L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 2

plume-scientifique

CHAPITRE 2

Tandis que le fiacre se mouvait en fonction de la route et ses ornières, mon esprit se torturait. Les hommes étaient dans une voiture, ma sœur et moi dans une autre. Il faisait atrocement chaud en ce mois d’août. De lourds rideaux obstruaient les fenêtres pour nous épargner les rayons brûlants. Chacune restait plongée dans son mutisme. Malgré les jours de voyage passant, je ne pouvais m’empêcher de repenser à notre veille de départ. Lucretia apparaissant subitement dans sa chambre. Lucretia sortant de la chapelle en pleine nuit. J’étais perplexe. Ma sœur, ma jumelle, mon double et ma moitié  à la fois, me semblait complètement étrangère. Où était passé notre lien indescriptible ? Je n’étais même plus sûre d’être une amie pour elle. Si elle voulait se confier, si elle détenait un secret, me parlerait-elle ? Hélas, il était évident que non. Que faisait-elle dans son coin, que mijotait-elle ? Il faudrait que je le découvre.

Lorsqu’on descendit des fiacres à Paris, on était tous brisés et fatigués. Mais la vue de l’hôtel d’Evreux nous remis d’aplomb. Les appartements offerts par Louis XV à son ancienne favorite étaient époustouflants. L’endroit grouillait de monde et pourtant Père nous affirma qu’il s’agissait du strict minimum. Pour nous qui vivions à quatre depuis douze ans, il nous semblait que Paris s’était invité. On parcourut un dédale de pièce et de couloirs plus somptueux les uns que les autres. Les bonnes nous jetaient des regards en biais, étonnées de nos accoutrement quelques peu…provinciaux. Enfin, on arriva dans un salon gigantesque, tapissé de bleu nuit et de dorures. Madame de Pompadour était à son bureau- couvert de livres aux reliures précieuses- et se retourna vers nous, une liasse de partition à la main. Je fus très impressionnée par son charisme : son teint était aussi blanc que sa perruque qui, contrairement à ce que j’imaginais, n’avait rien d’extravagant, ses joues rosées, ses lèvres carmins. Mais sa robe me subjugua ; si belle et au tissu si travaillé ! Un tissu bleu tirant vers le gris orné d’arabesques et de fleurs dorées, roses ou bleues, un décolleté carré, de larges manches en dentelles partant des coudes et des nœuds de tulle blancs sur le buste. Elle nous accueillit chaleureusement, les présentations furent faites. On se rendit dans « le salon gourmand » où fut servit le thé. Madame nous regarda avec attention Lucretia et moi et nous expliqua que les perruques étaient de mises à Paris, surtout lorsque la couleur rousse était attribuée aux filles de joie. Lucretia piqua un fard. Lorsque le souper approcha, on fut amené dans nos chambres afin de se préparer pour le diner. A mon grand soulagement, Lucretia devrait partager sa chambre avec moi.

Je détestais Paris ! Le voyage avait été long et infernal, pire que l’enfer même ! Je n’avais pas échangé un mot avec Roxana de peur d’être désagréable. Et ô combien l’espérance d’une chambre, d’un repas, de la fraicheur d’un toit et d’un coin de verdure m’avait saisie ! Pour le jardin c’était râpé ! Sitôt arrivée, sitôt à table. Et ne parlons même pas de notre hôtesse ! La seule chose qui était potable sur elle était bien sa robe. C’était un tout autre monde et déjà je ne l’appréciais pas. Le comble arriva lorsqu’on me montra ma chambre ou plutôt notre chambre ! J’allais devoir rester avec Roxana. Voilà qui ne m’arrangeait pas. Comment allais-je faire avec ma sœur dans les pattes ? Il était clair que mes rendez-vous allaient être ardus à tenir… Mais surtout où allais-je cacher ma livraison ? En digne petite souris, Roxana avait tendance à fourrer son nez partout. Je me mis à réfléchir en m’effondrant sur le lit. Un lieu improbable… Dans cette pièce pour l’instant. Là où aucune souris ou bonnes au regard douteux n’irait voir. Le double fond de mon coffre d’herbes ! Personne n’y touchait d’habitude car je piquais souvent des colères à ce sujet. A force, ils en étaient venus à respecter ma boite sacrée en la laissant tranquille. Ma sœur tout aussi lasse partit dans la salle d’eau et j’en profitais pour ranger la fiole. Ensuite, je regardais par la fenêtre, le front appuyé contre la vitre. En bas, le jardin me narguait mais la nuit déjà tombée me l’interdisait. J’entendis ma sœur revenir.

