L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 5

plume-scientifique

CHAPITRE 5

A mon réveil, j’étais exténuée. J’avais un torticolis de tous les diables et ma tête cognait sévèrement. J’aurais voulu dormir plus longtemps mais le soleil perçait derrière mes paupières. Mais ! Je suis dans notre chambre ! Lucretia est à mes cotés, blottie contre moi, serrant ma main. Elle m’a ramenée toute seule ? Non, il devait être là aussi. Puis j’eu un petit moment de panique ; je m’accoudais pour observer la chambre, mais pas d’autre présence. J’hésitais : la fuir des jours entiers ou nous mettre au point maintenant ?

-Lucretia, murmurais-je. Lucretia !

Elle s’éveilla avec difficulté autant que je savais me réveiller avec promptitude. Aussi touchante soit-elle, je pris un air résolu, je ne flancherai pas. J’avais beau être de nature calme et réservée, il fallait se méfier des eaux calmes.

-Roxana ?

-Vas-y, explique-moi ce que j’ai vu hier soir, je t’écouterai calmement.

Mon esprit était embrumé lorsque ma sœur me réveilla mais j’étais heureuse. Elle n’avait pas fui et voulait des explications Je secouais la tête pour chasser les dernières brumes et m’assis sur le lit. Par où commencer… Le tout début ou la soirée ? La soirée.

-Eh bien, c’est aussi simple que compliqué. Cet homme est, comme tu l’as vu, mon amant. La seule et unique personne qui a mon cœur mais pas encore mon corps bien que ce ne soit pas passé loin. Cela fait un an que je l’ai rencontré dans la forêt de Chambord lors de la chasse. Les hauts nobles sont aussi fous que leurs chiens lors de la chasse et il n’est pas rare qu’une paysanne qui traine par là perde son honneur. Cela n’est pas arrivé car il s’est interposé et il a veillé sur moi durant cette période. Au début, j’étais méfiante, je ne savais pas trop ce qu’il attendait. Mais à force de le voir assis sur sa souche à m’observer en silence, j’ai fini par lui adresser la parole. Nous avons beaucoup discuté et de fil en aiguille, nous en sommes arrivés là. Une relation secrète. Tu te demandes pourquoi n’est-ce pas ? C’est à cause des hommes et de leur, comment dire, statut ? Si n’est de la fierté ? Toujours est-il que tu as remarqué que Mark cherchait absolument à m’apparier avec un de ses amis, et ses amis sont tous des nobles. Mais Cyan n’est qu’un bourgeois, il n’a pas une bonne situation comme mes prétendants. Bien qu’à mes yeux cela n’ait aucune importance, il semble le prendre à cœur et essaye de s’élever dans la société. Et de mon coté, j’essaye de faire bonne figure devant les autres afin de ne pas contrarier Mark tout en ayant des rendez-vous secrets mais c’est difficile. Et lorsque papa nous a parlé d’aller à Paris, j’ai totalement paniqué. J’ai besoin de Cyan, c’est assez difficile à comprendre mais il est comme l’air que je respire. Le seul qui puisse partager mes craintes et Dieu sait à quel point j’avais peur qu’on m’interdise de le voir ! Je l’ai prévenu que je partais, le soir où tu m’as vu sortir de la chapelle. Il a réussi à me suivre jusquà Paris, je ne sais pas trop comment, juste au moment où je déprimais. Je n’aime vraiment pas Paris. La ville n’est pas faite pour moi je crois. Puis nous avons convenu d’un rendez-vous pendant le bal étant donné qu’avec tout ce monde nous pouvions aisément disparaitre. Mais je me suis comme qui dirait emportée. Un an sans rien d’autre qu’un échange innocent, c’est vraiment long et la tension sexuelle s’est accentuée entre nous. Et donc c’est là que tu nous as découvert Roxana. J’aurais voulu t’en parler mais j’avais peur de t’imposer ce fardeau. Et inconsciemment, je me suis éloignée de toi pour protéger mon secret. Je suis tellement désolée ! J’aurais dû te le dire… Me pardonneras-tu jamais ma sœur ?  Pourrais-tu garder mon secret ? Je n’ose imaginer la réaction de Père et de nos frères.

