La vie chouette.(1)

C'était l'année où on avait tout largué: la montée du fuel, l'huile de palme, la vignette Crit'air, la pandémie sur la courgette à deux têtes, et le prix du tyrannosaure faisaient que sûrement quelque-part y'avait mieux ailleurs.

Avec Betty on s'était calé dans une caravane de Sherpas pour aller fabriquer du Cachemire sur les hauts plateaux Himalayens.

On peignait des chèvres à forte fourrure pour des pull-overs européens et franchisés, en chantant des chansons faciles; du Aznavour ou du Daho en fonction de la puissance des piles et de nos sentiments. Le soir, on mangeait du yaourt de yack et on s'embrassait devant le poêle en fonte émaillée en nous caressant les pieds.

Notre yourte, en peau de feutre, était décorée de tapis Afghans et de quelques grigris en plumes de poules Tibétaines qui faisaient qu'une allergie nasale pouvait se soustraire d'une conversation par un éternuement:

- T'as donné « Aaaaa... Aaaat... ! » aux chats ?

- Aaaaa... Aaaat quoi ?

- "AaaaTCHOUM" ! À bouffer ! Tu crois quoi ? Qu'un chat ça fait autre chose que bouffer ?

- Pas encore ! « Aaaa...! Aaaa... Aaaat...» Putain moi aussi... Ils sont où ? « Aaaaaaaaatchoum !!! »

- Ils sont où qui ?

- Les mouchoirs !

- Y'en a plus ! Faudra en prendre au Leclerc demain ! "Aaaa... Aaaat..."...

Pour Betty, tous les magasins du monde s'appellent Leclerc. C'est un terme générique qui désigne selon elle, un endroit où l'on vend du pratique; aussi bien de l'huile à moteur, de l'huile de monoï, que de l'huile à salade... et aussi des mouchoirs et des cornichons en vrac, suivant les saisons.

Notre Leclerc était situé à 2 ou 3 kilomètres d'aigle, ce qui finissait par faire sur la carte symbolique de nos déplacements, 2 à 3 journée en moto selon les éboulis, les goulets et la météo. On n'allait pas comme ça aux mouchoirs sur un coup de tête, on allait aux mouchoirs quand aussi le rhum ne descendait plus de la bouteille et que les cigarettes étaient toutes refumées dans le cendrier.

- Pense aussi à prendre du tabac, du papier, du Negrita et des pipettes au menthol pour le nez  !

- Des pipettes pour le nez ?

- Ben quoi, on l'a pas encore dans le cul que je sache !

Avoir le rhume en Himalaya était une affaire courante, mais les indices quant à savoir si tout cela dépendait des volatiles ou des tapis, faisait que l'expectative enrichissait notre imagination.

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