La ville dans la ville ou La pieuvre noire
saurimonde
Une petite pluie tombait sur La ville dans la ville et le ciel était gris. Des tours noires cyclopéennes se dressaient sur une bourbe obscène. Ces hauts étaient les seules habitations des esclaves qui vivaient dans cette ville, ces tours ne possédaient nulles fenêtres ou moyens de voir au dehors lorsqu'on se trouvait à l'intérieur. Chacune de ces tours possédaient une centaine d'appartements d'une unique pièce où chacun ne pouvait et ne devait y vivre qu'à une personne seule. Il y avait une couchette très fine sans couverture, des toilettes et un radiodiffuseur inatteignable, imbriqué dans le mur. Ce radiodiffuseur diffusait chaque jours les diffusions choisies par ceux qui dirigeaient la ville. Par ailleurs pour les gens habitant cette ville, la ville ne s'appelait pas La ville dans la ville, mais L'Ordre Parfait. Ils n'étaient en aucun cas au courant d'une existence extérieure à cette ville, car tout autour de la ville s'érigeaient quatre grands murs d'une hauteur et d'une épaisseur immenses. La raison pour laquelle on en était arrivé là était très simple, bien avant de la construction de La ville dans la ville, la bourgeoisie ayant eu marre de la société des indigents dont ceux-ci étaient stupides et se répétaient souventefois à voler ou à commettre des délits, avait fait voter l'isolement des gens pauvres dans une ville à part qui pourrait s'autogérer. La ville a alors été construite à l'intérieur de la ville, la population intrinsèque s'étant proliférée, de grandes tours noires ont continué à être bâties de plus en plus rapprochées les unes des autres, ce qui donnait maintenant pour cheminer d'un endroit à l'autre de la ville un parfait labyrinthe, semblant aux tripes d'un dieu noir, une ville tentaculaire, une pieuvre noire. Les rayons du soleil ne purent même plus atteindre les lacis de la ville, ce qui la plongea dans un sombre crépuscule définitif. Lorsqu'on levait les yeux au ciel puis que l'on voyait seulement une faible lumière tout en haut qui paraissait si distante comme une bougie qu'on aurait allumée au fond d'un puits insondable, les gens disaient : « Quelle journée ! Quelle charmante journée ! » La ville avait été mise sous le commandement du Professeur Katsandiss, personne ne s'intéressait vraiment au sort de cette ville à vrai dire, c'est pourquoi l'homme qui était un très connu philosophe juif se fit tout de suite autoriser l'administration totale de La ville dans la ville, celui-ci put y exercer toute sa perversité sans contraintes. Au dehors il ne fit que transmettre de fausses photographies ou de fausses informations sur l'état actuel de la ville pour qu'on puisse le laisser exécuter ses monstruosités dans l'ombre, de toute façon personne n'avait envie d'y pénétrer pour vérifier la véracité de ces objets. Quand la ville changeait de Dirigeant elle était toujours mise sous la main d'un membre du même groupuscule occulte. A l'intérieur, chaque habitant se trouvait être presque identique, personne ne possédait plus de traits ne pouvant le rendre singulier. Personne n'avait le droit de s'apparier sauf lorsque L'Ordre Parfait assignait les personnes les moins cacochymes entre elles dans le but de faire perdurer la population. Les vivres et les points d'eaux étaient drogués de telle façon à ce que chacun perdit peu à peu l'usage de l'esprit et de sa force physique, plus aucun poil ne poussaient sur leurs corps, ils avaient pour tous le corps, le visage, le crâne les plus glabres qui soient pour les hommes ainsi que les femmes. Tous avaient une constitution chétive, nous étions à un point où le passé se perdit totalement dans l'oubli, c'est pourquoi cet endroit semblait être pour le peuple le seul endroit n'ayant jamais existé et qui existait. De moins en moins de gens savaient lire, les gens ne se parlaient presque plus sauf pour les commodités leur servant à survivre, c'est à dire le travail, le commerce, la vente, les achats. Les noms ainsi que les prénoms s'étaient changés en des numéros. Lorsqu'une femme enfantait, l'enfant devait dés 12 ans se voir être amené à vivre seul dans un autre appartement puis avoir un travail. Parfois le Dirigeant faisait prendre certains enfants on ne sait pourquoi, on ne les