La vengeance de La chouette (1)
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1. A table, dans le salon, à l’heure du dîner, mon mari et moi. Comme souvent, j’ai pris du plaisir à lui concocter un bon petit repas, préparé à la hâte, mais avec soin et créativité. Les enfants sont couchés, afin de nous permettre de passer du temps en couple, sans les chamailleries de notre tribu. Nous sommes en pleine discussion sur ma passion dévorante qu’est l’écriture. Et comme à chaque fois que nous abordons ce dossier épineux, j’en viens aux reproches. De toutes façons, tu ne lis même pas mes écrits. Mon chéri est le seul de mon entourage qui ne s’intéresse pas à ce qui est devenu en quelques mois mon loisir numéro un, que dis-je, mon unique passe-temps.
Il voulait un thriller, il m’a balancé ça entre le fromage et le dessert. « Les romans sentimentalo, des histoires pour gonzesses, tu comprends… c’est pas trop mon truc. » Ah, il veut du thriller ? Ben mon coco, tu vas être servi. Il m’a piquée au vif.
Je l’ai laissé, planté là, avec son reblochon et son nougat glacé. L’appétit coupé, je suis partie retrouver mon fidèle ordinateur portable tout de blanc immaculé, avec sa grosse pomme illuminée. Faut pas pousser La chouette à bout, tu veux du trash, tu vas en avoir, mais après ça, faudra pas venir te plaindre. Je suis montée sur la mezzanine, mon repère anti déprime, le seul lieu inaccessible pour les enfants, et pour lui également ; ils savent que lorsque La chouette est si haut perchée, il ne faut pas venir la faire chier. Je vais y passer la nuit probablement, mais tant pis, il vient de me fixer un challenge, je vais lui montrer à qui il a à faire, il ne fallait pas me provoquer. Me voilà calée dans mon antre, le Mac posé sur les genoux, la lumière tamisée à souhait. Entourée de mes bouquins. Mon endroit préféré, ma bibliothèque, où je stocke tous mes livres accumulés depuis l’adolescence. S’y côtoient Stendhal, Sartre, Malraux, Le Clézio, Musso, Lévy, Hobb, Connelly, Grangé, Larsson etc… Sous le toit, je surplombe notre bureau, je ne vois pas les montagnes qui nous entourent mais si je me concentre bien, j’entends le hululement de ma copine la chouette, les grillons qui s’éclatent dans le jardin, le chien qui grogne, il a senti la marte qui, comme toutes les nuits, se sert de notre haie comme d’un terrain de jeu.
Le lendemain matin, mon homme s’est réveillé, m’a embrassée, comme si de rien était. Tentant une approche câline, il s’est vu rembarrer sans ménagement. La chouette est vexée et sur ce coup là, quelque peu rancunière. Ce sera salade de cul tourné, en guise de petit déjeuner, celle là il ne l’a pas volée, non mais ! Monsieur est parti sous la douche, les enfants à moitié réveillés, un bol de lait sous le nez, en mère modèle, je m’occupe patiemment de ma progéniture. Ruminant la discussion de la veille, je jubile à l’idée du mauvais tour, que je suis entrain de lui concocter. Monsieur est prêt pour emmener les petits à l’école. La chouette n’attend qu’une chose, que tout ce petit monde face place nette. J’ai une vengeance à préparer, et c’est un plat qui se mange froid, très froid, je dirai même glacial. Un baiser sur chaque joue, un coup de brosse dans les cheveux, un gant sur les moustaches encore chocolatées. Mon soulagement ne vint que lorsque j’entendis le crissement des pneus sur le gravier, signal du départ tant espéré, et lancement des hostilités. J’ai une journée pour tout préparer. Mais avant tout, le coup de téléphone indispensable. « Allo belle-maman, j’ai une surprise à préparer pour votre fils ce soir. Vous pouvez garder les enfants chez vous pour la nuit ? » Belle-maman dévouée comme à son habitude, bien contente d’avoir les petits enfants chez elle a répondu favorablement avec un enthousiasme non dissimulé.
Il me reste douze heures devant moi pour mettre le plan à exécution. Que monsieur profite bien de sa dernière journée de tranquillité. Je m’engage à ne pas le décevoir, ce soir sera à la hauteur de ses espérances.