L'Académie de Magie de Cascade

La salle de réception était pleine à craquer. Les aspirants-magiciens étaient regroupés pour écouter leurs professeurs leur annoncer le programme de l'année universitaire, leur faire un discours sur la magie et ses principes fondamentaux et, surtout, pour les répartir par équipe.

Anders Frey était un jeune homme d'une vingtaine d'années, aux cheveux bruns et aux yeux bleus. Il partageait son esprit, depuis son enfance, avec Vaatel – un étourneau au plumage couleur chêne. Ce lien particulier et sa scolarité à domicile en avaient fait un garçon peu expérimenté et assez tête-en l'air. Il avait été formé à la magie par son père – qui l'avait poussé à invoquer son propre Djinn – ce qui lui avait permis de rentrer directement en troisième année. Si cela lui évitait de se farcir les cours d'initiation, il y avait quand même un désavantage ; il ne connaissait rien à la vie d'étudiant. Vaatel, lui, dormait dans la poche centrale de sa tunique.

L'heure de l'appel sonna enfin. Anders fit de son mieux pour entendre quelques prénoms et leur associer un visage, dans l'espoir de se faire quelques amis. Les élèves étaient invités sur l'estrade par vagues de quatre pour former un groupe de travail et Anders avait hâte et peur à la fois de découvrir ses coéquipiers. Quelques noms fusèrent encore, dans un ordre qui lui échappait puis ce fut son tour.
« Anders Frey. » lança l'enseignant sans lever le nez de sa liste.
Son cœur rata un battement et il crut avoir mal entendu. Mais le professeur n'avait pas l'intention de se répéter et, voyant que personne ne bougeait, il se fraya un chemin jusqu'à la scène. Là, il découvrit ses camarades. Ou plutôt, son camarade.
« — Salut, tu es Anders ? lui demanda un garçon aux cheveux gris et au regard d'acier. Je suis Maes.
— Oui, enchanté. » lâcha timidement l'étudiant alors que Vaatel s'agitait dans sa poche. Il ajouta, en regardant autour de lui : « Nous ne sommes que deux ?
— Non, ne t'inquiète pas. Nous sommes en équipe avec Aleks Everstën et sa sœur, Milla. Aleks est en voyage jusqu'à demain et Milla… Elle a dû oublier. » Anders acquiesça, rassuré.
Les deux autres membres de l'équipe n'étant pas présents, ils furent conviés à quitter l'estrade à leur tour. Vaatel s'agitait toujours dans sa tunique, sans oser sortir. Anders n'avait pas rencontré beaucoup de personnes dans sa vie, mais il n'ignorait pas que les djinns étaient rares, même chez les magiciens. Maes commençait à observer sa poche avec insistance et il ne savait pas comment lui expliquer.
« — Laisse-le sortir, il n'a pas de raison de se cacher. » le rassura-t-il. Anders le regarda étonné, et le jeune homme se justifia :
« — Aleks et Milla en ont un aussi, je sais ce que c'est. » Le propriétaire du djinn soupira de soulagement et l'étourneau sautilla hors de la tunique et voleta jusqu'à son épaule.
« — Je te présente Vaatel, dit-il, et le djinn ouvrit grand ses ailes pour se rendre impressionnant.
— Il est magnifique. » souffla son nouvel ami.

