L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 3
plume-scientifique
CHAPITRE 3
Le lendemain, fut étonnamment bruyant ! Les domestiques s’agitaient dans tous les sens. Lorsque je vis la salle de réception avec son faste et ses musiciens qui répétaient je fus frappée par l’écart. C’était mauvais ! Je ne savais pas danser sur cette musique ! Vite, je courus sortir Roxana de son trou et lui montra la salle :
-J’espère que tu sais comment on danse là-dessus ?
-Non, blêmit-elle.
-Et bien, nous sommes deux…
-Ah ! Mes chéries vous êtes là ! Je voulais vous voir pour…
-Père c’est terrible ! Lui sautais-je dessus. Nous ne savons pas danser là-dessus !
-Oh et bien ce n’est pas grave avant tout je voulais…
-C’est inconstamment inconvenable ! Que vont pensez les gens de notre famille !? Père vous devez nous apprendre !
-Soit ma fille. Je te laisse courir après tes frères. Retrouvez-moi dans la salle de danse.
Je ne me fis pas prier pour m’éclipser. Heureusement, Vlad n’était pas loin et je l’empoignais en faisant fi de ses protestations. Mark n’était pas avec Pompadour pour une fois mais mon éternel prétendant était avec lui, malheureusement pour moi.
-Lucretia ! S’émerveilla Aimer. Je suis ravi de vous revoir.
-Le plaisir est partagé Monsieur, lui mentis-je avec un sourire. Mark, Père nous demande tous, aurais-tu l’obligeance de me suivre, je te pris ?
-Bien entendue ma très chère sœur, dit-il avec une pointe d’humeur.
Il m’avait probablement entendu me moquer de notre hôtesse ou interférer dans sa conquête. Quoi qu’il en soit, je n’en avais cure ! Un homme se tenait par deux choses : l’appétit et la passion. Et en ce qui concernait Mark c’est sa passion pour la médecine qui l’emportait toujours. Je guidais mes frères à destination où mon père avait commencé la leçon. Il était temps de démontrer que Lucretia était aussi savante et intelligente que son prénom.
La musique et les belles danses, j’adorais ! Mais la pratique… Père faisait mon cavalier et j’étais bien piètre valseuse.
-Roxana, cesse de regarder nos pieds, me dit-il. Regarde-moi dans les yeux. Allez, obéis ! Et maintenant, laisse-toi porter.
Je le fixais et il démarra la valse. Incroyable ! Nous dansions parfaitement bien. Je ne réfléchissais plus et me laissais emporter. J’osais même quelques tours sur moi-même.
-Roxana, sale menteuse ! Tu as appris à danser sans moi, me reprocha ma jumelle.
-Je te promets que non.
Sur une pirouette, je lâchais Père qui prit Lucretia à son tour. Il lui donna le même conseil et aussi vite, elle prit le rythme.
-C’est bien les femmes ça, ricana Mark avec un clin d’œil, elles se laissent porter alors que Vladimir et moi allons devoir tout apprendre.
Tandis qu’ils apprenaient leurs pas, Lucretia et moi dansions une improvisation. Après une bonne heure, vint l’apprentissage du menuet. Il était difficile de se concentrer tant les gestes étaient ridicules. Père tel un chef d’orchestre menait à la baguette Lucretia et Vladimir qui s’appliquaient tandis que Mark et moi étions à mi-chemin entre le fou rire et le combat.
Après de longs efforts, nos ventres crièrent famine et heureusement, le déjeuner allait être servi. Au grand dam de Lucretia, la marquise se joint à nous, et au mien, Monsieur de Gurvan aussi. Le repas fut copieux : potage aux asperges, choux-fleurs au beurre blanc, fèves à la crème, maquereaux à la matelote, crème de pistache, sorbet à l’orange et… « posset pie ».
-Grand dieu ! S’exclama la Pompadour devant ce dernier dessert, cette tourte aux pommes n’est pas seulement belle mais divine !