Cachottière.

J’avais écouté en silence. Je n’étais ni soulagée, ni en colère. Lucretia semblait sincère dans son discours. Je pris sur ma jalousie d’avoir été devancé par quelqu’un d’autre, par un homme. Elle ne m’avait pas fait confiance, elle s’était éloignée de moi à son profit ; c’était logique et la règle de la vie mais j’avais du mal à le digérer. Par ailleurs, je savais en mon for intérieur-par instinct et par preuve- qu’elle me cachait encore des choses.

-Je comprends, mentis-je à moitié. Mais pourtant tu me connais. Tu sais que je hais la tromperie plus que tout. Tu ne me referas jamais ça, promis ?

Elle hésita et mes doutes devinrent des certitudes. J’attendais qu’elle fasse le bon choix.

-Oui, promis.

Menteuse. Traîtresse.

Mon jugement était sévère mais mon cœur était en peine malgré ma raison. Je lui tendais une perche et elle trichait encore. Son apparition soudaine dans sa chambre, elle n’en avait pas fait mention. Maintenant que j’y songeais, elle avait demandé à repousser le départ pour une préparation mais dans le laboratoire, il n’y avait pas traces de ses recherches et elle n’y était même pas descendue. En regardant dans la chambre, je vis une horloge : huit heures et quart ! Monsieur de Gurvan allait me tuer !

Je bondis du lit comme une folle et me regarda dans la glace : mon visage était à peu près normal en dehors d’atroces cernes violettes, ma perruque de travers. J’arrachais celle-ci, secouais ma tignasse rousse, remis ma robe au mieux et courus vers la porte. Sur le pas, je lâchais :

-Tu n’es même plus capable de tenir une promesse envers moi. J’espère qu’il en vaut la peine.

J’arrivais devant la bibliothèque complètement essoufflée et morte de trouille. Je frappais, la main tremblante.

-Entrez.

-Bonjour monsieur, dis-je timidement, pardonnez mon ret…

-Oubliez vos excuses, répliqua-t-il, asseyez-vous et mettons-nous au travail.

Il ne leva pas la tête une seule fois, concentré à écrire. La matinée passa tranquillement et sans accroc. Depuis que j’avais montré mes connaissances, il ne me méprisait plus. Il m’impressionnait toujours avec sa grande austérité, ses phrases sèches, son visage impassible. Mais c’était un vrai professeur. Je me demandais s’il avait des secrets, comme la moitié de Paris semblait-il, s’il était comme Père, qu’il dissimulait femme et enfants quelque part, s’il avait une part de sensibilité ailleurs ou s’il n’était forgé que dans la piété du savoir.

Le mois d’Août cognait dur dans la capitale ; à Chambord nous avions de l’air, des forêts, des eaux, mais ici on étouffait et la chaleur faisait remonter les odeurs putrides de Paris. J’étais affamée, fatiguée, soumise à la chaleur et commençait à me sentir mal.

-C’est l’heure du repas, annonça de Gurvan. Il se leva sans attendre et se dirigea vers la porte. Je le suivis avec bonheur, rafraîchie d’un petit courant d’air dans le couloir.

-Songez à vous nourrir le matin où vous étudierez mal.

J’écarquillais les yeux. Monsieur de Gurvan m’avait prêté attention ?

-Il est pénible d’enseigner à une élève inattentive et de se répéter.

Ah.

Dans la salle, je m’assis aussi loin que possible de ma sœur.

Le repas me conforta dans mon erreur. Roxana s’était assise le plus loin possible de moi et évitait mon regard. Je l’avais trahis, je les avais tous trahis et je continuerai encore. Les paroles de ma sœur me hantaient encore tout comme la réponse qu’elle n’avait pas entendu :

-Tu n’es même plus capable de tenir une promesse envers moi. J’espère qu’il en vaut la peine.

-Bien plus que tu ne le crois, avais-je murmuré.

