L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 13

plume-scientifique

CHAPITRE 13

Je me réveillais bien reposée et fraichement disposée. Je ne doutais pas qu’il devait être proche de midi. Mais lorsque je découvris que c’était Lucretia, ma mauvaise humeur revint au galop. Je ne savais pas vraiment d’où venait cette irritation mais elle était là. Tandis que j’émergeais, ma chère sœur m’expliqua le plan élaboré par la Noctule. Bien évidemment, l’opération devait ne pas se rapporter à nous, notre présence se devrait de passer inaperçue ; le plan ne s’exécuterait donc pas ici.

-Vous opérerez à Versailles.

-Versailles ! Quel scandale. Le roi va mouiller ses bas de peur.

-Roxana, reste correcte.

-Peu importe mon langage, Versailles est risqué comme lieu.

-Cela se fera dans les jardins, il nous faut juste un minimum de témoins.

-Des témoins ?

-Oui. Josse et Caïn…

-Qui ?

-Cyan.

-Cyan s’appelle Caïn ?

-C’est son ancienne identité. Ce n’est pas le sujet, coupa-t-elle irritée. Josse et Cyan simuleront une attaque de bandit. Tu feras même partie des personnes « attaquées ». Joue bien ton rôle de fille choquée.

-Comme s’il ne suffisait pas que je trahisse madame Caroline.

-S’il te plaît, Roxana.

-Bien bien. Et ensuite ?

-Ils l’a prendront en otage et l’endormiront par inhalation. Ensuite, Josse effectuera son travail dans un lieu de sa connaissance, en toute…ahem, tranquillité. Monsieur de Gurvan pourra récupérer le corps et partir à la Pléiade.

-Entendu.

Elle me jaugea avec suspicion. Elle se balançait d’un pied sur l’autre.

-Ca ira ?

-Mais oui.

-Tu en sûre ?

-Assez à la fin ! Fais-moi un peu confiance.

-Je pourrais…prendre ta place, me faire passer pour toi si tu veux.

Je me levais si brutalement que la chaise tomba avec fracas et ma sœur recula.

-Non, c’est toi qui le voudrais. Je commence à ne plus te supporter, toi et ta prévenance.

Je sortis de la chambre en claquant la porte.

Cette fois, l’automne était bel et bien là et le froid aussi. Ou peut-être étais-je glacée de ma future traîtrise envers madame Caroline. Avant de partir, Lucretia avait une dernière fois tenté d’échanger nos rôles. Je m’étais retenue de la gifler. Apparemment, mes trois jours de mauvaise humeur n’avait pas été assez clair. Pour ne pas éveiller les soupçons, j’avais passé deux jours à m’intégrer au rythme de la Cour. Par bonheur, j’avais retrouvé mon bien-aimé François. Puis vint le jour J.

Installée dans un salon, j’attendais d’arracher madame Caroline à cette foule de dames pour l’emmener à son funeste destin. Comme à son habitude, elle rayonnait. Les dames adoraient l’écouter, certaines faisaient clairement des courbettes pour s’attirer de quelconques faveurs ou intérêts. Il restait vingt minutes avant le commencement, durée suffisante pour l’emmener sur le lieu du théâtre.

-Madame Caroline ? L’appelais-je.

-Oui Roxana ?

Les dames autour d’elle me regardèrent et je me sentis faillir. Peut-être n’arriverais-je pas à la faire partir et le plan échouerait ? Peut-être le destin nous empêcherait-il de la tuer ? D’un côté je l’espérais, de l’autre ce serait une catastrophe pour nous. Je l’invitais à sortir dans les jardins, parler ragots, parler langage des fleurs et amours. Elle me suivit sans protester, un sourire au visage. Elle était si affable. Comment pouvais-je commettre un tel acte… Arrivée au bas des escaliers, j’embrassais le décor pour me consoler. Chaque pas me devenait pénible. Nous avions marché plus vite que je ne l’aurais voulu. La mort était-elle si attractive ? Il fallait que je lui fasse faire un détour. « Roxana, me dit-elle, allons voir le Potager. Voyons quels délicieux mets nous aurons à déguster ». Parfait. Nous allions en direction du Potager d’où nous parvenait déjà la belle couleur des légumes. Je jetais un œil en arrière mais je ne pus voir le lieu prévu, cependant j’aperçus le groupe de dames attendu comme témoins. Tout irait comme il faut.

Soudain, je trébuchais et m’écrasais contre le mur de la maison des jardiniers. Ma tête heurta le bois et je lâchais un cri. Enfin, un cri étouffé. Madame Caroline venait de plaquer sa main gauche sur ma bouche et de la droite, pressait quelque chose de coupant sur ma gorge. J’ouvris des yeux écarquillés, son parfum embaumait mes narines tant elle était proche. Elle était toujours si belle et angélique, un sourire ravageur. Elle s’approcha de mon oreille et chuchota : « Pauvre petit chaton. Tel est prit qui croyait prendre. » Je ne comprenais pas bien ce qu’il se passait. Je lançais un regard désespéré vers deux jardins derrière elle mais ils ne bougèrent pas.

-Je savais bien qu’Edouard allait nous trahir. Mais qu’il ferait appel à toi pour me tuer ? Ah ! Ca non, je n’y aurais cru.

Comment savait-elle ?

-On ne dupe pas la Pléiade.

La Pléiade…

-Maintenant, écoute attentivement. Si tu tentes quoi que se soit de stupide, je te tue. Si tu essayes d’attirer de l’aide, je te tue. Nous allons marcher bras dessus, bras dessous, comme les deux bonnes amies que nous sommes et tu me suivras sans broncher. Et tes chers complices penseront que tu es une traître. Ou une lâche.

Elle me tira sans ménagement et mon cerveau fonctionnait au ralenti. Je la suivis en essayant de paraître naturelle. Sa pointe me touchait le bas-ventre et je voulus m’en écarter mais Caroline me ramenait vers elle, pensant sûrement que je cherchais à fuir. On reprit le chemin inverse et je songeais au regard des autres qui attendaient sur le lieu, me voyant fuir. Ou peut-être ne m’avaient-ils même pas vu et qu’ils se demanderaient ce qu’il se passe plus tard. Je sentais l’horrible futur se profilant devant moi. Tandis qu’elle m’emmenait vers l’entrée de Versailles, nous croisâmes François. Il nous salua en nous croisant, ne voyant pas mon regard désemparé. J’eus envie de pleurer. Passerais-je seulement ce 5 novembre ? J’entrais dans le fiacre, elle me suivit, la porte claqua, scellant mon destin. Et l’on m’emmena vers l’inconnu.

Le manoir de Josse était toujours aussi accueillant. Heureusement, il avait fait des efforts au niveau du confort au vue de mon état. Mais ma conscience n’était pas tranquille. J’aurais dû prendre la place de Roxana. Quelque chose me le disait et j’étais dans un état d’agitation désagréable et le bruit des couteaux lancés dans la cible par Ginie ne m’aidait pas.

