L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 11

plume-scientifique

CHAPITRE 11

 

 

François m’avait emmené en promenade aux jardins des Tuileries. Le ciel était dégagé et d’un bleu pastel. Le soleil perçait et réchauffait l’atmosphère déjà fraîche de l’automne. Les feuilles commençaient à changer de couleur, le vert foncé devenait or, cuivre ou brun. On se sentait loin de la ville à n’entendre que les oiseaux, le bruissement des feuilles, le clapotis de l’eau. Bras dessus, bras dessous, nous longeâmes le bassin octogonal et l’on se promena dans les « bois » du jardin. Sur mon chapeau, j’avais discrètement accrochées quelques roses blanches de la serre en signe de ce nouvel amour. François était un homme très discret et cela me convenait fort bien. Nous partagions bien plus dans nos silences complices que dans des paroles inutiles. Mon bel-ami m’avait offert une parure magnifique que je ne quittais plus. Lorsque le soir tomba, il me quitta dans un baiser tendre qui me ravit. Dans le hall, je me débarrassais de mon chapeau, de mon châle et de mes mitaines. Dans un couloir, j’entendis la voix d’une femme qui ne m’était pas inconnue. Je tendis l’oreille et chercha à me rapprocher de la source, descendant les escaliers et virevoltant à droite, à gauche. Finalement, une porte s’ouvrit à quelques mètres de moi et madame Caroline apparut, toujours aussi belle mais visiblement mécontente. Elle se dirigea vers moi pour rejoindre la sortie.

-Votre autre robe était bien moins laide, cracha-t-elle sans s’arrêter.

-Qu..Quelle robe ? Répondis-je bêtement, surprise d’une telle attitude de sa part.

-Celle de tout à l’heure, cria-t-elle sans se retourner.

J’eus un moment de trouble. Puis une idée germa dans mon crâne. Une porte claqua dans mon dos.

-Monsieur de Gurvan, demandais-je dans un état second, est-il possible que ma sœur soit ici ?

-Elle est dans la salle à manger avec votre père. Roxana ! Cria-t-il à mon encontre alors que je partais en courant.

Ma sœur ne me vit pas arriver et cria de stupeur lorsque je lui sautais dessus. Je la serrais à l’en étouffer. J’avais tellement eu peur de la perdre ! C’est vrai je lui en voulais, je regrettais notre passé si tranquille, notre complicité, je n’aimais pas son Cyan, je n’aimais pas cet ordre et je lui referai sûrement la tête après, mais en cet instant, seul comptait que je la tienne dans mes bras.

-Roxana, un peu de tenue, me dit Père.

Je sentis ma sœur m’éteindre avec force en retour. Je l’entendis renifler et en tournant la tête, je la vis en larmes. Elle aussi n’avait pas dû relâcher ses nerfs depuis longtemps. Je luttais pour ne pas fondre avec elle, je devais la soutenir. Je lui caressais les cheveux et lui murmurais de ne plus s’inquiéter, qu’elle était à la maison maintenant. Je vis Père, installé loin de nous, partagé entre l’émotion et sa rancune. Je sentis un corps chaud et musclé se coller contre nous, une odeur de musc avec lui. Des bras puissants nous serrèrent et une tête plongea dans nos cheveux. « Mark ? » Soufflais-je, surprise. Je l’entendis ricaner et de sa voix étouffée il interpella Vladimir : « allez, viens ou ça va gâcher le tableau ».

M. Olivera me rendit mon statut de femme et la coquetterie qui allait avec. Lorsqu’il me proposa une promenade afin de faire taire mes questions incessantes, j’acceptais son offre, trop contente de sortir dehors. Il m’amena là où je n’aurais jamais cru revenir. Chez la Pompadour. L’accueil ne fut pas accueillant loin de là. Père tirait une tête mitigé entre la rancune et le soulagement, Vlad était fermé et boudeur, quant à Mark il se contentait de me regarder sans rien dire. L’atmosphère était tendue et je ne voulais que fuir ces hommes. Mais Hyppolite me poussa vers eux.

