La vie est pire qu'un film d'horreur

bartleby

Je n'ai jamais aimé les films d'horreur. Les polars, les thrillers, oui. Mais l'horreur, le gore, les scènes de tortures physiques et mentales, les monstres-humains, les zombies et même le chat qui entre dans le champ soudainement en faisant « mwwwwiiiww !!!! » alors que le héros marchait avec prudence dans un couloir silencieux, non. Je n'y arrive pas, c'est trop pour moi.

J'ai des amis qui en sont friands et me parlent de leurs séries Netflix préférées, qui me racontent leurs premières découvertes au cinéma : « Ça », « Evil Dead » « Dolls » et plus tard « 10 Cloverfield Lane », « Blair Witch », « Grave », « Ouija »… La liste est longue. Je ne sais même pas si celle-ci, non exhaustive, reflète bien ce que peut être un « bon » film d'horreur. On aura beau me dire que ce genre au cinéma est excellent pour draguer. Enfin, était… Non, je n'ai jamais pu y adhérer. « Les Gremlins » pour moi, c'était déjà bien assez (hooooouuu ! ). Oh ! C'est bon, ça va…

Mais un jour, on m'a ligoté sur une chaise, posé un bandeau sur la bouche, mis des allumettes entre les yeux pour que je ne puisse les fermer. Et on m'a dit « Regarde. Tu vas voir ce que jamais tu n'as pu découvrir auparavant ». Je voulais me débattre, me relever et partir loin. Mais la VHS semblait me narguer en disant « Essaye-moi. T'es pas cap ? ». Piquée au vif, et pensant que mes quelques années en plus depuis la série des « Gremlins » étaient loin derrière moi, je suis restée face à ce qui allait pour moi être le plus affreux des spectacles. J'avais mes idées préconçues. Il y aurait du sang, des flammes ou des noyades, des meurtres barbares, des cris, des images intenables, un héros qui courrait dans tous les sens et face à tant d'horreur, deviendrait à la fin encore plus horrible que les fous-méchants.

 

Petite parenthèse, si un amateur de ce genre de films peut m'aider. Je me souviens avoir zappé et être tombée sur un film (ou une série, un téléfilm), il y a plus de 15 ans : un homme et une femme fuient. Je les revois courir comme des dingues et la fille est pétrifiée par la peur, n'arrive plus à avancer (enfin, dans mon souvenir, c'est comme ça que ça se passe). Du coup, le type la passe sous la douche. D'abord glacée, puis très chaude, puis reglacée, puis rechaude. Comme ça, très vite. J'y repense parfois quand je suis sous la mienne, le matin et que je règle le robinet avec la tête dans les choux.

 

Enfin, bon, vous voyez, ça fait 15 ans ou plus et il m'en reste encore des souvenirs (ou ce que je pense en être). Les films d'horreur provoquent un genre d'attraction inévitable. On se scotche vite face au sensationnel. Je ne le savais pas ou plutôt, je ne le croyais pas lorsqu'on m'a mis la bande devant les yeux. Et ce qui devait arriver arriva :

- « Repassez-moi la bande. Y a sans doute un truc que j'ai manqué ou mal compris… ».

Puis j'ai demandé à ce qu'on la remette encore. Puis encore. Encore. A chaque fois, je voyais de nouveaux détails, alors il fallait recommencer le visionnage.

A la fin, je n'en dormais plus la nuit. Je faisais des cauchemars, jusqu'à en délirer, me réveiller en sursaut. Les images, les cris. Cela devenait de plus en plus grave. Mais je ne voulais pas parler de ma peur à qui que ce soit. Lorsque je me regardais dans la glace, je voyais mon visage devenir cireux, comme s'il était prêt à fondre, ma poitrine et mon ventre recevaient sans arrêt comme des coups de poignards, je respirais mal. Mais pire que tout, je ne parvenais pas à pleurer. Je souffrais intérieurement et rien ne sortait plus. Une rage s'emparait de moi. Allais-je devenir moi aussi un monstre ? Me transformer les nuits de pleine lune ? J'en étais presque parvenue à cette conclusion. Puis cela a été trop dur à vivre. Alors j'ai mis mon index et mon majeur dans la bouche, de la même manière qu'une personne s'apprête à rejoindre son Créateur et je me suis fait vomir. Longtemps. Et tout cela semblait venir de loin, de très très loin ! Je me suis sentie vidée. Mais encore plus mal. Différemment. Et plus qu'avant.

J'ai promis à mes amis que je n'y toucherais plus, que j'étais finalement trop sensible (cqfd) pour supporter de telles images. Ce n'était qu'un film sensationnel. Et il était ma foi très bon dans son genre. Aujourd'hui, je me dis que j'aurais bien voulu prendre le temps de l'écrire moi-même, ce scénario. A vrai dire, peut-être suis-je douée sans le savoir et que je loupe ma vocation ?

Je déconne. Je suppose qu'il faut parvenir à se détacher un maximum de la fiction pour qu'elle devienne « presque crédible » aux yeux de lecteurs potentiels. Et ce ne serait pas mon cas. Je me rends compte aussi des images chocs que nous balancent les médias sans vergogne, les films américains ne font pas mieux. La peur est véhiculée trop vite. Il faut savoir prendre du recul et faire la part des choses en toute intelligence. Mais ce n'est pas si simple, je l'admets.

Maintenant, la VHS ? Ben, je l'ai mise dans un coin, je n'y touche plus. Rien qu'à sa vue, j'en tremblais encore. Alors j'ai acheté un coffre et l'ai déposée à l'intérieur. Puis j'ai jeté la clé par la fenêtre. Ce n'est donc pas la peine d'insister.

 

J'ai appris quelque chose, hier. Les films d'horreur ne sont rien comparés à la dureté de la vraie vie et de ses drames. Quand on prend le temps de toucher à la réalité et de bien la voir, on s'aperçoit qu'il est difficile de la comprendre et de la considérer dans toute sa brutalité. Mais il faut, même si c'est extrêmement dur, essayer de l'accepter, de la voir en face, cette vie et la violence qu'elle peut engendrer. Il faut se dire aussi que le temps n'efface rien de la peur. Les blessures restent béantes si on n'en parle pas. La médiocrité, le mal que l'on peut faire quand on est hors de soi ne peut s'oublier. Mais peut-être est-il possible de les rendre pardonnables. A soi-même d'abord, puis aux yeux de ceux que l'on a agressé.

Oui, la vie est pire qu'un film d'horreur, j'en suis désormais persuadée.

 

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