête avec Erezt Israël.

J’en avais marre et J’avais l’intention d’abandonner, ne plus venir aux réunions. J’avais l’impression que des montagnes me séparaient de Sarah. Je me donnais une dernière chance ; le samedi suivant. Le hasard voulu que nous arrivâmes au centre en même temps de deux directions opposées. Nous eûmes donc le temps de nous voir, de nous sourire et de nous dire bonjours. À l’intérieur, elle se mit à sa place préférée, près de la fenêtre. Ne sachant pas ce que j’allais lui dire, je pris mon courage à deux mains et m’approchai d’elle. Avant que j’eusse le temps d’ouvrir la bouche, Sarah se tourna vers moi, ---C’est toi qui habites du côté de Dilbeek ?

--- Oui.

---Tu viens de temps en temps à Bruxelles ?

--- Non, très rarement.

--- Dommage, autrement je t’aurais demandé un service.

Cela faisait 3 semaines que je transpirais pour savoir comment l’intéresser, j’échafaudais scénario sur scénario et Sarah en quelques mots simples s’adressait à moi. En un instant je compris qu’il fallait que je rattrape la situation.

--- Je viens quand même de temps en temps ; la preuve, je suis là.

---J’avais envie d’aller visiter le musée de la Porte de Hall, tu ne veux pas m’accompagner ?

J’en restais sans voix. Sarah prit mon silence pour une réponse négative.

--- Si tu n’as pas le temps, ça ne fait rien.

--- Non ! non ! Je me repris sans laisser voir mon émotion. Je n’allais sûrement pas attendre un de ces jours. Avec l’air le plus décontracté possible je lui proposai donc le lendemain puisque c’était dimanche et heureusement rien n’était prévu avec le groupe. Rendez-vous fut pris à 11 heures devant l’entrée du musée. Dimanche vers 10h45, j’étais planqué derrière un kiosque publicitaire. J’étais tellement peu sûr de moi, que je m’étais mis dans la tête qu’elle ne viendrait pas et j’étais persuadé que j’étais le sujet de moquerie des passants. Elle arriva à 11 heures pile. À cet instant je me souvins de sa question,

—c’est toi qui habites du côté de Dilbeek ? — Cela voulait-il dire qu’elle me portait un certain intérêt ? Aussi faible que soit cet espoir, je m’y agrippai. Je quittai ma cachette idiote en me traitant de tous les noms. Je me maudissais d’avoir ce comportement de cinglé alors qu’elle agissait en toute simplicité.

Bref ! Ce fut l’une des plus belles journées de ma vie. Après le musée nous nous sommes promenés jusqu’au parc royal où nous avons mangé nos sandwichs. Ce dimanche-là j’ai pu constater l’étendue de mon inculture. Sarah pouvait parler sur n’importe quel sujet. Ses connaissances dépassaient largement le cadre scolaire. Dans le musée, elle avait des anecdotes intéressantes et donnait une explication imagée, sur tous les objets exposés : l’armure de Philippe II, le poignard de Charles Quint, des étendards des armées napoléoniennes et bien d’autres choses encore. Les quelques vagues notions que j’avais sur le Moyen Âge c’était à travers le livre de Walter Scott : Ivahnoé ou Robin des Bois que j’avais vu au cinéma avant la guerre. Pas assez pour lui donner la réplique. D’autant plus que mon esprit était préoccupé par une seule idée ; comment lui donner un autre rendez-vous. Lorsqu’elle me parla de Napoléon, j’en profitais pour lui proposer d’aller le dimanche suivant à Waterloo.

Tu dois me prendre pour un tordu mais ma timidité naturelle et mon isolement ne me préparait sûrement pas à une relation avec une jeune fille. Jusqu’à ce jour tout ce que je désirais, tout ce qui faisait ma joie je l’avais trouvé dans la ferme des De Vries. La terre, le travail à la ferme suffisaient à mon bonheur. Encore une chose qui m’attirait vers Sarah ; elle était directe, sans affectation et généreuse : elle bousculait mes habitudes. En trois sorties, elle m’ouvrit l’esprit à l’art, l’histoire...et même la politique. Un samedi, une des jeunes filles qui nous encadraient, j’ai oublié son nom, nous demanda, --- Demain nous allons visiter le château de Beersel. Que ceux qui viennent lèvent la main. Le rendez-vous est devant la gare du Midi à 9 heures.

Elle se tourne vers Sarah qui n’avait bien sûr pas levé la main,---Tu ne viens pas ?

