L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 6

plume-scientifique

CHAPITRE 6

-Quel jour sommes-nous ? Demandais-je  à Vladimir.

-Samedi.

Déjà ! Le temps passait à une allure folle. Il me semblait encore que c’était hier que je découvrais toute la vérité sur les agissements de Lucretia et à peine quelques jours que nous étions à Paris. Pourtant, nous approchions déjà des trois semaines. Souvent, je revoyais la scène de notre séparation. Sa disparition me hantait. Dans la famille, tout le monde l’avait rayé de son vocabulaire devant son déshonneur. J’avais expliqué qu’elle avait fui avec un amant, un roturier de surcroît. J’avais ressorti le même demi-mensonge qu’elle m’avait annoncé. Son absence me faisait mal, mais sa trahison encore plus. Je n’avais pas dormi cette nuit là ; au petit jour, je n’étais pas allée à mes leçons, je n’étais même pas sorti de la chambre pour manger. J’avais attendu le soir, la réception, et retrouvé Monsieur de Breteuil.

-Monsieur, il faut que je vous parle.

-Très chère, vous êtes aussi livide qu’un mort ! Allez-vous bien ?

-Ne me touchez pas ! M’étais-je emportée, à bout de nerfs.

Puis finalement, trop pleine de sentiments, je n’avais su lui montrer toute ma haine, tout mon désarroi et mon dégoût qu’en le giflant.

-Je vous aimais, Monsieur. Je vous hais, désormais. Vous m’avez pris mon cœur, puis vous m’avez pris ma sœur. Quelle folie vous anime pour créer un tel ordre ? Comment pouvez-vous vous prétendre l’ami du peuple avec votre fortune et vos privilèges ? Le peuple n’aura cure de vos convictions, il ne verra que votre statut et vous mourrez comme nous tous.

-Dieu saura protéger les vaillants et les justes, madame, me siffla-t-il, hautain.

-Vous vivez dans l’illusion.

-Je préfère vivre heureux et dans le rêve que dans votre malheur. Je crois qu’il est temps que l’on se dise « adieu », madame.

Je ne l’avais plus jamais revu depuis.

 Ma vie était réglée comme du papier à musique et cela me plaisait, elle ne différait pas tellement de celle que j’avais à Chambord, à deux ou trois améliorations près, et elle m’empêchait de penser à tout ce qui pouvait m’accabler. Chaque matin, je me levais de bonne heure pour prendre mes leçons auprès de Monsieur de Gurvan. J’avais fini par comprendre que sa manière d’être discret, de parler peu, de se tenir bien droit et son expression impassible étaient sa façon de vivre. Il n’y avait que dans cette bibliothèque que je me sentais bien. La vue de mon père ou de mes frères me faisait mal ; moi qui ne mentais jamais, je ne pouvais leur dire la vérité et toutes ces omissions me pesaient. J’étais devenue extrêmement solitaire, ce qu’ils passaient pour ma tristesse d’être abandonnée par Lucretia.

Monsieur de Gurvan ne m’embêtait jamais et cela me donnait une grande bouffée d’air. J’appréciais les leçons qu’il me donnait et le considérait comme un véritable mentor, presque un deuxième père dont la vue ne m’accablait pas de culpabilité.

Grâce aux rencontres lors des soirées et des explications de Monsieur de Gurvan, j’avais fait d’énorme progrès en philosophie et parfois même, Vladimir me donnait une aide pour mes dissertations. L’anglais n’avait plus de secret pour moi mais presque tous les matins, je devais converser avec mon précepteur dans la langue de Shakespeare. « Vous avez un accent trop français » ; chaque fois que Monsieur de Gurvan me faisait cette réflexion, je souriais. Puis lorsque l’heure pénible des repas était terminée, je m’attelais à des exercices de mathématiques- cette matière commençait à me poser problème au vue de sa complexité- puis de physique et enfin, leçons de chimie. Sans m’en rendre compte, je m’étais mise à délaisser l’alchimie mais elle ne me manquait pas vraiment, ou plutôt, il m’était pénible d’y retourner. Cela faisait plusieurs jours qu’on n’avait pas travaillé la botanique et je me demandais si cette mise à l’écart était volontaire de sa part. En fouillant dans les étagères, j’étais tombé sur un ouvrage que je ne quittais plus : L’Art de transmettre un message par les plantes. Chaque plante était répertoriée avec sa symbolique et pour me libérer l’esprit- ou était-ce pour me sentir proche de ma sœur ?- je faisais des bouquets.