-Elle va revenir, me dit-elle. En échouant.

-J’ai un mauvais pressentiment à ce sujet. Va-t-elle vraiment revenir ?

-Tu psychoses trop.

-Non je ne crois pas. Nous sommes jumelles. Je sens une oppression et elle ne me dit rien qui vaille. Où est Amy ?

-Partie aux informations.

-Quand est-ce qu’ils reviennent ?

-Ils ne devraient pas tarder.

-Tu crois que si j’appelle Josse Joseph il me tuerait ?

-Lucretia arrête de t’en faire ! C’est mauvais pour ton enfant. Et oui il t’assassinerait du regard par égard pour Cyan.

-Désolé mais cette histoire je ne la sens vraiment pas.

Tout à coup la porte s’ouvrit en grand sur un Josse furieux. Je me cachais derrière Ginie de peur qu’il ne me tue parce que j’avais prononcé son prénom. Il se planta devant sa sœur.

-Quelque chose est arrivé ? demanda-t-elle.

-Roxana n’a pas tenu son rôle, répondit Caïn. Elle a dévié dans le potager et est partie en calèche avec Caroline.

-Quoi !? M’exclamais-je. Vous les avez suivis au moins ?

-Et pourquoi faire !? S’énerva Josse. Cette gamine écervelée a fait échouer le plan ! Que ce vieux se démerde tout seul pour la tuer !

Josse partit en claquant la porte.

-Pour une fois qu’il tentait d’être gentil, dit Ginie.

-Parce que tuer quelqu’un est gentil ? Lui répliquais-je. Où est Roxana ?

-Partie avec Caroline, me répéta-t-elle.

-Elle ne devait pas quitter Versailles ! Où pensez-vous qu’elle soit allée !? Roxana n’est pas du genre à se jeter dans une mer de requins sans escorte.

-Caroline est une bonne escorte.

-A l’intérieur de Versailles oui mais à l’extérieur…

-Qu’est ce que tu en penses ?

-Je ne sais pas ! J’aurais dû être avec vous !

-Non.

-Je connais ma sœur ! S’il y avait eut quoi que se soit je l’aurait vu. Je ne peux pas imaginer qu’elle nous ait trahie !

-Roxana est lâche, dit Ginie.

-Elle a tellement insisté !

-Peut être voulait elle cette fin dès le début ?

-Ce n’est pas logique ! Roxana est une personne serviable et elle tient à aider Monsieur de Gurvan.

-D’un coté elle veut aider Caroline. Mais je ne vois pas comment sauver les deux en même temps.

-Je ne vois pas non plus et c’est ce qui me dérange !

-Tu es dérangée depuis ce matin. C’est juste tes hormones.

-Vraiment tu n’es pas bien mon chaton ? S’inquiéta Caïn.

-Ca n’a rien à voir avec mon état ! C’est mon intuition ! Je ne me sentirais pas oppressée juste à cause d’hormones ! C’est loin d’être psychologique comme l’inquiétude c’est quelque chose de plus sourd et profond.

Ils se regardèrent comme si je disais des aberrations.

-Ayez une jumelle et vous comprendrez ! M’énervais-je. Je veux savoir où elle est !

-Pourquoi tant de cris ? Demanda Amy en entrant.

Ils lui racontèrent le capotage et notre discussion.

-Je vais me renseigner sur la destination, dit Amy plus pour me rassurer. Les cochers se connaissent entre eux et une jeune femme rousse ne doit pas passer inaperçue. Il serait plus utile de vous reposez et d’attendre demain. A part Caroline, ta sœur connaissait elle quelqu’un ?

-François de la Carrière.

-J’irais le voir en temps voulu. Comment l’a prit Josse ?

-Très mal tu te doutes, dit Ginie.

-Je vais aller voir.

-On prépare ton cercueil ?

-Inutile je ne rentre pas dans son terrier.

Amy disparut et nous restâmes cois. Finalement, mon mari me tira dehors afin de faire une promenade et de me distraire. Cela faisait si longtemps que j’en oubliais mes soucis et en profitais malgré cette oppression persistante.

Le cocher n’avait pas roulé loin. A peine avais-je eu le temps d’enfiler une cape en toile de jute usée, une capuche sur la tête, similaire à celle que Caroline venait de mettre. Quand je sortis, nous étions à trois rues de Versailles. Pourquoi une telle manœuvre ? Caroline me menaçait toujours de sa dague et elle me fit marcher…marcher…marcher. Mes chaussures saignaient mes pieds, j’aurais voulu me laisser tomber à terre. J’essayais de retenir le chemin pour pouvoir faire demi-tour à la première occasion mais toutes les rues étaient les mêmes : sinueuses, insalubres, écœurantes, mal famées. Mon esprit avait bien du élaborer mille stratagèmes pour m’enfuir ou pour qu’on me retrouve, mais ce n’était que fantasmes. On avait marché si longtemps, que j’avais même pu comprendre sa tactique. La calèche avait permis de sortir sans encombre mais un cocher n’était jamais fiable. Alors on se rendait sur les lieux de la Pléiade à pied, impossible à reconnaître. Enfin, on s’arrêta devant une porte quelconque. Un homme effrayant entrebâilla la porte, tellement grand et doté d’un magnifique strabisme convergent. Madame Caroline leva sa robe puis la relâcha. Ce simple geste pour montrer sa cheville suffit à nous faire entrer. L’intérieur était une maison rustre et vide. Le colosse referma la porte et Madame Caroline me conduisit à son aise. Elle ouvrit une porte mal en point ; c’était un placard vide à l’exception d’un sceau et de beaucoup de poussière. Elle allait m’enfermer là ? « Rhodes ! Surveille-la ». Avec cet homme là, je n’aurais pas bougé le petit doigt. A ma grande surprise, elle s’agenouilla et fouilla le sol jusqu’à trouver un cordon aussi noir que le sol et ouvrit une trappe. Des pierres mal taillée dessinaient un escalier dans lequel il ne ferait pas bon de trébucher. Je passais devant et pénétra dans l’antre noire, à tâtons, aveugle et paniquée. La lueur de la chandelle de madame Caroline éclairait mal.

