lady in white

johnnel-ferrary

LADY IN WHITE

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     Tiens, voilà un titre qui n’est pas dans mon manuel scolaire made in France ? Me serai-je trompé en écrivant ce que vos yeux imprègnent dans vos cerveaux immobiles ? Je sais, je viens juste de mourir, un vieux pourrit de cancer et heureusement, le toubib à été sympa, euthanasie rapide et sans bavure. Rien que du chlorure de potassium dans la veine via un cathétaire, et hop, stoppé le cœur, plus aucune hémorragie gastrique, pas un seul bobo dans la tête. Par la suite, et suivant mes volontés alors que j’étais jeune, beau et bien portant, l’incinération fit de moi une poussière grise, rebutante, qui puait le cochon grillé. Pas du tout ragoutant ce truc, mais c’était ainsi, ma volonté de me voir dans les flammes de l’enfer, moi qui fût l’écrivain le plus banni des écrivains du vingtième siècle ! Oui, vous allez me dire que forcement, lorsque l’on offre sa plume au Diable, on ne peut récolter que la cendre du cendrier et non le cendrier en or ! Tant pis, une parole est une parole, et Lucifer, ce Diable brillant de tout feux, m’offrit son aumône en me donnant cet art si particulier de l’écriture. Après, j’eus droit à une machine à écrire diabolique, et oui ! Plus je tuais sur le papier, plus des guerres ouvraient la porte des cimetières. Je ne m’en suis aperçu que bien plus tard lors de la remise des plumes d’or et d’acier, une récompense qui saisit au col le génie de la littérature mais aussi le plus bringue de nos écrivaillons. Oui, et vous le savez, avec trois plume d’acier au compteur pour écrire des vérités forcement tronquées à la base par ma philosophie à deux balles. Pourtant, combien parmi vous ont lu mes phrases dans votre lit, dans vos bagnoles à l’arrêt sur une avenue embouteillée ? J’ai gagné du fric, je m’en suis servi pour voir des femmes de légère vertu, de l’alcool à foison dans mon verre d’alcolo ? J’ai donné du pognon à ma famille et à mes amis, à mes deux épouses des divorcées depuis, à ce putain de percepteur qui ne cessait le harcèlement morbide, et mon banquier, ce salaud qui sur moi, arrondissait ses faims de moi en me ponctionnant un pourcentage à chacune de mes arrivées de flouze. Bref, plus j’écrivais, plus vous achetiez mes bouquins, plus l’état et la banque se faisaient des plombages dentaires de platine ! Et puis, arriva ce cancer boutonneux qui, en quelques mois, me transforma en légume à cuire à la cocotte minute. Vu que sur mon testament, je devais d’abord passer par la douleur de mes proches, et finir en cuisson lente dans le four de bidoche humaine. Pas marrant pour mes proches, moins délicat pour moi puisque me voilà de l’autre coté du miroir. Faut que je vous le conte, bien que je ne sache si vous lirez ceci ? A moins que, disons un miracle du Bon Dieu avec qui je n’entretenais aucunement l’idylle proche et œcuménique. Bon, je suppute déjà que vous êtes là, penché du regard sur ces mots qui vous viennent de mon au-delà bien personnel qu’à moi. Et à moi seul si je crois ? Donc, ouvrant les yeux après les flammes de l’enfer, grillé comme il se doit, me voici debout à l’entrée d’une bouche de métro, celui d’une station bien connue des parisiens puisqu’elle allait porter mon nom. Je sais, j’ai oublié de vous dire celui-ci, mais il est de mon devoir de vous avouer que je ne sais plus comment je m’appelle car ici, que dalle, pas de nom, aucune horloge, et toujours ce temps cradingue qui vacille du bleu au gris, de l’orangé au rouge, du vert au marron teigneux. Debout, costar cravate, chemise et chaussures mocassins cuir. Un costume gris comme le ciel, des pompes noires et chaussettes assorties, la classe en quelque sorte alors qu’autrefois, on disait que j’étais le clodo de la bourlingue adverbale. Pas de costar, du rafistolage de tissus,  godasses et godillots, rasage une fois la semaine, douche lorsque j’y pense ! Là, dans ce monde nouveau qui s’ouvrait à mon doux regard d’altruiste en goguettes, j’étais le Prince adulé par un monstre invisible cette fois, c’est-à-dire Vous, public aimé qui chérissait tant ma prose alcaline. Je n’ai vu personne, à part une silhouette fugace dans le désert bétonné de ce paysage glauque. Invertébré je devais l’être, âme dissout lors du passage d’un périmètre entre la vie et la mort, et pourtant, un ticket de transport dans la main gauche, j’en sortais forcément de ce métro qui bringuebalait à mes oreilles. Tiens, j’entendais le bruit sauvage de la ferraille tumultueuse et tueuse à la fois ? Tintamarre à mes oreilles, pâleur des cieux, une odeur agréable flatteuse de narines me brusqua l’épiderme. Oui, j’étais revenu à mon point de départ lorsque j’habitais chez mes vieux. L’avenue d’Italie, la rue de Tolbiac, au loin une église où mon baptême fit de moi œuvre charnelle sacrifiée. Un bus des années cinquante passa devant moi. Vide. Coquille vidée de sa substance, œuf éclot à mourir, pas de chair, pas de dégoulinant jaune ni de gluante blancheur de la sève. Soudain, alors que je m’apprêtais à traverser cette belle avenue bordée par des immeubles géants qui ne touchaient pas le sol. Et qui montaient très haut dans ce ciel, et qui redescendaient au point de s’enfoncer dans le sol devenu subitement soluble sous la pression exercée par l’édifice. Je ne pouvais comprendre, même si mon cerveau trop accueillant pour des équations incongrues, me refusait cet ultime chemin de la connaissance d’un tel lieu. Et ce fût cette lady in white qui me prit la main et m’offrit son sourire d’ange vainqueur. Trop belle, trop blanche, bien trop angevine. Et sa voix que je pouvais entendre alors que sa bouche restait muette. A bien la regarder…Maman, voulu-je crier. Peine perdue, gorge sèche, aucun mot entre les lèvres et bouche close. Elle, par contre, me donnait de la voix entre bruissement d’ailes et marteau piqueur dans un fier bitume.