revoyait jamais. Il était léthifère d'aller contre L'Ordre Parfait qui avait été établi. C'est à dire qu'il était interdit de se rendre à un autre endroit que celui de son travail, de son appartement ou de se rendre à un endroit pour une autre raison que pour acheter promptement ce dont on avait besoin à sa survie. Dénoncer un individu suspect était un des seuls moyens de se faire plus d'argent qu'accoutumé, le quidam dénoncé était sans jugement et sans recherches approfondies tué publiquement, d'ailleurs aujourd'hui B657 se rendait à l'appel de la sonnerie comme tout le monde sur la place publique car une exécution avait lieu. Une foule vermiculaire fourmillante de monde se trouvait alignée devant une estrade gigantesque sur laquelle se trouvait le Dirigeant, derrière lui une vaste bannière noire s'étendait avec en son centre un cercle blanc, en dessous de ce cercle il était écrit :
L'Ordre Parfait pour une vie parfaite
Le Dirigeant portait une casquette blanche enfoncée jusqu'au-dessus de ses yeux ainsi que des habits blancs, sa police portait également des vêtements blancs, alors que les asservis portaient des vêtements noirs. Intégrer la police était le travail le plus prestigieux que pouvait atteindre un habitant de L'Ordre Parfait, pour espérer acquérir ce rôle il fallait faire preuve d'une servilité conséquente et dénoncer quiconque ne serait-ce que pour les incartades les plus insignifiantes. Il était le travail le mieux payé. Le Dirigeant devant la foule cria dans son micro, un son strident se mit à tonitruer et à résonner entre les quatre murs de la ville.
— Je vous ai donné L'Ordre Parfait, la stabilité, des toits, à manger, un monde qui marche sans entraves. Voyez ces pauvres fous qui sont allés contre cet Ordre ! Qui ont voulu la destruction du Parfait !
Il pointait du doigt six condamnés à mort à sa droite au bas d'une des tours, soit à la gauche des chenilles auxquelles il s'adressait. Ces six condamnés étaient ligotés dans de solides cordes, ces cordes passaient par un système de poulie jusqu'au sommet de la tour. Toutes les limaces se mirent à huer les condamnés :
«Bande de chiens !» ; «Crevez !» ; «Sale fous !» Les gens allaient jusqu'à cracher et à lancer de la boue sur eux.
Les condamnés étaient en réalité trois personnes accusées à tort qui n'avaient causé guère de mal à l'Ordre Parfait. Ainsi que deux femmes ménopausées et un vieillard. Mais aujourd'hui ils allaient servir d'exemple pour satisfaire le peuple dans son envie avide de voir mourir les démentiels forcenés.
Ils avaient de la morve qui leur coulait dans la bouche, des larmes qui coulaient jusque sur leurs pieds et il s'exhalait de leurs corps tremblants des effluves excrémentiels. Ils criaient :
«Je n'ai rien fait, on m'a accusé sans raisons pour avoir de l'argent !» ; «Pitié je serai le meilleur esclave, je serai servile !» ; «Je ferai tout et n'importe quoi !»
Evidemment pour eux il était déjà trop tard, tout le monde le savait.
« Menteurs ! Fous ! Vous allez payer ! » Tous les asticots s'agitaient en hurlant.
Le Dirigeant reprit la parole :
— Pour avoir tenté d'être contre l'Ordre Parfait, de le nuire à lui, à son peuple, je condamne ces fous et ces folles à la peine d'être réduits en bouillies !
Les vers hurlaient de joie en sautant, en levant les bras au même moment que les six condamnés étaient tirés par les cordes lentement vers le sommet de la tour. Ils se débattaient avec impuissance tout en pleurant pitoyablement.
Les jubilations de la foule lombricoïde étaient à leurs états paroxysmiques, B657 qui se trouvait au milieu de ce charivari imitait par accoutumance ses semblables. Les fous étaient arrivés à la cime de la tour d'ébène, brusquement, après quelques secondes à être restés suspendus tout en haut, ils tombèrent tous de façon expéditive vers le sol et une explosion de sang, des échantillons de chaire et des éclats d'os éclaboussèrent la cohue qui hurlait de joie. Puis le reste des carcasses encore tenu aux cordes était relevé pour rendre ostensible tout ce qui restait de la pauvre dépouille des condamnés, soit une purée d'où coulait quelques boyaux ainsi que quelques morceaux humains. Les ascarides, après avoir jeté encore quelques projectiles sur la marmelade humaine, rentrèrent chez eux.