Ils commencèrent alors à discuter, des origines de chacun et de leur vie à l'académie ou en dehors. Maes Rimia conduisit Anders à travers le labyrinthe des bâtiments pour lui faire découvrir les principaux points de repère tandis que Vaatel volait autour d'eux. Il lui montra l'immense escalier de pierre blanche qui donnait accès aux dortoirs et à certaines salles d'exercice, le corridor qui menait au réfectoire où se déroulerait le dîner inaugural, la porte du théâtre qui était fermée jusqu'au soir et lui pointa le stade où se tenaient les entrainements au combat. Anders Frey observait chaque couloir et chaque pièce avec admiration en écoutant son ainé lui expliquer chaque détail caractéristique qui lui permettrait de s'y retrouver. Il souhaitait néanmoins en savoir plus sur ses autres camarades et, quand il demanda la raison de leur absence, une voix féminine retentit.
« — Maes ! » cria la voix, de derrière. Les deux garçons se retournèrent et découvrirent une charmante jeune fille aux cheveux châtains, presque blonds, vêtue d'une robe bordeaux qui semblait faire rougeoyer ses yeux noisette. La jeune fille souriante s'approcha de Maes en gardant son regard sur Anders.
« — Tu dois être Milla, lança celui-ci.
— C'est exact, lança la jeune fille, impressionnée.
— Anders Frey, et voici Vaatel » les présenta-t-il au moment où Vaatel effectuait un atterrissage en grande pompe. Milla les observa sans comprendre quelques instants. Elle sembla soudain réaliser et prit une grande inspiration.
« — La réunion de présentation ! souffla-t-elle.
— Trop tard » l'acheva Maes, alors que Milla se tortillait de remords. « C'est bientôt l'heure du dîner, il faut qu'on y aille. »
Ils se dépêchèrent à travers les couloirs, Milla et Maes, devant, se chamaillaient. Anders observait la jeune fille avec un sourire et remarqua que la fourrure qui ornait le col de sa robe bougeait étrangement, puis leva la tête. Le minuscule visage de belette planta son regard dans le sien et Milla s'arrêta entre deux arguments. Elle se retourna tout en continuant à marcher et tendit la main à son nouveau coéquipier.
« — Milla Everstën, dit-elle d'un sourire radieux. Et voici Malvédria. »

*

Le dîner se déroulait dans le réfectoire, une salle immense pourvue de dizaines de tables rondes destinées aux étudiants. Les professeurs eux, étaient répartis des deux côtés d'un bureau rectangulaire situé sur une estrade en retrait. Quelques tapisseries couvraient les murs de pierre et une forte concentration de chandelier pendait des poutres en chêne.
Maes jugea l'enceinte anormalement pleine et réussit à grande peine à dénicher de la place pour Anders et lui-même. Vaatel, timide, s'était à nouveau blotti dans la poche de son maitre. Milla, elle, s'enfonça plus encore dans le réfectoire et rejoignit des amies qui l'attendaient.

Les étudiants qui étaient réunis étaient principalement issus des deux premières années, à l'exception de quelques groupes. Un silence religieux tomba sur la salle quand le directeur de l'établissement arriva, par la porte située derrière la tablée des professeurs. C'était un homme au visage usé et à la barbe blanche, mais sa démarche charismatique, même cachée par une ample toge de soie brune, contrastait avec son âge. Il contourna ses collègues et vint se placer devant l'assistance.
« — Étudiantes et étudiants de l'académie de Cascade. Que ce soit ici votre premier jour ou non, nous partageons ici notre repas telle une grande fratrie. » commença le directeur.
Maes eut un ricanement.
« — Encore un discours sur la fraternité, souffla-t-il. »
Anders se tourna vers lui, étonné, puis balaya la salle du regard. Les jeunes élèves qui entraient en première ou en deuxième année étaient fascinés par le discours du directeur. Les autres, et il était facile de les reconnaitre, paraissaient lassés, voir gênés des propos tenus.
« — Qu'est-ce qu'il y a de mal à cela ? » demanda-t-il. Maes hésita un moment puis répondit.
« — Tu comprendras une fois les exercices commencés. »
Un des premières années à leur tablée les fusilla du regard pour leur signifier de se taire, mais le discours touchait à sa fin. Les étudiants de première et deuxième année se levèrent pour applaudir avec fougue le vieil homme qui retournait à sa place. Les quelques troisièmes années et les rares étudiants des années supérieures tapèrent dans leurs mains avec moins d'entrain.
Le repas fut enfin servi. Le personnel de l'académie déposa sur chaque table plusieurs viandes et poissons, ainsi que de nombreux accompagnements colorés. Ceux qui participaient au dîner inaugural pour la première fois furent émerveillés par l'opulence des mets.

Maes, Anders et leurs camarades firent plus ample connaissance. Les deux compères étaient assis auprès de trois élèves qui entraient en seconde année, qui s'empressèrent d'oublier leur attitude pendant le discours et de leur lancer tout un tas de questions sur le déroulement de leur propre seconde année, drastiquement différente de la première. Anders ne put leur être d'aucun secours et c'est Maes, avec sa capacité à manier les mots et son charisme, qui s'attira rapidement leurs regards admiratifs.
Anders n'écouta son ami que d'une oreille. Il était occupé à scruter la salle pour essayer d'apercevoir Milla et surtout Aleks, qu'il avait hâte de rencontrer.
« J'espère qu'il sera aussi joyeux et sympathique que Milla ! » souffla-t-il à Vaatel. Mais le Djinn était étonnamment silencieux.