Madame de Pompadour était hyperactive : pas un soir sans une fête ou une sortie. Je m’étais lassée de tant de frivolités. Voyant que je traînais plus longtemps dans la bibliothèque, Monsieur de Gurvan m’en avait fait la réflexion :

-Les heures de leçons sont terminées, mademoiselle de Saint-Germain.

-Je sais.

-La marquise de Pompadour va vous attendre.

-Je ne vais plus aux soirées.

Il n’avait pas répliqué.

-Sage décision de vous préoccuper de vos leçons mais n’en abusez pas.

-Je me divertie avec d’autres connaissances.

-Lesquelles ?

-Oh ! Heu…Rien de précis.

Il n’aurait sans doute pas jugé bon de m’intéresser à des sornettes telles que la symbolique des fleurs.

Cela faisait longtemps que je n’étais pas sortie et sur l’insistance de Père, j’acceptais d’aller à un salon littéraire. Le trajet se fit dans le silence, chacun regardant au dehors et évitant les autres. Dans le petit café servant aux réunions, je retombais sur Monsieur Beaumarchais, marié depuis avec la fameuse madame Wattebled et à laquelle je souhaitai tout mes vœux. Les discussions commencèrent et j’y pris finalement goût.

-Roxana, m’interrompis Mark, nous rentrons.

-Déjà ?

-Cela fait deux heures que nous sommes là.

Comme le temps passait vite. Mais je n’avais pas envie de partir.

-C’est que…

-Tu veux rester, Roxana ? Demanda Père. Dans ce cas, nous pouvons attendre.

-Non, pas du tout. C’est… vraiment ennuyeux, allons-y.

Il aurait été pénible de rester en subissant l’impatience du reste de la famille.

-Rentrez chez vous monsieur le comte, je ramènerai Roxana, intervint une voix.

C’était Monsieur de Gurvan. Il était là ? Père le remercia et ils partirent.

-Merci monsieur.

-Ne me remerciez pas de suite et montrez-moi plutôt si vos leçons de philosophie sont efficaces.

J’esquissai un sourire car je savais désormais que ce genre de réponse signifiait « qu’il n’y avait pas de quoi ».

La vie continuait inlassablement. Les premiers jours avaient été particulièrement difficiles. Les miens me manquaient et j’avais vite appris qu’ils me détestaient. L’ordre était partout et Cyan avait joué de son influence pour me donner des nouvelles. Ils m’avaient rayé de leur vie. La douleur avait été grande à ce moment là mais j’étais forte. Rassurée aussi que Roxana leur est servie mon demi-mensonge. Par contre Henri avait été furieux un soir en rentrant. Il s’était brouillé avec ma sœur et la marque de la gifle était bien visible. Cyan n’avait fait aucun commentaire mais je voyais bien qu’il s’était s’inquiété. Il semblait que Roxana lui plaisait vraiment et que ces remarques l’avaient énervé. C’était un gentil garçon qui avait repris le flambeau paternel mais comme tous les hommes il était très fier et l’amour qu’il portait à son défunt père n’aidait pas. Au début, il m’avait évité mais finalement il s’était fait à voir le reflet de celle qu’il avait aimé sans que ce ne soit elle et cela Cyan y veillait particulièrement. Il était d’une possessivité vraiment touchante et avait été le meilleur soutien qui soit. Nous avions tous les trois quittés Paris pour une maison modeste située en périphérie. J’avais passé la plupart de mon temps dans le jardin à oublier les derniers évènements. On ne m’avait pas parlé de l’ordre mais cela ne me gênais pas outre mesure. L’ignorance était parfois gage de sécurité et je savais que Cyan faisait tout pour me protéger. Je n’avais jamais été en sucre mais je comprenais que c’était sa façon de montrer son attachement. Cyan m’avait beaucoup dévoilé de choses sur lui. Son vrai nom était Caïn Lanoir et il était anglais de naissance mais avais été élevé en France à Calais. Sa famille avait fait sa fortune grâce au commerce et s’était établie près de la Loire afin d’assurer leur prospérité. Mais il avait été chassé par les nobles qui les avaient faits jugés à Paris. La sentence était tombée et le père avait été emprisonné. La mère et le fils s’étaient retrouvés seul parmi les pauvres de Paris. C’est alors que Breteuil leur avait tendu la main et qu’il avait regagné leur statut et adhérés à la cause. Cyan n’aimait pas parler de son passé et même son vrai nom lui rappelait de mauvais souvenirs. Aussi continuais-je à l’appeler Cyan, laissant le maître de coté. A vrai dire notre relation n’évoluait plus tellement. Elle restait figée sur la fraternité et cela me désolais. Je poussais un soupir.