Monsieur de Gurvan n’avait pas lâché un seul mot du repas mais c’était resservi de ce dessert.
-Il faudra saluer le chef, dit-elle à une bonne.
-Mais vous pouvez le faire de suite, intervint Lucretia.
Pompadour et de Gurvan la regardèrent, ébahis.
-Cette tourte est la spécialité de Roxana.
Les yeux se braquèrent sur moi mais trop gênée, je regardais ma sœur qui me souriait.
-Vous cuisinez ? Demanda la Pompadour.
-Oui, madame, répondis-je avec fierté.
-C’est un travail pour le peuple et les cuisiniers. N’avez-vous aucun domestiques, cher comte ?
Douche froide. Elle m’avait méchamment replacée. Le silence s’établit. J’étais humiliée une fois de plus en public. Et dire qu’après le repas m’attendait encore mes leçons avec monsieur de Gurvan…
C’était à croire que ces nobles n’avaient rien autre que leur argent et leur prétendu « savoir » pour vivre.
-Nous en avons une vingtaine, répondit Père.
-Seulement ! S’étonna la sorcière.
-La cuisine, commençais-je est aussi un art alchimique à bien des égards. Sans ces notions de cuisine même un bon médecin ou apothicaire pourrait rater le plus simple collyre et en faire involontairement un poison. Les cuisiniers sont donc une catégorie d’alchimistes car ils transforment les produits bruts de la terre en magnifiques plats que nous avons sous les yeux. La cuisine c’est la vie. Si vous n’aviez ces gens avec vous mourriez probablement de faim Madame.
-Voilà un beau discours pour une conclusion très supposée, rit-elle.
Cette garce m’énervait de plus en plus.
-Je gage que Madame ne saurait se contenter du maigre pain du peuple et son eau croupie pour unique repas.
-Seul un fou s’y tremperait en effet !
-Alors considérez-nous comme fous, je vous prie. Si ma famille est aussi savante c’est parce qu’elle expérimente tout de la vie. La science n’est-elle pas une série d’expériences ?
-C’est sa définition même, concéda Gurvan, grognon.
Une victoire bien arrachée comme je les aimais. Je souris à la tablée et fixais un moment ma sœur. J’espérais avoir effacé son humiliation.
Le repas achevé, je retournais dans mes appartements. Roxana étant coincée avec le croquemort, j’avais tout le loisir d’être seule. Restait à décider de ce que j’allais faire… Me préparer ! Porter toute cette armure de tissus ne devait pas être aisé. Je me déshabillais et enfila ma longue chemise et mes bas. J’avisais le corset et la cage de fer. Le premier obstacle semblait insurmontable. La cage de fer céda au bout d’un moment mais le corset ne pouvait être serré seul.
-Fichus parisiens ! M’exclamais-je, énervée.
-Allons donc Lucretia en voilà des manières, se moqua Mark. Besoin d’aide ?
-Ca se voit non !?
-Qu’est ce qui t’énerve tant que ça ? Le corset, Paris ou notre hôtesse ?
-Tout ! Maintenant serre cet engin de torture avant que je n’envoie valser cette vierge de fer.
Mark rit et serra un bon coup me coupant momentanément le souffle. Est-ce qu’il cherchait à se venger ? Je lui lançais un regard assassin alors qu’il nouait les lacets.
-Tu aurais dû appeler une servante, me dit-il.
-Pour que je m’humilie ? Relevais-je. Non merci !
-Tu es vraiment exécrable ma chère sœur, une vraie peste.
-Au moins, maintenant sais-je que je ne suis absolument pas faite pour la ville.
-Tu n’en as pas envie Lucretia. Tu n’aimes pas les changements.
- Que sais-tu de moi au juste Mark ? Qui te dit que la personne que je suis ici n’est pas le vrai moi ?
-Je n’ai pas envie de subir ta mauvaise humeur. A ce soir.
