La violence
gpc
Pendant plus de 5 ans j'étais amoureux d'une fille sans le dire. C'est arrivé comme ça, elle n'a rien fait pour. Et je ne lui ai rien demandé. Je gardais ça pour moi, j'attendais que ça passe, je vivais avec. Vous comprendrez mieux comment je fonctionne, j'espère, en lisant la suite.
C'était partiellement réciproque : elle m'aimait aussi mais ne le reconnaissait pas. Peut-être parce que je n'étais pas assez beau pour elle, ou trop inverti, je ne sais pas. Mais elle venait vers moi quand elle allait mal. Elle manifestait des signes d'amour qu'elle refoulait. Et je devais encaisser, supporter mes sentiments sans l'embêter avec ça. Nous mangeions ensemble, nous faisions du vélo ensemble, et plein d'autres choses que des amis ou des amoureux font ensemble. On se balladait souvent ensemble en journée. Nous avions l'air ensemble aux yeux des autres. Quand par hasard nous croisions un inconnu qui nous adressait la parole, celui-ci pensait que nous étions ensemble. Nous étions inséparables, nous étions les meilleurs amis du monde. Je l'ai toujours aidée dans ses moments difficiles et pour cela j'ai dû souffrir en silence. J'ai grandement sacrifié ma vie sociale et ma vie professionnelle pour elle. Au lieu de me fraterniser avec mes collègues universitaires pendant ma thèse, je passais mon temps avec elle. Quand j'étais enseignant j'avais besoin de mes soirées pour préparer mes cours, mais ma priorité était à panser ses blessures quand elle en avait besoin, quitte à me retrouver dans une situation difficile avec les élèves. Je n'ai jamais rien demandé en retour, absolument rien. Ce n'était pas de sa faute si je l'aimais, elle n'a rien fait pour ça, elle était simplement elle. Et moi je suis hypersensible. Je ne fais pas dans la demi-mesure avec les sentiments, mais c'est malgré moi. J'ai eu un collègue qui m'a dit que j'étais un roc. C'est parce que je n'ai pas le choix. Si j'ai l'air d'un roc c'est parce que je me force à l'être, sinon je ne peux pas survivre.
Après cette période, j'avais plus ou moins mis un terme à mes sentiments, du moins les plus intenses de ceux-ci. Et un jour, je ne sais pas pourquoi, je n'ai jamais compris pourquoi, elle a voulu de moi comme petit ami. Je n'y ai pas cru au début, j'ai cru que c'était une envie qui allait vite lui passer. Il n'y avait pas de raison qu'elle ait envie de moi, je n'ai rien fait pour ça, je n'avais rien changé à mon attitude, et nous étions même un peu moins proches qu'avant, mais toujours les meilleurs amis du monde. Pour cette raison je ne voulais pas qu'on ait l'air d'être ensemble, parce que je ne comprenais pas, ou parce que je n'y croyais pas. Ou parce que j'étais perdu.
C'est là que JPB intervient. JPB était une sorte de gourou, qui se donne un air de sage parce qu'il est un peu plus âgé que ceux qu'ils fréquentent. Convaincant parce que convaincu, sûr de lui, avec une voix, une grande gueule, qui emplit l'ambiance et qui atteint sa cible. Surtout quand sa cible est crédule et que son esprit est faible. Quand JPB impose ses analyses, ça fonctionne, surtout avec les filles immatures ou un peu perdues. "JPB a raison", croient-elles, parce qu'il est si sûr de lui et qu'il parle plus fort que les autres, parce que les gens fonctionnent plus ou moins comme des animaux. JPB a fait part de son analyse de la relation entre elle et moi à celle-ci : d'après lui je ne voulais pas montrer aux autres qu'elle et moi étions ensemble parce que j'avais honte d'elle.