A l’autre bout de ce tunnel, un grand espace- une grotte ?- comprenait quelques bancs, des malles. Une planque ? A en juger par les personnes présentes et à leur allure, l’idée ne semblait pas saugrenue. Plusieurs tunnels débouchaient à cet endroit, c’était une vraie place en mouvement. On nous regarda à peine. On prit l’un de ses tunnels, très court et on pénétra dans une nouvelle maison, très sombre, voire inhabitée. J’entrais dans une chambre délabrée, une malle neuve dénotait. Et aussi une femme. Petite et bien en chair, son chemisier menaçait de craquer, à moins qu’il n’appelle à un bon lavage. Ses cheveux en un chignon grisâtre la rendaient encore plus sévère qu’elle n’inspirait déjà. Caroline s’éloigna enfin de moi. « Ne bouge pas » Menaça-t-elle. La vieille femme s’approcha sans vergogne et entreprit de me déshabiller. Je me sentais humiliée à vouloir cacher mon corps exhibé et je ne doutais pas que c’était le but. Caroline attrapa des vêtements dans la malle : crasseux, miséreux, paysans. « Habille-toi. Notre petite fille de riche va connaître ce que c’est d’être du peuple. Ici tu n’es plus rien ! Rien ! Plus basse que terre, plus indigne que les rats, indigne de lever les yeux sur le plus misérable des paysans. Maintenant, viens. ». Ces vêtements me répugnaient, Dieu sait où ils avaient traînés, qui les avait porté, quels bêtes ils cachaient. On retourna sur cette fameuse place, prit un autre couloir. Plusieurs portes s’alignèrent ; des cachots. L’un d’eux fut pour moi. Pas de fenêtre, pas de lumière, juste le néant. Je me sentais déjà étouffer. « Prend tes aises, Roxana, ricana-t-elle. ». La porte claqua lourdement.

Le jour avait passé et Roxana n’avait toujours pas reparut ! Mon pressentiment devenait plus pressant. Je faisais les cents pas sous les yeux de mon mari en attendant Amy. La jeune femme arriva enfin visiblement navrée.

-Le cocher les a déposés à quelques rues de là. Elles se sont enfoncées dans les rues étroites…

-Ce n’est pas normal ! M’écriais-je.

-On s’est fait berné, dit Josse sortit de l’ombre. Cette femme était probablement de la Pléiade.

-C’est impossible !

-C’est très intelligent. Ils testent les nouveaux sur leurs éléments les plus proches. Ainsi ils savent s’ils sont sincères ou espions. Amy utilise les gosses pour explorer le quartier et repérer tous les éléments. Cyan envoie une lettre à Gurvan pour qu’il rapplique en lui disant pour sa pimbêche. Lucretia…Ginie va t’apprendre à te défendre.

-Qu’est ce que tu comptes faire de ma femme !?

-Elle va prendre la place de Roxana, informe en aussi sa famille. Mark va devoir entrer en piste.

-Qu’est ce que je dois faire au juste ? Lui demandais-je.

-Tu vas revenir avec le noble à ta sœur chez toi et tu te pavaneras devant Aimar. Il n’y verra que du feu. Il pensera que Roxana c’est toi et il ne te touchera pas.

-Tu te trompes.

-Rarement.

-Monsieur de Gurvan m’a raconté ce qui courait sur Aimar. Il allait attraper un chat sauvage et tuer un loup. Il n’y a rien de plus clair.

-Il ne la tuera pas au moins.

-Le viol est il un meilleur sort ?

Il se tut et réfléchit.

-Non c’est la seule possibilité. Si ta sœur joue bien alors elle aura une chance de s’en sortir.

-Comment !?

-Et bien Roxana aime la cause mais trouve la Noctule trop niaise. Tu es une empoisonneuse après tout. Te lier à un sénéchal est le plus grand vice qui soit. Avec un peu de jugeote elle y pensera.

-Je doute qu’elle aille bien loin avec le peu d’informations qu’elle ait. Il y a tout de même une dernière chose à soulever. Peu de gens savent que je suis le chat sauvage. Il y a donc un traitre parmi nous.

J’étais épuisée. Enfermée dans cette pièce réduite, aveugle, des pensées macabres m’avaient assaillie. Mon esprit avait commencé une spirale infernale et lugubre, me poussant dans un désespoir sans fond et l’espace de quelques minutes, j’avais touché la folie. Une crise plus forte que moi, des gémissements plaintifs, des sanglots acides, des griffures incontrôlées. Toute ma vie, je n’avais rien vu de bouleversant en dehors de la mort de ma mère. Jamais de gris, de noir, de sombre, rien que des belles couleurs et un peu de chagrin. Nous ne vivions pas dans l’ignorance, dans le déni et nous avions tous conscience de notre chance dans la famille. Mais franchir ce fossé énorme entre les deux mondes, jamais je n’y aurais cru. Je me sentis démunie, misérable, enfermée dans un cercueil et l’idée de mourir et toutes les conséquences allant avec elle vint me hanter, me détruire.

Quand ma crise s’arrêta, ma tête était vidée. Tellement, que je sombrais dans le sommeil. C’est le crissement strident des gonds qui me réveilla en sursaut. Quelqu’un m’attrapa, m’extirpa et je titubais. Combien de temps avais-je été enfermée ? Une demi-heure ? Une heure ? Une nuit ? Un homme maigrelet me tirait par le bras sauvagement, couvert de tatouages et sa peau était pleine de plaques, comme mangée par la maladie. On m’amena dans une troisième maison, propre, modeste. Dans le salon, Madame Caroline, la vieille femme, trois inconnus et Aimar. On m’assit de force et j’attendis mon jugement.

-Roxana de Saint-Germain, déclara l’ancien jardinier, quelles retrouvailles. Comment se porte Lucretia ?

Je laissais planer un silence. Pouvais-je vraiment parler ? Et quelle réponse donner ?

-Je ne sais pas. Elle a quitté la maison. Elle a du te le répéter, désignais-je Caroline.

-Bien sûr que tu sais. Tu l’as libérée de la Bastille. Un bel exploit ! Dis-moi comment ta famille a réussi ce coup de maître.

-Nous n’avons rien fait. Rien ne l’inculpait.

-Mensonges, dit-il froidement. Qui est l’homme pour qui elle a bafoué son honneur et sa virginité ?

« Pas toi ! » Pensais-je rageusement. Mais l’heure n’était pas à la témérité.

-Un inconnu. Un rotu…(Je me ravisais) Un financier.

-Son nom ?

Cette question me rassura. Il ne connaissait rien du lien entre Lucretia et la Noctule. Je devais trouver une identité et vite.

-Raphael… Boisé.

Si la situation n’était pas dramatique, j’aurais rit en m’en étouffer. Le nom de notre chien de chasse. Aimar sembla réfléchir.

-Pourquoi ta famille aide de Gurvan ?

Pourquoi ? Je ne le savais même plus. Quelle raison valable pouvais-je trouver ? Comment l’inculper le moins possible ?

-Nous avons découvert son secret par hasard. Il a du nous expliquer les faits. Ensuite, nous ne pouvions pas le laisser ainsi et oublier.

Il ne semblait pas convaincu et moi non plus. Je me tournais vers Caroline, le regard haineux. La belle était prestement installée mais quelque chose de nouveau marquait son visage, quelque chose de féroce.

-Pourquoi ? Lui demandais-je. Pourquoi êtes-vous dans ce clan ? Une femme de la Cour comme vous.

L’assemblée présente éclata de rires qui me piquèrent comme des lames.