Le jeune magicien fut tiré de ses pensées par les serveurs qui débarrassaient les plateaux de viande vides pour faire place à un panel de pâtisseries et de fruits. Il en profita pour refaire un point sur sa tablée. Les deuxièmes années étaient aux anges, tant de par le repas que par leur discussion avec un étudiant de troisième année. Alors qu'ils osaient à peine se servir, Maes piochait lourdement dans les plats en examinant les mets d'un œil expert. Anders le taquina et ils se chamaillèrent en rigolant le reste du dîner.

La suite de la soirée était occupée par un spectacle de magie artistique organisé par les étudiants de quatrième et cinquième année. Ils attendirent Milla à la sortie du réfectoire et se dirigèrent vers le théâtre avec la foule. Anders réussit à se repérer grâce aux détails de chaque couloir que lui avait enseigné Maes dans la journée. Il s'agissait parfois d'une tapisserie, ici d'un motif sur les cloisons, d'éclairages différents, etc. Ils arrivèrent enfin devant la gigantesque porte en chêne. Ils patientèrent quelques minutes que les derniers retardataires les rattrapent, puis les deux énormes battants commencèrent à bouger. Les nouveaux étudiants découvrirent avec émerveillement l'immense théâtre aux murs recouverts de velours pourpre, ses chandeliers luxueux, ses nombreux balcons et son estrade, cachée par un long rideau.

Une fois passée la porte, Anders put se rendre compte du volume. Le centre de la pièce présentait plus de mille cinq cents sièges et la hauteur au plafond atteignait près de vingt mètres.
Anders se laissa entrainer par Milla qui les plaça au milieu de la salle, Maes entre eux deux. Quand tous les étudiants furent installés et le calme revenu, un des interprètes apparut de derrière le rideau et le silence tomba. Il prit la parole :
« — Étudiantes, étudiants et professeurs, les élèves de quatrième et de cinquième année de l'académie de Cascade vous ont préparé un spectacle de magie artistique digne de notre école. »
D'un geste de la main, il souffla toutes les bougies de la salle et disparu.

À peine l'obscurité installée, Vaatel vint se placer sur l'accoudoir pour assister au spectacle sans être vu.
Le rideau se leva doucement sur une scène immense, d'une trentaine de mètres de long et autant de profondeur. Les artistes étaient éclairés par des lumières faites de magie pure qui projetaient des halos de différentes couleurs. Plus que les lumières, c'est la scène qui impressionna Anders. Il devina le parquet en ébène recouvert d'un vernis résistant à la magie et distinguait le volume laissé libre autour des interprètes pour éviter tout accident.

Deux d'entre eux se trouvaient au milieu de l'espace, se faisant face immobiles. Une harmonie d'instrument commença à se laisser entendre, d'une seule note qui gagnait en intensité. Les deux mages, un garçon et une fille, levèrent une main en parfaite union et y firent naitre l'un le feu, l'autre la glace. Le spectacle débuta. La musique se mit à danser, entrainant avec elle le couple de feu et de glace. Après une gracieuse série de pas, ils accentuèrent leurs sorts pour créer des rideaux, des filets, des sphères de magie qui valsaient autour d'eux.
Ils furent remplacés par un second duo qui maniait le vent et la terre, se retrouvèrent tous les quatre. Une troupe de magiciens vint les accompagner puis s'effaça. Ainsi continua le ballet.
Anders et Vaatel étaient totalement captivés par le spectacle au point de ne plus rien voir d'autour de lui. La musique faisait vibrer leurs corps, la magie faisait danser leurs yeux et leur union caressait leur âme. La représentation dura près de deux heures, mais il leur sembla une éternité. Une éternité bien trop courte.

*

Anders et Vaatel étaient perdus dans leurs pensées. Si le petit étourneau avait été intimidé par l'ampleur de l'académie le premier jour, il voletait maintenant autour du mage avec impatience. Ils attendaient dehors, près de l'entrée du stade, comme le leur avait demandé Maes. C'était, de ce qu'ils avaient compris au charabia de son équipier avant qu'il ne s'éclipse, le point de rendez-vous fixé avec Aleks Everstën.
La veille, après le spectacle, ils étaient allés se coucher rêveurs, ne remarquant même pas la disparition de Maes au milieu de la nuit. Depuis, ils n'avaient plus qu'une hâte : commencer les entrainements à la magie. Anders sembla soudain reprendre conscience et se retourna pour observer le stade. Il s'agissait d'un grand champ herbeux de près de cinquante mètres de long sur trente de large, délimité par des buttes en terre de plus d'un mètre de hauteur. À ses côtés se tenait un bâtiment ovale de taille semblable, fait de pierre et d'impressionnantes poutres qui lui offraient presque autant de hauteur que de diamètre. Le terrain était longé, en face, par une série de gradins en bois où quelques étudiants révisaient et se prélassaient à la chaleur de l'été.

