La troisième dimension. Partie VI

Kanon Gemini

Dimitri se plonge dans ses souvenirs.

J'étais le meilleur. J'appartenais à l'élite de l'armée rouge. Mon physique imposant et mes origines orientales avaient amenés les autres à m'appeler « le grizzli de Sibérie ». Je n'avais aucun point faible. J'étais puissant, endurant, intelligent, manipulateur, très bon au corps à corps, dans le maniement des armes blanches ou à feu, très bon sniper et surtout, j'avais des nerfs d'acier.

Depuis tout petit, ma vie était programmée. Mes parents, opposés au régime, nous avaient fait envoyer au goulag. Là bas, mes prédispositions exceptionnelles avaient attiré l'œil des commissaires. Mais, la lenteur bureaucratique a fait que j'ai vu mes parents mourir. J'avais 16 ans et mes prédispositions sont devenues des dispositions un soir où il y a eu l'humiliation de trop.

Après une de ces journées d'hiver glacial à effectuer des travaux forcés, pour ma part pour la rénovation du bâtiment, les gardiens sifflèrent l'heure de retourner en cellule. Il faut imaginer qu'un goulag n'a rien à voir avec une prison en France. Déjà, il est perdu au milieu de la Sibérie, avec rien autour sur des centaines de kilomètres. L'environnement est extrêmement hostiles : froid, neige, glace et rien qui pousse par ces températures. Les animaux sauvages, ayant là un territoire immense préservé de la main de l'homme, pullulent. Donc n'importe qui tentant de s'évader est condamné soit à mourir de froid, de faim ou dévoré.

De plus, les bâtiments dataient de l'entre deux guerre. Il n'y avait pas d'isolation, le chauffage était archaïque, et il n'était pas rare d'être une dizaine par cellule avec seulement deux matelas et un pot de chambre. Il n'y avait pas de cour pour faire de l'exercice ou s'aérer, pas de télé, pas de journaux, rien si ce n'est des soldats et ce travail forcé. De toute façon, je n'existais plus. A cette époque, tu étais décrété comme opposant au régime, le politburo venait t'arrêter, tu ne passais pas devant un tribunal et aucun dirigeant n'avait tenu de qui ni de combien de personnes avaient été déportées.

Beaucoup mourraient aussi de pneumonie, le goulag ne disposant ni de médecins ni de médicaments. Et quand tu passes de -40° à l'extérieur à +30° en cellule, autant dire que le corps était mis à rude épreuve. Bref, conditions épouvantables.

Comme tous les soirs, une fois dans notre cellule, les gardiens nous amenaient des plateaux avec de la nourriture. Honnêtement, je préfère m'acheter de la pâtée pour chat au supermarché. Ce soir là, fourbu de ma tâche quotidienne, j'attendais néanmoins ce dîner pour récupérer des forces. Le gardien arriva devant notre porte et dit d'une voix mécanique :


- Le cuisinier était un opposant au régime. Il a été arrêté. Nous attendons d'en avoir un autre pour vous amener à manger.


Et il partit. Quoi ? C'était tout ? Au moins, un animal qui souffre, on l'abat. Nous, on allait nous laisser crever de faim, se dévorer entre nous ? Mon cerveau lâcha et je me mis à hurler :


- Hey, camarade de mes couilles ? Tu n'as pas l'air d'avoir faim toi, alors magne toi le cul de nous apporter quelque chose à manger, sinon, tu ne passeras pas la journée de demain et c'est toi que nous mangerons.


J'étais fou de rage. Je vis le visage des autres détenus, qui, eux, étaient terrorisés, sachant ce qui allait arriver ensuite. Les pas du gardien s'arrêtèrent, j'entendis un coup de sifflet et d'autre pas se presser. La clef tourna dans la serrure et la porte s'ouvrit sur 5 gardes. Avant qu'ils aient eu le temps d'évaluer la situation, j'attrapais le détenu à ma gauche et m'en servit de bouclier pour foncer sur les gardes. L'effet de surprise fut maximum, mon bouclier n'encaissant qu'une balle de manière superficielle, dans le bras. Ils étaient morts mais ils ne le savaient pas encore. Ce fut brutal, ce fut bref. Pendant que je brisais la nuque d'un soldat, j'arrachais la carotide d'un autre avec mes dents. Je saisis les testicules du troisième et les écrasais de toute mes forces. Plus que deux qui semblaient complètement perdus, les yeux écarquillés. Ils voyaient enfin la créature qu'ils avaient engendrée, tel Frankenstein. Pendant que je plaquais le quatrième contre le mur, le maintenant avec mon pieds, j'enfonçais les yeux du cinquième dans ses orbites. Le dernier, contre le mur, essayait de me supplier. Je l'attrapais dans un hurlement bestial, le soulevais au dessus de ma tête, avant de briser en deux sa colonne sur mon genoux, tel une branche d'arbre. J'étais couvert de sang, je bavais, j'avais les yeux injectés de sang. Les autres détenus n'avaient pas bougé.