-Veux tu que je t’aide à te débarbouiller ? me demanda-t-elle.

- Bien entendu, lui répondis-je en la suivant dans la salle.

Depuis que j’avais rencontré le maître, il était clair que j’avais délaissé ma sœur et ma volonté d’être solitaire avait creusé un fossé entre nous. Mais après tout, je voulais la protéger de toute implication. J’avais choisi une voie, en désaccord avec les miens mais il était hors de question qu’ils en subissent les conséquences directes. L’heure serait bientôt aux changements. Le froid contact de l’eau sur ma peau me tira de mes pensées. Je frottais mon buste, mes membres et mon intimité pendant que Roxanne s’occupait de mon dos. Nous échangeâmes de place et je lui l’avais le dos. Le silence régnait en maître dans la salle mais je voyais bien qu’elle avait besoin de parler mais je n’en avais pas la force. Notre entraide terminée nous allâmes nous coucher en nous souhaitant une bonne nuit.

Je me réveillais avec un mélange de sentiments ; je me sentais comme une princesse dans sa chambre royale et richement décorée, comme une invitée chanceuse de la Dame de Pompadour et en même temps, j’étais frustrée d’être abandonnée de mes frères et sœur. Le petit-déjeuner se fit sans l’ancienne favorite à mon grand regret. Lucretia s’enfuit dans les jardins, Père dans son laboratoire dans la ville, Vladimir explorait la capitale sans demander de compagnie. Je traînais dans les couloirs comme une âme en peine, ouvrait ça et là des portes pour voir, jusqu’à tomber sur la salle de mes rêves : une bibliothèque. Pour beaucoup, c’était une salle ennuyeuse mais j’y voyais du savoir, du rêve, des voyages, des secrets. Les murs étaient cachés par des étagères du sol au plafond à l’exception des baies vitrées. Des escaliers en bois sur roulettes dont j’avais toujours rêvés s’appuyaient dessus. Je parcourus des yeux quelques belles reliures. La Pompadour possédait une belle collection de romans que, j’espérais, elle m’autoriserait à lire.

J’entendis un rire tout proche, légèrement forcé et…dégoulinant de  flirt. Je vis alors passer madame de Pompadour et…Mark ! Ils badinaient ouvertement. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me contraria. Cette relation me gêna. Peut-être étais-je trop exclusive…

-Mademoiselle Roxana, m’interpela une voix. C’était la Pompadour.

-Oui madame ? Répondis-je, aimablement.

-Votre père m’a fait part de votre intérêt pour le savoir et la culture. C’est une excellente initiative. Une femme instruite vaut tellement mieux. Aimeriez-vous avoir des leçons durant votre séjour ?

Je n’en revenais pas ! Moi, instruite par madame de Pompadour !

-Ce serait un immense honneur, m’exclamais-je, ravie.

Ma réponse et mon enthousiasme lui décocha un sourire.

-Il n’y a pas meilleur précepteur que Monsieur de Gurvan dans tout Paris, je vous l’assure.

Je refoulais ma déception, amère. Mon sourire me devint pénible, faux et tremblant.

-Je n’en doute pas le moins du monde, madame.

Elle s’en alla dans un bruit de tafta foulé. J’étais prise au piège. « Faite comme un rat » Pensais-je, ironiquement. J’espérais au moins que mon précepteur serait quelqu’un de bien.

Fuir. Voilà à quoi j’occupais mon temps. La Pompadour semblait vouloir tout contrôler aussi l’éviter était il la meilleure chose à faire. Je me cachais donc dans ses jardins si on pouvait appeler cela un jardin. Il n’y avait aucun endroit où on ne voyait pas un bâtiment et les passants étaient aussi nombreux que les abeilles. La faute au théâtre il allait sans dire. Seul l’autre coté du jardin était à mon sens attractif et pour cela il fallait sortir devant tous ces clowns qui pavanaient. Le Jardin des tuileries ne contenait que des petits arbustes taillés et parfaitement symétrique et un semblant de forêt tout aussi organisée. Ici l’homme imposait sa domination ce qui me désola. Je n’étais pourtant pas exigeante ! Je voulais juste une vraie forêt où les champignons poussent librement où les gens chassent…Où je l’avais rencontré… Je voulais le voir ! Je voulais rentrer ! A peine arrivée que je craquais déjà !

-Bien le bonjour demoiselle, me salua un jeune homme. Vous m’avez tout l’air perdue mais ne vous inquiétez pas je serais votre guide universel.