Le lendemain la vie continuait, B657 retourna à sa boucherie où il s'occupait de découper des viandes d'animaux infectes pour les revendre. Souvent en sortant du travail il allait voir la marchande de patates pour lui en acheter, elle travaillait non loin de chez lui. Il aimait son regard plus que toutes les autres femmes, bien que tous étaient pareils il aurait pu reconnaître son regard parmi un millier d'autres. Ils n'avaient rien à se dire et n'avaient droits de se dire quoique ce soit. Cependant il continuait à la voir pour la contempler quelques instants car à sa vue des sensations dans son cœur se faisaient. C'était la seule sensation existante en dehors de l'adiaphorie constante et de la léthargie de tous ses autres sens. Même s'il était jeune il était déjà depuis longtemps mort émotionnellement. Cependant il ressentait des choses en la compagnie de cette femme, quelque chose d'indescriptible. Les jours, les semaines filèrent ainsi. De plus en plus il regrettait qu'on ne puisse vivre librement avec au moins une personne de son choix et qu'on ne puisse passer les murailles. Il évitait de rendre trop souvent visite à cette fille, pour ne pas faire preuve d'une attitude étrange qui lui serait passible de mourir. Un jour qu'il préparait des saucissons tout à fait dégueulasses, un morceau de papier vint voler jusqu'à pénétrer dans la boutique et restait collé contre le mur. Il hésita avant d'aller chercher voir de quoi il s'agissait, puis après avoir regardé autour et voyant qu'il n'y avait personne il prit le papier. B657 faisait partie des gens à savoir lire convenablement car longuement il lisait les tracts qui disaient d'un milliard de façons différentes que l'Ordre Parfait était si parfait, pour passer le temps. Sur ce papier il était écrit :
J'ai écrit ce papier pour ensuite le jeter au vent en espérant qu'il tomberait entre les mains de quelqu'un, pour le prévenir de sa condition qui est en réalité malheureuse. Je peux vous affirmer qu'au dehors la vie est magnifique et que l'l'Homme doit être libre. Il n'a aucune obligation et doit baigner pleinement au soleil. Les femmes sont belles et sentent bon, il y a de la verdure ainsi que toutes sortes de couleurs. Pour goûter à ces joies vous n'aurez qu'à trouver un moyen de passer au-dessus du mur, vous avez tout à y gagner.
Tout d'abord, il ne croyait pas à une beauté ni à rien d'autre d'existant à l'extérieur, mais d'un autre côté il était fort las de cette vie dans laquelle il ne pouvait pas vraiment vivre avec la fille dont la compagnie lui plaisait admirablement bien. Il se dit à lui-même que même s'il n'y avait rien au dehors de ces murs géants, s'ils s'y rendaient avec elle ils pourraient vivre à deux, libres, chaque jour il serait heureux. Cette idée lui resta dans un coin de la tête et d'autres semaines filèrent avant que deux hommes entrèrent dans son échoppe.
Ils se ressemblaient fortement l'un l'autre, l'un demanda d'abord une côte ignoble de porc, et après un bref instant il dit :
— Qu'avez-vous pensé de l'exécution de la journée dernière ?
Les deux hommes semblaient anxieux.
D'abord B657 prit son temps pour réfléchir avant de simplement répondre :
— C'était un peu... violent.
Les deux hommes se regardèrent, puis toujours le même orateur lui lança avec prestesse :
— Nous avons trouvé un moyen de passer par-dessus les murs, nous avons besoin de vous et de vos couteaux de boucher pour tuer cependant quelques gardes pour nous enfuir.
Ils se regardèrent tous non sans affolements. L'homme voyant qu'il ne répondait pas rajouta, plein de nervosité :
— Je suis constructeur de tours, et voici mon frère, n'ayez pas peur ! une fois alors que l'on me demandait comme à l'habitude de ne pas regarder autour, mais de me concentrer sur le travail au sommet de la construction d'une tour, j'ai regardé un instant au loin et j'ai vu qu'il se trouvait en dehors des murs des choses dont je ne saurais vous les décrire avec des mots, il y a quelque chose, je l'ai vu !
B657 repensa à la vendeuse de patates et se dit que s'il la prenait avec elle ils pourraient vivre à deux.
— D-d'accord ! Comment voulez-vous vous y prendre ??