-J’ai pensé que vous seriez soulagés de voir qu’elle allait bien, dit-il à Père.

Père acquiesça mais ne dit rien. Devais-je me justifier ? Leur dire qu’ils m’avaient manqué ? Je n’arrivais pas à me décider.

-As-tu appris ta leçon sur la vie ? me demanda Vlad acide.

Mon frère acide ! Il était bien mielleux avant.

-Il n’y a aucune leçon à tirer, lui dis-je. J’ai fais mes choix.

-Et regarde, où ils t’ont emmenés. A la Bastille ! Il n’y a pas de quoi être fière.

-J’assume et affirme tous mes choix. Si cela ne te plait pas c’est ton problème. Mais ce n’est pas en restant dans ta classe sociale entre quatre murs que tu verras ce qu’est la vie.

-Tu as gagné en impertinence dis donc, dit Mark.

-J’ai eu malgré moi un compagnon de cellule fort mauvaise langue.

-Josse n’est pas l’homme le plus agréable qui soit, confirma Hyppolite.

-Je l’aurais étranglé dans la semaine si cela avait duré plus longtemps.

Mark pouffa ce qui détendit l’atmosphère générale.

-Merci d’avoir ramener ma fille Hyppolite, dit enfin Père.

-Cela vous allègera le cœur mon ami.

Père acquiesça et on me percuta ce qui m’arracha un cri de stupeur. Une tête rousse apparut dans mon champ de vision et je serrais fort ma moitié. Il était inutile que je voie son visage pour la reconnaitre. Roxana était sauve ! J’avais eu si peur qu’on la mette avec un autre détenu peu scrupuleux. J’étais si soulagée que toutes les émotions de ces dernières semaines me submergèrent de larmes. Larmes de soulagement, d’anxiété, d’amertume mais aussi de joie et d’incertitude. Je fus surprise que Roxana me réconforte à la manière de Caïn. Non, en fait c’était Caïn qui me réconfortait comme elle. Mark nous étreignit à ma grande surprise. Il ricana afin de cacher son trouble et appela Vlad à participer. Ma sœur et mes frères bien-aimés m’offrirent un câlin collectif. Autant d’affection qui me firent pleurer de plus belle. Pour un instant, j’avais retrouvé notre lien de jadis, et force était de constater qu’il m’avait énormément manqué. L’étreinte se desserra à mon plus grand regret et notre Père s’avança vers nous. J’essuyais mes larmes embarrassantes afin de lui faire face mais il se contenta de me donner un regard attendri et je lui sautais dans les bras. Combien de temps cela faisait il depuis ? M. Olivera se racla la gorge nous arrachant à notre instant de retrouvaille. Il nous regarda tous gravement :

-Je suis désolé de vous l’avoir amené pour la reprendre aussitôt mais il y a une chose que seule Lucretia peut faire.

-Hippolyte, ne me dites pas que vous êtes avec ces coquins ?

-Ce sont mes amis Père !

-Tu as des drôles d’amis, dit Mark sarcastique.

-Tu veux qu’on parle d’Aimar peut être ?

Voilà qui lui cloua le bec.

-C’est justement le sujet qui nous intéresse, reprit Hyppolite. Aimar, ou plutôt comment l’empêcher de nuire.

-Vous voulez que je l’empoisonne ? Lui demandais-je.

-Lucretia ! S’alarma ma sœur. Tu ne vas rien faire ! Je ne te laisserais pas faire quoi que se soit qui te renverrait à la Bastille !

Je soupirais. Encore un dilemme. A croire que ma vie tournait autour de ce mot. Je fixais Olivera en attendant la suite.

-Je crains que nous n’ayons pas le choix malheureusement, soupira-t-il. Aimar fomente son complot contre le Roi et ses hommes commencent à bouger. La Noctule n’ayant plus son chef et ses piliers, ils ont le champ totalement libre pour mettre leurs plans à exécutions. Jai besoin autant des connaissances de votre fille que de la concupiscence qu’Aimar a pour elle.