Nous avons finalement vécu un bout de temps ensemble, elle et moi. Mes sentiments que j'avais enfouis, faisaient de nouveau surface. Mais pour des raisons psycho-affectives que je n'ai jamais comprises non plus, elle me harcelait psychologiquement, au quotidien. Elle me faisait sans cesse des reproches, des remarques, elle m'humiliait pour la moindre chose. Cela pouvait aller jusqu'aux rouleaux de papier-toilette que j'achetais quand je faisais les courses, parce qu'ils n'étaient pas à sa convenance. Je pourrais écrire des pages sur tout ça, mais ce n'est pas mon intention. J'encaissais ses humiliations, ses reproches, constamment. En général sans broncher, j'intériorisais. Je ne suis pas doué pour le dialogue. Il m'est arrivé d'exploser quelques fois. Non je n'étais pas parfait. Elle ne faisait rien pour m'encourager dans ma route. Elle pouvait même râler quand je n'étais pas disponible pour elle alors que j'étais en train de travailler pour mon post-doc. Ce post-doc était une chance dans ma vie pour mon avenir, mais elle n'a pas respecté le temps que j'y consacrais.
Vint le jour où nous nous sommes séparés. Elle est retournée en France, je restais seul en Belgique, où je n'avais aucune fréquentation. Et je ne suis pas doué pour faire des rencontres. Pendant une année nous étions encore amis. Elle m'aimait encore, et moi aussi. Nos déchirures n'avaient pas anéanti l'amour. Mais un jour elle m'a zappé de sa vie, violemment. Je perdais ma meilleure amie, et quasiment ma seule amie, en tout cas de loin la seule avec qui je partageais une amitié aussi pure et fidèle. J'ai vécu des sentiments parmi les plus difficiles que j'ai connus. Comme si elle me jetait comme une vieille chaussette parce qu'elle n'avait plus besoin de moi. Peut-être parce que le psy qu'elle a consulté lui a dit de le faire. Son attachement envers moi était devenu un fardeau pour elle si elle voulait poursuivre sa vie. Elle a fait ça pour son bien, mais sans se soucier de mon mal. Moi jamais je n'aurais fait ça. Même si j'avais rencontré une autre fille, ce que je ne cherchais pas, jamais je ne l'aurais zappée moi, jamais je ne l'aurais laissée souffrir.
J'avais encore un ou deux amis à Strasbourg, et une poignée de copains desquels je n'étais pas très proche, mais avec qui je pouvais encore m'amuser. Et c'était la seule vie sociale et amicale qui me restait. Elle a raconté à ces gens que c'est moi qui avait mis un terme à notre relation. Pour ma part, ce qui me dérangeait envers elle, je lui disais à elle, pas à une tierce personne. Je ne suis pas allé raconter ses dérives psycho-affectives qui m'ont détruit. Aujourd'hui encore je réalise comment elle me faisait mal. Quand je me réveille. Quand je fais un certain geste, qui me rappelle une situation avec elle.
J'ai appris un jour que JPB lui faisait des rapports sur ce que j'écrivais sur mon facebook, agrémentés de ses analyses délirantes de gourou comme à son habitude. D'après lui je pétais un plomb. J'écrivais des conneries sur facebook comme à mon habitude, qui n'étaient pas à prendre au sérieux. Une fois ou deux j'ai montré ma colère envers elle, mais sans vouloir m'en prendre spécialement à elle, c'étaient plutôt des pensées sur les douleurs affectives que tout le monde peut traverser dans sa vie. Et pour une ou deux autres choses sur lesquelles je ne vais pas disserter ici, comme mon opposition à son ami de la CGT qui estimait que les juifs devaient accepter sans répliquer les missiles islamistes qui pleuvaient sur leurs villes, et qui véhiculait des vieux mythes antisémites (comme tous les gauchos), d'après lui je pétais un plomb. C'est toujours plus simple de dire que son contradicteur pète un plomb plutôt que de remettre en cause ses croyances (surtout quand elles vont à l'encontre de la ligne éditoriale de la secte à laquelle on adhère). Je n'ai rien dit au début, jusqu'à ce