La troisième dimension. Partie 7
Kanon Gemini
Je ne saurais dire le temps que j'ai passé dans cet enfer de glace. Je buvais de la neige, mangeais ce que je trouvais. Des racines au départ. Puis j'ai réussi à me tailler une lance en bois pour chasser. J'étais tel le guépard, je n'avais le droit qu'à un essai tellement j'étais amoindri physiquement. J'avançais en creusant des igloos en me dirigeant vers l'ouest, en espérant que je n'étais pas aux confins de la Sibérie orientale. J'essayais de me souvenir du trajet que j'avais fait étant enfant. Je sais que ça m'avait semblé long, mais ça l'est toujours quand on est enfant. Je me souvenais aussi qu'on l'avait fait en camion, tassés comme du bétail et que ça nous avait pris moins de la journée. J'évaluais donc une distance raisonnable de 600km de chez moi. D'ailleurs, c'était où chez moi ? J'étais incapable de retrouver le nom de mon village de naissance. Peu importe, j'allais bien finir par trouver une route, un panneau. Sans montre, sans journal, avec un soleil polaire, je perdis toute notion du temps. Heureusement que j'avais pensé à prendre, avant de fuir la prison, un sac avec un premier nécessaire de survie et des vêtements supplémentaires. Après ce qui me semblait une éternité, je finis par tomber sur une route, la vostochnaya ob yezdnaya doroga, qui menait à Sourgout, une grande ville de Sibérie. Je la suivis et après quelques heures de marches supplémentaires, j'entendis un bruit de moteur. Je me retournais et me jetais au milieu de la route tel un fou en agitant les bras. Je réalisais à ce moment là que c'était une très mauvaise idée et eus juste le temps de replonger sur le bas côté pour ne pas être percuté. Déjà que la visibilité était nulle, mais en plus un colosse avec un look d'échappé de l'asile, ça n'incitait vraiment pas à s'arrêter.
Je décidais alors d'être plus raisonnable et fis du stop. Je marchais encore une bonne heure avant qu'un gros pick-up ralentisse. Je m'attendais à tomber sur un fermier bourru qui allait me faire grimper sur la plateforme à l'arrière. Mais bon, je pourrais allonger mes jambes et me couvrir avec mes grosses couvertures en laine. Ça serait mieux que de marcher.
Bingo, je n'eus pas le temps d'atteindre le véhicule qu'une main sortit par la fenêtre et me fit signe de m'installer à l'arrière. Enflure. Mais je n'allais pas cracher dans la soupe, je ne voulais pas perdre mon moyen de locomotion jusqu'à Sourgout. Je m'installais le plus confortablement que m'autorisait mon double mètre et tapait à la vitre pour lui indiquer qu'il pouvait démarrer. Nous roulâmes approximativement deux heures avant que je ne vois la ville apparaître. Une fois stationné en ville, je descendis et remerciais l'homme d'un signe de main. Il fallait que je rejoigne Moscou, sauf que je n'avais ni argent, ni papiers d'identité. J'errai en ville à la recherche de je ne sais quoi, d'un miracle. Celui-ci arriva plus vite que prévu. Au détour d'une ruelle mal éclairée, j'entendis des bruits étouffés. Aucun doute, y'en a un qui était entrain de se prendre une branlée. J'avançais prudemment et vis trois hommes entrain de savater un autre au sol, en sang. L'homme au sol semblait riche vu le costume 3 pièces qu'il arborait, une belle montre, un look soigné, cheveux et barbe taillée. Il avait l'air aussi de s'entretenir physiquement. Un homme riche pourra peut être m'exprimer sa gratitude et m'aider dans les démarches administratives. Je décidais d'intervenir et de rééquilibrer les débats. Les trois autres hommes furent maîtrisés rapidement. Une fois au sol, l'homme sortit un couteau de sa poche et égorgea les trois hommes. Encore une fois, aucune réaction de ma part. L'homme me regarda sans un mot. Soudain, une voix caverneuse se fit entendre :
- Tu as quel âge gamin ?
- Je ne sais plus trop, environ entre 16 et 17 ans.
- Tu ne connais pas ta date de naissance ?
- Si mais pas la date du jour.
- Le 5 mai 1988 gamin, me sourit il.