-Hyppolite vous êtes un fou ! s’exclama Père furieux.

-Il en va de la vie du Roi et de ses héritiers mon ami.

-Je n’ai jamais tué mais je le ferai, lui dis-je.

-Lucretia ! s’exclama ma sœur effrayée.

-Seulement si j’ai la garantie qu’ils seront libérés.

-Il est louable de marchander mon enfant mais je crains de ne rien pouvoir faire, me dit Hyppolyite navré. A ce stade, seul le Roi peut faire quelque chose.

-Dans ce cas il accordera très certainement une faveur en gage de gratitude ?

-… J’ai l’impression de voir le talent de Cyan et la hardiesse de Josse à travers vous. Et un chat petit sauvage et rebelle.

-Vous n’allez pas vous y mettre aussi !? D’abord Caïn, puis Henri, Josse et maintenant vous ! Où voyez-vous un chat sauvage ici !? S’il faut sortir griffes et crocs pour obtenir justice alors le chat est bien trop gentil pour pouvoir remplir cette mission. Vous êtes de bons amis du Roi, il devrait vous écoutez, essayez juste...

- Pourquoi veux-tu sauver ces gens ! S’énerva Vlad. Ils t’ont tout pris ! Jusqu’à ton propre jugement !

-Avant de juger quelqu’un apprend à le connaitre. Ce ne sont pas des gens mauvais. Quel mal y a-t-il a donner à manger aux pauvres, soigner les nécessiteux et contrecarrer les tentatives d’assassinat de sa Majesté ? J’ai pris ma décision. Je vais le faire.

-C’est la seule solution j’en suis navré, soupira Hyppolite.

-N’en avertissez pas mon mari, lui dis-je. Il serait capable de s’échapper pour m’en empêcher.

-Au moins a-t-il du bon sens il faut le reconnaitre, dit Mark. Nous sommes aussi impliqué, tu ne peux pas décider pour nous.

- Dans ce cas que décidez-vous ? Je vous laisse émettre vos suggestions. Je les écouterais aussi objectivement que possible. Roxana, qu’en penses-tu ?

Même si je gardais en travers quelques souvenirs, j’avais fini par comprendre que la Noctule avait un bon fond. Soulager les pauvres était une bonne initiative pour empêcher qu’ils se rebellent et éviter une catastrophe.

-Père et la marquise sont proches du Roi, il ne sera pas difficile de lui faire part de la réalité. Peut-être nous aidera-t-il à combattre la Pléiade ? Disons, faire des membres de la Noctule des espions du Roi en échange de leur liberté ?

-Ce serait une excellente idée, m’encouragea ma sœur.

-Et ensuite ? Interrogea Mark. Comment allons-nous combattre Aimar et la Pléiade ?

Chacun interrogea les autres du regard. Personne n’avait vraiment envie de dire tout haut ce qui s’imposait.

-Il faut infiltrer l’ennemi, dis-je finalement. Je vais proposer une initiative mais n’hésitez pas à intervenir. Oh, attendez ! Il nous manque quelqu’un.

Je fis appeler Monsieur de Gurvan. Lorsqu’il nous rejoignit, je repris mon idée :

-Il faut combattre la Pléiade en divisant la Noctule en deux factions : l’une sera chargée de combattre l’ennemi de l’extérieur. Je pense notamment aux membres qui forment la Noctule aujourd’hui, toi avec Lucretia. Ton association avec eux ne peut être passée inaperçue et Aimar doit se méfier de toi désormais. Vous devrez continuer à user de vos réseaux, à entretenir l’aide donnée aux peuples…bref tout ce que la Noctule fait déjà.

Une autre faction devrait intégrer la Pléiade.

Ces mots firent frémir l’assemblée. Certains eurent un mouvement de recul. Les visages semblaient refléter une seule question : qui ?