— J'ai la clé d'un bâtiment qui contient toutes sortes d'affaires concernant les chantiers de construction, il s'y trouve une échelle assez grande pour passer par-delà un des murs à l'est. On se retrouvera la nuit de demain à minuit précisément ici-même pour prendre des couteaux et se débarrasser du gardien gardant l'entrée du bâtiment puis des autres s'ils s'en trouvent.
— Tenez, votre côte de porc, puis en chuchotant, je vous attendrai ici à minuit tapant.
Le lendemain survint et à l'heure où il ferma boutique il se rendit chez la vendeuse pour la convaincre de le suivre et de partir avec lui. Il ne savait pas comment entreprendre la démarche de la faire venir avec lui dans cette escapade plus que mortelle. Alors nébuleux il lui parla d'abord ainsi :
— Bonsoir.
— Bonsoir, lui répondit-elle, vous désirez quel genre de patates ? — j'en ai des immondes et des putrides.
— Je ne suis pas venu vous voir pour acheter ni des patates immondes ni des patates putrides.
— Ah ? Pour quoi alors ?
Il voulait lui aussi réussir à dire de belles choses comme dans le mot que le vent lui avait apporté mais il n'y arrivait pas, il voulait dire de jolis mots mais il ne pouvait pas.
— S'il te plaît, oublions tout. Viens avec moi. Oublions cette ville où nous ne sommes pas libres pour aller vivre au-delà du mur, ce sera tellement mieux quoiqu'il s'y trouve. Avec deux autres esclaves nous avons mis au point un plan sans failles pour sortir ce soir à minuit pile.
Il avait parlé avec passion et maintenant tout ce qu'il attendait d'elle était son consentement.
— Vous êtes totalement fou ! Elle le regardait avec horreur, c'est l'idée d'un malade, ne revenez jamais me parler ou même ne serait-ce qu'acheter une patate malpropre.
B657 eut la sensation que la ville entière lui tomba dessus, comment ne pouvait-elle ne pas comprendre, ne pas l'aimer ? il pensait : «Pourtant la boucherie que je tiens est juste près de sa baraque de patates, combien y avait-il de chances que nous soyons autant liés ?» En réalité, la simple rencontre de ces deux individus relève de l'irréel, combien de chance la Terre avait-elle eu de chance d'exister seulement ? Le système solaire ? La voie lactée ? L'univers ? La contrée des rêves ? Presque aucune. Il n'osa rien lui répondre, ses lèvres grelottèrent un instant, il resta sans voix avant de partir vers chez lui. Maintenant il n'existait plus rien et il voyait la ville sous ses vraies couleurs, cette routine insupportable, cette solitude tiraillante, ces tours et ces rues abjectes dont tout le monde raffolait sans rien n'y voir d'anormal. Comment les gens faisaient-ils pour vivre sachant qu'il n'y avait rien d'autre ? Comment pouvaient-ils se contenter de si peu ? Arrivé chez lui il s'assit d'abord sur une petite chaise faite de métal bon marché, il regardait le mur sur lequel se jetait la lumière déplaisante et défectueuse du plafond, le mur était si laid, lui se sentait si seul. Tout à coup il trouva un fautif, si la fille qu'il aimait était comme ça, c'est parce que cette ville l'avait rendue comme ça. Les propagandes dans lesquelles ils baignaient depuis toujours avaient formaté son cerveau. Tout n'est que tromperie. Soudain la radio imbriquée se mit à bruiter :
Pshhscht pshhscht il est 21 heures ! L'heure du couvre-feu où personne ne doit plus sortir jusqu'à demain 6 heures du matin. L'Ordre Parfait si parfait vous souhaite une parfaite nuit !
Cette radio qu'il dût entendre des milliers de fois le fit entrer dans une rage noire, il se leva puis frappa plusieurs fois de son poing de toute ses forces sur le mur avant de se laisser tomber par terre en chouinant lamentablement. Sa main maintenant le faisait souffrir, elle était tuméfiée et purpurine, un peu de sang se dégageait des premières phalanges. Sa situation n'avait toujours pas avancée, mais maintenant il était certain qu'il voulait quitter cette ville aranéeuse pour ne plus jamais la voir ni plus jamais l'imaginer. Il patienta jusqu'à presque minuit et calcula minutieusement à quelle heure il devra partir pour se trouver à minuit très exactement devant la boucherie et clef en mains. Arrivée l'heure il courra au dehors, en regardant autour il n'y avait personne, mais précisément quand il arriva au-devant de la boucherie il sursauta, les deux frères semblaient avoir faits en sorte d'être également arrivés à minuit de façon formelle. Il ouvra rapidement la porte, il se munit d'un couteau et en donna à ses deux confrères. Toujours le même qui parlait dit :
— Allez tous deux au Mur Est, derrière la tour noire la plus abolie de toutes, qui penche comme si elle voulait faire tomber dans une réaction en chaîne le reste des tours. Vous la reconnaîtrez, je vais au bâtiment chercher l'échelle et je vous rejoins, je sais déjà où se trouve le garde qui garde l'entrée.