-     Bonjour mon parrain. Je suis heureuse que tu sois venu me rejoindre… Je t’ai attendu depuis de longues et sinueuses années à me morfondre. Allait-il enfin venir alors que les autres ladys avaient la chance de voir venir leurs parrains. Moi, je suis restée seule, mais je ne t’en veux pas puisque te voici enfin à mes cotés. Viens, je vais te présenter mes copines…

Cette jeune lady de blanche parure vêtue, avait le visage de ma mère à son âge… Enfin, je veux dire toute jeune comme peut l’être une jeune fille dont l’âge approximatif se calculait simplement avec deux superbes chiffres, le un et le sept. Dix sept ans, oui, vous lisez bien, elle devait avoir dix sept ans ma lady in white. Soit, évitez le crachat sur ces mots, car vous avez compris, dans ce monde, le temps ne peut exister. On arrive à l’âge de sa mort, et on y reste. C’est ce que j’envisageais pour un tel monde, fruit de mon imagination débordante de verbes imparfaits. Je la suivais donc, et nous nous retrouvâmes devant l’un de ces immeubles qui redescendait du ciel afin de s’engloutir dans ce frêle bitume dont la couleur était celle de mon costar. Gris sur du gris, et noires entre les deux. Mes chaussures !

-     Tu sais, ce jeu consiste à sauter dans un immeuble qui monte, se retrouver sur une plate-forme qui elle aussi monte. Lorsque tu arrives en haut, il te faut redescendre sur d’autres plates-formes qui elles, sont en train de descendre. Mais si tu n’arrives pas à sortir de l’immeuble alors qu’il s’enfonce dans le trottoir, tu vas te retrouver dans l’autre monde plus cruel que celui-ci. Et je vais te perdre pour toujours, mon parrain.

Soudain, tomba du ciel une escadrille de boules rouges et noires qui foncèrent sur nous. Ma filleule prit ma main pour la serrer fortement.