-En devenant membre, continuais-je pour retarder le moment fatidique, on saurait quelles sont les intentions, qui arrêter et comment faire échouer leur plan. Qu’en dites-vous ?

Tous les esprits semblaient d’accord mais le dire tout haut serait admettre une terrible conséquence.

-Qui se chargerait d’une telle mission ?

Monsieur de Gurvan avait lâché le problème. Qui ? Qui oserait jouer un tel rôle ? Qui serait capable de tromper la Pléiade ? Qui accepterait toutes leurs demandes, se soumettrait aux épreuves ?

-La question est simple, annonça Lucretia, qui est capable de tuer ? Car c’est bien ça la question. La Pléiade fait plus couler le sang que l’encre. Ils demanderont des preuves de loyauté. Alors qui ?

J’avais pensé que Mark, au vue de son amitié avec Aimar, accéderait plus facilement à cet ordre. Mais je ne pouvais me résoudre à voir mon frère subir des horreurs ou en commettre. Et pourtant, peu de monde pouvait agir. Je sondais mon âme le plus profondément possible. Etais-je capable de faire tous ces efforts ? J’en doutais fort.

-Très bien, soupira bruyamment Monsieur de Gurvan, j’irais.

Tout le monde se tourna vers lui, le visage empli de stupeur et en même temps, de soulagement. Personne ne protesta, personne n’acquiesça et le silence fut un accord implicite.

J’étais soulagée que les miens ne se soit pas braqués mais tout de même inquiète. Monsieur de Gurvan serait-il capable d’accomplir cette mission ?

-Vous êtes conscient que vous devrez probablement tuer, lui répétais-je.

-Si c’est le seul moyen de protéger le Roi il le faudra.

-Sans vouloir vous offensez, j’ai quelques doutes à ce sujet mais je ne suis pas qualifiée pour ce genre de savoir.

-Une fois Geneviève et Joseph libres, ils vous formeront à toutes les possibilités, lui dit Hyppolite. Ce sera loin d’être plaisant.

-Je n’en doute point, dit Gurvan.

-Lucretia, vos talents d’empoisonneuses seront toujours utiles. Si jamais vous êtes repéré se sera le meilleur moyen pour vous de mourir en vous évitant la torture.

-Toute cette histoire prend des proportions bien inquiétantes, dit Père. Je doute que Lucretia sache fabriquer un poison aussi virulent et rapide.

-Il est déjà presque achevé Père, lui dis-je. Mon mari m’en avait demandé un prototype. La fiole que j’ai failli boire ce jour-là, tu t’en souviens Roxana ?

-Oui, acquiesça ma sœur en frissonnant.

-Il m’en reste un seul flacon dans ma boîte à herbes mais je n’ai pas pu constater les effets. J’en avais donné aux souris de mon laboratoire secret.

-Un laboratoire secret ! s’exclama ma sœur. C’est pour ça que tu disparaissais et apparaissais subitement dans ta chambre !

- Oui, dis-je honteuse. Mark devrais retourner à Chambord pour faire l’autopsie. Cela nous aiderait à déterminer sa puissance et si je dois ajuster les effets. Cela te dérange-t-il ?

-Je le ferais si tu m’indiques l’entrée, me dit mon frère. As-tu d’autres secrets ?

-Concernant la Noctule aucun mais il me faudra cette boîte. Mais je me demande si Josse acceptera l’offre du Roi ? Il est plutôt hargneux à son sujet.

-Le Roi a fait décapiter leur père après tout, dit Hyppolite. Mais il suivra Cyan partout où il ira.

-Oui…Je ne doute pas qu’Amy le poursuive pour l’y traîner de force si ce n’était pas le cas.

-Et nous que faisons-nous ? demanda Vladimir.

-Vous continuez votre vie, dit Hyppolite. Lucretia restera avec moi afin de ne pas attirer les soupçons sur vous.