Il quitta la pièce en claquant la porte. Grand bien lui fasse ! Je retournais à ma guerre d’apparats et enfila la robe puis les manches. J’ajustais le tissu de la façon la plus jolie possible. Je me rendis bien vite compte que s’assoir normalement était très inconfortable ! Et se baisser était un calvaire avec ce coupe-souffle ! Je n’allais tout de même pas rester debout pendant des jours !? Je réussis finalement à m’assoir à la coiffeuse et attrapa la poudre infâme pour enfariner ma face. Voilà, maintenant j’étais une créature de la nuit tout à fait ridicule. J’avisais le rouge carmin et secouais la tête. Trop voyant. Je pris plutôt une teinte brune. Je sortis un onguent et lissa mes sourcils avec avant de les « brosser » avec un peigne fin à poils ras. Je sortis les parfums et les testa sur mon mouchoir. Finalement, j’en mis deux gouttes une seule fois. Il était inutile d’en mettre plus sous peine de sentir aussi mauvais que la sorcière. Je baissais les yeux. Je n’avais jamais vu mes seins aussi gros, c’était d’une indécence ! Je quittais cette partie embarrassante pour mettre avec difficulté mes chaussures. Ensuite je remontais et attachais mes cheveux avant de mettre la perruque. Je cachais les mèches rousses à l’intérieur et regarda dans le miroir. La femme qui se tenait devant moi était une inconnue. Je ne reconnus que mes yeux et la peur m’étreignit. Comment le maître allait-il faire pour me reconnaitre alors que j’en étais incapable !? Je devais trouver une solution, un indice… J’ouvris le coffre à bijoux et examina son contenu en quête d’une lune. Je sortis des longues boucles en or et les mis à mes oreilles. Elles étaient vraiment lourdes. Je trouvais finalement un ras du cou doré piqué d’émeraude. Et enfin, il y avait une bague en or avec un cristal en croissant de lune. C’était exactement ce que je cherchais ! Je mis la bague à mon annulaire droit. J’étais habillée mais rien n’était encore joué. Je m’entrainais à marcher avec cette lourdeur, à m’assoir, à me lever, et à danser sans humiliation. Lorsque Roxana reviendrait, je serais prête à l’habiller et à la former avant le grand bal.
Je n’avais même pas pu m’accorder un moment de soutien avec Lucretia. J’avais suivi en silence Monsieur de Gurvan en silence. Dans la bibliothèque, une table était aménagée pour le cours : des fioles d’encres, des plumes neuves, des papiers buvard et du papier à lettre. En face mais à distance, un bureau, sûrement pour lui. Je m’installais silencieusement.
-Les matinées seront occupées à la littérature et aux langues, les après-midi aux sciences, annonça-t-il tranquillement mais monotone.
-Bien monsieur.
-En conséquence cet après-midi nous parcourrons divers chapitres des sciences pour évaluer votre niveau.
Je respirais profondément ; non seulement il m’intimidait avec son coté sombre, son peu de loquacité et la distance qu’il imposait, mais je craignais de tout oublier ou d’avoir un défaut de connaissance. Cependant, il ne fit pas de remarque sur ma chevelure et sa couleur naturelle.
Pendant qu’il cherchait quelques ouvrages, je repensais à ce déjeuner. J’avais l’habitude d’encaisser les humiliations, les hontes, les gênes ; cela ne m’atteignait presque pas. Lucretia se sentait souvent obligée de me défendre, elle me jugeait sans doute faible. Parfois cela m’irritait, je voulais lui dire : « je suis grande, laisse-moi me débrouiller. Même si je ne réplique pas, ça me passe tellement au-dessus » mais elle le prendrait mal et ce geste fraternel me touchait beaucoup.
-Quelle découverte a fait Newton ?
Il me fit sursauter ; je ne l’avais pas vu approcher.
-La force de gravité.
-Quelle est sa formule ?
-Deux astres exercent des forces attractives l’une sur l’autre. Cette force est égale au produit d’une constante de gravitation et du quotient du produit des deux masses par leur distance au carré. Si la force est dans le sens du vecteur unitaire on y ajoute le signe « moins ».