-Une femme de la Cour ? Répéta-t-elle dans une scène théâtrale grotesque. Moi ?

Ils rirent de nouveau devant ce spectacle. Elle continua de plus belle.

-Caroline d’Eymet pour vous servir ô mon roi, mon infâme Majesté. « Comme vous êtes belle madame ! », « Votre beauté reflète la noblesse de votre sang », « plus délicieuse que toutes les favorites du roi ». Bla, bla, bla. Pathétique !

J’étais éberluée. Cette femme si angélique durant des semaines…

-Je suis née Emeline Romain, fille de tapissier. A cause du roi, j’ai du quitter ma famille pour vivre de moi-même tant on manquait d’argent. Je suis passée maître dans l’art de l’usurpation et du mensonge. Dieu m’a faite pauvre mais pas laide. Une tenue correcte, un peu de séduction et j’ai gravis les échelons de la société...dans des lits. La Cour fut tout aussi facile.

Elle nous avait joliment dupés. J’étais anéantie, trompée.

-Quel comble pour toi, petite Roxana, reprit Aimar. Une noble à la chevelure rousse…comme celle des putains.

Ils gloussèrent stupidement.

-Je pourrais te jeter comme ça dans la rue, tu serais croquée en moins de deux.

Cette perspective me glaça.

-Mais j’ai d’autres projets. On a terminé.

Sur cet ordre, Caroline partit et deux des trois inconnus m’emmenèrent dans une salle carrelée avec juste une grosse bassine remplie d’un liquide noir. Et je compris. Ils me mirent à genoux, baissèrent ma tête et mes cheveux trempèrent dans le liquide. Habillée comme une souillon, bientôt devenue brune, la Pléiade faisait peu à peu disparaître Roxana de Saint-Germain pour me créer une nouvelle identité.

François de la Carrière était un homme…très gentil. Trop gentil et innocent. Il ne semblait heureusement rien suspecter de notre échange. Il faut dire que j’étais passée maître dans l’art de la dissimulation. Il était si simple de tromper un homme…Comme convenu, après un regard timide et une demande de faveur hésitante, de la Carrière m’accompagna à Paris. C’était un homme timide et il se contentait de ce que je lui donnais. Une fois à Paris, je contactais ma famille et leur appris la disparition de Roxana et les suspicions qui pesaient sur Caroline ainsi que la présence d’un traître. Ils étaient tous dépités surtout Monsieur de Gurvan, et la nouvelle d’un traître n’arrangeait pas les affaires. Il s’agissait soit d’un sénéchal, d’Henri ou d’un ancien et Dieu seul savait ce qu’ils savaient exactement ces vieilles tombes ! Au bout de quelques jours, Mark réussi à introduire Aimar chez Pompadour. Ils discutaient comme de vieux amis en partant vers les jardins. On frappa à ma porte :

-Roxana ton rendez-vous est là, me dit Vladimir en grimaçant.

Je fermais les yeux un instant et inspira profondément. Ma grossesse ne se voyait pas encore heureusement. Je me glissais dans le rôle de la sœur et descendit illuminée par la joie. De la Carrière attendait dans le salon et il me sourit avant de baiser ma main. Je lui retournais son sourire et accepta son bras afin qu’il me guide vers les jardins. Nous y déambulâmes en bavassant gentiment. Puis, finalement, notre route croisa celle de Mark et Aimar.

-Monsieur de la Carrière, le salua mon frère. Je tiens à vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour ma sœur.

-Il est légitime de s’inquiéter de tords dont je suis en partie responsable, dit François. Je gage de ne plus commettre d’impair à votre égard Roxana.

-Vous serez pleinement pardonné François. Vous n’êtes pas le seul fautif.

-Hmmm…dit Mark. Tu ne lui as toujours pas pardonné ?

-Comment le pourrais-je !? Elle ne m’a attiré que des ennuis ! A coté de la Bastille la noyade est un sort plus enviable.

-Roxana, se désola François.

-Oh excusez-moi ! Je me suis emportée.

-Nous allons vous laisser.

Nous passâmes notre chemin et je gardais le regard fixe et peiné. François eut de tendres attentions afin de me consoler et je le laissais réussir dans son entreprise. Finalement il me raccompagna chez Pompadour et partit galamment. Je retournais dans ma chambre et eut la surprise d’y trouver mon mari. Il ne semblait pas content.

-Lucretia, ce jeu est terminé. Congédie le.

-Aimar va se douter d’un traquenard si je le renvoie maintenant. Patiente donc encore.

-Tu vas me rendre fou. Que crois-tu que cela me fait ?

-Tu penses que cela me ravie ? Ma sœur a disparu, notre seul moyen de pression repose sur Aimar. Roxana est innocente, elle n’a rien à voir là dedans. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour la sauver.

-Tu te leurres Lucretia. Si Amy ou Josse est le traître ton plan est voué à l’échec.

-Cela signifiera que c’est l’un d’eux. Avez-vous des indices à ce sujet ?

-Pas pour l’instant. Nous sommes tous méfiant et Henri a lui aussi disparu.

-Henri !? Comment ça ?

-Personne ne le sait. Il est probablement allé voir son frère sur un coup de folie. Parfois il n’a vraiment rien dans le crâne.

-Je vois… Tu ferais mieux de partir avant que l’on avise ta présence ici. Laisse-moi juste une semaine d’accord ?

-Entendu.

Il m’embrassa furtivement et quitta la pièce. Henri disparu et mon malaise persistait encore. Cela n’annonçait vraiment rien de bon. Mais il était tard et pour l’heure il fallait que je me repose.

Je dormais tranquillement lorsqu’un bruit de pas feutré me réveilla. Je gardais mon calme et ne bougea pas. On s’approcha de moi et je fis volte-face donnant un coup à mon agresseur.

-Aïe ! s’exclama Josse. Fait gaffe le chaton!

-C’est toi ! Tu es venue m’enlever !

- Chut tais-toi ! Siffla-t-il en mettant sa main sur la bouche.

Je tentais de mordre et de griffer en vain.

-Calme toi ce n’est pas moi. Espèce de stupide chat sauvage engrossé.

-Tu as trouvé qui c’était alors ?

-Malheureusement oui.

-C’est Henri ?

-Non. Henri est mort.

Cette nouvelle me choqua. Henri, le chef de la Noctule, mort.

-Comment ?

-Assassiné par une personne de confiance or il ne fait assez confiance qu’aux sénéchaux.

-Mon Dieu ! Qui cela peut il bien être ?

-Qui sait ?

-Tu as dit que tu savais qui c’était !

-J’ai dit ça ?

-Malheureusement oui, répétais-je.

-Mouais, bougonna-t-il. Viens on se casse ça craint trop ici. Je te dirais tout une fois en lieu sûr.

-Qui me dit que ce n’est pas toi ?

-Ma sœur nous attend.

-Tu as déjà fait partie de la Pléiade tout comme elle.

