L'AFFRONTEMENT

ludion2

                                L'AFFRONTEMENT

Affrontes, tu dois affronter.

Elle répétait ces mots, comme pour se persuader qu’il fallait ouvrir la boîte de Pandore, et ainsi elle se débarrasserait du mal-être qui la rongeait depuis son enfance, et peut-être, enfin, trouver l’apaisement, et une vie sereine et calme.

La boîte renfermait la nature même de son problème : l’orgueil et l’agressivité

Il fallait les en extraire, et mettre à jour, à la surface du lac bouillonnant de sa  vie, les tranquillités enfouies et les silences qui apaisent.

Sa volonté ressemblait à un entêtement raisonné.

Les contradictions avaient été un des  poisons de sa vie.

Mais que dire à un enfant élevé dans le désordre d’un couple, à une époque où les seules attitudes familiales s’imprégnaient du regard des autres ; regard tourné essentiellement vers l’épouse ou la femme ou  la mère qui demeurait, chacune dans son rôle, entachée, suspectée  des faiblesses, de toutes les faiblesses ?

Mais il fallut du courage, beaucoup de courage, pour envisager seulement cet affrontement.

Il y avait eu tant de blessures subies, ressenties par les mots lâchés comme des chiens sauvages, ces réponses sèches, squelettiques,  qui ne renfermaient pas les retenues ou les faire semblants de phrases qui auraient dû apaiser ou calmer, et cicatriser en fin de compte.

Non, non, il fallait que ces mots tuent, pour expier ? 

Il fallait aussi vaincre les face-à-face et sortir en vainqueur de ces joutes oratoires mère fille, et puis, plus tard père fille.

Elle avait l’impression de raconter des souvenirs qui s’adressent à toutes les mères, leur donnant toutes les raisons d’espérer que finalement tout était banal et normal...

Il lui arrivait même de ne vouloir se souvenir que des moments heureux qui avaient dessiné les débuts de sa vie de femme.

Peut-être penser aussi qu’elle avait été normale, et aussi heureuse ?

Jasmine avait rencontré l’homme qui allait devenir son mari et très peu le père de son fils, un jour de l’automne 1997.

Elle n’avait que 22 ans et conjuguait encore le verbe rêver dans toutes ses déclinaisons.

Mais le recul qui lui permettait de sortir du contexte de son mariage, après avoir tourné toutes les pages du livre de sa vie, et, en lisant le dernier chapitre, avec ce désir malsain qu’ont certaines personnes à vouloir connaître la fin de l’histoire avant de comprendre le déroulement de l’action,  elle se dit qu’elle n’avait pas été programmée, mais pas du tout, pour se marier, en tout cas pas avec cet homme-là.

C’est vrai qu’elle avait crû au bonheur. 

Comment ne pas y croire ? Elle s’y était suspendue depuis si longtemps, comme la morale s’accroche à la vertu.

Elle imaginait que le bonheur devait ressembler aux boules multicolores suspendues au sapin de Noël.

Un sapin, dans la forêt, bien sûr, c’est beau, mais… celui de Noël !

-         Tu voulais me parler ?

Elle eut peur soudain d’affronter sa mère.

Oui elle voulait lui parler, mais elle sentit que sous cette interrogation, perçait le défi, ou une mise en garde habituelle, comme toujours, comme d’habitude, oui.

Ainsi l’écolier qui veut se mesurer à son copain et lui promet : « …tu vas voir ta gueule à la récré.. » Sauf que sa mère était l’aînée et qu’elle était le « minot ».

Pourquoi, pensa-t-elle en une seconde, ai-je toujours eu peur d’elle ?

Vas-y, fonces. Ecrase-lui la gueule, c’est la récré ! Tu es la plus grande …

-         Non, et bien… euh, oui, je voulais avoir de tes nouvelles, bavarder, quoi…

-         Ah ! bon, j’ai cru que tu avais quelque chose à me dire, en particulier. 

-         Il y a si longtemps…

-          Ben, tu sais, le temps, pour moi…Enfin, tu vois ce que je veux dire ! Et ta santé ? et ton père… ?

-           Quoi, mon père, répondit-elle en fermant ses yeux, comme si son rimmel venait de piquer une colère. Je suis habituée ...

(Voilà que ça recommence. Je suis habituée… à quoi ?

Tais-toi, et continues, tu gères bien.)

-         Tu ne vas pas me dire que tu t’es encore fâchée avec lui ? Non ?...

-         Non, mais, c’est pas facile tu sais… Avec lui, c’est toujours les engueulades. Depuis que tu es partie la vie a beaucoup changé. Papa  en est à sa troisième femme. Je pense que, vu son âge, c’est peut-être la dernière, qui n’est pas si mal, du reste.

-         Ca lui fait quel âge ?

-         75. Et toi, tu devrais avoir 71 non ? Quand je pense que j’en aurais 30 à la fin de l’année. Tu te souviens ?

-          De quoi ?

-          Los Angeles… j’avais 11 ans ! Tu m’avais obligée à prendre des leçons de piano et des cours de théâtre chez Lee Straberg. C’était sur Hollywood Boulvard, je crois. Papa venait me chercher tous les mercredis à 6 heures, à la  fin du cours.

