La vie du harcèlement

Odile Rousseau

La vie du harcèlement

« On n'est pas celui que l'on voit dans le miroir. On est celui qui brille dans le regard d'autrui. »

 

Julien avait toujours bien travaillé à l'école ; ça voulait dire quoi au juste ?

Quelle contradiction !

 

Combien de fois depuis le CP avait – il été puni, écarté, harcelé par les enseignants et même par les élèves par un phénomène de mimétisme et d'appartenance à l'espèce des forts contre un plus faible et vulnérable.

 

Aujourd'hui, en cette fin de 4ème de collège, il ne pouvait se dépêtrer de toutes ces injustices, de tous ces sentiments qui avaient fini par noircir son cœur et il n'était plus capable de voir la petite lumière encore allumée des délices de son enfance et celle confondue des absolus de l'adolescence.

Il broyait de sombres pensées en permanence, il doutait de ses  capacités, il en venait à détester l'école, il rêvait de meilleurs parents plus tolérants, moins « chiants », il fantasmait sur une copine dont il ne connaissait ni le nom ni le visage ; une copine seulement.

Julien se retranchait de plus en plus devant  ses écrans, bien que les heures fussent contrôlées, il gérait avec un certain succès son portable, son PC et la PS4.

Parfois il pensait qu il y avait un Autre-lui dans sa tête, moins cool, plus sombre, plus démoniaque. Il lui arrivait même de se faire peur quand il réveillait l ' Autre ; l'Autre avec sa voix d'outre tombe, un cousin de Dark Vador ?, l'entrainait vers des idées morbides, lui inspirait des rancœurs envers les élèves de sa classe que Julien n'appelaient plus les copains mais « Ceux  de ma classe ». L'Autre ne tolérait plus personne,, lui donnait le sentiment d'appartenir au monde noir des persécutés, acceptait de laisser monter des idées qui auraient pu le faire basculer définitivement dans l'irréel.

Julien , du très haut de ses 14 ans savait tout cela et cette conscience lui permettait de reprendre pied, en s'excusant d'être aussi cet Autre. Comment reprendre contact avec la réalité ? Comment taire cet Autre ? Comment parler de ce qui le faisait souffrir ? Devait il garder tout cela pour lui ? Comment vivre en perpétuel déséquilibre ? Comment pouvait il s'aider ?

Une nuit, après une dispute mouvementée avec son père, il fit pipi au lit. Il sentit la chaleur de l'urine se répandre sur son ventre et sur son pyjama puis l'inconfort du liquide froid sur les draps, sur lui, le laissant paralysé. Alors sa vie, ses émotions vives remontèrent à sa conscience au fur et à mesure que son corps se glaçait. Tout se télescopait dans sa tête ; il aurait fallu une multitude de bobines pour démêler les fils de ses idées percutantes, contradictoires qui semblaient l'envahir comme de fins serpents qui auraient relevé leur corps dans une ondulation désarticulée.

Quels moyens avait Julien, au milieu de la nuit, au milieu du désarroi qui le submergeait, quels moyens avait-il donc de retrouver une paix relative ?

Tant qu il ne se lèverait pas pour se changer, pour changer les draps, il resterait dans cette forme de prostration,. Il se rendormirait peut être et par la même occasion remettrait à plus tard la clairvoyance qui le sauverait de lui-même et l'amènerait certainement à la sérénité.

Au matin, il se réveilla. « Fait CHIER ! » Engueulade, dépit, honte ? La journée s'annonçait mal. Les profs allaient lui pourrir la vie comme tous les jours. Oui c'est sûr, vicieux, ils seront heureux de lui faire la honte devant les autres parce que

-          Il n'a pas levé la main avant de parler

-          -il n'a pas fait le devoir à la maison

-          - il a zéro car l'écriture de nul sur la feuille a brisé la vue du prof

-          - il est insolent

-          ………

ET MERDE !!! et toujours dans son pyjama.

Belle journée en perspective !

Sa mère avait géré avec beaucoup d'indulgence et d'amour cet accident nuital qui se répèterait aussi longtemps que Julien tairait son mal.

Comme d'habitude, il courut après le bus en avance ou lui en retard ; il courut donc jusqu'au collège se blindant en chemin pour éviter tous les rires moqueurs, soupçonneux ou perfides de Ceux de sa classe.

Les filles l'ignoraient mais avait il fait un effort pour qu'une fille ne l'ignorât pas ? Cette Virginie, elle était mignonne, elle lui avait parlé une fois mais si Julien savait se servir d'un couteau et d'une fourchette, il ne savait rien de la mise en relation garçon-fille. Savait-il écouter ? Savait-il s'intéresser à un autre, à une autre ? Savait-il qu'il fallait donner un peu de son temps, sortir la tête des écrans pour VOIR l'autre ?

« C'est pourri de toute façon ! » affirmait il avec hargne. Jamais il n'aurait une copine, jamais il ne plairait à une fille.

« Tu me trouves beau ? » demanda-t-il un jour à sa grand-mère.  Elle fondit de tendresse pour lui , pour tout ce que signifiaient les silences, les non-dits . Quelle image avait-il de lui ? Quelle confiance avait-il en lui finalement ? Comment se construit la conscience de soi et comment se détruit –elle, par quels facteurs intérieurs ou extérieurs ?

Trop de questions, trop de tout, mare  de tout.

« Pourvu que ma mère ne me prenne pas la tête. »  Julien lui en voulait  beaucoup. Et dès qu'il l'avait bien énervée, après qu'elle ce fût bien mis en colère, qu'il partît dans sa chambre dans un état de nerf disproportionné, il revenait vers elle en s'excusant et l'embrassant, réclamant un câlin qu'elle lui donnerait volontiers. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû s'énerver ainsi mais faut pas pousser non plus. C'était le type de relations qu'ils avaient mis en place avec le temps, c'était nécessaire, très énervant et chaque fois elle lui disait combien il était important pour elle. N'était ce pas une situation finalement confortable ? Mais Julien ne pouvait l'analyser ainsi.

Ses parents l'avaient déjà conduit vers un thérapeute, il n'avait pas juger utile d'y retourner car il n'était pas capable de trier, de dire, de penser que partager soulagerait un moment son esprit. Il n'était pas assez en colère quand il s'asseyait devant le psychologue pour dire ;

« Mes parents veulent que je vous rencontre pour que je vous parle du collège, des profs, de Ceux de ma classe mais en fait c'est pour que j'accepte tous les interdits parentaux . Ma vie ne tourne qu'autour des obligations et des interdictions (obligations de vider le lave -vaisselle, le lave-linge, les poubelles) et quand j'ai fait tout cela, ce n'est plus mon heure de jouer. Ma vie sociale est nulle car je passe plus de temps à demander ou mériter de jouer, qu'à jouer réellement. »

Mais était-ce réellement une vie sociale que de se retrouver seul devant un écran ? Même s'il jouait avec d'autres en ligne, sa vie sociale flirtait bien avec un zéro pointé.

 

  • Tendre et bien vu ! :) Cela donne une dimension empathique à laquelle le héros de cette brève histoire n'a pas accès lui-même...

    · Il y a plus de 4 ans ·
    20161129 091109

    mysteriousme

    • Bonjour Mys !!!! merci pour votre lecture
      je suis en train d'écrire une suite à cela....merci pour votre intérêt

      · Il y a plus de 4 ans ·
      Default user

      Odile Rousseau

    • Super :)

      · Il y a plus de 4 ans ·
      20161129 091109

      mysteriousme

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