-Exact mais cette fois-ci tu vas devoir nous faire confiance. Tu nous connais on est des gentils méchants.

Il n’avait pas tort et c’est ce qui me poussa à le suivre. Il me jeta une tenue forte ordinaire et une cape à capuche. Je les enfilais et le suivit dans la nuit obscure. Il me guida vers la ville parmi les mendiants jonchant un dédale de ruelles crasseuses. Je commençais à me demander si j’avais fait le bon choix. Finalement, Josse me poussa précipitamment dans une ruelle, ouvrit une porte à la volée et la referma prestement avant que nous montions à l’étage. Il jeta un œil par la fenêtre puis ouvrit celle à l’opposée.

-Voyons maintenant si tu mérites ton titre chat.

Il y avait une planche entre deux maisons. Nous l’empruntèrent chacun notre tour. C’était une autre maison. Nous en sortîmes par la porte arrière qui débouchait sur un mur. Josse me fit la courte échelle et je passais au dessus. Il me rejoignit, pris un flambeau et ouvrit une cave.

-Par ici chat des champs.

Je le suivis jusqu’à une pièce poussiéreuse où attendait Ginie.

-Vous avez pris votre temps, dit-elle méchante.

-Tais ta douleur ou je vais la doucher avec plaisir, lui répliqua Josse.

C’est vrai. Ginie aimait Henri et sa mort devait l’affecter. Elle me lança un regard noir, signe que je pouvais garder ma pitié.

-Tu as dit que tu savais qui était le traître ? Repris-je.

-En effet et nous allons l’attirer ici.

-Comment ?

-Nous avons déjà l’appât parfait.

-Comment cela ?

-Toi.

-Qu’est que ça veut dire !?

-Le traitre, dit gravement Ginie. C’est Cyan.

Mes mains étaient gonflées et douloureuses. J’’avais frappée jusqu’à épuisement contre la porte de mon cachot, hurlé de rage, de désespoir. Lorsqu’on m’avait ramené après ma transformation, j’avais vu une silhouette familière. La silhouette d’un traître. Cyan.

J’avais tant désespéré ces derniers temps que j’avais cru que cette découverte me détruirait un peu plus. Mais ce n’est pas ce qu’il se produisit. Un grondement sourd grandit en moi, quelque chose de virulent et qui brûla mon être. Pour la deuxième fois, j’entrais dans une sortie de folie mais une folie haineuse. « Cyan ! Cyan ! Traître ! » Hurlais-je à plein poumons. La grotte faisait écho à ma colère. Il me semblait que c’était ma sœur qui exprimait son cœur blessé à travers moi. On m’attrapa par les épaules, on me retint, on voulut me faire taire, mais j’étais démente. Il se tourna vers moi et j’eus envie de lui arracher les yeux. Lui, il ne me reconnaissait pas, je le voyais. Lorsqu’on me renferma, je déchaînais ma haine contre la porte. Je pensais à Lucretia, à l’affront qu’il lui faisait. Cyan. Nos vies avaient tellement basculées depuis son apparition, notre famille s’était décomposée par sa faute. J’avais mis longtemps avant d’accepter les choix de ma sœur, je mettais fait violence, et en réalité, tout cela était vain et pur gâchis.

J’entendis des exclamations de joie, des cris de guerre triomphants, une confusion de voix. Je tendis l’oreille mais je ne percevais pas la raison de cette effervescence. Et soudain, ils se mirent à scander : « La Noctule à genoux ! La Noctule à genoux ! ». Qu’est-ce que cela signifiait ? J’entendis la foule de la Pléiade surexcitée, déchaînée. C’était effrayant. Qu’était-il arrivé à la Noctule ? Avaient-ils été découverts ? Cyan les avait-il livrés ?

« Entends-tu l’hymne de la victoire, Roxana ? Me dit la voix de Madame Caroline d’un ton ravi. La Noctule a faibli. Bientôt elle sera à terre. Ah oui ! J’oubliais… Ton cher Henri de Breteuil est mort de la main de celui en qui il avait le plus confiance. Passe une bonne nuit. ».

J’avais très peu dormi cette fois, somnolant par intermittence. J’étais lasse, brisée et affamée. On m’apporta de quoi me sustenter ainsi qu’un pot de chambre. Plus tard- était-on le matin ou l’après-midi ?- on m’emmena. Enfermée dans le noir, même la faible lueur d’une bougie me blessait les yeux. Allait-on me torturer ? Ou simplement offrir mon cadavre à la rue ? Ce fut pleine d’inquiétude et de lassitude que je déambulais dans les tunnels.

La nouvelle me fit l’impression d’une terrible gifle. Cyan ! C’était impossible ! Un traquenard, voilà ce que c’était ! Je ne me laisserais pas avoir !

-C’est impossible !

-C’est la vérité, dit Ginie. Je l’ai vu sortir de chez Henri quand je m’y rendais. C’est moi qui ait trouvé son corps.

-C’est un mensonge ! Qui dit que tu ne l’as pas tué juste après et que vous êtes complices ?

-C’est vrai, dit Josse. Même si j’étais avec Amy à ce moment là rien ne dit que nous ne sommes pas liés. Tout nous accuse même. Mais nous avons tout les trois vu le corps et nous connaissons la façon dont Cyan se débarrasse des gens. Henri a été étranglé puis seulement on lui a tranché la gorge. Il était à son bureau et il ne laisserait personne lui donner une accolade à part Cyan. Cyan est de la Pléiade. Toi même tu as déjà vu son coté obscur même s’il le réprime sans arrêt.

La face sombre de Cyan. Oui elle existait mais je pensais qu’elle n’était plus. Je me rappelais alors sa colère lorsque j’avais refusé d’arrêter ce jeu puis le tout début de notre partenariat. Il m’avait parlé de la Noctule en y glissant des choses que faisait la Pléiade. C’était cela. Mais il y avait tout de même une chose qui me dérangeait : Son tatouage.

-Mais son tatouage…C’est celui de la Noctule !

-Non. Il a été marqué avant la mort du père d’Henri. C’est celui de la Noctule originelle pas de la pacifiste.

Le choc fit mes jambes se dérober. Il n’y avait plus aucun espoir de le discrétiser à présent. Mon Dieu qu’avais-je fait ! Avais je vraiment épousé un monstre qui m’avait dupé jusqu’au bout !? Renier et briser les liens familiaux pour cela ? Je me sentais si misérable, si idiote que mes larmes coulèrent toutes seules. Je vis juste Ginie sortir gênée par mon état. Probablement ne voulait-elle pas pleurer et rester la personne forte qu’elle était. Josse resta avec moi, silencieux. Finalement il me tapa sur l’épaule.

-Cesse de chialer c’est chiant. Tu demanderas des explications. Je ne pense pas qu’il ait menti sur ses sentiments ou alors c’est le pire connard manipulateur qui soit en ce monde.

