La vie de couple

Jean Louis Bordessoules


La vie de couple

Sketch

Jean-Louis BORDESSOULES

bordessoules@orange.fr

Durée approximative : 10 minutes

Synopsis

Un ou une journaliste reçoit l'auteur très traditionnel d'un ouvrage sur les relations dans le couple.

Personnages

La ou le journalistes

Le professeur Duchemin

Décor

Rien

Costumes

Rien

JOURNALISTE – Mesdames et messieurs, bienvenue dans notre émission quotidienne consacrée au savoir-vivre. J'ai aujourd'hui le plaisir immense de recevoir le professeur Ernest Duchemin, sociologue, maître de conférence au CNSR… excusez-moi, je pense qu'il s'agit du CNRS bien sûr…

DUCHEMIN – Du tout. Il s'agit bien du CNSR, le Comité National Socialiste Réactionnaire.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Le professeur Duchemin, qui vient de publier un passionnant ouvrage consacré à l'élevage… pardon, à l'éducation des enfants.

DUCHEMIN – C'est la même chose…

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Mais nous allons plutôt aborder aujourd'hui un thème qui lui est cher, celui du jeune couple. Le professeur Duchemin a en effet publié l'an passé un livre intitulé « De la fondation du couple, étude psychanalytique et sociologique des différents éléments concourant à la pérennité ou à l'éphémérité des associations bicéphales humaines ».

DUCHEMIN – C'est long comme titre, hein ?

JOURNALISTE – Je n'osais vous le dire, mais puisque c'est vous qui abordez le sujet…

DUCHEMIN – C'était pour emmerder les journalistes.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Alors, professeur, le jeune couple, quels conseils lui donneriez-vous ?

DUCHEMIN – La tradition. Il n'y a que cela de vrai. Il faut respecter la tradition.

JOURNALISTE – Mais encore, cher professeur Duchemin, pouvez-vous nous donner quelques exemples ? Des moments importants de la vie de tous les jours ? Le soir, par exemple, à l'heure où les téléspectateurs nous écoutent…

DUCHEMIN – Le soir ? C'est le moment symbolique. Le retour de l'homme à la maison doit respecter un rituel antédiluvien. Tout a été codifié dès l'âge des cavernes. La femme avait entretenu le feu toute la journée et accueillait comme un héros le mâle rentrant fourbu de la chasse au mammouth, heureux de se régaler d'une entrecôte d'auroch cuite au feu de bois…

JOURNALISTE – J'entends bien, professeur, mais les temps ont changé, tout de même…

DUCHEMIN – Non. La femelle – pardon – la jeune femme se doit d'accueillir avec respect l'homme qui rentre du travail. Elle doit lui préparer ses chaussons, son journal, son apéritif, sa pipe…

JOURNALISTE – Et s'il ne fume pas ?

DUCHEMIN – Une petite pipe n'a jamais fait de mal.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Pardonnez-moi de vous avoir interrompu, professeur…

DUCHEMIN – Elle doit le flatter, lui demander si sa journée s'est bien passée, etc. Et, important, bien poser la télécommande de la télévision sur la table du salon. Ne surtout pas allumer la télé.

JOURNALISTE – Je vous suis mal, cher professeur. Si la femel… la jeune femme doit tout préparer pour son compagnon, pourquoi ne pas lui épargner aussi d'avoir à allumer la télévision.

DUCHEMIN – La télécommande, cher monsieur, la télécommande ! Avez-vous remarqué la forme de la télécommande ? Non, bien sûr ! Un phallus, monsieur, un phallus ! Comme le sceptre des rois, l'obélisque de Napoléon, la crosse du pape ! Le phallus, symbole immémorial de puissance. C'est donc au mâle de manier cet artefact de sa puissance.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Et ensuite, professeur ? Que se passe-t-il ?

