La troisième dimension. Partie 5.

     J'avançais d'un pas mécanique vers Peskov, tel ces figurines que l'on remonte avec une clef. J'étais comme la justice, perdant toute consistance et crédibilité de mon personnage. Putain, ces mecs là n'étaient vraiment pas humains. Le genre à rigoler pendant qu'ils se faisaient torturer. Le bâtiment abritait en effet un garage avec tout le matériel pour les réparations. Des voitures étaient montées et étaient entrain d'être examinées. Mais qui pouvait laisser sa voiture ici ? Peskov dut se rendre compte à mon air dubitatif que je m'attendais à tout sauf à trouver un vrai garage.

- Les affaires sont fleurissantes. Je n'ai que du personnel de la mère patrie, qui est prêt à bosser 18H par jour pour le SMIC. Les clients ont un service rapide et moins cher que la concurrence. Mais je préfère rester discret et ne pas afficher ma réussite. S'il y a bien un service qui marche ici, c'est le Fisc. Et comme j'ai pris certaines libertés avec le droit du travail…

- Et les molosses dehors ? Ne me dites pas que ce sont vos secrétaires.

- Non, évidemment. Des amis du temps du FSB qui sont venus se mettre au chaud ici et qui éloignent les concurrents qui viendraient manifester de manière trop brutale leur mécontentement.

- Ils servent juste à éloigner des garagistes en colère ? Vous vous foutez de moi là ?

- Tu me fais de la peine John. Je suis un citoyen honnête qui est venu en France pour chercher la richesse et subvenir aux besoins de sa famille restée au pays.

- Et vous n'auriez pas pris certains raccourcis avec le capitalisme, encore moins raccords avec le code du travail ?

A peine avais je fini ma phrase que nous croisions une femme, visiblement russe aussi, dans une tenue où elle ferait passée une actrice de film de cul pour une bonne sœur. Peskov l'arrêta par la taille et réalisa une fouille médicale de ses amygdales avec sa langue, pendant qu'il palpait l'un de ses obus, sans doute pour vérifier s'il n'y avait pas une éventuelle tumeur. La médecine du travail à l'œuvre. Ma queue, toujours dans les bons coups, commençait à se réveiller, après avoir battu en retraite 5 minutes plus tôt. Il la relâcha avant de lui mettre une claque au cul.

- Bonne journée Natacha.

- Bonne journée Dimitri.

- Peux tu nous apporter une bouteille à M. Cache et moi, dans mon bureau ?

Elle fit un petit signe de tête à son employeur avant de me fixer de la manière la plus obscène que je n'avais jamais vu. Devant mon regard éberlué, Peskov me jeta :

- Tu veux la baiser ?

Pas possible, je n'avais pas du bien entendre.

- Pardon ?

- Tu veux baiser Natacha John ?

- Elle est très belle, mais c'est votre femme.

Il partit dans un éclat de rire tonitruant.

- Tu es un putain de blagueur. Natacha, ma femme. Tu l'as bien regardée ? En plus, je t'ai dit que ma famille était restée au pays.

- Mais, vous venez de…

- Ah ça. Nous avons le sens des relations humaines et de l'accueil, c'est tout.

- Si vous le dîtes.

- L'accueil des clients est une partie important de l'équation de leur satisfaction. Et quand ils attendent leur voiture, avoir la compagnie de Natacha est un atout.

Ce mec venait de me donner un cours d'économie de marché avancé. Enfin nous entrâmes dans son bureau, simple, comme celui de n'importe quel garage, d'où émanait une douce chaleur. Après ce que je venais de voir, je m'attendais quasiment à un donjon SM ou un autre délire du genre.

- Installe toi John. Je vais pousser un peu le chauffage. Tu dois être gelé. Deux heures que tu nous observes avec ton équipement de commando.

- Quoi ? Vous m'aviez vu ?

- Évidemment. Comme je t'ai dit, on a travaillé pour le FSB.

- Mais pourquoi ne pas m'avoir délogé alors ?

- J'attendais de voir ce que tu préparais. J'avoue que le coup du trou de mémoire, je ne m'y attendais pas. C'est vrai cette connerie ?

- Oui. Je me suis réveillé hier dans la nuit, à Louvres, dans le pieu d'une inconnue.