-Vous pensez réellement que Mme de Pompadour nous aidera ? demanda Mark. Après tout elle aura peut-être peur de s’impliquer.

-Elle nous aidera, leur dis-je. Après tout mon mari est son cousin.

-Son cousin !?

-Oui. Je suis sûre qu’elle n’aimerait pas que cette information s’ébruite.

-Le hasard fait décidément bien les choses, souligna Monsieur de Gurvan.

-Bien l’affaire est ficelée, dit Hyppolite. Nous nous reverrons dans une semaine. J’organiserais une fête et inviterais Mlle Roxana qui nous donnera la boîte et les informations de Mark. Je lui confirai les nouvelles que j’aurais récoltées de mon coté. Il est temps d’y allez Madame Lanoir.

J’acquiesçais tristement et serra chacun d’eux dans mes bras à part M. de Gurvan qui eut un signe de tête. M. Olivera me ramena donc chez lui pour une longue attente.

J’étais attristée que ma sœur me quitte déjà. Mais mon esprit fut vite occupé par le repas qui s’annonçait. A l’instant même où la réunion avait été achevée, les bonnes étaient arrivées comme autant de fourmis travailleuses, pour préparer la salle. Nappe blanche, assiette de porcelaine, argenterie, chandeliers pour éclairer la pièce devenue sombre avec la tombée de la nuit. A l’idée de bientôt diner, mon ventre se mit à grogner. Demain, nous allions tous entrer dans l’action. Je ne pouvais m’empêcher de jeter des coups d’œil à mon précepteur. Son choix me laissait encore perplexe mais je ne lui demanderai jamais ses raisons ; par ailleurs, j’éprouvais de l’inquiétude à son égard. J’avais- et je m’en rendais seulement compte- une amitié pour cette homme après tout ce temps et il me semblait que c’était devenu réciproque. Il était mon mentor, celui qui m’avait guidé en temps de troubles.

A la fin du repas, chacun alla se coucher de bonne heure. Juste avant de le quitter, je priais Père de m’emmener avec lui à la Cour.

« Pourquoi cela ?

-François y est, répondis-je un peu gênée. »

Il me sourit tendrement et prenant ma tête dans ses mains, il me souffla : « Il reste tout de même des choses belles dans ce monde à la dérive ».

Madame de Pompadour pestait beaucoup depuis ce matin. Mark était parti très tôt, alors même que l’aube se levait à peine. Le bruit des roues sur le gravier m’était parvenu. Lorsque je n’entendis plus rien, une vague de nostalgie m’avait saisie et un vide s’était creusé en moi. Quelques heures plus tard, nous étions à notre tour dans une voiture menant à la Cour. Et la marquise n’appréciait guère que son « favori » soit parti en douce. Et son humeur n’allait pas s’arranger avec nos nouvelles. Père amena les choses avec beaucoup de finesse, commençant par une discussion banale pour la détendre, puis l’amener peu à peu au sujet qui nous intéressait. Contre toute attente, elle écouta très docilement et avec attention.

-C’est d’accord, lâcha-t-elle après tout notre discours.

-D’accord ? Répétais-je incrédule.

-J’accepte qu’un tel ordre d’espionnage soit créé pour Louis.

-Sauf votre respect, madame, c’est au roi de décider non ?

-Sans vouloir vous offenser, ce que je tolère, le roi le tolère. Je ne gouverne peut-être pas, mais je suis sa plus grande conseillère et sa plus fidèle amie. Il se fiera à mon jugement.

Je la trouvais un peu présomptueuse mais si elle disait vrai, alors nous avions gagné une première bataille.