DUCHEMIN – Les préliminaires, cher monsieur.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. (très embarrassé)Vous savez, cher professeur, nous sommes à une heure de grande écoute, des enfants nous regardent, et certains sujets doivent peut-être, malgré leur grand intérêt, j'en suis persuadé, ne pas être abordés… de manière trop précise…

DUCHEMIN – Tatatata ! Rien du tout. Les préliminaires, représentent l'un des moments cruciaux de la soirée. Quoi de meilleur qu'une petite mise en bouche ? Hein ? Hé, hé ! Mais attention aux excès, tout de même. Un doigt, deux au maximum, au-delà cela peut faire mal. Vous êtes d'accord ?

JOURNALISTE – Certes, mais nous pourrions aborder un autre sujet…

DUCHEMIN – Mais absolument pas, l'apéritif est un moment de convivialité privilégié et au-delà de deux doigts de whisky, cela peut gâcher le dîner. J'insiste sur ce point.

JOURNALISTE – Ah ? L'apéritif… C'est curieux, j'ai cru un instant que vous parliez d'autre chose. Vous avez bien évidemment raison, cher professeur.

DUCHEMIN – Bien sûr que j'ai raison. Et après l'apéritif, le repas. Alors là, attention. Respectons bien là aussi la tradition. Pour le quotidien de la semaine, le courant, c'est la femme qui doit s'en occuper. Monsieur, lui, se mettra aux fourneaux le week-end, en particulier lorsqu'il y aura des invités.

JOURNALISTE – Permettez-moi d'intervenir, cher professeur, mais dans la plupart des couples, les deux travaillent, et disposent de ce fait d'autant de temps l'un que l'autre pour cette charge…

DUCHEMIN – Restons sérieux, s'il vous plaît. Même à nombre d'heures égal, l'homme est bien plus fatigué par son travail que la femme pour laquelle il ne s'agit le plus souvent que d'une simple occupation. N'y voyez aucun machisme. D'ailleurs, j'encourage ces messieurs à complimenter leur épouse sur la qualité de sa cuisine. En particulier dans les jeunes couples où les premières années sont celles des expériences culinaires parfois périlleuses. Ne pas hésiter à dire que le clafoutis aux cerises et lardons fumés est une excellente idée avant d'aller vomir discrètement aux toilettes. Il faut respecter la femme, j'y tiens.

JOURNALISTE – Vous estimez donc, professeur Duchemin que malgré la « place prépondérante de l'homme dans le couple, celui-ci doit continuer de faire la cour à sa compagne » ; je cite la page 92 de votre livre…

DUCHEMIN – Absolument, cher monsieur. Le mâle devra sacrifier à tous les rites traditionnels : la fleur et le restaurant, pour la Saint Valentin, idem pour l'anniversaire, etc.

JOURNALISTE – Mais n'y a-t-il pas contradiction, voire hypocrisie entre un comportement dominant et ces attentions fort délicates ?

DUCHEMIN – Nous reproduisons simplement les schémas naturels. Le mâle fait sa danse de séduction pour dominer ensuite sa femelle. C'est de l'écologie, cher monsieur, de l'écologie copulatoire. Le rôle essentiel de la femelle reste de perpétuer l'espèce et de servir le mâle.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Vous faites très souvent le parallèle entre les animaux et les humains en démontrant que le comportement de ces derniers est finalement très proche de celui des premiers. Qu'en est-il du rapport humains-animaux ?

DUCHEMIN – Très simple. Hormis dans les milieux traditionnels où l'animal garde le troupeau, chasse, monte la garde, etc., l'animal de compagnie répond à un besoin de domination ou encore à un manque affectif.

JOURNALISTE – Vous êtes sévère, professeur. Les humains ne sont pas tous des malades mentaux ou des déséquilibrés.

DUCHEMIN – Pas tous, en effet, je vous l'accorde. Mais vous m'avez encore interrompu.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Pardonnez-moi, professeur… vous disiez donc.

DUCHEMIN – Vous n'aviez qu'à écouter. Ce que je disais est en particulier vrai pour les jeunes couples. L'animal de compagnie est l'étape quasiment incontournable de préparation à l'éducation des enfants. C'est la préparation psychologique, l'entraînement, le stage commando qui prépare à la vie de parent. Finie la liberté de sortir quand l'on veut et comme l'on veut. Chez les amis ou la famille ? Au cinéma, au restaurant ? A l'église, à la mosquée, au temple ou au supermarché ? A chaque fois se pose la question : que fait-on de l'animal ? Et bonjour les contraintes : les crottes à ramasser, le dressage, le vétérinaire… Quelle belle formation !