J'avais passé 4 mois dans la neige et le froid, à manger comme une bête.
- J'ai toujours 16 ans alors.
- Puis je te payer un repas pour te remercier. J'ai l'impression que cela fait longtemps que tu n'as pas vu un bon plat.
Aucune réponse de ma part, mais l'homme vit à mon regard que j'étais prêt à tout pour ça. Il me fit signe de le suivre et nous commençâmes à déambuler dans une artère quand il me dit :
- Je m'appelle Sergeï. Sergeï Romanov. Et toi ?
- Je ne sais pas.
- Comment ça tu ne sais pas. Tu te fous de moi ?
Il me scrutait d'un regard bleu acier qui transperçait mes rétines pour tenter de lire en moi. Et visiblement, il y parvint.
- Goulag ?
Je ne répondis pas.
- Combien de temps ? 5 ans ? Non, 10 ? Non plus. Je vois. Tu es arrivé petit là bas et tes parents y sont morts.
Il était fort ce con. Je ne savais pas ce qu'était ce sentiment, cette boule qui remonte jusque dans la gorge, mais mes yeux s'embuèrent. Pas par l'horreur des camps. Non. Mais parce que je venais de réaliser que je ne me souvenais plus de mes parents. Je ne voyais plus leur visage, je n'entendais plus leur voix. Et aujourd'hui, je ne connaissais même plus ma date de naissance, ni mon prénom, ni mon nom. J'étais un fantôme déshumanisé qui avait perdu leur héritage. L'impensable se produit. Des larmes perlèrent sur mes joues sans que je ne puisse les retenir. Sergeï s'avança vers moi, doucement, et me serra dans ses bras.
- Tu n'es pas responsable gamin, ce n'est pas ta faute.
Mon hurlement fendit l'air et je m'effondrai sur le trottoir, incapable de stopper mon hémorragie d'émotions.
- On ne va pas aller au restaurant . On va aller chez moi, je pense qu'on a beaucoup de choses à se raconter et il vaut mieux que cela se fasse dans l'intimité.
Mon corps ne répondait plus et c'est Sergeï qui se glissa sous mon bras pour me relever et faire signe à un taxi de s'arrêter. Je m'installais et, enfin, de la chaleur irradiait du chauffage. Enfin. Je fis tout pour me rapprocher de celui ci sous les yeux ébahis du chauffeur. Sergeï lui fit signe de rouler et lui marmonna une adresse. Les rues s'enfilaient les unes derrière les autres quand il finit par stopper devant une petite maison. Nous descendîmes, il régla la note et nous franchîmes la porte. J'entrai dans une maison, une vraie, avec un couloir, un petit salon, salle à manger et cuisine. A droite, il y avait un escalier qui devait mener aux chambres. Dans le salon trônait une cheminée. Je m'en approchais immédiatement et commençais à retirer des couches pour que ma peau soit au plus proche des flammes. Je n'avais plus connu la chaleur depuis trop longtemps. Sergeï approcha deux fauteuils et m'invita à m'installer.
- Ne te déshabille pas trop, ma fille vit avec moi , me fit il avec un clin d'œil malicieux. Ivanka, cria t'il, ma chérie. Peux tu préparer un couvert en plus, nous avons un invité ?
J'entendis une voix cristalline sortir de la pièce de l'autre côté de l'escalier, la cuisine devinais-je :
- Bien sûr papa. Et qui est ton invité ?
- Dimitri, un jeune homme qui m'a sauvé et que nous allons héberger.
Héberger ? Vraiment ? Ici, dans cette maison ? Je n'avais jamais été confronté à la gentillesse et je découvrais celle-ci en même temps que la gratitude.
- Désolé, me chuchota t'il, je suis obligé de t'inventer un prénom et un nom. Dimitri Peskov, ça te va ? Je préférerais que ma fille n'apprenne pas trop brutalement ton passé.
- Bien sûr, je comprends et… merci.
De nouveau cette boule dans la gorge, de nouveau les yeux humides.
- Je vais m'occuper de t'avoir des papiers en règle et on va te trouver du travail aussi.
J'allais acquiescer quand j'entendis les pas entrés dans le salon et cette voix cristalline :
- C'est prêt. Ce soir, c'est bœuf Stroganov.
Je me retournais et la vis : Ivanka.