Cyan un manipulateur, c’était fort possible et c’est ce qui me dérangeait le plus. S’il l’était vraiment qu’allais-je faire ? Quels autres choix difficiles allaient me prendre au piège ? La porte s’ouvrit tout à coup sur Ginie :

-On a un problème ! Il a laissé ça devant la porte.

Josse prit l’enveloppe et l’ouvrit sous nos yeux insistants. Il y tira un mot et le lut à voit haute :

-Je détiens votre amie. Rendez-vous au commencement ce soir même.

Josse sortit autre chose de l’enveloppe. Des cheveux blonds bouclés.

-Il a Amy.

-Tant pis ! déclara Ginie. Elle se sacrifiera.

Josse regarda sa sœur comme si elle disait une énorme bêtise. Mais il ne répondit rien, probablement hésitait-il à formuler sa réponse.

-Nous allons y aller, leur appris-je. Ce sera un échange d’otages et j’espionnerai pour vous.

-Il va nous attendre avec une armada ! s’exclama Ginie. Tu débloques. Si on y va c’est juste pour lui trancher la gorge.

-Tu vas vraiment laisser Amy face au danger ?

-Oui.

-Josse toi aussi ?

Il me regarda un moment.

-En avant chaton. L’animalerie part au secours de la princesse des pauvres.

J’acquiesçais contente de son choix et il ouvrit la porte.

-Que fais-tu ma sœur ?

-Si je viens c’est juste pour le tuer.

-Fait comme tu veux.

Ginie nous suivis de mauvaise grâce dans la capitale endormie.

Le lieu de destination était une vieille bâtisse.

-Bienvenue à l’ancien QG de la Noctule originelle, avança Josse. Par ici.

Il contourna la bâtisse et déboita de vieilles planches de bois afin de passer de l’autre coté. Il les remit en place et prit la porte de la volière. Nous montâmes jusqu’aux cages désertes. Dans le renfoncement étroit nous glissâmes et descendîmes un escalier de la mort avec prudence. Ce dernier s’arrêta en sous-sol et Josse alluma une torche. Il prit à gauche et nous montâmes à nouveau. Une porte se présenta à nous, entrouverte.

-Entrez dans la tanière du loup je vous en prie.

C’était Cyan. Nous obéîmes et vîmes Amy ligotée et bâillonnée. Elle semblait furieuse et quand elle nous vit elle s’agita de plus belle pour nous faire déguerpir. Josse s’avança :

-Libère-là.

-En temps voulu mon ami, lui répondit-il. Asseyez-vous.

Il y avait des chaises et nous l’écoutâmes avec méfiance. Il se contenta de nous regarder comme un prédateur évaluant sa proie. Ce regard que j’avais oublié mais que je connaissais me glaça le sang. Et comme pour aggraver la situation c’est moi qu’il fixa. Je ne pus soutenir son regard tant il m’ébranlait. Il se leva et nous tourna silencieusement autour à distance respectable.

-Puis-je savoir ton plan tordu ou tu ne peux pas nous le dire ? demanda Josse.

-Demande-lui plutôt pourquoi il a tué Henri ! Cracha Ginie.

-C’était un imbécile, répondit Cyan. Comme nous tous d’ailleurs.

-Sale traître !

-C’est la deuxième fois que je l’entends aujourd’hui. Roxana a été plus mauvaise que toi.

-Roxana !? Ma sœur va bien ?

-Elle n’a pas subit d’affront majeur. Je la sortirais en temps voulu.

Ma sœur allait bien ! Comme j’étais rassurée. Dans mon soulagement je ne vis pas Cyan s’approcher pour me caresser la joue. Je vis juste Ginie crier de rage et sauter vers nous. Je ne vis que le couteau dans sa main qui se tendait vers nous. Je vis l’écarlate sortir de sa gorge et son corps tomber, son visage ébahit. Josse était debout, un poignard ensanglanté dans sa main. Il avait tué sa propre sœur ! Amy, tout comme moi, était choquée. Il fixa Cyan et lui dit :

-J’ai payé ma dette envers toi à présent. Rends moi Amy et disparait.

Il acquiesça, m’entraina avec lui et la libéra. Amy se jeta dans les bras de Josse qui recula progressivement en lui rendant son étreinte.

-Pourquoi tu l’as tué ? lui demanda Amy. N’y avait-il pas meilleur solution ?

-Elle se serait laissé mourir. C’est une panthère stupide. Que comptes-tu faire Cyan ?

-Tuer Aimar et ses cavaliers, lui répondit-il.

-Pour protéger le chaton hein ?

-En partie. Je devrais vous tuez vous aussi mais c’est inutile. Aucun de vous ne reprendra la Noctule.

-Tu vas donc détruire la Noctule et la Pléiade.

-Je vais les réunifier.

-Comment cela ?

-C’est comme l’a dit Lucretia. Monsieur de Breteuil nous a forgés pour être ses gentils et plus grands fidèles. Je vais reformer la vraie Noctule et en prendre les commandes.

-Tu es fou !

-Les antithèses ne vont que dévier du but originel. La Pléiade est trop violente, le peuple ne la suivra pas car elle leur fera peur. Un régime de terreur est toujours moins bien qu’une monarchie. Partez, je dois m’entretenir avec ma femme.

-Ta soif de pouvoir est la seule cause, alpha, dit Josse avant de disparaitre avec Amy.

Je restais alors seule avec le méchant plein de rêves sanglants et de pouvoir.

-Même si cela me répugne je vais devoir t’utiliser, me dit-il. Fais-moi juste confiance jusqu’à ce que j’aie sauvé ta sœur et tuer tout ce beau monde.

-Que dois-je faire ?

-Je vais te livrer à Aimar, tache d’avoir un bon paralysant sur toi en dernier recours. Pendant que tu l’occuperas, j’irais envoyez dans l’au-delà ses piliers et libérer ta sœur. Je reviendrai avec elle vers toi en catastrophe. Paralyse-le alors et je le tuerai. Ensuite vous sortirez par le chemin que je vous indiquerai. Une voiture vous ramènera chez vous.

-Et toi ?

-Je vais prendre le contrôle, ils se plieront à moi.

-Cyan ! Et après ?

-C’est à toi de faire un choix. Je te laisserai réfléchir autant que tu le voudras. En attendant repose-toi. Demain commence une dure épreuve.

On me réveilla une fois encore en sursaut. Je me demandais quel jour nous étions. Etait-ce le jour ou la nuit ? On me sortit sans ménagement. Quand je sortis du placard d’une des maisons, la lumière me brûla les yeux. Je lâchais un cri, portant mes mains sur mes paupières mais mon bourreau se fichait bien de mon état et me traînais de force, je butais contre des obstacles qui me blessaient davantage. Je sentis le bord d’une table et d’une pression sur mon épaule, on m’assit. Lorsque je récupérais la vue, je vis une connaissance : madame Caroline. Elle semblait extrêmement tendue. Puis vint Aimar, très agité. Il posa les mains à plat sur la table, s’appuya dessus et se pencha en avant, me dominant de sa hauteur. Son visage exprimait beaucoup de colère et de mépris. Il leva la main et me gifla aussi fort qu’il put. Ma joue brûlait, ma mâchoire me fit mal et je m’étais même mordue la langue.