Cette voix, cette manière de glisser certains mots… Je fixais cet homme en quête d’un autre indice. Il me fallait vérifier !

- Bonjour à vous Monsieur, lui retournais je. Votre offre n’honore mais je n’accepterais que le guide qui se tient devant l’universel est à un autre.

-Qui d’autre que moi Lucretia ?

-Vous avez tout à fait raison, lui souris-je.

Quelle rencontre inespérée ! Enfin, je le rencontrais en face à face ! Il m’offrit son bras et je le suivis jusqu’au jardin de l’hôtel où il me trouva un endroit au calme et à l’abri des yeux et des oreilles. Je respirais enfin ! Mais je sentais son regard sur moi. Je le dévisageais. C’était un si bel homme ! Un peu moins de trente ans je crois, ses longs cheveux bruns étaient attachés en queue de cheval et ses yeux gris m’observaient dans le moindre détail. J’avais là une chance inespérée !

-C’est un honneur de vous rencontrer en personne maître, lui dis je.

-C’est surtout un fardeau que j’apporte sur tes épaules Lucretia, me répondit il. J’espère juste que tu t’en montreras digne et ne me trahira pas.

-Que diable pensez vous là maître !? Je ne vous trahirais jamais même dans la mort! Vous êtes arrivé à point nommé je dois dire.

-Je n’allais tout de même pas laisser ma compagne pleurer devant tous.

Sa compagne ! Voilà qui me plaisait à m’en faire rougir. Malheureusement ce n’était certainement pas dans le sens que je l’entendais.

-Ah oui la fiole ! me rappelais je. Tenez…

-Merci Lucretia. Je viendrais te voir dans ta chambre pour te récompenser.

-Cela ne va pas être possible, rougis je ravie.

- Me détesterais-tu maintenant ?

-Non je suis honorée mais je partage ma chambre avec ma sœur…

-Hmmm… Pompadour organise une fête demain soir jusqu’au soir d’après. Il te suffira de trouver une occupation à ta sœur et de me rejoindre là bas à 22h.

-Je ferais tout mon possible en ce sens maître.

-Sage demoiselle, dit il en m’embrassant sur le front. Maintenant que tu es ressourcée, fit-il remarquer avec humour. Il est temps d’aller préparer cette soirée. Je tiens à voir à quel point tu mérite d’être Lucretia ma savante favorite.

Décidément le rouge parcourrait mon visage tel la marée aujourd’hui. Il se releva et me tendit la main afin de m’aider à me relever. Ce simple contact me remplie encore plus de joie et nous retournèrent à la civilisation. C’est alors que je vis Vlad se diriger vers moi visiblement contrarié.

-Monsieur, salua mon frère.

-Jeune homme, lui retourna-t-il.

-Je vais devoir vous arracher ma sœur. Lucretia, il est temps de rentrer.

-Merci pour m’avoir fait la visite des lieux Monsieur, remerciais je.

-Tout le plaisir fut pour moi charmante demoiselle, dit-il avec un baisemain. Peut-être nous reverrons nous qui sais ? Passez une bonne fin de journée.

Il s’éloigna à regret et mon frère murmura pour lui-même :

-Ou peut-être pas…

-Vladimir ? Serait ce là de la jalousie ?

-Tu dis n’importe quoi ! Rentrons.

Je gloussais. Mon petit frère était jaloux c’était vraiment mignon. Par contre l’endroit vers lequel il me ramenait était tout le contraire.

Deux heures. Deux interminables heures que je tournais en rond. Complètement piégée par mon acceptation de l’offre de la Pompadour, je ne savais plus que faire. J’avais voulu voir Père pour lui glisser quelques mots afin qu’il supprime ma promesse mais il n’était pas revenu. J’avais cherché du soutient auprès de Lucretia ou Vladimir, mais introuvables. Finalement, je voulus supplier Mark mais il charmait la dame. Piégée. Abattue, je restais prostrée dans la bibliothèque. Puis je me mis à positiver : mon précepteur serait sans doute quelqu’un de gentil, peut être même un homme sympathique à regarder. Quelqu’un d’attentionné, un jeune homme plein d’intelligence. Peut-être même tomberai-je amoureuse…

« Ouais c’est ça, et s’il te demandait en mariage aussi ? ». Voilà que je me narguais tout haut maintenant. Je restais là, assise dans l’un des fauteuils, pauvre âme échouée et inutile. Il n’y avait que moi pour être dans pareille situation, toute ma famille s’occupait, s’adaptait. Je me mis à regretter l’an passé. Nous étions tous si proche ; Lucretia et moi étions des doubles bien au-delà du physique, Vladimir était encore un enfant qui aimait que je prenne soin de lui et Mark veillait sur nous. Qu’est-ce qui avait creusé ce fossé entre nous ?