-     Vite, Parrain, dépêchons de nous cacher dans cet immeuble sinon la boule noire va te dévorer alors que la rouge elle est pour moi. Et cela fait mal d’être déchiré par la férocité d’une sphère à l’affût de sa proie. Elles se nourrissent de l’âme que nous sommes devenues, et je t’en prie, ne te laisses pas dévorer, tu aurais trop mal. Vite, fonçons…

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     Incroyable ! Dès que l’immeuble monte, tu dois sauter sur une plate-forme qui monte aussi. Mais dès que tu es en haut mon pote, tu as intérêt à sauter sur une autre qui redescend car autrement, tu es écrasé sur le plafond telle une mouche… Puis, tu sautes sur le sol du hall de l’immeuble et tu sors fissa sinon, à toi l’autre monde plus con encore que celui-là. Et là, tournoyant au-dessus de la sortie, des boules énormes rouges et noires qui t’attendent pour te bouffer cru. Alors que tu n’es rien d’autre qu’une âme d’après ma filleule visage de ma mère. Nous sortons et bien sûr, la pauvre petite se fait happer par une sphère rouge qui s’ouvre sur une dentition de métal brut. J’ai entendu le craquement des os, vu le sang qui gicle, la tête explosant avec les hurlements de douleur vive ! C’était fou, et je ne devais pas m’arrêter pour la voir disparaître dans cette bouche de fauve couleur de sang. Il me fallait me retrouver dans un autre immeuble qui remontait vers ce ciel de merde. Je courrais tel un bagnard fuyant le bagne et les gardiens de cet ordre maudit car aux trousses, les boules de noir vêtues, fonçaient sur ma silhouette de forme humaine. Un immeuble, une entrée, des plates-formes, et retour au point de départ. Sans ma filleule, sans ma lady in white ! Et cette phrase en maintes fois répétée dans ce que je peux définir d’esprit. Une phrase simple… Quel est cet autre monde, quel est cet autre monde… Il me suffirait de me laisser engloutir dans le bitume et attendre pour voir. Sauf si l’une des sphères me transforme en une viande saine et déflorée de tout sang ? Elles ont faim les salopes, elles en veulent du mec tout seul qui est mort dans le feu et devenu cendre ? Et ma filleule au visage maternel, bouffée par l’une de ces boules rouges qui l’a englouti comme on le fait d’un hamburger salade tomate fraîche ! Ma lady in white disparue, moi sur une plate-forme qui monte dans un immeuble qui monte lui aussi, comment ai-je pu écrire une telle connerie pour l’avoir vécue ? Voici le plafond qui arrive, je saute sur une plate-forme qui descend alors que l’immeuble descend aussi. Et si jamais je restais assis là, sur ce morceau de métal qui me laissera au sous-sol puisque ce nouveau monde parait-il, encore plus cruel que celui-là ? Alors oui, je tiens à vous le dire, je me suis assis et j’ai attendu que l’immeuble s’enfonce dans le trottoir. Et je me suis retrouvé dans cet autre monde encore plus cruel que le précédant. Ne me prenez pas pour un fou puisque je le suis devenu. Et je le sais !

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     Accepteriez-vous d’être les témoins d’un fou comme je le suis ? Non bien sûr, seulement voilà, vous continuez à lire cette histoire construite par un cerveau délocalisé de son intelligence de base, et vous vous demandez quel est donc ce monde plus cruel que l’autre ? Je suis resté sur la plate-forme de l’immeuble et j’ai vu s’ouvrir le sol de la ville. J’ai descendu loin dans les profondeurs où devait remonter le géant de verre et d’acier. Il y avait à la réception cinq ladys in black, le visage identique à celui de ma mère sauf la couleur de la peau, le noir. Je me suis levé, j’ai ouvert ma gueule et j’ai recraché ma lady in white aussitôt jetée en pâture à ces ladys qui la dévorèrent, ne laissant qu’une mare de d’hémoglobine m’éclaboussant. Je m’élevais soudainement et fonçais dans la grisâtre d’un ciel qui devint si limpide qu’il en devenait invisible. J’étais de nouveau seul devant cette effroyable bouche du métro parisien, station Tolbiac. Une femme me demanda l’heure et comment rejoindre la place de la Nation.