-Vous connaissiez la Pléiade bien avant de Gurvan ! Alors tu vas arrêter tes mensonges ou je te dépèce jusqu’à ce que tu craches la vérité !

J’acquiesçais.

-Pourquoi Cyan a-t-il approché ta sœur ?

-Je ne sais pas. Elle a dit l’avoir rencontré par hasard.

Il me frappa.

-Le hasard n’existe pas ! Qu’a-t-il obtenu d’elle ?

-Rien puisqu’on l’a bannie de la famille ! On n’a jamais aidé ce traître.

-Vous étiez déjà en lien avec la Noctule ?

-Non ! On ne savait rien de ces clans de révolte, c’est lui qui nous a appris leur existence.

Il frappa plus fort.

-Menteuse ! Pourquoi se serait-il approché de votre famille alors qu’elle n’apporterait rien à la Pléiade ?

-Je ne sais pas.

Il attrapa sauvagement mes cheveux et je gémissais de douleur, des larmes affluant à mes yeux.

-Il y a forcément une raison !

-Je ne sais pas ! Il a épousé ma sœur, peut-être veut-il l’héritage ?

-Epousé ? Répéta-t-il en tirant plus fort. Epousé une noble ?

-Oui, pleurnichais-je.

Il me jeta en arrière. Mon crâne était terriblement douloureux. Caroline était livide, droite comme un piquet et apeurée. Aimar était au bord du meurtre.

-Impossible ! Hurla-t-il. C’est totalement contraire à nos principes !

Il se mit à tourner en rond. Un homme à la tête de fouine entra.

-Alors ? Aboya Aimar.

-Il a capturé l’une des membres de la Noctule. En échange de sa liberté, une autre a été tué.

-C’est une bonne nouvelle.

-Il n’a pourtant pas quitté le membre de la Noctule en conflit. Il est même resté avec une jeune fille rousse, la jumelle de celle-ci.

-Sors !

L’homme s’exécuta sans tarder. Aimar était fou furieux.

-Cyan joue sur les deux tableaux. Il ne fait pas que trahir la Noctule, il trahit aussi la Pléiade ! Caroline !

Elle sursauta. Elle semblait prête à défaillir.

-Préviens le clan. On change de quartiers. Direction la Place des Damnés.

Elle sortit à toute allure. A peine quelques instants après, un vacarme retentit, signe que les ordres étaient exécuté.

-Cyan mérite une leçon exemplaire. La Noctule aussi. Et ton cadavre sera un message parfait.

Je me levais au petit matin. C’était une maison sordide mais Cyan avait aménagé le lieu comme le pouvait un homme seul sans attirer l’attention. Hier après notre discussion, nous avions investit la maison de l’échange. Il s’était contenté de fixer la fenêtre à la recherche du guet qui le suivait disait-il. Lorsqu’il avait quitté son poste, nous étions rentrés au manoir. Mais nous n’étions pas restés, juste le temps de prendre quelques affaires et d’envoyer un pli. Ce11 novembre s’annonçait vraiment difficile. Ensuite nous avions erré dans les ruelles sordides de Paris jusqu’à cette maison insalubre. Cyan n’avait lancé une couverture et j’avais dormi sur un fin matelas posé sur le sol. Ma nuit m’avait rien eu d’enchantant. Je rêvais que j’avais pris la place de Ginie mais que devant, c’était Aimar et derrière tenant le couteau, Cyan tranchant impitoyablement ma gorge. La scène m’avait encore plus glacé que la chambre mal isolée et le fait que je sois seule n’avait fait que renforcer mes craintes. Je regardais par la fenêtre. Le temps était aussi gris que mon humeur. Heureusement les nausées étaient oubliées. Je décidais finalement de descendre dans mes vêtements froissés. Des voix me parvinrent : celle de Cyan et d’un autre homme inconnu. Je m’approchais furtivement de la porte entrouverte afin de les épier. L’interlocuteur de Cyan était immense.

-Y a découvert ton plan, lui dit-il. La noble a balancé qu’t’avait sauté et épousé la rouquine. Y est enragé et apeuré.

-Et il a de bonnes raisons de me craindre. Comment a-t-il réagit ?

-Oh ! Y a des envies de meurtre et fait déplacer le QG.

-Où ?

-Tout s’monnaie.

-Effectivement. Tiens ! Il y en a assez pour t’acheter une maison chic.

Cyan jeta à ses pieds la bourse et je le vis se pencher. Ses yeux fixaient avec convoitise la bourse et son strabisme n’y arrangeait rien.

-L’Place des Damnés.

-Voilà un nom qui convient parfaitement à cette idiote de Pléiade. La Place de l’apocalypse sera son nouveau nom.

-Fait c’que tu veux. Z’ont peur. La putin d’Emeline et sa chef la naine. Me taille avant l’deluge.

Je me précipitais dans la pièce d’à coté afin de me cacher. C’était un placard… Je pris une grande inspiration et referma la porte. Le noir m’engloutit aussitôt et je sentis l’étroitesse des lieux. Mon souple qui résonnait dans cet espace ralentit jusqu’à se bloquer au rythme des pas qui s’éloignaient. J’attendis encore un peu. Quand pouvais-je sortir ? J’avais l’impression que la porte n’allait jamais me permettre de sortir et que ce lieu serait ma dernière demeure. Je tentais de me calmer et ma respiration revint de plus en plus sifflante. J’avais l’impression de suffoquer. Le noir pénétrait dans tout mon corps et bientôt je ne vis que des ténèbres encore plus profondes. La lumière se fit soudainement et une voix m’appela :

-Lucretia !

C’était Cyan. Il me tira hors du placard et je respirais à nouveau comme une personne sortant de la noyade. Il me guida dans le salon et m’installa sur une chaise moisie. Il me fallut un moment avant de me calmer.

-Que faisais tu dans le placard ?

-J’écoutais votre conversation puis j’ai du me cacher.

-Je vois. Je pensais que tu t’étais enfui vu que je ne te trouvais pas.

-Comme si j’allais abandonner ma sœur !

-Hmmm en effet.

Le silence s’installa. Peut être était il déçu que je ne reste que pour Roxana ? Après tout, il m’avait plus que mentit. Comment pouvait-il espéré !? Mais surtout se jouait il encore de moi ? Je n’avais aucune certitude à ce sujet.

-Lucretia… Ce que je vais te demander de faire et de subir est le pire qui soit mais c’est nécessaire.

- Dis-moi simplement.

-Je vais te livrer à Aimar menottée. Tu seras tenue en laisse comme un animal et je vais devoir te frapper et t’écorcher la peau pour faire croire que tu es sous mon contrôle et rien d’autre.