Je fixais mon assiette et jouais avec la nourriture.

-Tu ne manges pas Lucretia ? me demanda Père.

-Je ne me sens pas très bien…

-Attends laisse moi voir, me dit Mark.

Il m’ausculta et proclama son verdict :

-Tu as un rhume et de la fièvre. Tu devrais aller te reposer.

J’acquiesçais et me levais pour les saluer et m’excuser. C’est alors que la porte s’ouvrit brusquement sur un serviteur paniqué :

-Madame, madame c’est affreux ! criait la bonne.

-Allons donc calmez-vous ! s’exclama Pompadour. Que se passe-t-il ?

-C’est le duc ! Le duc de Montreuil a été assassiné durant la réception !

-Comment !? Montreuil !? Le gardien de la police parisienne ?

-Il n’y pas de trace ! Le médecin dit que c’est un poison inconnu !

Je pâlis. Du poison… Ca ne pouvait être que lui ! La chaleur me monta au visage et des points dansèrent devant mes yeux. Alors que je perdais le contrôle de mon corps, j’entendis juste Vlad crier mon nom avant de sombrer dans l’inconscience. 

A l’instant même où je pensais « Clairjean », Lucretia s’évanouit. Le Seigneur faisait bien les choses. Ma famille se précipita sur elle et Mark fit preuve de ses connaissances. Dans son coin, la marquise devenait folle :

-Oh mon Dieu ! Elle a été empoisonnée aussi ! Ce doit être la nourriture, je suis en danger. Mark sauvez-moi !

Monsieur de Gurvan et moi n’avions pas bougé.

-Ressaisissez-vous madame, déclara sèchement le précepteur pour la calmer. Je ne suis pas novice en plantes ni même apprécié de la capitale, pensez-vous bien que je surveille tout ce qui m’approche.

Mais elle ne se calma pas ; elle se tut mais s’éventait à toute vitesse. Lucretia reprenait ses esprits. Après quelques instants, elle vit mon absence de réaction.

-Elle est hors de danger, rassure-toi, me dit tendrement Père, pensant sûrement que j’étais tétanisée de peur.

Je me levais et alla la voir, l’étreignis et chuchota :

-J’espère que tu n’as rien à voir avec ça, ni même ton prétendant.

Je retournais à ma place et le repas reprit, très mouvementé ; Pompadour ne touchait plus son assiette, de Gurvan était flegmatique.

-Vous voyez que la botanique est utile, me dit-il sans expression.

Bien plus qu’utile, pensais-je. Mais ce qui me glaçait le plus c’était que ma sœur nous soupçonnait ! Et elle avait raison sans doute. Je devais parler à Cyan ! Mais je ne m’en sentais vraiment pas la force. Je tins bon jusqu’au repas et retournais dans ma chambre, m’effondrer sur mon lit. Quand est ce que tout ceci avait tourné au cauchemar ? Etait-ce réellement Cyan qui avait commandité cet assassinat ? Dans quel but ? Que pouvais lui apporter d’empoisonner le chef militaire de la police ? Dehors il me semblait entendre de l’agitation mais mes pensées étaient toutes concentrées sur une seule chose. Qu’allais-je faire dans cet état ? J’étais complètement perdue et mon esprit vaporeux s’enfonçait dans l’inconscience sans crier garde.

J’entendis du bruit et ouvris un œil. J’avais chaud et ne me sentais pas mieux. Maladie ou culpabilité ? Roxana assise devant la coiffeuse avait revêtue son costume.

- Quelle heure est-il ? Lui demandais-je.

-L’heure d’aller au bal.

Je soupirais clouée au lit alors que je devais aller voir Cyan de toute urgence. J’entendis un tir et sursautais :

-Qu’est ce que c’est ?

-Un tir de dissuasion. Le peuple semble avoir accueilli la mort du duc avec beaucoup d’enthousiasme et d’intrépidité en tentant de forcer les maisons des nobles. L’armée a été envoyée pour assurer notre sécurité.

C’était indéniablement l’œuvre du maître.