---Non, répondit-elle sans autres commentaires.

Heureusement, elle ne me posa pas la question en premier. J’aurais probablement bredouillé et dit n’importe quoi. Le calme et l’assurance de Sarah m’aidèrent à lui faire écho. J’étais ravi de découvrir qu’elle voulait garder secrète notre nouvelle intimité et à l’instant précis de cette complicité je sus que j’étais amoureux de Sarah. Je le savais probablement avant, mais là j’en étais totalement conscient. Tu as déjà été amoureux ?

--- Non...pas vraiment, dit André.

--- Et bien saches que lorsque ça t’arrive, cette sensation nouvelle t’ouvre la porte d’un autre univers. Brusquement ton corps, ton esprit, semble flotter. Tu te sens invincible, tu te prends pour le plus beau, le plus intelligent. Sa va te sembler exagéré mais tu es est près a te sacrifié, à mourir pour la fille que t’aime.

Ce jour-là, sur le chemin du retour, Albert ne me fit pas une grosse tête pour la bonne raison que ma tête était ailleurs. Cette nuit-là je dormis très peu. Je savais que les sentiments de Sarah étaient similaires aux miens. J’avais un problème à résoudre. Je n’avais pas d’argent. Au petit matin après une nuit blanche, j’ai pensé à la collection de timbres que m’avait donné mon père. Bien entendu le philatéliste sous-évalua largement mon album, mais aucune importance j’étais riche de 250 francs.

Cette fois-ci sans me cacher avec un quart d’heure d’avance j’étais sur les lieux du rendez-vous. Sarah arriva à 9 heures avec son sourire qui maintenant me paraissait merveilleux. En attendant le tram, intimidé nous ne dîmes mot. Sarah s’assit d’abord en face de moi, se ravisa et vint s’installer à mes côtes. Tout mon savoir sur le comportement d’un homme et d’une femme était cinématographique. D’aucune utilité lorsqu’elle me prit la main et la garda dans la sienne. J’étais pétrifié, mon cœur battait la chamade. Je ne sais si mon visage était blanc ou rouge, mais il se passait sûrement quelque chose de ce côté-là. Mon amour grandit encore d’un cran. Peu à peu la chaleur de sa main, son apparente tranquillité calma les battements de mon cœur. Là également, elle m’avoua plus tard qu’elle ne fut pas aussi relaxe qu’elle en avait l’air.

Que te dire ? Chaque instant de cette journée fut merveilleux. As-tu jamais souhaité que le temps s’arrête ? J’étais sur un nuage. je ne suis même pas sûr que j’écoutais vraiment ce qu’elle disait. Le son de sa voix me suffisait.

Au retour, c’est moi qui lui pris la main et la gardai précieusement jusqu’à l’arrêt où Sarah devait prendre la correspondance pour Woluwe St Pierre. Elle retira doucement sa main et me donna un baiser sur la joue avant de quitter le tram. Pas de rendez-vous. Le samedi suivant...pas de Sarah. La panique me prit. Cela peu te paraître un mot trop fort et pourtant c’était exactement ça. J’étais affolé. Que s’était-il passé ? Peut-être ne voulait-elle plus me voir ? Mais non ! elle m’avait embrassé. Et si c’était un baiser d’adieu. Le pire était que je ne pouvais poser aucunes questions. Après avoir vécu mes plus belles journées je vivais le pire des cauchemars. Je me promis que si Sarah ne venait pas le samedi suivant ce serait la dernière fois pour moi. J’en avais soupé d’Eretz Israël. Samedi Sarah était là, debout près de la fenêtre, le dos tourné à la salle. Dès que j’eus franchi le seuil, comme si elle avait senti ma présence, elle se retourna. Nos regards se croisèrent...sans plus. Avec les ingrédients habituels...Eretz Israël et tout le reste la réunion s’éternisait. Puis lors d’une pose, Sarah s’approcha et me glissa un papier dans la main. Sans me précipiter, avec le plus de naturel possible, je me dirigeai vers les toilettes. Après avoir fermé la porte à clé, avec appréhension je dépliai le billet. Voilà à peu près ce qu’elle avait écrit. Désolé de ne pas être venu samedi dernier. Je t’expliquerai. Après la réunion, retrouve-moi devant le milk-bar du bd Lemonier. Ma crainte comme par magie se transforma en allégresse. La suite des débats se poursuivit sans moi. Ma présence physique n’empêchait nullement mon esprit d’être ailleurs. Personne ne remarqua quoi que ce soit.

