Laïcité ou Fraternité anonyme

Jean Claude Blanc

d'actualité ce dilemme ...à cogiter

                     La laïcité, ou la fraternité anonyme

 

Une vieille légende veut que ce soit Robespierre qui ait souhaité ajouter le mot fraternité à la devise républicaine, « Liberté, Egalité, Fraternité ». Peut-être voulait-il résoudre la contradiction

entre les deux premiers ? La liberté conduit aux pires inégalités. L'égalitarisme bride absolument la liberté. Laissant la liberté et l'égalité jouer leurs contradictions, la fraternité aurait été cet « éther » qui aurait rendu les actions humaines supportables. La fraternité est sœur de l'altruisme, de la compassion, de la bonté, de tout ce qui n'existe plus dans une société où le combat plus ou moins haineux de tous contre tous tient lieu de mode de fonctionnement.

La fraternité n'existe pas sans la tolérance, et la tolérance est un des ferments de la laïcité. C'est pourquoi la laïcité et la fraternité sont sœurs. Imaginez ; vous êtes la veille de la St-Barthélemy ; vous papotez avec des égorgeurs qui affûtent leurs couteaux. « Voyez, les gars, ces parpaillots là-bas…c'est vos frères ! Ouais, ils croient pas en la virginité de la Vierge, mais… » Trop tard, vous êtes mort. Maintenant, vous vous promenez dans les rues du 18ème arrondissement, un vendredi soir. Des barbus font leur prière. « Salut les gars, je viens vous parler de la laïcité et vous offrir un abonnement aux Droits de l'Homme ! »

Aïe ! ces exemples pour dire que la laïcité n'est pas athée. Elle est a-religieuse. Elle respecte les religions, mais leur refuse toute suprématie, et tout droit d'organiser la vie en leur nom. Elle n'est pas strictement matérialiste, car elle doit se méfier aussi de la religion du Progrès et de la Science, ou de celles, plus contemporaines, de l'Economie et de l'Argent. Tout religieux est sectaire et intolérant. Tout religieux est non fraternel, en dehors des adeptes de sa secte.

La République Française réussit la séparation des Eglises et de l'Etat. Sans doute le christianisme (« Rendez à César ce qui est à César ») facilite-t-il cette séparation plus qu'aucune autre religion. Robespierre sentait que cette séparation était très difficile, aussi inventa-t-il son laïque « culte de l'Etre suprême » : à chacun son Etre suprême. La loi de 1905

paracheva cette séparation. Elle est à l'honneur de notre pays.

Le retour du religieux est un échec de la fraternité. La laïcité était adaptée à une république sociale, non à la dictature de l'argent et de l'égoïsme, qui sont la porte ouverte à tous les sectarismes. On comprend que les USA soient un pays hyper-religieux et intolérant :

Quand il n'y a plus rien entre les hommes que l'échange et l'argent, dans une vie dominée par la frustration, il faut bien soigner son angoisse et sa dépression par la croyance en l'existence d'un Etre supérieur ou par la haine de l'autre. A quoi ça sert tout ça, si en plus il n'y a plus rien après ? Dans 4 milliards d'années le Soleil s'éteindra, et toi, petit soleil qui dure quelque 80 ans

en moyenne, tu t'éteindras bien vite : raison de plus, pour être tolérant.

La défense de la laïcité est sans doute l'un des combats les plus difficiles, car il propose à des hommes et des femmes, au-delà de la liberté et de l'égalité, la fraternité : même pas la vie éternelle, même pas les vierges du paradis, même pas la vanité de l'argent, même pas l'orgueil de l'aumône. Simplement le sentiment de participer, discrètement, d'une forme de justice anonyme. Toujours des mains se tendront vers Calas et Dreyfus. Inventer la fraternité anonyme : voilà le rêve laïque.

Les temps sont durs pour la laïcité, non à cause du retour du religieux (la phrase de Malraux : « le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas », n'a pas grand sens), mais à cause de l'effondrement du social. L'effondrement du social est l'émergence du sectarisme.

Etre laïque aujourd'hui est plus qu'un devoir moral : une question de survie.

 

 

JC Blanc       octobre 2019   

(Article)    

 

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