-Te sens-tu mieux ?

-Pas vraiment.

-Tu veux que je reste ?

-Je ne voudrais pas gâcher ta soirée. J’ai cru voir que tu avais de nouveaux amis et en particulier un bel ami. Vas donc t’amuser. Profite tant que tu le peux mais reste quand même prudente sur le vin. Je t’aime ma sœur. Passe une belle et agréable soirée.

Pendant que je resterais seule avec maladie, péchés, mensonges, trahisons, regrets, douleur et tristesse.

Lucretia payait cher ses péchés. Mais je m’inquiétais quand même. Si elle avait à voir dans cette affaire, comment allions-nous faire ? S’il ne s’agissait que de Clairjean, il suffirait d’aller contre ses sentiments mais c’était un moindre mal devant la guillotine. Le peuple s’était émoustillé d’une telle nouvelle, ce n’était pas rassurant.

Non seulement j’allais la surveiller mais grâce à Monsieur de Gurvan, j’allais enfin connaître son terrain de prédilection. Durant tout l’après-midi, il m’enseigna-vu les circonstances- les principales plantes toxiques. Je devais l’avouer, je l’apprenais bien volontiers mais tout cela ne m’émoustillait pas outre mesure. Le temps passait vite dans ce que je considérais maintenant comme étant « ma » bibliothèque. Le soir arrivait et il me tardait de retrouver Monsieur de Breteuil.

Comme chaque soir, madame de Pompadour faisait une fête et invitait toutes sortes de gens.

-Mademoiselle de Saint-Germain !

Madame Carruel, suivie de madame de Duras, me saluèrent chaleureusement.

-Ravie de vous revoir mesdames. Monsieur Clairjean n’est-il pas avec vous ?

-Hélas non, on ne l’a plus vu depuis hier soir.

« Etonnant » Pensais-je.

-Vous le connaissez bien ?

Madame Carruel eut un petit rire gloussé.

-Je vous vois venir, ma belle ! Très bon choix de courtisan.

-Je…non !

Quelle ironie vraiment !

-Bonsoir mesdames !

La voix chaude de Monsieur de Breteuil me fit sourire béatement.

-Mon cher Henri, prenez soin de vos galantes où d’autres vous les piqueront.

-Que dites-vous là ?

-Mademoiselle Roxana a trouvé fort charmant votre ami Clairjean.

-Mais pas du tout ! Vociférais-je.

Ils rirent de ma réaction. La soirée passa agréablement, Henri me fit danser à outrance et me tenait compagnie. Dans nos pas j’oubliais tout, ma sœur, l’assassinat, mes doutes. Essoufflés et pris de chaleur, on alla sur une terrasse. L’été chaud et brûlant avait laissé place à une nuit tiède et délicieuse, les fleurs embaumaient l’air, le vent faisait bruisser les feuilles. Je me sentais dans un conte.

-Charmante nuit, n’est-ce pas Roxana ?

-Un havre de paix dont j’avais besoin.

Il prit ma main dans la sienne tandis qu’on admirait la nuit étoilée.

-J’espère passer d’autres moments avec vous.

-J’espère aussi.

Il baisa mon front et nous nous quittèrent. Je me couchais aussi enfiévrée que Lucretia.

J’avais espéré recevoir une visite nocturne mais hélas je m’étais fourvoyée. Ma sœur avait, semblait-il, passer une agréable soirée et j’en fus aussi heureuse que jalouse. Avais-je été trop prétentieuse vis-à-vis du maître ? La peur me taraudait encore plus que tous le reste. Peur qu’on découvre la vérité, peur que ma famille la subisse, peur pour l’ordre dont je ne savais pratiquement rien et peur pour Cyan. Malgré tout, il fallait que je pense à son bien-être, quelle femme pitoyable étais-je devenue ? Je me sentais si mal, respirer était gênant et j’avais si chaud ! Je sentis une douce et froide caresse sur ma tête.

-Père, murmurais-je.

-Je crains qu’il ne soit dans les bras de Morphée, me répondit la voix désirée.