-C’était déjà le cas depuis le début.

Il me dit rien et attacha mes poignets avant de me passer un collier avec une chaine. Il me frappa alors.

-Excuse-moi.

-Ne t’excuse pas !

Il frappa à nouveau à la lèvre et je me tordis les mains afin de me défendre. Je ne pouvais pas ne pas broncher sous les coups. Il recommença le regard aussi froid et impénétrable que la glace.

-Déteste-moi.  Utilise ta colère contre moi. Exprime là.

-…Espèce de sale traître ! Salopard ! Enfoiré !

-C’est bien.

Il tira fortement sur la chaîne et je m’étranglais un instant avant de tomber au sol. Cette espèce de… Etais ce vraiment pour de faux ou y prenait il plaisir ? En tout cas il n’y avait aucune trace d’hésitation ou de désolation en lui le fumier ! Ce petit jeu continua un moment avant qu’il ne décide à la nuit tombée, sans avoir mangé de la journée, de se mettre en mouvement avec sa proie vers la Place des Damnés.

Douleur et humiliation m’habitait tandis que nous roulions vers la place. Cyan ne soufflait ni mot ni regard à mon égard. Cet homme n’était pas celui que j’aimais et comment aurais je pu l’aimer. Je le détestais. Dans quoi m’étais je donc fourrée ! La voiture s’arrêta et Cyan me poussa dehors. Il me prit par le bras et me traîna dans les sombres ruelles. Nous arrivâmes à une porte. Cyan frappa et un cerbère ouvrit la trappe :

-Qui va là !? tonna-t-il.

-Le loup les deux lunes, lui répondit il. J’apporte un cadeau au chef.

Il tira sur la chaîne et je trébuchais. Le gade hésita un instant se retourna puis ouvrit finalement.

-Entrez on va vous escorter.

Nous entrâmes et aussitôt deux hommes sales et mauvais nous encadrèrent. Je me rapprochais de Cyan mais je ne reçue qu’une gifle avant d‘être trainée comme un animal. Comment un homme pouvait il faire cela à la femme qu’il aimait ! Il nuisait tout de même à son enfant ! Nous marchâmes un long moment dans les corridors. Je perdis tout sens de l’orientation au bout d’un moment. Seul le cliquetis régulier des chaînes m’indiquait les pas que nous avions parcourus et ainsi le temps qui passait. Enfin une porte se planta devant nous, garder par deux colosses au visage plein de cicatrices. L’un d’eux frappa et ouvrit la porte. Nous entrâmes et elle se referma aussitôt derrière nous :

-Quelle surprise ! S’étonna Aimar. Voilà notre traître.

Il savait ! Tout à coup la peur prenait le dessus.

-Pense ce que tu veux Aimar, lui dit Cyan. Si tu doute de ma loyauté prend donc ce petit cadeau.

Il me poussa vers lui mais avec ma capuche il ne pouvait voir mon visage. J’avisais Aimar et son sourire me fit frissonner. A coté de lui se tenait une femme magnifique qui me disait quelque chose. Elle semblait mal à l’aise. C’était Caroline ! Dieu alors mes soupçons étaient fondés ! Ca voulait dire que Cyan savait tout depuis le début ! Qu’il m’avait roulé dans la farine jusqu’au bout ! La rage s’éleva dans mes veines.

-Je n’ai pas besoin d’une catin, dit Aimar.

-Oh détrompes toi celle-ci te plaira j’en suis sûr.

Il tira sur la chaîne qui me ramena jusqu’à lui. Je poussais un premier cri de douleur puis un second lorsqu’il me tira les cheveux en arrière et révéla mon visage. Des larmes de douleur perlaient au coin de mes yeux. Il était si violent ! Aimar se leva et vint vers nous surpris :

-Lucretia…

-Aimar, crachais-je.

-Silence ! ordonna Cyan en me giflant.

-Qui doit se taire sale traître !? Criais je en lui donnant un coup bien placé.

Mais ma tentative échoua car il me contra du genou et m’étrangla avec la chaine. Aimar éclata de rire ce qui me figeais.

- Alors comme sa tu m’offres ta femme !? Il ne t’a vraiment pas raté ma pauvre Lucretia, dit il en caressant ma lèvre craquée ce qui ne m’inspira que dégout.

- Je savais qu’elle t’intéressait.

-C’est une noble.

-Plus maintenant. Quel meilleur moyen de salir une noble que d’en faire une catin ? Piétinez sa fierté jusqu’à l’humiliation. L’enchainer de toute les façons possibles afin qu’elle n’est plus aucun espoir.  Elle n’est plus rien. Rien que ce que la nature avait prévu pour elle en lui donnant cette chevelure. Fait d’elle ce qui te plait Aimar.

Il me jeta sur lui sans ménagement et lui donna la chaîne.

-Tu es son maître à présent.

Aimar éclata de rire.

-Je t’ai mal jugé. Je t’autorise à avoir Caroline pendant que je profite de mon nouveau jouet. Dehors !

Caroline se leva visiblement ravie et se jeta dans les bras de Cyan pour l’embrasser comme une folle. Ce connard avait une maitresse ! Ils sortirent précipitamment et je me retrouvais seul face au désespoir et à mon pire cauchemar.

Oui, un cauchemar. J’étais là, trainée au bout d’une chaîne tel un chien dont le maître le forçait à s’enfoncer dans de sombres dédales. Soudain, Aimar s’arrêta et je me heurtais à lui.

-Voici ce qui arrivera aux nobles et à tous ceux qui se mettront en travers de notre chemin.

Il sortit de mon champ de vision et je vis un corps étendu sur le sol. C’était une jeune brune, les doigts brisés, le visage lacéré. Méconnaissable et pourtant j’entendais comme un écho. Je fixais ses vêtements, trop riche pour être roturier, le sommet de son crâne était roux ! Cela ne pouvait être !? Je me jettais sur le corps et souleva son bras gracile. Le contact de sa peau froide me semblait si familier et les grains de beauté qui dessinait un triangle.

-Roxana ! Non !

Mes larmes coulèrent tandis qu’un mal pire que tout m’envahit. Elle était morte ! Ma moitié ! Ma sœur ! C’était ma faute ! Tout cela était entièrement ma faute ! Si seulement je n’avais jamais cédé à Cyan ! Tout ceci ne serait pas arrivé ! Je m’étranglais avec mon collier.

-Debout ! ordonna Aimar.

Aimar… C’était lui ! Je me levais et lui sautais à la gorge mais il tira sur la chaine et me cloua au sol. Il me chevaucha avec un sourire carnassier :

-Cela fait longtemps que j’attends ceci. Je vais te tuer mentalement. Tu ne jureras bientôt que par mon nom et tu me supplieras de te baiser.

Je lui crachais au visage et il rit avant d’exécuter ses noirs désirs.

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