B657 acquiesça de la tête en signe d'assentiment, puis les deux partirent en direction du Mur Est, l'autre dans une autre direction pour aller chercher l'échelle. B657 faisait très attention à voir s'il ne se trouverait pas de gardes sur la route, le cheminement était très méandreux, à tout moment il aurait pu tomber nez à nez avec un garde. Alors qu'il continuait à avancer dans cette nuit noire, le deuxième frère qui n'avait pas encore parlé une fois et qui d'abord courait à ses côtés n'était plus visible. Peut-être avait-il pris un autre chemin pour s'y rendre. Soudain il voyait le mur qui s'avançait éperdument et à perte de vue, il regarda au-dessus de lui, il vit une tour en ruines qui penchait, il se mit donc entre le mur et la tour abolie puis il attendu. Il vit sortir d'un des cheminements le bout d'une échelle puis son acolyte apparût, d'abord il dit :
— Qu'est-il arrivé à mon frère ? Vous n'êtes pas tombés sur des gardes quand même ? Il était pris de panique.
B657 lui répondit :
— Je ne sais pas, d'abord il courait avec moi puis il a disparu dans la nuit.
— Peut-être va-t-il arriver, aide-moi à installer l'échelle, vite !
— C'est bon, vas-y !
A ces mots B657 ne patienta pas une seule seconde et se mit tout de suite à grimper, son camarade ne semblait pas monter de suite car il attendait son frère, tant pis il continuait à monter car il voulait quitter cet endroit. Alors qu'il n'avait même pas grimpé la moitié de la montée nécessaire à passer par-dessus le mur, du bruit se fit entendre en bas, il jeta un coup d'œil.
Une flopée de gardes se trouvait autour de son ami, son visage se décrivait en une expression pire que celui qui allait mourir. Entre les gardes se tenait sereinement le frère de celui-ci, il prêta l'oreille et les entendit parler.
— Qu-quoi ? Mon propre frère ?
— Avec cette prise, je vais être catapulté au rang de Garde, c'est certain !
— Comment tu as pu me faire ça ? Je t'ai aidé à t'enfuir ; nous aurions pu quitter cet endroit atroce !
— Maintenant je ne serai plus un esclave, je vais être un Garde très réputé.
Au même moment où ils parlaient les gardes s'avancèrent sur lui.
Il cria :
— Non je ne serai plus un esclave, je vivrai la vie que je mérite !
Il leva son couteau qui était déjà sanguinolent et se précipita sur un des gardes. Il le planta dans la poitrine, les autres gardent plongèrent sur lui et le tabassèrent avec des matraques. A ce moment-là B657 reprit l'entreprise de grimper le plus vite possible pour s'enfuir, il n'entendait plus que les cris de son ami sous les coups, puis il entendit encore les coups mais plus les cris.
Enfin il entendit hurler une voix qui n'était plus celle de son ami :
— Vite il ne doit pas s'enfuir !