Au moment où il se retournait en se demandant s'il était au bon endroit, il aperçut une jeune fille aux cheveux châtains, presque blonds, et vêtue d'une tunique de cuir léger s'éloigner.
« Milla ! » appela-t-il. La demoiselle s'arrêta. Ils se hâtèrent de la rejoindre, contents de revoir leur coéquipière. Pourtant, quand ils arrivèrent à son niveau, ils ne retrouvèrent pas la même chaleur rougeoyante dans ses yeux noisette. Anders s'arrêta, interdit par son regard froid et bafouilla :
« Maes ne devrait pas tarder, il m'a dit de l'attendre ici. »
La belette juchée dans sa capuche se redressa pour planter son regard dans le sien. Il eut un frisson dans le dos, tenta de bégayer quelque chose, puis la jeune fille pivota sans lui répondre et s'en alla en direction du bâtiment ovale. Le garçon, perdu, retourna se placer devant le terrain d'entrainement et Vaatel se blottît à nouveau dans sa poche. Ils ne comprenaient pas le revirement d'attitude de leur amie.

Alors qu'il essayait de se rappeler ce qu'il aurait pu dire pour la blesser, Maes arriva vers lui. Anders le salua avec moins d'entrain que précédemment, mais il ne s'en formalisa pas.
« — Désolé, je suis en retard ! s'excusa-t-il. Tu as vu Aleks ?
— Pas grave, souffla le nouvel étudiant. J'ai vu Milla, mais elle avait l'air de mauvaise humeur. Elle est partie sans rien dire.
— Milla ? Elle ne devait pourtant nous rejoindre plus tard… » réfléchi Maes à haute voix. Il eut un déclic et ajouta avec un sourire.
« —De mauvaise humeur, tu dis. Vers où est-elle allée ?
— En direction du bâtiment. » répondit Anders en pointant son doigt dans la direction. Les deux garçons se mirent en marche sans mot dire.
Arrivé devant la bâtisse, Vaatel vint se placer sur son épaule et Maes expliqua.
« — Voilà le stade. C'est devant le terrain d'entrainement que tu attendais. » Anders se mordit la lèvre alors que la jeune fille en tunique de cuir s'approchait d'eux.
« — Tu es en retard, lâcha-t-elle à Maes.
— Je suis allé chercher notre camarade qui s'était perdu !
— C'est lui ? » demanda-t-elle en le dévisageant avec dédain. Anders et Vaatel ne savaient plus quoi penser.
« — Milla, tu ne te souviens pas de moi ?
— Si. Je me souviens, répondit la jeune fille. Tu es l'idiot qui n'arrête pas de m'appeler Milla. »
Maes Rimia pouffa de rire alors que l'étudiante fusillait Anders Frey du regard. Ce dernier ne comprenait plus rien à la scène qui se déroulait sous ses yeux. Vaatel voletait de détresse autour de lui, déboussolé. Après avoir profité de cet instant, Maes vint à son secours.
« — Anders, je te présente Aleks. Aleks Everstën, la sœur jumelle de Milla. Aleks, voici Anders Frey, notre nouveau coéquipier.
— Ah ! Je croyais que…tu…bafouilla Anders.
— Tu croyais quoi ? » insista-t-elle. Anders rougit comme une écrevisse sous le regard meurtrier d'Aleks et Maes éclata de rire.
« — Ça te fait rire, toi ? siffla la jeune fille en reportant son regard haineux sur Maes.
— Pas du tout ! rétorqua celui-ci alors qu'il peinait à se retenir.
— Qu'est-ce que tu es allé lui raconter ? » hurla-t-elle. Maes reprit soudain un visage sérieux.
« — Absolument rien. » avoua-t-il. Avant d'ajouter, avec un sourire en coin : « Disons juste que je ne l'ai pas aidé à penser le contraire. »
Et, sans autre forme de procès, Aleks Everstën enfonça son poing gauche dans l'estomac d'Anders Frey et envoya le droit s'écraser sur la mâchoire de Maes Rimia.
Anders apprit qu'Aleks n'était certes pas un homme, comme il avait pu le croire, mais qu'elle en possédait la violence.