-Cyan, l’appelais-je, étonnée, en ouvrant grands les yeux.

-Qui d’autre à cette heure tardive et en ce lieu ?

-Que faites-vous ici ? Lui demandais-je en me redressant.

-On m’a dit que vous étiez mal en point. Je suis venue en toute discrétion à votre chevet dès que j’ai pu.

-… Vous avez entendu parler de… l’empoisonnement ?

-Hélas oui mais je dois dire que je n’y suis pour rien.

-Je ne vous crois pas. Qu’avez-vous fait du poison que vous aviez commandé ?

-Je ne l’ai pas utilisé Lucretia. Surtout pas si vous êtes ici.

-Menteur ! M’exclamais-je.

-Je ne mens pas, regardez. J’ai toujours la fiole.

Je fixais la fiole. C’était bien la mienne. Mais je n’étais pas dupe :

-Vous me croyez vraiment stupide ? Ce n’est que de l’eau !

Je lui pris la fiole, l’ouvris et la but.

-Lucretia non ! cria-t-il.

C’est alors que ma sœur se jeta hors de son lit.

-Nooooon ! Hurlais-je avec une voix stridente.

Le temps sembla se figer. Lucretia approcha la fiole de sa bouche et recracha le contenu.

-Après le mal que je me suis donné, je ne vais tout de même pas l’avaler.

J’étais paniquée. Je courus dans la chambre, ramena devant ma sœur sa précieuse boite d’herbes.

-Fais quelque chose, vite ! Soigne-toi !

Elle trifouilla dedans, très calme et sortit des fioles par-ci, des fioles par là. Je sentis une main m’agripper et jeter mon bras en arrière pour me neutraliser et une autre se plaquer sur ma bouche.

-Que fait-on d’elle, Lucretia ? Elle en a beaucoup trop entendu.

Ma sœur jeta un regard effrayé et la simple lumière de la nuit dessinait des ombres affreuses sur son visage. Alors quoi ? J’allais être tuée sous les yeux de ma sœur, dans notre chambre et dans l’obscurité ? Je gigotais comme une folle. Mais il resserra son emprise et mon épaule me fit gémir de douleur.

-Arrête, ne la blesse pas !

-Elle en sait trop !

-Si tu fais quoi que ce soit, je te tue !

Au vue de sa position dans le noir, je supposais qu’elle brandissait une lame. Mon agresseur me relâcha et je m’écartais aussi loin que possible. Mon bras était meurtri. Ils entrèrent dans un dialogue de chuchotements déchaîné :

-Tu veux faire faillir la mission ?

-C’est ma sœur !

-Et moi, je ne suis rien ?

-Il n’est pas nécessaire qu’elle souffre !

-Et si elle parle ?

-Elle ne le fera pas, je te le promets. Roxana !

Clairjean s’écroula sur le sol et je reposais le tabouret.

-Mais qu’est-ce que tu as fait ?

-Non, toi, qu’est-ce que tu as fait ! Répliquais-je, menaçante.

Jamais je n’avais montré la moindre violence ou la moindre colère, mais là on m’avait poussé à l’extrême et tout ce que j’avais de plus féroce en moi coulait à flots.

-Es-tu folle ? M’écriais-je en faisant le moins de bruit possible. As-tu cru un seul instant que je fus assez naïve pour ne pas me douter que tu avais omis une partie de la vérité ce matin ? Tu me répugnes ! Menteuse et traîtresse à ta famille ! Tu nous fais honte de t’être entiché d’un homme dans son genre. Dans quoi t’es-tu embarqué ? Quel est cet ordre dont tu parles ? Tu veux créer du grabuge, t’attirer des ennuis ? Je savais bien que cet assassinat devait se rapprocher de lui et tu viens de le confirmer. Je devrais te gifler de ton comportement.

Elle ne broncha pas. Pour la première fois je crois, c’est elle qui se taisait et moi qui m’imposait.

-Je suis désolé, pleurnicha-t-elle. Je ne voulais pas vous mettre en danger.