- Mais qu'as tu fait ? Nous allons tous être torturés à mort.

- Ils sont 23 gardiens dans cette prison. 4 sont au poste de sécurité. Vous prendrez les fusils des gardiens pour aller les exécuter et ouvrir les cellules. Il y en a 6 qui passent leurs soirées à jouer aux cartes dans leur dortoir et deux pédés qui baisent à la laverie. Pendant ce temps, avec le cinquième fusil, je vais essayer de vous dégager la route. Il en reste donc 6 qui circulent dans tout le bâtiment. Nous sommes armés et nous avons l'avantage de l'effet de surprise.


Ils étaient abasourdis par toutes ces informations.


- Mais comment sais tu tout ça ?

- J'ai 16 ans je crois. Je suis arrivé ici, j'avais 4 ans. J'ai pu en voir des choses en 12 ans. Surtout qu'un enfant, on ne se méfie pas.


Mes codétenus m'emboîtèrent le pas, avançant en cercle sur mes consignes pour ne pas se faire prendre à revers. Nous avancions dans ces longs couloirs et je me surpris à penser que la sécurité était vraiment à chier. C'est là qu'on voyait la décrépitude de l'empire. Nous pouvions continuer tout droit, mais à gauche, dans un couloir perpendiculaire, je vis deux gardes qui discutaient et essayaient de s'allumer une cigarette. Je fis signe aux autres de s'arrêter, je visais, enregistrant leur position, et dans un claquement, la lumière du couloir s'éteignit. Le reste ne fut que des hurlements inhumains. Je revins avec deux armes supplémentaires. Plus que 4. Nous continuâmes d'avancer vers le poste de sécurité. Deux couloirs plus loin, les 4 autres étaient là, à quelques mètres de notre destination. Encore une fois, je pris l'initiative. Nous profitâmes d'une perpendiculaire pour nous mettre à couvert. Un pistolet dans chaque main, je sortis de notre cachette et tirai 4 coups de feu. 4 autres morts. Je venais de découvrir que je visais bien et vite.

D'ailleurs, je ne sais pas si tu as déjà essayé de viser avec un pistolet russe, mais ça n'a rien à voir en terme de précision avec ceux que font les yankees. J'avançais vers la pièce close. Porte blindée. Comment allais je rentrer ? Je tâtais les murs autour et me rendis compte qu'autant ils n'avaient pas lésiner sur la porte, autant le tour était du plâtre de basse qualité.


Je m'arcboutai en tirant comme un sourd sur la poignée. Je commençais à voir les fissures se former autour de la porte. J'hurlais aux détenus :


- Tenez vous prêts.


La porte tomba enfin et les balles sifflèrent. Je laissai la porte me tomber dessus pour me protéger, allongé au sol. Une fois que les coups de feu cessèrent, je me relevai et je vis les 4 soldats morts, criblés de balles. 2 des détenus étaient morts aussi. Ça ne me fit ni chaud ni froid. J'enclenchai l'ouverture des cellules ainsi que de toutes les portes du bâtiment et hurlai dans le micro :


- Vous êtes libres camarades. Fuyez !!!!


L'effet ne se fit pas attendre et il y avait la queue devant la porte de sortie. Beaucoup hésitaient à la franchir, conscient qu'une nouvelle vie les attendait, pas forcément mieux que l'ancienne. D'autres, brisés psychologiquement, n'imaginaient pas et ne concevaient pas la liberté. De mon côté, je fis fi de ces considérations, franchis la porte et m'engouffrait dans ce blizzard ou chaque flocon est mortel, tel une lame de rasoir. Sentiment très étrange que de disparaître et naître en même temps. Nous étions un mois de janvier de 1988.

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