*

Les deux garçons finirent par se relever, encore endoloris, mais pas rancuniers. L'incident était clos et une chose était claire pour Anders : il ne fallait pas énerver Aleks.
Si ses amis s'étaient donné rendez-vous devant le stade, c'est qu'ils avaient prévu de passer la journée à s'entrainer. Il ne leur restait que deux jours avant le début des cours et ils voulaient savoir de quoi leur nouveau camarade était capable. Ils se dirigèrent donc vers les portes ouvertes et Anders découvrit l'intérieur du bâtiment. Si d'extérieur, il avait une forme ovale, l'arène interne était parfaitement circulaire. Les extrémités de l'ellipse étaient occupées par des vestiaires surplombés de gradins. Encore une fois, et pour le plus grand plaisir de Vaatel, le volume du cirque était impressionnant. Son diamètre et sa hauteur frôlaient les trente mètres pour former un cylindre que seuls le nœud central et les poutres qui en rayonnaient venaient envahir. Maes vit son ami observer les charpentes qui soutenaient le plafond d'ardoises et lui expliqua ce qu'il savait déjà :
« — Les poutres et le parquet sont mageiafugés pour éviter tout accident. » Il ajouta « Normalement, les entrainements se font sur le terrain extérieur, mais on a demandé une dérogation pour pouvoir te tester ici, à l'abri des regards. »
Anders fit volte-face en comprenant l'objet de l'entrainement.
« — Ils pensent que je ne sais pas me battre, tu crois ? demanda-t-il à son djinn, intérieurement.
— Je ne sais pas. Et pourquoi se cacher ? »
Si l'échange de pensées entre le mage et son compagnon n'était pas parvenu aux oreilles de Maes, le regard suspicieux d'Anders le poussa à se justifier.
« — Ce n'est pas qu'on doute de tes capacités, mais il nous faut savoir comment tu te bats et… eh bien, ton niveau. »
Aleks le jaugeait du regard les bras croisés et Vaatel le poussa à insister sur la seconde inconnue.
« — Et pourquoi le faire à l'intérieur ? » demanda-t-il. La jeune fille s'avança d'un pas et prit la parole.
« — Tous les autres étudiants étaient déjà là l'année dernière et tout le monde connait leurs techniques et leurs stratégies. Les autres équipes ne savent pas de quoi tu es capable et c'est un avantage pour toi, donc un avantage pour nous. »
Maes acquiesça silencieusement. Vaatel était revenu se poser sur l'épaule d'Anders et lui souffla quelques mots.
« — Ils prennent ça très au sérieux dis-donc. » Et le mage demanda :
« — C'est si sérieux que ça les entrainements ?
—Évidemment, lâcha Maes. Ce sont de vrais combats en équipe. Les perdants... sont ceux qui ne sont plus en état de se battre.
— Plus en état de se battre ? releva le nouvel étudiant.
— Morts. Ou incapables de se relever, intervint Aleks. »
Anders déglutit et Vaatel reprit un peu de hauteur, inquiet.

Aleks alla s'asseoir sur les gradins en attendant sa sœur, son djinn toujours lové dans sa capuche. Maes et Anders se placèrent au milieu de l'arène. L'ainé sortit deux gants en cuir de sa poche et les enfila. Il releva les bras et des runes s'illuminèrent sur ses mains. Vaatel prit un peu de hauteur alors que son mage se tournait pour se mettre en position de combat.
Maes le provoqua d'un haussement de sourcil et il s'exécuta. D'un balayage de la main, Anders fit naitre une boule de flammes de la taille d'un poing et la propulsa vers son adversaire. Maes tendit la paume et la laissa s'écraser sur un disque de glace. Les deux adversaires se jaugeaient du regard pendant quelques secondes. Soudain, le mage ganté se mit à courir vers la droite, pour contourner son adversaire. Il frôla le sol de la main et un pique de glace se forma sur le sol, tentant d'embrocher Anders. Ce dernier recula rapidement et se mit en mouvement également. Il lança quelques boules de feu pour couvrir sa fuite puis s'arrêta sèchement et plaça une main sur le sol. Une gerbe de flammes jaillit à l'endroit où se tenait Maes, une demi-seconde trop tard. Celui – ci contre-attaquait déjà en lançant une lame de glace. Anders la dissipa dans une volée de flammes et les deux adversaires se sourirent.
Aleks et son djinn observaient le duel sans laisser paraitre quoi que ce soit, mais sans en perdre une miette non plus.