Au moment de partir, Albert vint vers moi --- Attend j’arrive dans 5 minutes.

Je ne sais pas ou je trouvai le courage de lui dire, --- Non, j’ai un rendez-vous, rentre sans moi.

Il me regarda étonné, souleva les épaules, --- Alors salut !

Je marchais d’un pas rapide et 10 minutes plus tard j’arrivais devant le milk-bar ou m’attendais Sarah. Elle me prit par le bras et m’attira dans une rue transversale moins bruyante. À ce moment précis, personne au monde ne pouvait être plus amoureux que moi.

En signe d’excuse, Sarah me dit, --- Samedi dernier je suis allé à l’hôtel de ville voir la liste des rapatriés. J’y vais de temps en temps. 

Début 1946, les retours se faisaient rares pour ne pas dire nuls et pourtant Sarah ne perdait pas espoir. Elle ne m’avait jamais parlé de ses parents et pour tout te dire ma relation avec Sarah éclipsait les raisons premières de mon intérêt à son égard. 

Sarah dit ensuite, --- Dimanche prochain retrouvons nous avenue Louise devant l’entrée du Bois de la Cambre. Il commence à se faire tard. Il faut que je rentre.

Le samedi suivant je ne suis pas allez à l’alliance juive. Je ne voulais pas donner à Sarah la possibilité d’annuler notre rendez-vous pour une raison quelconque. Dimanche, comme d’habitude, j’étais en avance et Sarah arriva pile à l’heure. Je ne remarquai même plus son éternel sac en bandoulière. En la voyant ainsi venir vers moi je fus pris d’une irrésistible envie de l’embrasser. Jusqu’à présent Sarah avait toujours pris les initiatives et j’essayait de me donner du courage. Si tu ne lui donnes pas un baiser maintenant  tu es un moins que rien. Sarah se précipita sur moi et me donna un baiser rapide sur les lèvres. J’étais vraiment un moins que rien. Nous marchâmes en silence, nous tenant la main. Inutile de te dire que mon nuage était toujours sous moi. Puis sans préambule elle me parla de sa famille. 

---Avant la guerre notre famille habitait rue du Lac, près des Etangs d’Ixelles. Mon père y avait son cabinet de médecin. Ma mère était Professeur d’histoire à l’ULB. J’avais deux grands frères ; l’un terminait  l’Athénée l’autre suivait les traces de papa. Lorsque les grandes rafles commencèrent, nous partîmes nous cacher dans la maison de campagne du docteur Vanier, ami de longue date, à Drongen dans la banlieue de Gand. Dénoncés par un voisin, en mars 1944 ce que je ne pouvait imaginer arriva. Tôt, un matin nous entendîmes un bruit de moteur. Mon frère aîné écarta le rideau de la cuisine. De deux voitures descendirent des hommes en civil et se dirigèrent vers nous. Pas besoin de chercher à comprendre. Mon père me saisi par le bras, m’entraîna à la cave et réussi à m’introduire dans une grande malle d’osier remplie de linge.---Surtout tu ne bouge pas avant d’entendre le départ des voitures. Ce n’est que le deuxième jour que je suis sortir de ma cachette. Lorsque j’eus  épuisée toutes mes provisions, j’ai eus la chance d’être surprise en flagrant délit de vol de pomme de terre par une voisine étonnée. Elle avait entendu dire que  toute la famille s’était faite arrêtée. Cette brave femme et son mari, Monsieur et Madame Lemarchand, me cachèrent jusqu’à la libération. Quelques jours après avoir été libéré, nous croisâmes un homme d’une cinquantaine d’années; je ne pourrais même pas te le décrire, tellement il était ordinaire, Madame Lemarchand me dit,--- regarde le bien, c’est lui qui vous a dénoncé. L’homme me regarda avec insistance, il savait qui j’étais et il savait que je savais. Il était visible qu’il n’avait aucun remords et peut-être qu’en me voyant regrettait-il simplement de me voir vivante. Le mois suivant je fus prise en charge par le Service social juif. 

Je la laissais parler sans l’interrompre. L’émotion me serrait la gorge. Nous marchions dans les allées du bois, nous serrant la main, comme si le danger, toujours présent, nous menaçait. 