Hyppolite fut très généreux. Il me couvrit de papiers, encres, livres, plantes et ingrédients alchimiques en tout genre. Je pris une feuille et réécris tout le mode opératoire du poison que j’avais préparé. Lorsque ce fut fait, je restais longuement à passer la liste des ingrédients en revue. Comment améliorer un poison comportant déjà autant d’éléments toxiques ? Mais cette amélioration aurait elle un effet ou ruinerait elle le mélange ? Quel était l’antidote qui pouvait le contrer ? Et quels antidotes pouvaient retardés ou interférés ? Il y avait énormément de facteurs à prendre en compte. La poussière des ténèbres était un pollen toxique par voie respiratoire mais dans un liquide son effet était inexistant du fait de sa dilution et il n’était pas compatible avec la belladone. Le liquide argenté ou dérivé du Mercure en présence d’un autre Métal que le Fer était toxique et utilisable. Il faudrait beaucoup de précaution et veiller à ce que la potion ne s’épaississe pas de trop afin de ne pas être obliger de diluer. Le Mithril pouvait devenir poison si on le faisait fondre avec un certain breuvage. Aussi pourquoi ne pas mélanger le mercure et le Mithril et le faire fondre pour l’y incorporer ? Cela semblait être une bonne piste mais tant que je n’avais pas les résultats de Mark, me lancer dessus serait trop dangereux. Que faire dans ce cas à part étudier ? J’étais seule. Je ne pouvais pas voir ma famille sans éveiller les soupçons et mes amis étaient en prison. Caïn me manquait vraiment et je pouvais que jeter mes sentiments sur le papier pour les extérioriser. Je soupirais après avoir fait cela et descendit manger. Lorsque je remontais il n’y avait plus de papier et encore moins d’Hyppolite dans la maison à la place se tenait une jeune femme austère.

-Je suis Pénélope, Monsieur m’a demandé de vous tenir compagnie.

De me surveiller plutôt oui. Cette femme n’avait rien d’innocent. Elle avait la même aura menaçante que Josse et Ginie et j’étais certaine de ne pas l’apprécier au vu de son odieux comportement.

Revoir Versailles me procurait un double sentiment : mauvais souvenir et espérance. Dans ma chambre, je trépignais d’impatience. Père m’avait déjà rappelé à l’ordre deux fois et une troisième ne tarderait sûrement pas.

-Rox… !

-Oh ! M’exclamais-je en voyant madame de Pompadour entrer. Alors ? La pressais-je.

Elle leva la main pour me faire taire. Père s’était levé d’un bond, les nerfs à vifs.

-Le roi est très occupé en ce moment, l’aristocratie lui donne beaucoup de fil à retordre. De plus, la guerre avec l’Angleterre n’arrange rien. Le roi ne nous recevra pas de sitôt. Il va falloir patienter.

-Patienter ! M’écriais-je, mais le roi est en danger ! La Pléiade pourrait intervenir n’importe quand.

-Roxana, baisse d’un ton, me réprimanda Père. Le destin de la France est la priorité.

-Quelle importance cette guerre si demain le roi est mort ?

-De toute façon, trancha la marquise, insister nous sera défavorable.

Je soupirais. Lucretia devrait attendre avant de revoir Cyan. Combien de temps nous faudrait-il attendre ? Dieu seul le savait. Et le roi.

Je frappais à la porte et on m’autorisa à entrer. Je passais timidement la tête dans l’entrebâillement tout en souriant. Puis je me jetais dans les bras de mon amoureux. Je l’embrassais passionnément, me sentant invincible dans ses bras, dans une bulle à part, loin de tout.

-Tout va bien ? Me demanda François.

Mais la réalité n’était jamais loin.

-Oui, ça va, répondis-je d’un air peu convainquant.

Il caressa mes cheveux. Ma mélancolie reprenant, je décidais de changer la conversation.

-Je vais rester plusieurs jours ici, on va pouvoir passer du temps ensemble.

-C’est une excellente nouvelle. Mais ton précepteur sera d’accord ?

Monsieur de Gurvan… Je repensais à son engagement. Je repensais à la fleur de glaïeul que j’avais laissé pour lui, pour sa réussite.

-Roxana ?