Anders fit naitre une boule de feu dans sa main et commença à jongler avec de façon désinvolte. Maes concentra la magie dans sa paume pour lancer une pique de glace quand il eut un pressentiment : il ne voyait plus Vaatel. Il regarda autour de lui paniqué et aperçu le djinn qui préparait une sphère de flammes entre ses ailes. Mais l'oiseau lança son sort et le mage l'esquiva en catastrophe. Ce qu'il vit venir trop tard, c'était la boule de feu que lui avait lancée le propriétaire du djinn, au même instant. Il leva le coude pour bloquer le sort, mais la boule s'explosa sur son flanc. Bien sûr, il ne s'agissait que de magie, il ne fut donc pas brulé, mais prit tout de même un gros coup. En effet, les sorts s'écrasaient sur le mana de leur cible et le dissipaient, les affaiblissant grandement. Et il avait subi celui-ci de plein fouet.

Les deux adversaires se jaugèrent à nouveau et Anders savait que son ami n'était pas blessé. Ils se mirent à tourner lentement l'un autour de l'autre, jouant à la guerre de position. Mais Maes avait un désavantage, il combattait à deux contre un. Alors que son regard passait de l'un à l'autre, Vaatel et Anders plongèrent vers lui. L'oiseau se nappa de flammes et le frôla, le laissant sans garde, à la merci de son adversaire. Le mage recouvrit son poing de flamme et l'envoya droit dans le torse de Maes. Ce dernier se plia en deux sous le choc pendant que le cadet se dressait fièrement au-dessus de lui. Trop fièrement, même, car sa victime en avait profité pour incanter un pique de glace qui jaillit dans son dos et transperça Anders. Là encore, il ne s'agissait que de magie, et le jeune mage ne fut pas blessé, mais là encore, il ressentit la douleur du coup et perdit beaucoup d'énergie.

Les deux mages reculèrent respectueusement et Vaatel, inquiet, revint se placer sur l'épaule de son maitre.
« — Joli coup, le complimenta Maes.
— Le tien n'était pas mal non plus !
— Retiens bien ça : ne baisse jamais ta garde au milieu d'un combat.
— Retenu. » articula Anders, et il se précipita en nappant à nouveau son bras de flammes. Maes se prépara à contrer le coup, mais vit Vaatel prendre de la hauteur. Ce dernier lança à nouveau une boule de feu et il fut contraint de l'esquiver, laissant à son adversaire la possibilité de basculer pour frapper le sol. Les flammes de son bras disparurent et une colonne de feu naquit sous Maes. En combattant aguerri, il réussit cependant à éviter et attaqua son adversaire immobile d'une pique de glace. Anders accusa le coup et les deux se remirent en mouvement. Chacun chargeait un sort quand Vaatel, en flammes, commença à tourner autour de leur adversaire, l'empêchant de se déplacer. Anders frappa à nouveau le sol et Maes savait qu'il ne pouvait plus esquiver. Il lança son sort en l'air et prit le pilier de plein fouet alors que Vaatel s'écartait à la dernière seconde. Mais, avant même que le sort ne se finisse, un cercle de glace se forma au-dessus de son adversaire, encore incapable de bouger. Une pluie de cristaux de glace d'effondra sur Anders, le clouant au sol au même titre que l'autre.

Les deux amis se redressèrent lentement, échangèrent un regard de défi et éclatèrent de rire. Ils se complimentèrent chacun sur leurs techniques et c'est ce moment que choisit Milla pour arriver. La porte du stade claqua et la jeune fille en robe rouge apparut dans l'entrée. Les adversaires baissèrent leur garde et les trois compères l'accueillirent. Mais si Aleks s'était levé pour retrouver sa sœur, son djinn observait toujours Anders fixement.

*

Anders se retrouvait finalement à observer les deux jumelles en même temps. Les jeunes filles se tenaient côte à côte, discutant du voyage d'Aleks et des mésaventures de Milla. Les deux possédaient une chevelure d'or, mais l'une avait les cheveux brossés et libres, l'autre en partie regroupés en catogan. Mis à part leur coiffure, leur seule différence était leur goût vestimentaire. Milla portait une robe en soie qui descendait jusqu'aux chevilles – distinguée et idéale pour les mages de longue portée qui ne se déplacent pas. Aleks, elle était vêtue une armure de cuir fin équipée d'une capuche, idéale pour les mages de courte distance. Le reste de leur visage, de leurs yeux marron intense à leur nez élégant, en passant par leur bouche dessinée, était identique.