C’était une belle journée d’hiver, ensoleillée et chaude pour la saison. Nous nous assîmes dans l’herbe au pied d’un arbre. Cette fois-ci je ne lui laissais pas le temps de prendre l’initiative. Je lui mis le bras autour de la taille, de l’autre main d’une caresse sur la joue je lui fis tourner la tête et l’embrassai d’abord sur le bord des lèvres et puis d’une légère pression je forçai l’entrée de sa bouche. Sarah consentante me permis d’exercer mes connaissances théorique. Un vrai baiser cinéma. Mon premier et probablement son premier également. Aussi malhabile fut-il, le contacte de nos lèvres fut la chose la plus étourdissante, la plus fantastique qui me soit jamais arrivé. Nous nous embrassâmes toute l’après-midi, silencieusement, tendrement. Couchés dans l’herbe, parfois je relevais la tête pour la contempler. Sarah, les yeux fermés souriait. Comment avais-je pu ne pas la trouver jolie. Elle était belle, très belle, elle était rayonnante. Après ce jour, j’ai pris de l’assurance. J’aimais Sarah et j’étais certain de ses sentiments. Tous les musées de Bruxelles furent témoins de nos embrassades. Sans argent ou très peu, sillonner la ville en tous sens suffisait à notre bonheur. Je l’accompagnait scruter les listes de plus en plus minces des juifs qui rentraient. Je ne sais quand elle perdit espoir, mais en détaillant un énième bordereau, des larmes plein les yeux elle me dit, --- Je sais que je ne reverrai plus ma famille, je sais qu’ils sont tous morts. Par un témoin revenu des camps de la mort, je savais ce qui était arrivé à mes parents. Je pouvais tirer un trait, il me reste mes souvenirs. Sarah, non. Je ne sais pas ce qui est le plus difficile ; ne rien savoir sur la mort des tiens ou connaître un témoin qui a vu leurs derniers instants. Sarah ouvrit son sac pour prendre un mouchoir. Pour la première fois je pus voir son contenu à la dérobée. C’était essentiellement des photos et des lettres. Vestiges d’une existence heureuse. Je la pris dans mes bras et la laissai pleurer sans rien dire. Après cette journée, son comportement changea, Sarah devint morose, taciturne. Je faisais tout mon possible pour lui remonter son moral. Ainsi passèrent quelques semaines. Un jour, j’attendais devant la gare du Nord, j’eus un mauvais pressentiment quand je vis Sarah. Ses yeux étaient rouges et avec des larmes dans la voix elle me dit, --- Je pars en Palestine.

Nous n’avions fait aucun projet, notre amour nous suffisait, mais là je compris que je n’avais plus d’avenir. Mes jambes flageolaient, mais je trouvai mes mots pour dire sans que ma voix tremble,--- Quand pars-tu ?

--- Je ne sais pas encore mais c’est pour bientôt.

Ces mots avaient été dits en marchant côte à côte, sans nous regarder.

Sarah se retourna vers moi, --- Nous pouvons nous écrire et peut-être viendras-tu également en Palestine. Bientôt nous aurons notre état. Si un jour tu décides de venir, nous serons chez nous.

Chez nous. Jusqu’à présent j’étais chez moi chez les De Vries, mais sans Sarah, je n’étais plus nulle part.

--- Tu sais ou tu vas ?

--- Dans un kibboutz...quelque part dans le désert... on y parle français.

Ma décision fut vite prise, je ne pouvais pas faire autrement. Je devais partir avec Sarah.

Lorsque quelques jours plus tard je lui annonçai la nouvelle elle bondit de joie, se serra contre moi, me couvrit tout le visage de petits baisers. Je te passe le drame avec mes parents adoptifs. Il a fallu que je promette sur ce que j’avais de plus sacré de ne pas les oublier et surtout leur donner de mes nouvelles.

Voilà pourquoi je suis sur ce bateau.

La matinée tirait à sa fin et André s’était laissé captiver par l’histoire de Daniel.

Quelques passagers, pâles, d’un pas incertain se risquèrent sur le pont. André vit une jeune fille s’avancer vers eux. Blonde, plutôt petite, mince pour ne pas dire maigre. Le visage sévère, les lèvres pincées, le nez trop grand pour sa petite frimousse. Lorsqu’elle les aperçu, un large sourire illumina son visage. Elle en fut presque jolie. Ils ne virent pas André s’esquiver. Daniel et Sarah rêvaient de leur avenir, ils occupaient un autre lieu, sur une autre planète.

André descendit rejoindre Joseph. Il pensait que dans deux jours le Theodor Herzl devra forcer le blocus anglais.

A suivre...


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