-Quelles autres découvertes ?
-La décomposition de la lumière blanche ainsi que les principes fondamentaux de la mécanique.
-Passons aux mathématiques…
Trois heures durant, il m’interrogea. Jusque là, j’avais tenu bon. Lorsque je ne savais pas, il ne bronchait pas ; lorsque je savais, il ne disait rien non plus. Insondable.
-Passons à la botanique, dit-il.
Oh-oh. Problème en vue.
-Quelles fleurs très appréciées et en vogue juste avant le printemps, fort odorantes et très accessibles dans les jardins, peuvent être vénéneuses si elles sont ingérées ?
-…
-Les narcisses et les jonquilles.
J’étais mal barrée.
-Quel est le nom latin du muguet ?
-…
-Convallaria Majalis.
Il fronça les sourcils et son ton changea. Il continua, de plus en plus pressant et agacé.
-Citez moi n’importe quelle plante pouvant faire une huile essentielle mortelle.
-Heu…
-Le genévrier sabine ?
-Peut-être…
-Quelle plante produit des fruits semblables à des petites cerises mais étant fatales ?
Mon teint devint écarlate.
-La belladone !
Il posa ses mains sur la table et se pencha en avant, son regard obscur plongé dans le mien. « Père au secours, il va me tuer » priais-je.
-Décrivez-moi la belladone, articula-t-il lentement.
-Monsieur…Je n’étudie pas…la botanique.
-J’avais deviné.
Il partit vers la fenêtre et croisa les mains dans son dos, le regard au dehors.
-Pourquoi n’étudiez-vous pas cette matière ?
« Parce que ca m’ennuie » mais je n’étais pas sûr que ce soit une bonne réponse.
-C’est la spécialité de ma sœur Lucretia.
-Qu’étudient vos frères ?
-La médecine et la philosophie.
Aïe. Démasquée.
-Vous ne négligez pourtant pas ces matières.
-C’est vrai, avouais-je, vaincue.
-Alors vous allez vous pencher sur la botanique dès aujourd’hui. Il lâcha un ouvrage énorme sur la table, dans un fracas et une envolée de poussière.
-Vous êtes libre. A demain. Huit heures.
Huit heures ?! Oh misère… Je sortis et me dirigea vers la chambre, épuisée.
J’étais assise et regardais par la fenêtre quand ma sœur entra. La nuit n’était pas loin et elle semblait épuisée avec ses lourds ouvrages dans les bras. Je pris son fardeau et le posais sur la table tandis qu’elle s’effondrait sur le lit. Je fronçais les sourcils devant le contenu de ces livres : botanique.
-Tu as envie d’apprendre la botanique Roxana ? Lui demandais-je.
-Grand Dieu non ! Se défendit-elle. C’est Monsieur de Gurvan …
-Envoie le balader. Il est des choses qui ne peuvent être apprises enfermés derrière quatre murs. Et il y a plus important pour l’heure.
Ce vieil homme avait trouvé sa faiblesse mais je voyais bien là un moyen de me provoquer. Il perdait bien évidemment son temps. Roxana détestait ce que j’adorais.
- Pardonne-moi Roxana mais je vais devoir te torturer un peu.
-Comment ça !?
-Tu vas comprendre que porter ces robes n’est pas une partie de plaisir…
Je l’aidais à s’habiller tout en compatissant. Je la laissais se maquiller et se parer pendant que je regardais par la fenêtre. En bas, les nobles arrivaient telle des moutons colorés répondant à l’appel de la bergère. De stupides moutons. Mais parmi eux, il y avait un loup et ce loup avait pour alliée un chat sauvage. Le loup mangerait-il un mouton ? Ou bien est-ce le chat qui sera mangé ? A moins que ce ne soit le contraire ? Cette pensée m’arracha un délicieux sourire. Il était temps de descendre au milieu des moutons.