JOURNALISTE – Vous parliez de contraintes, professeur, j'aimerais que vous présentiez à nos auditeurs votre position sur le ménage… Vous avez probablement comme beaucoup vécu ce genre de situation où l'un dit « ce n'est pas très sale, on verra demain » et où l'autre répond « mais si, c'est immonde, je ne supporte plus de vivre dans une porcherie »…

DUCHEMIN – Tout à fait. Entre la stérilisation obsessionnelle et la procrastination crasseuse, il faudra au jeune couple savoir choisir le juste milieu. L'idéal serait, bien évidemment, que madame s'acquitte de cette tâche seule, mais comme, vous me l'avez fait remarquer fort justement, elle travaille de plus en plus souvent, et manque de temps pour faire correctement – j'insiste sur le « correctement » - le ménage.

JOURNALISTE – Donc pas de solution ?

DUCHEMIN – Je préconise un travail d'équipe. Partager cette corvée en couple pour s'en débarrasser au plus vite. C'est dans l'adversité que le couple se forme, que l'équipe se soude. D'ailleurs ne dit-on pas « se mettre en ménage » ?

JOURNALISTE – Faire le ménage contribue donc, selon vous, professeur Duchemin, à renforcer les liens qui unissent le ménage ?

DUCHEMIN – Exactement. Mais ce qui unit surtout le jeune ménage, c'est le plumard ! Et quand je dis plumard, je ne pense pas spécialement au sommeil… vous m'avez compris… pour une fois.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Nous avons abordé les conseils sur ce qui rapproche les jeunes couples. Qu'en est-il des dangers auxquels ils risquent de s'exposer ?

DUCHEMIN – La belle-mère, forcément. Depuis la nuit des temps, la belle-mère est le principal ennemi du couple. Alors là, un seul conseil : profil bas. Et une règle d'or : flatter la belle-mère. Elle a enfanté un être d'exception qui frise la perfection et qui a l'extrême charité de gâcher sa vie avec un vermisseau putride et pestilentiel. D'autre part, la belle-mère est toujours la meilleure cuisinière que la Terre ait porté ; c'est la seconde règle avec elle. A partir de là, tout devrait à peu près bien se passer.

JOURNALISTE – Merci de ces conseils, cher professeur. Et quels autres dangers guettent nos amoureux ? La politique, le sport, la religion ?

DUCHEMIN – La religion est un sujet sensible. Si l'un est croyant pratiquant et l'autre pas, cela pose le problème du culte. Traîner un inculte au culte, c'est risquer des coups de pieds au culte. Y aller en cachette, aller au culte de façon occulte, n'est pas mieux. De toute façon, il ne faut pas être obsédé par le culte, même si le culte occupe.

JOURNALISTE – (un temps) Bien-bien-bien-bien. Et les loisirs ? Il est en effet rare que les deux jeunes gens aient les mêmes passions…

DUCHEMIN - Il faut que chacun s'épanouisse, ait ses propres activités, mais pas trop pour ne pas perdre la vie de couple. Si, par exemple, monsieur aime le foot et madame le tricot, pas de problème : madame accompagne monsieur sur les bancs du stade de foot et en profite pour tricoter. A éviter si toutefois madame aime le tir à l'arc, un accident est vite arrivé. Par contre si madame fait du théâtre et monsieur de la politique, c'est aussi tout à fait compatible.

JOURNALISTE – Eh bien nous allons vous remercier, professeur Duchemin pour tous ces précieux conseils que ne manqueront pas de suivre tous les jeunes couples qui nous ont écoutés. En résumé, que les jeunes ménages ne ménagent pas leurs méninges pour imaginer leur ménage, c'est la magie du ménage.

DUCHEMIN – Et vous êtes fier de vous ?

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