-         Et alors ?

-         Et alors, et bien tu n’étais jamais là..

-         ..Tu sais pourquoi ?

-         Oui, je sais, ton travail, tes voyages, tout ça pour moi, pour mon avenir. Je connais tes réponses, Maman, par cœur. Mais tu me manquais et j’aurais aimé te voir et t’avoir plus souvent. Ce ne sont pas des reproches, mais tu sais, c’est quoi une mère si à la sortie de l’école on ne voit pas dans la foule des autres mères, son visage tant espéré.

Elle écrasa une larme qui coulait sur sa joue froide.

Elle voulut l’effacer pour ne pas montrer sa peine, refoulée depuis si longtemps.

Depuis toujours, elle avait décidé de ne jamais faire voir sa peine ou ses émotions, comme les Anglais savent le faire, paraît-il.

Elle voulait se durcir. Elle avait pensé que cela  serait une forme de talisman qui la protègerait contre le mauvais sort. Comme les contours des dalles du trottoir qu’elle enjambait pour ne pas marcher dessus, ce qui lui permettait de réaliser ainsi ses vœux. Son père, en rejoignant avec elle le parking situé derrière le restaurant « Le Petit Four », sur Hollywood Boulevard, lui criait : « Fais attention, ne sautilles pas comme ça. Marche normalement. »

Il ne savait pas qu’elle conjurait le mauvais sort, et que le lendemain, au Lycée Français, sur Overland,  elle aurait un A+ à son test de littérature…

Pauvre Papa, il ne comprenait rien à rien.

-         Tu sais, quoi, c’est bizarre, je t’appelle Maman et je me demande si ma      bouche qui vient de prononcer ce mot et semble si étrange,(Maman…répéta t elle plusieurs fois, en écoutant en écho, le son de sa voix), et  ne serait pas un mot nouveau que je viens d’inventer….

Et là, elle explosa.

Un long sanglot, éructant les longues retenues de ses peines, comme si elle s’en voulait de les avoir enfouies depuis si longtemps au fond de son âme, ce flot de larmes la libérait de ses inutiles angoisses, des larmes chaudes qui ruisselaient sur son visage de petite fille, il y a longtemps, la bouche grande ouverte pour happer l’air qui  l’empêcherait de s’évanouir, mêlant sa salive au goût salé de sa peine, des larmes qui lavaient tout, essuyaient les affronts, les engueulades, enfouissaient les peines, les regrets, et même les remords.

Son visage demandait pardon  pour toutes les peines occasionnées, reniait les forces intérieures qui les avaient masquées pour s’en affranchir enfin.

Il y avait là le règlement de toutes les factures qu’elle n’avait jamais voulu payer.

Elle prît sur elle de se relever.

Elle posa le pot de fleurs qu’elle venait d’apporter sur la pierre froide de la tombe de sa mère.

Elle toucha le marbre du bout de ses doigts et les porta à sa bouche :

-         Au revoir Maman…

-          Pourquoi es-tu venue me voir ?

-         A cause de Marion…

-         ..Marion ? Ta cousine ?

-         Elle est morte !

-         Mon Dieu… Comment ça ? Mais elle avait presque ton âge !

-         Elle était dans le train de Madrid, en 2005 qui l’emmenait à son travail.  Et puis  il y a eu une bombe. Elle était dans le wagon, elle lisait un livre. Et puis tout à basculer. Elle laisse une petite fille de 2 ans. Elle a été déchiquetée. C’est un bracelet que sa mère lui avait offert l’année précédente, qui a permis de l’identifier.

-         Que me dis-tu là !

Elle se retourna et descendit l’allée qui séparait les tombes du cimetière.

Si elle ne s’était pas retournée, elle aurait pu apercevoir un tourbillon de feuilles mortes s’envoler au-dessus de la grille du cimetière, alors qu’elle venait de la dépasser.

Mais, tout à son chagrin, elle ne le vit pas et traversa le chemin pour regagner sa voiture.

Comment expliquer les silences entre une mère et sa fille ?

Comment les comprendre, surtout.

Deux femmes, l’une en devenir, l’autre en souvenir, toutes deux placées dans l’espace originel qui les obligent à garder les liens  qui les rattachent l’une à l’autre, et  se retrouvent  dans le vide  de l’autre ?

La jalousie, la rivalité instinctive de deux étrangères qui s’acharnent à ne pas accepter l’existence de l’autre,  parce qu’elle représentait peut-être une menace ?

Je regarde deux insectes femelles enfermés dans un bocal et ressent, par leurs mouvements désordonnés, une terreur née du refus du contact, qui peut aller jusqu’à la mort.

C’était le même combat !

  • Merci, la Louve !
    Un problème s'est posé concernant "L'Amour, rien que l'Amour!"
    Cette nouvelle a été remplacée par "l'Affrontement" qui est le même texte.Ne sachant comment effacer le premier titre, je m'excuse pour le désagrément de regarder une page vide. Merci de votre intérêt.LUDION2

    · Il y a presque 14 ans ·
    Venise et alicante 039 orig

    ludion2

  • j'aime beaucoup l'ecriture

    · Il y a presque 14 ans ·
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    la-louve

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