Il arriva au sommet, on ne put voir le sol de l'autre côté car il y avait des arbres, leurs feuilles cachaient le sol. Mais il regarda au bas de l'autre côté, des gardes montaient l'échelle, alors il ferma les yeux puis se laissa tomber dans le vide de l'autre côté. Il s'attendait à une chute qui lui broierait les os mais il tomba dans une rivière. L'eau été diaphane et bleuâtre car les lueurs de la lune s'y diluaient. Il se débattit pour atteindre la surface, finalement il vit des choses qui lui étaient fantastiques. Il y avait des fleurs variées et odoriférantes ainsi que les bruissements d'une eau limpide. Cette perspective enténébrée par la nuit illustrait les profondeurs oniriques de l'esprit. Alors qu'il sortit de l'eau pour se diriger vers quelques fleurs il vit des lapins blancs gambader. Tout était si beau mais une amertume persistait, ce paysage serait bien plus beau s'il le voyait en compagnie de la fille qu'il aimait. Puis il songea qu'il devrait regarder le paysage plus tard, car pour le moment on était à sa recherche. Il courut longtemps au travers des feuillages et des verdures, apercevant parfois un chevreuil, parfois un écureuil. Finalement il courut des heures comme cela puis tomba de fatigue dans le creux d'un tronc. Il dormit jusqu'au matin. Les premiers rayons du soleil, au travers de ces cimes virides, se frayaient un chemin jusque sur sa peau. Tout était si coloré soudainement, il croyait être dans un rêve. Il marcha, halluciné, sans savoir s'il rêvait ou si cela était la réalité. Finalement les arbres commencèrent à se faire moindres, il vit le ciel dans toute sa vastitude. Des sentiments dont il n'aurait pas pu mettre de noms dessus, qui étaient infiniment immenses, le submergèrent tout entier. Une mirifique langueur le prit. Puis il regardait au-devant de lui et des larmes coulèrent de ses yeux. Il continua de marcher. Cette forêt déboucha sur un chemin amenant à un dessin qu'aucun de ses desseins n'auraient pu dessiner, plus majestueux qu'il n'aurait jamais pu songer. Il vit des bâtisses qui n'avaient plus rien à voir avec les hideuses tours noires de sa ville fétide. Des maisons de toutes couleurs et de toutes tailles se levaient devant lui. Puis il tomba au beau milieu des rues d'une ville magnifique, il était pris dans les rapides d'une multitude de gens qui portaient eux aussi des vêtements, des cheveux et des yeux de toutes les couleurs et de toutes les formes. Il regardait les gens, le ciel rougeoyant et les différents bâtiments, il continuait à pleurer. Il tourna sur lui-même pour mieux admirer cette chimère impensable, une vieille femme lui fit volte-face et dit :
— Qu'est ce que c'est que cette abominable horreur ?
Quelques personnes s'étaient arrêtés pour mieux le regarder, ils étaient répugnés. B657 les regardait aussi et ne s'arrêtait toujours pas de pleurer. Il ne savait toujours pas s'il s'agissait d'un rêve ou non, d'autant plus quand il se perdit dans les yeux bleus d'une allante. Elle avait une chevelure plantureuse et splendide. Il s'approcha pour essayer de les toucher, il posa presque le doigt dessus quand brusquement, on lui mit un énorme coup de masse qui l'assomma.
Il se réveilla regardant ses pieds nus dans une mélasse de boue écœurante, alors il comprit qu'on ne peut échapper à ses souffrances. Il leva la tête et maintenant une foule de larves en délire se trouvait en face de lui, il semblait tombé des nues. Puis les cris lui brisèrent les tympans. Il reçut de la boue sur le visage, il regarda autour, deux autres personnes étaient attachées sur la même tour. Puis plus loin à sa gauche, il y avait l'hideuse estrade avec dessus se trouvant l'ignominieux Dirigeant derrière lequel il y avait la nauséeuse bannière sur laquelle se trouvait l'épouvantable cercle blanc avec au-dessous l'écrit nauséabond :
L'Ordre Parfait pour une vie parfaite.
Le Dirigeant devant la foule cria dans son micro, un son strident se mit à tonitruer et à résonner entre les quatre murs de la ville.
— Je vous ai donné L'Ordre Parfait, la stabilité, des toits, à manger, un monde qui marche sans entraves. Voyez ces pauvres fous qui sont allés contre cet Ordre ! Qui ont voulu la destruction du Parfait !
Un flot d'insultes se déchaîna contre B657, il ne vit aucun visage familier dans la foule de nématodes.
Le Dirigeant reprit la parole :
— Pour avoir tenté d'être contre l'Ordre Parfait, de le nuire à lui, à son peuple, je condamne ces fous et ces folles à la peine d'être réduits en bouillies !
Les trois commencèrent à être tirés par le système de poulie jusqu'au sommet, une fois au sommet le vide était effrayant, alors il regarda au-dessus et le soleil se trouvait là. D'ici on pouvait le voir. Peut-être qu'un jour la fille qu'il aimait se trouverait suspendue à cet endroit précis, alors elle comprendrait tout. Ou peut-être que jamais elle ne saura qu'ils l'avaient tué pour avoir vu la vérité. Mais il allait mourir en paix car il voyait le soleil, il savait que quelque part d'autre la beauté existait. On lâcha les cordes et il mourut car il avait voulu aimer.