Dans le couloir, j’entendis des gens s’affairer, des tissus froissés, des pas précipités.

« Bonjour Monsieur de Gurvan » Saluèrent les bonnes au loin.

Un frisson me parcourut, mon être se redressa instantanément, je tendis l’oreille. Il était là, tout prêt. Je guettais sa voix.

« Monsieur, Madame de Pompadour vous a administré une disciple. Elle est dans la bibliothèque semble-t-il ».

Oh mon Dieu ! Paniquée mais curieuse, je guettais toujours une réaction, un son, n’importe quoi. Mais rien. Le couloir semblait figé dans le silence. Et de lourds pas vinrent vers la porte. J’étais pétrifiée. Puis la poignée bascula lentement. La porte s’ouvrit. Mon cœur allait exploser.

-Alors c’est vous ma disciple ? Demanda sèchement une voix grave.

Je me rappelais de respirer. Un homme imposant et austère d’environ quarante ans se tenait devant moi. Il était droit comme un piquet, une main derrière le dos. Son visage sévère me jeta un regard noir. Ses cheveux ébène en queue de cheval, sa tenue complètement noire à l’exception de quelques détails blancs, renforçait son allure macabre. « La mort personnifiée » Pensais-je. D’ailleurs je ne pouvais penser autre chose.

-Etes-vous muette ou débile ? Questionna-t-il de nouveau.

Cet électrochoc me réveilla de ma torpeur.

-Je…non, balbutiais-je.

Il attendit que j’en dise plus. Mais j’avais franchement du mal.

-Roxana de Saint-Germain, le saluais-je avec une petite révérence. C’est bien moi votre disciple.

« Hélas ! » Songeais-je.

-D’où venez-vous ? Continua-t-il austèrement.

-Chambord.

-Une provinciale, dit-il avec dédain. Je ne pense pas pouvoir vous enseigner quoi que se soit. Prenez un précepteur de plus bas niveau.

J’accusais le coup. Si dans ma tête je l’insultais copieusement, à l’extérieur je rougis et ma peau s’enflamma. Une robe abricot, une chevelure rousse et un visage écarlate ; cette idée enfonça mon moral et je passais au rouge cramoisi.

Sur ce, il partit. De longues minutes, ces dernières paroles résonnèrent dans ma tête et mon visage me brûla.

Je détestais Paris.

Le bal ! Il fallait que je me prépare mais pour cela j’allais devoir faire les magasins. Je hélais une domestique :

-Hé servante ! Savez-vous si le comte Saint Germain est là ?

-Il est parti, me répondit-elle en me regardant peu gentiment.

-Et ma sœur et mon frère?

-A la bibliothèque et avec Mme Pompadour dans le salon.

-Merci bien.

Un vieil homme lugubre au port altier et tout sec arriva vers nous. Il s’arrêta et me fixa avant de s’exclamer méprisant :

-Hors de mon chemin provincial inculte !

-Je vous demande pardon Monseigneur ? Lui répondis-je, interloquée.

-Je n’enseigne pas aux singes, déguerpissez !

Quelle arrogance ! Mais pour qui se prenait-il celui-ci !?

-Puis-je savoir qui vous êtes ? Lui demandais-je.

-La mémoire d’un poisson rouge de surcroit ! Je viens à peine de vous quitter. Monsieur de Gurvan, le meilleur précepteur de France.

-Eh bien Monsieur de Gurvan, vous faites erreur sur la personne. Je suis Lucretia de Saint Germain, sœur jumelle de Roxana, et fille du comte de Saint Germain, grand ami du Roi. En temps que ses enfants nous sommes très instruits et peut-être même davantage que vous Monsieur. Alors sachez tenir votre rang.

-Quelle insolence ! Je suis ici car Mme de Pompadour l’a demandé !

-Quelle plante herbacée et vivace, à racine dure, feuilles allongés et fleurs jaunes très odorantes produit une substance toxique au niveau de ses racines, provoquant vomissement et diarrhée et est utilisée contre les morsures vénéneuses?

-Aristoloche des vignes pardi !

-Non cette plante est entièrement toxique. C’était l’Asclépiade blanche. Quand à Madame vous l’avez certainement déçue en refusant la personne la plus instruite de France. Bonne journée Monsieur.