-Non… Non. Il ne s’y opposera pas. J’aime beaucoup ce précepteur, ajoutais-je un peu pour moi-même.

François m’attrapa par les bras et me tint devant lui, les sourcils froncés et interrogateurs.

-Mais non, pas comme toi, gros bêta ! Me moquais-je. Je crois que…C’est mon premier véritable ami, en dehors de ma famille.

Non, décidément Pénélope était une vraie plaie. Elle ne me lâcha pas d’une semelle. Toujours à me coller amicalement et mielleusement. Nous finissions d’ailleurs de prendre le thé.

-Tu as une bien jolie robe aujourd’hui Lucretia. La mienne n’est pas mal non plus n’est ce pas ? Père me l’a faite faire par des couturières de talent et ça a pris tout une semaine mais je suis plutôt contente du résultat. Il est dommage que je n’ai pas pu y mettre plus de dentelle cela aurait été très jolie tu ne trouve pas Lucretia ?

-Si tu n’a pas assez d’argent pour le faire que veux-tu que j’y fasse ? Je vais faire un tour dans le jardin.

-Bonne idée ! Mais prenons nos ombrelles, il ne faudrait pas que nous rougissions à cause du soleil. Les journées ont beau fraichir l’astre brûle toujours aussi fort. Je vais les chercher attends moi !

A l’instant, j’avais bien cru la faire rougir par l’étranglement ! Elle disparut et je me précipitais dehors par derrière pour la semer. C’était ainsi tous les jours « pia piapia pia piapiapia » sans discontinuer du soir au matin ! Seule la nuit était calme et conjurait mes maux de têtes. Heureusement que je m’étais énervée pour qu’elle dorme dans une autre chambre. Je regrettais jusqu’au silence de Ginie et la mauvaise langue de Josse. Si je pouvais échanger cette pie jacassant contre eux se serait le Paradis ! Je me glissais discrètement dehors quand soudain un monstre m’agrippa le bras :

-Lucretia je t’ai trouvé ! Tu as vu j’ai été rapide hihi ! Tiens pour toi ! Ne sont-elles pas magnifiques ? Ce joli manche en érable, ces dentelles raffinées de qualité ? On dirait celle de Calais, que de souvenirs d’enfance ! Ma grand-mère était une folle de dentelle et quel caractère ! Une vraie tête de mule ! On avait même donné son nom à une mule tellement cela lui sciait bien.

Et moi c’est à une bécasse que j’aurais donné le tien.

-Mais ma nounou était dentellière, elle était plus ma vraie grand-mère. Ma très très vieille grand-mère. Mais pas autant que la vraie ! Elle m’aurait tué pour avoir prononcé ces mots.

Pourquoi ne l’avait elle pas tué à la naissance. Dieu qu’avais-je fait pour mériter pareil supplice !? La forêt si calme n’arrivait pas à me détendre avec cette castafiore ambulante.

-D’ailleurs elle voulait toujours paraitre jeune et dépensait beaucoup à Paris en baume en tout genre. Elle s’est même faite avoir par un charlatan qui lui a refilé des pustules aussi grosses qu’un ongle !

Vite ! Il me fallait quelque chose ! N’importe quoi ! Une plante paralysant ! Ou même une petite allergie. Quelque chose qui lui fasse peur…Je vis passer entre les buissons ce que je cherchais.

-Pénélope je crois que j’ai vu un lapin !

-Un lapin !? Où ça !? C’est si mignon avec ses petites dents et son pelage tout doux ! Tellement adorable !

-Par là dans les buissons !

Elle s’y précipita et je l’y suivis. Soudain, elle cria comme une folle et détala comme un lapin. Une tête écailleuse, les crocs et sa langue fourchue sortis semblait en position agressive. Je souris et reculais prudemment avant de me fondre dans la végétation. Et afin qu’on ne me trouve pas avant que je le décide, je grimpais dans un arbre et y resta jusqu’au retour d’Hyppolite. Une chose était sûre, il allait bien m’entendre !

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