Tandis que les deux jeunes filles discutaient, avec Maes qui essayait d'accaparer leur attention par quelques réparties bien trouvées, Anders observait les deux djinns. Malvédria était arrivée sur la nuque de Milla et était descendue pour jouer avec le djinn d'Aleks. Les deux belettes se chamaillaient en silence à côté des jumelles, mais c'était plus souvent Malvédria qui se jetait gentiment sur l'autre. Il réalisa alors.
« Je ne connais même pas son nom. » dit-il à Vaatel. Ce dernier tentait de se cacher derrière la tête de son maitre pour échapper au regard des deux rongeurs.
« —Va faire connaissance, le taquina-t-il.
— Elles me font peur, répondit le djinn. » Anders tendit l'épaule pour le pousser à les rejoindre et le djinn d'Aleks braqua ses yeux sur lui, tel un phare dans l'obscurité. Les deux compères ressentirent un frisson leur glacer le dos, mais le djinn fut interrompu quand Malvédria lui sauta à la figure. Finalement, incité par son maitre, Vaatel descendit et sautilla gauchement vers les deux belettes. La première, celle d'Aleks, se stoppa net pour l'observer s'avancer. Vaatel hésita, mais le second rongeur s'approcha et commença à le bousculer amicalement.
« — Elle s'appelle comment ? » tenta Anders en désignant l'animal du menton. Il releva la tête pour découvrir que les deux jumelles s'étaient arrêtées de parler et le regardaient, inexpressives. Maes pouffa de rire, Milla décrocha un sourire bienveillant et Aleks soupira.
« — Il s'appelle Azdrael, dit-elle en insistant lourdement sur le premier mot.
— Désolé…, bafouilla le nouveau venu.
— Ils ont l'air de bien s'entendre en tout cas ! » le repêcha Milla en pointant les trois djinns qui se tournaient autour et sautillaient. Tout le groupe passa quelques secondes à regarder les animaux jusqu'à ce qu'au même instant, Azdrael et Malvédria – qu'Anders était incapable de distinguer – se séparent et grimpent sur leur maitresse respective, laissant Vaatel déconcerté.
Tous relevèrent la tête et prirent une inspiration.
« - Milla et Aleks vont travailler ensemble, annonça Maes. Toi et moi on va continuer à s'entrainer tous les deux. Je vais te montrer quelques techniques qui pourraient te servir et t'expliquer comment fonctionnent les exercices. » Anders attendit que les deux filles s'éloignent vers l'arène pour demander.
«  - Elles vont s'entrainer au combat ? » Vaatel et lui espéraient voir les jumelles en action pour évaluer leur niveau. Maes hésita quelques secondes.
« - En fait, non. Elles vont travailler sur un nouveau sort qu'a inventé Milla. » Il ajouta, devant le regard interrogateur de son ami. « Milla est très douée pour créer de nouvelles techniques et manipuler la magie. Aleks, elle,… disons qu'elle est douée pour la pratique. »