Je le laissais dépité et furieux avec une servante étonnée. C’était bien fait pour lui ! On n’insultait pas ma famille et encore moins ma jumelle sans en payer les conséquences.

-Vladimir ?

-Oui Lucretia ? répondit-il inquiet.

-Va dire à Mark que j’ai besoin de lui.

-Il ne lâchera pas la Pompadour tu sais…

-Et bien dit lui que cela dépend de l’honneur et de l’avenir de sa famille. Cela devrait le faire revenir à ses priorités. Rendez-vous dans le salon où nous avons été accueillis.

Vlad acquiesça et partit. J’entrais alors dans la bibliothèque. C’est alors que je vis ma sœur, debout, figée et rouge de honte. Qu’est ce qu’il lui avait fait !?

-Roxana ! L’appelais-je.

Elle sursauta comme un animal craintif. Je posais mes mains sur ses joues et la regarda droit dans les yeux en lui demandant :

-Oubli tout ce que cet imbécile prétentieux t’as dit. Tu vaux mille fois plus que lui. Les généralistes dans son genre ne sont rien. Maintenant viens. Nous allons faire quelques emplettes pour le bal à venir. Peut-être cela sera-t-il la meilleure chose qui nous soit arrivée dans cette ville.

J’entrainais ma sœur avec moi hors de sa tanière et gagnais le salon. Vlad avait réussi sa mission sauf que la vieille sorcière était là elle aussi.

-Pourquoi as-tu besoin de moi Lucretia ? demanda Mark visiblement irrité.

-Je vous emmène tous vous acheter vos tenues de bal. Nos vêtements sont comme qui dirait…inadaptés à la situation. Vous venez tous avec moi.

-Il est vrai que je n’y avais pas pensé, dit la Pompadour. Je vais vous donner les noms et l’adresse de quelques bons magasins. Attendez un instant.

La sorcière partit et revient avec les indications qu’elle donna à Mark.

-Je suis quand même étonné que Monsieur de Gurvan vous ai laissé partir, dit la Pompadour.

-Il n’a tout simplement jamais commencé la leçon, répondis-je à sa place. Monsieur de Gurvan a été fort impoli en s’estimant de « trop haut niveau » pour la fille d’un comte. Mais je me suis déjà chargée de le réprimander.

-Lucretia ! s’exclama Mark.

-Nul n’insulte les Saint Germain sur le plan du savoir.

-Voilà un caractère qui va faire fureur dans la capitale, rit la Pompadour. Vous êtes faite pour ce milieu ma chère.

-Je ne pense pas que la botanique puisse s’exercer à huit clos Madame. Su ce je vous souhaite une bonne journée, nous devons nous pressés.

Elle acquiesça et je quittais son logis en trainant les miens derrière moi.

Dans la cour, trois fiacres nous attendaient. Sans surprise, Mark alla avec la marquise, les hommes ensemble et les jumelles réunies. Je soulevais le rideau noir pour regarder à travers le verre presque opaque. L’hôtel d’Evreux s’éloigna de ma vision, splendeur de pierre et soudain, on eut dit qu’on basculait dans un autre monde. Le fiacre remuait en tout sens et je vis la route chaotique, boueuse et pleine d’immondices.  Les maisons crasseuses s’alignaient, collées les unes aux autres. Des parisiens mal en point s’écartaient sur notre chemin, nous insultaient, éclaboussés par les égouts, les flaques d’eau sale et croupie. Une odeur pestilentielle me parvint et me souleva le cœur. Je lâchais le rideau avant de me sentir vraiment mal. Un quart d’heure plus tard, on s’arrêta. Une jolie boutique se tenait devant notre porte mais je savais comment faire pour descendre sans être souillée. Voyant que Madame de Pompadour était avec nous, le couturier étala sur le sol répugnant une chute de tissu pour que nous puissions passer. Une fois dans la boutique, le décor redevint féerique. Des tissus, des voilages, des dentelles, des rubans, des perles… un temple de la mode ! Lucretia et moi échangeâmes un regard complice, le premier depuis longtemps. Sans attendre, on parcourut les étagères, ébahie et envieuses. Le maître couturier fit venir les commandes de la marquise et guida mes frères et mon père sur leur choix. Une femme-sans doute son épouse- prit les mesures de ma sœur et moi. Nos yeux pétillaient comme deux gamines.

