la vendeuse de mouchoirs

Emmanuelle Grangé



Je passe mon chemin, je passe l'hôtel Minzah – je n'ai pas beaucoup d'attention même historique pour cet établissement – et puis je reviens, je repasse.

Car il y a une jeune fille assise en amont de là où je descends, sur le trottoir, pâle très beau rare visage. Elle vend des mouchoirs papier Tempo.

On se fait moins aborder lorsqu'on est femme étrangère qu'homme étranger à Tanger, il me semble l'avoir éprouvé, ou parce que je marche vite et évite là où je crois savoir.

Voilà, je ne sais rien.

Il y a l'agent de circulation vers la rue du Mexique, qui me reconnaît avant que je le reconnaisse. Nous blaguons – il parle très bien français.

Il y a deux Espagnoles bouclées poudrées qui s'extasient devant Jill-Attends-Attends que je trimballe en poussette sur les trottoirs pourris.

C'est ça. Je ne pose aucune question, je vois à peine les visages, je les rase, je m'excuse presque. Je vois très bien le visage du dinandier sis à l'endroit des marches de la casbah dans sa toute petite boutique, tout mince. Et celui dans son échoppe cigarettes, cartes postales, journaux en contre bas du Minzah, tout mince pareil. Il y a aussi l'homme moins mince tous les jours bonjour monsieur, bonjour madame, assis sur les marches tout près de ma crèche dans la casbah. Un jour je leur montrerai la photo de chez moi où trônent une coupelle, un chandelier, un plateau, un miroir cabossé de chez là où je ne sais rien où traînent mes larmes de marche. Et puis ce paquet de mouchoirs Tempo que je n'ouvre pas que je garde en souvenir de cette si belle jeune fille que je ne reverrai pas. Il finira avec le temps au panier, ça n'est pas grave, pourvu le souvenir de ce visage unique qu'on ne me prendra pas.

J'aimerai tant m'ennuyer à Tanger.

 

  

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