- Elle était bien foutue ? Vous avez baisé ?

- Putain mais c'est la seule question qui te vient là ?

- Bah oui. Si tu savais le nombre de fois où l'abus de vodka m'a mis dans cette situation. Et bonjour les surprises au réveil. Souvent, tu étais heureux de ne pas te souvenir les détails de la nuit. Je pense que c'est pour ça que l'alcool a été inventé.

- Oui, elle était bien gaulée mais bizarrement, j'ai déjà pris des cuites et là, je n'en avais pas les symptômes.

- Drogué ?

- Oui, je pense. Un truc genre GHB.

- Les effets se sont dissipés mais tu as tout oublié ?

- Ouais. Tu peux me rafraîchir la mémoire ?

C'est à ce moment que Natacha entra avec un plateau sur lequel était posé une bouteille de vodka avec deux verres. Elle le posa sur le bureau et s'apprêtait à repartir quand Peskov lui fit signe en désignant sa brayette. Sans surprise, elle se glissa sous son bureau, dézippa son froc et commença à le mettre à l'aise. Le meuble me dissimulait la scène et heureusement. De toute façon, dans ce garage, plus rien ne m'étonnait. Peskov remplit les deux verres raz la gueule et m'en tendit un pour trinquer.

- Allez mon ami, on va se réchauffer comme on peut et je vais tout te raconter.

Nos verres s'entrechoquèrent bruyamment avant que Peskov me fasse signe, en désignant Natacha dont je ne devinais la présence que par les bruits de succion que j'entendais, et me dise :

- Tu veux ?

- Je ne voudrais pas abuser de ton sens de l'hospitalité.

- Tu sais, ça ne coûte pas plus cher. Elle est mensualisée et je la paye au forfait et pas à la tache. Donc c'est OK.

Putain, mais comment pouvait il me sortir ça comme ça, au calme. J'hésitais entre le dégoût et l'admiration pour ce type. Soit c'était un génie, soit un putain de psychopathe. Ou les deux peut être.

- Donc tu es à la recherche de Ivan, c'est ça ?

- Je sais que je cherche le fils de M. Maquartnet, je n'en sais pas plus.

- Oui, c'est Ivan. Putain, t'as vraiment tout oublié. C'est dingue cette drogue. Faut absolument que je m'en procure.

J'évitais de rebondir sur la légalité de sa dernière remarque, c'était peine perdue avec ce type.

- Ok. Il s'appelle Ivan. Je note. Et comment j'en suis arrivé à débarquer chez toi ?

- Il a travaillé ici avant qu'un différent ne nous oppose.

- Un différent ?

Peskov sembla d'un coup comme attendre un éternuement qui ne venait pas. Au lieu de ça, il poussa un gémissement qui venait du fond de ses entrailles. Un dernier bruit de succion me rappela soudainement la présence de Natacha, qui sortit de sous le bureau, sans une goutte au coin des lèvres. Un véritable aspirateur l'engin.

- Oui, un différent reprit t'il, comme si ce qui venait de se passer était complètement normal.

Natacha, avant de quitter la pièce, me fixa et se passa la langue dans sa joue, mimant une pipe avec sa main, comme pour me demander si j'en voulais aussi. Je lui fis signe que non et elle quitta la pièce.

- C'est grâce à sa mère qu'il a eu le poste ici.

- Quoi ? Mme Maquartnet ?

- Oui.

- Mais comment elle te connaît ?

- On se connaît depuis 30 ans. C'est grâce à moi qu'elle est arrivée en France.

- Quoi ? Tu veux dire qu'elle est russe ?

- Oui. Nous avons fui la chute du bloc soviétique ensemble.

Ce que je lus à ce moment là dans ses yeux furent peut être la première expression humaine qu'il exprimait. Ça ressemblait à de l'amour et à des regrets.

- Mais tu m'as dit que ta famille était resté au pays.

- Je n'ai pas dit que c'était une femme et des gamins qui m'attendaient là bas. C'est ce que tu en as déduit toi. Je n'ai jamais été marié et je n'ai pas d'enfants. Un homme comme moi ne peut se le permettre.

- Je sens que l'histoire va être longue.

- Ne t'inquiètes pas mon ami. J'ai d'autres bouteilles au frai. Tout a commencé en 1988.