Ils retournèrent se placer au bord de l'arène et commencèrent à discuter magie. Anders expliqua comment il avait été formé par son père et Maes ce qu'il avait appris à l'académie. L'après-midi passa en alternant les séances de duels et de discussions sur l'enseignement et les exercices. Quand il en avait l'occasion, le mage jetait un coup d'œil discret en direction des filles. Elles s'entrainaient calmement en leur faisant dos. Les deux djinns étaient lovés dans le cou de leur maitresse respective pendant qu'Aleks exécutait le même sort à répétition et que Milla la conseillait. La première paraissait vulnérable dans sa condition d'élève et, si ça n'avait été pour le coup de poing de midi, il aurait été tenté de la croire faible. La seconde, elle, respirait la bonté. Elle se montrait patiente et attentionnée avec sa sœur en difficulté. Les deux exprimaient, de manière totalement opposée, une féminité qui laissait le mage rêveur.
« - Elle est mignonne, hein ? lâcha Maes au-dessus de son épaule.
- Je… non, je… » bafouilla l'autre. Vaatel s'était envolé de surprise ses joues avaient tourné écarlate. Il baissa le regard une seconde alors que son ami saluait Milla qui avait perçu leur conversation.
« - Laquelle ? » demanda Anders en reprenant un peu de contenance. Il jeta un regard malin au garçon mais sentait comme un poids sur son être. Quand il regarda les filles, il comprit. Feignant d'être endormi, Azdrael avait discrètement relevé la tête pour poser son regard intense sur lui. Il l'ignora pour observer son ami se débattre avec la question. Maes marmonna quelques mots inintelligibles pour exprimer sa crainte de représailles quelle que soit sa réponse et les deux éclatèrent de rire. Ce fut le signal de la pause pour tout le monde et Milla, après avoir donné un dernier conseil à sa sœur, les rejoignit.
« - Il est temps d'aller grignoter quelque chose, proposa-t-elle.
- Excellente idée » répondirent en cœur les deux garçons. Aleks exécuta son sort une dernière fois, un disque de magie se forma à quelques mètres devant elle, dessina une série de runes… puis s'estompa. La mage relâcha ses bras et Azdrael se blotti de plus belle dans sa capuche.
Milla trottina jusqu'aux gradins où elle avait laissé son sac et en sorti des viennoiseries et des fruits volés au dîner inaugural. Les quatre amis gouttèrent joyeusement en apprenant à se connaitre.

*

Sollicité par Milla, qui n'avait pas eu l'occasion d'apprendre à le connaitre, Anders raconta son histoire au groupe. Son père, Nyel Frey, avait été étudiant à l'académie dans sa jeunesse et, une fois sa formation terminée, avait décidé de parcourir le monde. Vivant au jour le jour, se nourrissant de boulots de mercenariat, il avait fini par croiser le chemin d'Edya, une négociante itinérante. Nyel abandonna sa carrière d'aventurier pour le commerce nomade aux cotés de sa femme. À la naissance de leur fils unique, ils décidèrent de s'installer dans la ville de Cascade et de former leur fils à la magie.

Les jumelles l'écoutaient, l'une souriante et attentive, l'autre un peu distraite. Anders se montra curieux et Milla se lança à son tour.
Les Everstën étaient une famille ancrée dans la politique de la ville depuis l'Exode des Royaumes Insulaires. Leur père siégeait au conseil de Cascade, subvenant aux besoins de sa femme, d'origine elfique. Passionné et cultivé, il avait réuni dans sa bibliothèque des dizaines de livres sur l'initiation et la pratique de la magie. Les jumelles, qui partageaient dès la naissance un lien unique, avait très tôt prit l'habitude de s'enfermer dans la bibliothèque et de dévorer les volumes. Très jeunes, les demi-elfes montrèrent une grande affinité pour la magie et effectuaient leurs premiers sortilèges. A l'aube de leurs douze ans, Milla déchiffra un ancien ouvrage qui détaillait le rituel d'invocation d'un djinn. Elle prépara son sortilège toute une journée et réussit à faire naître Malvédria. Stupéfaite, elle poussa sa sœur à l'imiter, provoquant l'apparition d'Azdrael. Suite à l'arrivée des deux belettes, leurs parents ne purent que céder à leurs supplications et elles rejoignirent l'académie.
Son tour venu, Maes se montra plus vague sur son passé. Il expliqua simplement qu'il était né près d'Adramécia, dans un petit village et que son talent pour la magie lui avait permis d'entrer à l'académie sous contrat. Il serait donc, une fois sa formation terminée, obligé de rembourser ses frais de scolarité en travaillant pour l'académie – en tant que professeur ou chasseur de mage.

« - Et comment vous êtes-vous connus ? » demanda Anders. Aleks, jusque-là silencieuse, expliqua.
« - Maes et moi étions en binôme l'année dernière. » lança-t-elle sèchement. Les deux autres restèrent inhabituellement silencieux et le garçon sentit qu'il ne fallait pas insister.
« - Si Aleks et Maes étaient tous les deux, qui était avec Milla ? lui souffla Vaatel.
- Je ne sais pas, mais j'ai l'impression que… » Il s'interrompit, prit de cette sensation qu'il commençait à connaitre. Il releva les yeux et vit Azdrael le défigurer, encore. Mais pas seulement lui. Bien plus subtile, Malvédria était blottie dans la robe de sa maitresse, mais il sentait son œil entrouvert braqué sur lui. Anders avait l'impression que le regard des deux belettes transperçait son âme pour lire en lui comme dans un livre. Il n'avait pas tout à fait tort.