-Après il nous faudra aller chez le perruquier, puis le cordonnier et enfin le maquilleur-parfumeur, déclara la marquise.

Heureusement que Père ne manquait pas de richesses !

-Monsieur de Gurvan est revenu ce matin, je pourrais vous le présenter, me dit la marquise.

-Nous nous sommes déjà…disons…présenté, répondis-je en cherchant mes mots.

Ma sœur lui jeta un regard noir, jugeant sûrement que ma mauvaise rencontre était de sa faute.

-Ne vous laissez pas impressionnez, continua-t-elle. Monsieur de Gurvan a été élevé dans l’austérité catholique, il est assez impersonnel mais d’une culture. Je crois qu’il est impossible de l’énerver, il ne hausse jamais le ton. Vous vous ferez à ses intonations froides. Vous verrez dans quelques jours.

« Aïe ! Mes leçons ne seraient pas annulées ».

Les choix des tissus fut à la fois facile et compliqué : nous voulions tout !

-Tu as vu ces broderies d’or sur le fuchsia ?

-Ce bleu nuit est magnifique.

-Le pêche vous vas tellement au teint.

-Le vert émeraude se marie tellement avec tes yeux.

-Tu as vu ces perles ?

-Il me faut absolument ces rubans !

-Que pensez-vous de cette dentelle ?

-Vous allez me ruiner !

En revanche chez le perruquier, c’était une toute autre affaire. Aucune ne nous plaisait et l’essaye de chacune d’entre elles déclencha un fou rire incontrôlable. La marquise de Pompadour appréciait moyennement mais même Mark ne put s’empêcher de glousser discrètement. Chez le cordonnier, les chaussures nous ravirent bien nous ne comprenions pas bien pourquoi il fallait dépenser autant d’argent dans des accessoires masqués sous nos robes. Mais devant ce bonheur de famille si rare, Père nous offrit des talons rouges ! Pour finir, on acheta de la poudre blanche- dont Lucretia ponctua l’achat par : « De la farine sur la face de la marquise suffirait ! »- et quelques autres accessoires. Cette balade avait égayée notre journée à tous et se fut légers que nous rentrions.

Quelle fin de journée magnifique ! Je rangeais mes souliers et regardais ma sœur les yeux pétillants. Je pris la perruque et la posa sur ma tête avant de commencer à imiter la Pompadour. Nous éclatâmes de rire. Heureusement que le ridicule ne tuait pas ! Je m’assis sur mon lit et caressais émerveillée la sublime robe. J’avais été aveuglé par tant de splendeur mais le choix et la couleur avaient été ardus. Rare était les belles couleurs qui allaient aux rousses et parmi toutes, je m’étais demander laquelle plairait à mon maître. J’avais donc choisi le vert forêt en souvenir de notre rencontre dans les bois de Chambord lors de la chasse. Ah… Plus qu’une nuit à patienter ! L’excitation me gagnait. Mais avant, je m’assis à la coiffeuse sous les yeux de ma sœur et coiffais mes cheveux avec soin en y appliquant un onguent pour les démêler. Je proposais ensuite ce service à ma sœur qui accepta. La fatigue nous guettant nous n’échangeâmes que quelques mots avant de nous coucher toute les deux.

Mais je ne pus dormir me souvenant de notre périple à travers les rues de Paris. Comment le luxe pouvait il côtoyer la pauvreté ? L’abondance et la famine ? Les parisiens vivaient dans une porcherie déconcertante et j’avais même vu une scène affligeante. Une mère avec trois enfants qui devait payer son impôt alors qu’elle n’avait plus de quoi les nourrir. J’avais voulu faire un geste mais Père m’avait arrêté. Je n’avais pas compris jusqu’à présent pourquoi je me battais. J’avais aveuglément suivie le maître à cause de mes sentiments, alors que sa cause était tellement noble et juste ! Voir la Pompadour se pavaner dans son luxe me donnait même des nausées. Une catin des rues valait moins qu’elle alors qu’elle exerçait le même œuvre. J’avais besoin de parler de tout ceci à quelqu’un mais à qui ? Père ? Non il était l’ami du Roi. Mark ? Malgré tout ce que nous partagions, il était pendu comme un gentil chien à la sorcière. Vlad ? Il était trop jeune à mon sens pour comprendre. Roxana dans ce cas ? Roxana… Si fragile, si naïve. Non, il n’y avait que le maître qui pouvait me comprendre. Comme toujours mes pensées revenaient à lui mais cette fois son visage s’accrocha derrière mes paupières alors que je sombrais dans le sommeil.

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