que je lui dise que j'en avais marre de ça. Il m'a bloqué sur facebook, sans dire un mot. Et il a raconté à autrui que j'étais dingue. C'est vous dire la logique de cette amitié : je pète un plomb (d'après lui), il en parle à tout le monde sauf à moi, puis il me zappe sans un mot d'explication. Je lui ai envoyé un mail, cordial, pour avoir des explications, et pour lui dire deux ou trois choses quant à lui qui me sortaient par les trous du nez. Je lui ai dit que je n'appréciais pas qu'il ait dit à mon ex, en mode gourou, que j'avais honte d'elle. Je lui ai aussi dit, sincérement, que je l'aimais bien et qu'il m'a fait mal. Je n'ai jamais eu de réponse. Je suppose qu'il n'a jamais parlé de ce message à autrui. Il a plutôt raconté que j'étais dingue. Dans ce contexte j'ai cessé de voir ces quelques copains qui le fréquentaient aussi. Je sais bien ce que ces gens ne se mêlent pas des affaires des autres, mais c'était devenu trop désagréable à supporter. Je n'aime pas me retrouver dans des histoires à la sitcom. Je me suis alors retrouvé fort seul. J'avais perdu ma meilleure amie, ma moitié, sans la moindre délicatesse de sa part, uniquement du mépris. Celle pour qui j'avais tant fait sans jamais rien demander en retour. Et les quelques relations conviviales qui me restaient étaient endommagées. Même avec ceux ou celles qui passaient outre ces histoires gnangnans, ce n'était plus comme avant. Strasbourg n'était plus comme avant. Ce n'est pas mon genre de m'embrouiller, de faire la gueule, d'en vouloir à quelqu'un qui m'a fait mal tant que cela ne va pas aussi loin. Les gens gentils comme moi sont les victimes idéales des pervers manipulateurs, parce que les gens comme moi sont faibles dans les relations de force. Il ne me restait plus qu'à devenir quelqu'un d'autre. Ça prendra le temps qu'il faut. On dit que le temps que met un fût de canon pour refroidir, est un certain temps.
Alors, bien plus d'un an après que j'aie envoyé ce mail à JPB, dans lequel je demandais simplement des explications et je faisais part de mon ressenti, de façon franche mais encore amicale, je lui en ai renvoyé un pour lui dire que, puisqu'il n'a jamais répondu alors que mon message était pacifique, je pense qu'il est un tas de merde. Et je lui ai encore dit une fois ces jours-ci qu'il est un tas de merde.
Pour cette raison, on va certainement dire de moi que je suis le dingue qui a pété un plomb. J'ai été violent, je l'ai traité de tas de merde. Mon vocabulaire a été violent. Pourquoi ? Qui a été le plus violent ? Qui a subi le plus de violence venant de l'autre ? La violence n'est pas seulement une affaire de coups et de vocabulaire. Celle qu'on m'a fait subir était plus extrême. Elle vous atteint dans le dedans, profondément. Elle vous laisse dans le caniveau, dans le mépris. Elle tend à vous persuader que vous devriez culpabiliser. Un jour où je faisais des courses avec ma bien-aimée, j'ai subi une crise aigue de mon hernie discale, si bien que j'ai dû m'arrêter sur le trottoir parce que je ne pouvais plus porter les courses et je pouvais à peine marcher. Elle m'a laissé là. Elle m'a regardé méchamment et elle m'a laissé là, elle est rentrée sans m'attendre. Je me suis traîné comme j'ai pu pour rentrer, et une fois arrivé elle m'a littéralement dit qu'elle ne voulait pas faire sa vie avec un handicapé. C'est de cette violence dont je vous parle. Celle qui est comme un coup de poignard qu'un être cher vous assène dans le dos, celle qui vous marque de façon indélébile, surtout quand votre mémoire affective n'est pas dans la norme. Celle avec qui vous n'avez d'autre choix que de vivre avec. Mais au moins, moi, je ne vis pas avec une mauvaise conscience et avec le mensonge, je n'invente aucun subterfuge pour me donner bonne conscience, je n'implique pas autrui. Je suis ainsi et je le resterai, durant le temps qu'il me reste à vivre.