La vérité (4)

4. Le ton employé par la jeune femme a semble t il porté ses fruits puisque sa mère après un temps d’étonnement, de réflexion, se met à lui parler. Elle s’adresse à elle sans la regarder, les yeux rivés sur la baie vitrée donnant sur la Croisette.

« J’avais 15 ans. Lorsque j’ai compris que j’étais enceinte, je ne pouvais plus me faire avorter. Mes parents ont pris les choses en main et décidé à ma place. A mon époque, on ne discutait pas les ordres de son père... A peine suis-je sortie de la maternité, que j’ai été envoyée aux Etats-Unis finir mes études. J’y ai rencontré mon mari, je rentre en France seulement  pour passer l’été. »

« Et mon père ? »

« Le fils de la dame de compagnie de ma mère. Il n’a jamais rien su. Mes parents les ont renvoyés, du jour au lendemain, sans leur en donner la raison. »

Elle tord ses mains dans tous les sens, signe de son malaise de devoir mettre des mots sur un passé qu’elle souhaitait oublier.

« J’ai appris bien plus tard que mes lettres postées en cachette ne lui sont jamais parvenues. Je les ai retrouvées intactes, encore cachetées dans leurs enveloppes, à la mort de mes parents. Je me suis résignée à l’idée de devoir vous oublier lui et toi, ma survie en dépendait. »

Manon perçoit une pointe d’émotion, vite reléguée au second plan. On n’accorde que peu d’importance aux sentiments chez ces gens là, le contrôle doit être de tous les instants.

« Si j’ai accepté de te rencontrer, c’est pour te dire que je regrette tes souffrances. Mais également pour te demander de poursuivre ta vie sans moi et je continuerai la mienne sans toi. Mon mari et mes enfants ne savent rien de ce pan de mon existence et il ne vaut mieux pas qu’ils l’apprennent... »

A peine sa phrase terminée, sa mère se lève d’un bond, ramassant à la hâte ses lunettes et son sac à main.

« Vous ne pouvez pas partir comme ça, ce n’est pas possible ! »

Sans se retourner, elle quitte l’hôtel discrètement, sortant de la vie de Manon aussi vite qu’elle y est entrée. Manon ne la suit pas, trop choquée par ces révélations.