La troisième dimension. Partie 3.
Kanon Gemini
La vache, ce n'est plus une sieste mais un coma à ce niveau là. Il était 18H quand j'ouvris les yeux péniblement. Je semblais avoir quand même pas mal récupéré, car à part un engourdissement général, j'étais plutôt en bon état. Ma mère habitant à 2 minutes, je pris le temps de reboire un café bien serré, histoire de me mettre un coup de fouet. Bon, confession. Quand je dis 2 minutes, c'est vraiment le maximum que mettrait un cul de jatte avec une planche et deux fers à repasser. En effet, elle habitait 4 étages au dessus de moi avec ascenseur.
Presque frais comme un gardon, je frappais à sa porte. Elle devait être collée derrière car elle ouvrit aussitôt.
- Johnny, mon chéri !!! Comment vas tu ? Oh, tu as une petite mine. Heureusement, maman va s'occuper de toi ce soir.
Si il y avait une voisine potable sur son palier, autant dire que c'était foutu. Au mieux, je passais pour le mec qui se tapait de la cougar, au pire pour un Tanguy. En tout cas, sûr que tout l'étage l'avait entendue .
- Maman. Ça va. Ouais, un peu fatigué avec mon enquête.
- Rentre mon chéri, ce soir c'est lasagnes.
- Je vais encore être bon pour changer de chemise et desserrer ma ceinture.
Elle partit dans son éclat de rire que je reconnaîtrais entre 1000. Ahhhh, ma mère. Que dire ? Qu'elle était géniale. Elle m'avait eu à 20 ans et avait organisé sa vie en fonction de moi. Pas qu'elle aurait pu faire médecin. Mais je n'ai jamais manqué de rien. Elle a toujours su subvenir à mes besoins malgré l'absence d'un père. D'ailleurs, elle n'avait jamais refait sa vie. Alors attention, elle n'était pas rentrée dans les ordres non plus. C'était même plutôt l'inverse. Elle avait une consommation d'hommes assez impressionnante, de quoi me coller des complexes. Mais je ne les croisais jamais. Juste quand j'ai été en âge de comprendre, j'ai su pourquoi maman criait dans son sommeil et que la tête de lit tapait dans le mur. J'en ai passé des soirées à m'astiquer en imaginant des scénarios. Oui, elle aimait le sexe, elle était canon et elle en profitait. Mais elle ne voulait plus de l'amour. Officiellement parce que c'est chiant de vivre avec un bonhomme et pourquoi se contenter d'une seule queue (oui, ma mère était crue et ça m'a permis de dédramatiser le sexe). Officieusement, j'étais quasi sûr que mon père lui avait brisé le cœur et qu'elle ne s'en était jamais remise.
Même aujourd'hui, à 63 ans, ça restait une femme sur laquelle les hommes se retournaient et avec qui ils auraient volontiers passé un moment. Elle avait de longs cheveux noirs qui entouraient son visage marqué par des rides de bonheur, de grands yeux bleus, une peau légèrement mate, une poitrine opulente, des fesses rebondies. Pas très grande, elle avait pris du ventre avec l'âge, mais elle n'avait rien perdu de son charme. C'était une personne tellement douce et agréable. Elle ne disait jamais de mal de personne. D'ailleurs, personne n'était mauvais avec ma mère. Elle trouvait encore plus de circonstances atténuantes qu'un juge du 93.
J'adorais notre complicité et nos petits moments ensemble même si parfois, elle était trop expressive. Je me laissai tomber dans le canapé et vis qu'elle avait déjà tout préparé. Des gâteaux apéro, du Jack, la vie quoi.
- Dis maman, on pourra parler de mon enquête ? J'ai des questions à te poser.
- Bien sûr mon Johnny.
Ah oui, précision utile. Mon vrai prénom, c'était bien Johnny. Ma mère, avec son grand sens de l'humour, m'avait appelé Johnny pour Johnny Cache (Cash) et Johnny Halliday, qu'elle adorait. J'ai abrégé ça en John histoire d'éviter les connotations négatives.
- Tu me les poseras après le film. On profite d'abord et après, le travail. Tu ne dois pas partir en urgence ce soir ?
- Non, non, c'est bon, ne t'inquiètes pas.
- Je ne suis pas inquiète. Juste, je te sais très professionnel et dans ton secteur, tout va très vite.
Alors ma mère, bien qu'elle soit au courant de toutes mes enquêtes m'imaginait un peu comme James Bond. Elle savait que 90 % de mes affaires, c'était des histoires de cocufiage, et c'est d'ailleurs pour ça que je lui demandais conseil en temps que femme, mais pour elle, j'étais Humphrey Bogart.
- Tu as loué quoi pour ce soir.
- Je t'ai fait une surprise, tu vas être content.
- Ne me dis pas que tu as loué un porno !!
- Rhooo Johnny, pas besoin de les louer ceux là, il y a internet.
Moi qui pensait la faire rougir, c'est moi qui avalait ma première gorgée de travers.
- Alors tu as loué quoi ?
- « The Crow » avec le fils de Bruce Lee. Peut être le film le plus romantique qui soit.
- Oh non ! Pas un truc à l'eau de rose. Maman, tu sais que je n'aime pas ce genre de films.
- Regarde le, on en reparle après.
Je compris mieux pourquoi elle m'avait dit ça. En effet, ma mère avait une définition de film romantique bien à elle. Un jeune couple se fait assassiner sauvagement. Il revient de parmi les morts pour se venger et il ne le fait pas en délicatesse. J'étais tellement pris par le film, et ma mère aussi, qu'on ne mangea pas si ce n'est des gâteaux apéros. Je commençais à avoir sérieusement la tête qui tourne.
- Maman, je dois te demander quelque chose ?
- Dis moi ?
- En fait, est ce que je t'ai parlé de mon enquête en cours ?
- Le garçon disparu ? Oui, bien sûr. Tu l'as retrouvé ?
- Non. Le problème, c'est que j'ai dû être drogué parce que je ne me souviens de rien. Tout juste la rencontre avec le père.
- Ohhhhh c'est pas vrai ??? Tu vas bien ? Comment t'en es tu rendu compte ? Est ce que…
- Maman, dis moi tout ce que je t'ai raconté, que j'essaie de me souvenir.
- Alors tu as le père qui est venu te confier l'affaire, un physique ingrat je crois. Tu n'avais rien trouvé sur internet concernant le fils, donc tu as été dans le quartier où il habitait.
- Tu te souviens où c'est ?
- Attends que ça me revienne… Courbevoie du côté de la patinoire. C'est ça.
- Et j'avais trouvé quelque chose là bas ?
- Oui, dans un garage. Visiblement, le gamin y avait bossé avant de se faire virer. Il avait voulu emmener son patron au prud'homme mais avait disparu du jour au lendemain. Et tu avais eu l'adresse d'un bar mais là, tu ne m'avais pas dit pourquoi.
Mes neurones tentaient de se reconnecter, mais c'était peine perdu. Le mieux restait de me refaire le trajet. Au pire, je passerai pour un con, ça ne me changera pas trop de l'habitude. Malgré mon coma, et la bouteille de Jack aidant, je sentais de nouveau mes paupières lourdes. La dernière chose que je vis, fut ma mère me retirant mes chaussures et me recouvrant d'un plaid.