-Encore heureux ! Viens-en aux faits.

-Regarde le peuple, Roxana ! Comprends-moi. Il se meurt, il crève la faim. La monarchie et le roi abusent de leurs richesses, ils étalent leur fortune aux yeux des gens qui meurent, c’est abominable ! Regarde madame de Pompadour et ses dépenses écœurantes, ses quatorze appartements et ses huit châteaux ! L’ordre veut aider le peuple à se soulever et à récupérer sa liberté. La liberté, Roxana !

J’étais affligée. Une révolte. C’était du suicide.

-As-tu perdu l’esprit ? Si le peuple se soulève se sera l’anarchie ! La France pourrait retomber dans un état de sauvagerie sans pareil. Le pays serait à feu et à sang, où vois-tu de la liberté ! Oui, le monde est cruel. Mais nous n’y pouvons rien, nous. Que crois-tu qu’il va se passer une fois la révolte enclenchée ? Les paysans ne feront pas un tri entre nous tous ; ils nous tueront sans vergogne, pauvre idiote ! Père est noble, nous sommes nobles et même ton imbécile de prétendant est bourgeois. Nous finirons au bout d’une fourche ! Réveille-toi. Nous allons y perdre.

Elle semblait fébrile. Peut-être n’avait-elle pas songé à tout cela. Où bien l’amour l’avait-elle aveuglé ?

-Quitte-le. Quitte cet ordre. Ou si tu l’aimes, demande-lui de quitter l’ordre. Je ne te laisserai pas continuer.

Je pris son poignard tandis que Clairjean reprenait ses esprits.

Ma sœur était aussi effrayante que Cyan à cet instant. Ce dernier avait repris ses esprits mais, comme lui, je fixais la lame dans la main de ma sœur. Si dangereuse. La vie ou la mort tel était le choix. Tout ceci à cause d’un évènement extérieur… Cyan avait une position assez élevée et je ne doutais pas qu’il préfère la mort mais je savais déjà que je ne pourrais pas le supporter. Il n’y avait aucune issue. Les larmes coulèrent sur mes joues tandis que nos destins se scellaient. Il n’y avait aucune issue !

-Lucretia, calme toi, tout ira bien, me rassura-t-il.

Allait-il renoncer ? Non, il avait un plan mais j’étais prête à intervenir entre eux. Il était hors de question que ceux que j’aimais s’entre-tue. Je me levais et contourna ma sœur pour rejoindre le maître à présent debout. Il me prit la main et me demanda :

-Quelles sont ses conditions ?

Je les lui répétais et il fixa silencieusement ma sœur.

-Je ne peux pas quitter l’ordre vivant, révéla-t-il.

- Alors je te suivrais dans la mort, lui dis-je.

-Tu peux t’en sortir sans moi Lucretia. Tu ne détiens aucune information.

-Et tu disais ne pas me protéger ? Me moquais-je. Non, je ne ferai que survivre et Dieu et toi savent à quel point je détesterai cette vie. C’est bon.

-Vous êtes fous ! Cracha Roxana.

-Et toi tu seras bientôt morte aussi, lui dit Cyan.

-Cyan non ! M’exclamais-je en retenant son bras.

-Mais je ne serais pas celui qui te tuera, par égard pour ta sœur. Si tu nous tus maintenant, tous serrons que tu es notre assassin. Et mon maître, malgré que tu lui plaises, te tranchera la gorge sans hésitation.

-Ton maître !? Cyan tu ne veux pas dire que ma sœur connait le chef de…

-C’est exact. Mon frère de cœur, Monsieur de Breteuil tuera ta sœur.

-Tu m’as menti !

-Pour protéger il faut parfois mentir. N’est ce pas ce que tu as fait avec ta sœur ?

-Oui mais… Je ne veux pas qu’elle meurt !