-     C’est simple Madame, vous prenez la direction La Courneuve ligne sept, et vous descendez à la station Chatelet les halles.

-     Merci mon parrain, me répondit ma lady in white. Je suis heureuse de te retrouver en ce lieu qui berça ton enfance et ta jeunesse. Tu veux bien me montrer l’église où tu as été baptisé ?

-     Bien sûr ma filleule, elle est là-bas, on voit ses deux clochers qui frôlent le ciel d’un triste gris.

Je lui montrais la direction où elle devait regarder alors qu’un vieil autobus des années cinquante la frôla. Je fus pris d’une sorte de vertige car je me sentais si fatigué, si las d’une telle situation, d’une telle histoire que seul un fou peut imaginer. Qu’allai-je devenir puisque je n’étais plus qu’un souvenir odieux dans la mémoire de mes ennemis, un souvenir douloureux dans celui des mes proches ? Et si je détruisais la machine à écrire sur laquelle s’imposent ces verbes, ces mots, ces lettres ? Alors que je décidais à m’endeuiller de cette machine, une effroyable fringale me fit perdre toute forme de réalité présente. J’ouvrais ma gueule métallique et absorba d’un seul coup de croc, ma filleule. Je compris tout de suite que dans ce récit, j’étais aussi cette affreuse sphère de couleur rouge. Oui, un autre monde plus dégueulasse que le précédant, me donnait le rôle d’une sphère cannibale. C’est dingue la possibilité que peut obtenir un écrivain frappant de ses doigts meurtris, le clavier d’une machine à écrire. Il faut que je vous parle de la mienne. Une UNDERWOOD qui date des années quatre vingt. Pas de ces vieux modèles qui hantent la littérature américaine des années trente, non. Mais c’est un mécanisme diabolique, de quoi vous rendre dingue dès la première touche frappée. C’est mon cas ! Plus j’écris et plus je me transforme, plus je me hante moi-même, mon moi me perfore les intestins, le foie, le cerveau, et maintenant je suis devenu cette sphère rouge qui cherche la chair tendre de ces Ladys in Blue… Les grandes avenues, les boulevards, les grands carrefours vides, pas un seul véhicule… Si, un autobus numéroté soixante deux… Un vieil autobus rouillé, le bruit du moteur je l’entends au travers des chants d’oiseaux qui ne sont que des figures de poèmes anciens. Et là, elle courre afin de se cacher de moi. Hélas, elle n’ira nulle part puisque je fonce sur elle et je la chope par la tête et je croque celle-ci. Le corps est resté sur le sol pendant que j’ingurgite ce met délicieux, une tête de lady in white… Incroyable ce goût rempli de douce amertume, d’une larme sucrée, de regrets qui se consumeront dans mon être. Repu, me voilà me posant sur un banc public malgré ma stature sphérique, et je ferme les yeux. Enfin, ai-je vraiment des yeux ? Une main sur mon épaule me réveille alors que je rêvais d’une plage ensoleillée. C’est un flic, bâton blanc et képi réglementaire.

-     Debout, qu’il me lance, pas de clochard sur les bancs, va cuver ton vin dans l’autre quartier. Tu es ici dans celui de l’auteur, le treizième arrondissement de Paname. Files, où je t’emmène au poste.

-     Mais Monsieur l’agent des forces de l’ordre, l’auteur de ce récit, c’est moi voyons ! Vous ne me reconnaissez pas ?

Il me regarde en face à face, m’observe, me scrute, m’analyse. Il prend son bâton et me le lance en pleine figure. Du coup je me réveille. Merde, je me suis endormi sur le clavier de mon ordinateur et mon café au lait est froid. On ne devrait jamais écrire des récits impossibles pendant la nuit, la preuve, je n’ai même pas dormi comme il faut. Bah tant pis, je vous envoie cette bafouille et vous dis à bientôt.      Johnnel B.FERRARY.

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