-C’est à elle de choisir. Soit elle nous tut et meurt aussi. Soit elle nous laisse partir et garde le secret ou elle rejoint l’ordre. Et je suis certain que dans ces deux derniers cas, Henri l’accueillera à bras ouvert. Même si notre but n’est que folie, il est avant tout juste. Les bourgeois et les hommes éclairés se préparent à guider le peuple vers sa liberté. Le pouvoir au peuple pour le peuple. Même après notre mort ils continueront car le Peuple souffre tellement que la Révolution s’embrassera d’elle-même. Ce n’est qu’une question de temps jeune demoiselle, et plus rien ne peut l’arrêter. Quel sera votre choix ?

-Roxana, la suppliais-je.

J’avais peur de son choix. Il y avait tellement de choses que je n’avais jamais dites à l’un ou à l’autre.

-Ne l’influence pas mon chaton, me dit Cyan.

-Mais…

-Nous ferons front ensemble quoi qu’il arrive.

-Oui…Je t’aime Cyan.

-Je t’aime aussi Lucretia.

Ces yeux brillaient tandis qu’il me disait enfin ses mots avec une émotion qui les rendait, je le savais, difficile à prononcer. Il n’était pas le genre d’homme à étaler son affection et le chaste baiser qu’il me donna me confirma ses sentiments par la douceur qu’il y mettait. J’aurais tellement voulu choisir ! Mais notre destin à tous reposait dans les mains de ma jumelle, Roxana.

Je sentis mes larmes couler. Encore. Et encore. Parfois, je ne les voyais même plus derrière ce brouillard, et puis leur image redevenait nette.

-Roxana ? dit d’une voix plaintive et tout aussi émue. Ma sœur…

-Tais-toi !

Je sentais la bile dans ma gorge.

-Tu n’es pas une sœur. Tu n’es même plus une fille. Tu préfères mourir pour un étranger dont la cause est perdue et dont tu n’as même pas convictions plutôt que ta famille ! Je n’ai jamais dis que je te tuerai Cyan, ou quelque soit ton nom.

Ils eurent comme une expression de soulagement.

-Oh, Roxana !

-Vas-t-en !

Mon ton fut plus acerbe que je ne l’aurai cru. Ils étaient tombés comme une sentence. Ma sœur en arrêta même son geste vers moi, tant ils l’avaient giflé.

-Allez-vous-en. Disparaissez. Ne remontre plus jamais ta face devant nous, Lucretia. Va faire ta révolte et laisse-nous en paix. Puisque telle est ta volonté, va aider le peuple à nous embrocher. Je saurai expliquer ta disparition.

Chaque mot écorchait mon cœur et ma gorge. J’espérais au tout profond de moi qu’elle changerait d’avis.

-Allons-y, dit doucement Cyan en lui prenant le bras.

Elle était pétrifiée. Comme une poupée de chiffon, elle se laissa faire. Ils disparurent par la fenêtre, leurs ombres furent englouties dans la nuit.

Je perdis ma sœur cette nuit là.

La voix acerbe et le regard de ma sœur avait zappé toute ma volonté. Je n’étais plus qu’un pantin sans émotion qui errait par la seule volonté de son maître. Ma sœur m’avait renié, ma famille aussi. Il ne me restait rien.

-Lucretia, murmura une voix familière.

Il me restait encore une chose mais je doutais encore d’elle. Elle n’était pas ma moitié, mon double, mon reflet. Les mots que j’avais entendus et prononcés ce soir se mêlaient dans un chaos sans nom. Je ne savais même plus si c’étaient les miens ou ceux de ma sœur.

-Lucretia, répéta plus doucement la voix. Tu es en sécurité maintenant. Reviens vers moi mon amour.

Mon amour… Deux mots qui me réchauffèrent le cœur et me tirèrent de ma torpeur pour plonger ma vision dans le flou de mes larmes. Cyan m’entoura de sa présence et me berça doucement. Je m’accrochais à lui, la dernière personne en ce monde qui me restait. Il me serra fort toute la nuit et me réconforta et s’excusa avec un millier de murmures. Mes sanglots s’arrêtèrent lorsque mon corps et mon esprit fatigué et éprouvé s’évanouirent dans l’inconscient. Le futur se déciderait demain.

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