-Y a-t-il une chose qui te préoccupe ? me demanda-t-il.

-Hmmm…

-Lucretia ?

Je le poussais dans la fontaine et me moqua de lui avant de fuir vers la maison. Je l’entendis me poursuivre alors qu’Henri arrivait vers nous.

-Henri aide moi ! Le priais-je en me cachant derrière lui.

-Et bien mon frère il semblerait que tu te sois fait avoir par une donzelle, se moqua de Breteuil.

-Oui sur toute la ligne mais c’est bien parce que c’est la seule et l’unique, dit Cyan trempé. Aide-moi donc à lui donner une petite correction Henri.

-Tu ne penses pas que je vais trahir une femme sans défense?

-Fais attention à ses griffes !

Je criais alors qu’Henri me soulevait et me jetais dans la fontaine. Arroseur arrosé. J’étais en colère et je tremblais. En réalité, j’avais peur de l’eau.

-Lucretia ?

-C’est, articulais-je avec difficulté. Vraiment…Pas gentil ! Henri sale traitre !

-C’est le jeu, charmante demoiselle.

-Si tu pouvais éviter ce genre d’adjectif ça m’arrangerait, lui dit Cyan.

-Si tu ne lui dit pas en personne, il faut bien que je le fasse.

-Lucretia tu devrais sortir de l’eau avant de prendre froid.

-Non ! Tu as jeté un chat dans l’eau et les chats détestent être mouillé alors viens me récupérer toi-même, idiot !

-Oulala ton petit chaton est en colère, rit Henri. Je te laisse régler ça.

-Henri attend ! Traitre. Viens Lucretia, dit-il en me tendant la main.

-Non viens toi-même. Un chat ne sait pas nager.

-Tu n’es pas un chat.

-Si.

-…Tu ne sais pas nager ?

Je ne répondis pas et fixa la maison d’un air buté alors qu’il riait.

-D’accord mon chaton, dit-il en entrant dans la fontaine et en me remettant sur pied. Je vais te sortir de là.

Il me souleva dans ses bras et me ramena à l’intérieur jusque dans ma chambre.

-Voilà princesse des chats. Dois-je appeler un domestique pour changer Sa majesté ?

-Ce ne sera pas utile, tu pourras parfaitement t’en charger.

-Lucretia…

-Je commence à avoir froid et mal à la gorge. Un début d’angine peut-être ?

Cyan soupira avant d’abdiquer et de me déshabiller. Je fis sauter les boutons de sa chemise et passais ma main sur son torse. Je suivis le contour de son tatouage un croissant de lune noir, symbole de l’ordre de la Noctule. Mais il avait aussi une connotation autre, plus personnel à l’image de son propriétaire.

-Lucretia, me dit-il en prenant la main qui le cajolait.

Je n’en pouvais plus et passais mes bras autour de son cou avant de l’attirer à moi pour un long baiser. Mais j’en voulu tout de suite plus.

-Lucretia non, me repoussa-t-il.

-Tu ne m’aime pas ?

-Tu connais mes sentiments.

-Je me le demande. Suis-je juste une sœur pour toi ou ta compagne ?

-Ma compagne.

-Alors pourquoi me repousses-tu !? Est-ce que je t’indiffère ?

-Oh  non chaton ce n’est pas ça… Pourrais-tu juste attendre quelques jours ? Je te donnerais ce que tu veux alors.

-Si tu utilise un aphrodisiaque je le saurais.

-Tu es si soupçonneuse ! Ne me fais-tu pas confiance ?

Je ne dis rien et glissa sous les draps. Je l’entendis soupirer et s’éloigner. Sa voix plus lointaine me parvient une dernière fois :

-Tes derniers doutes seront balayés Lucretia. Patiente juste un peu.

Je ne soufflais rien et me demandai encore une fois si j’avais vraiment fait le bon choix. Ce qui était sûr, c’est que je ne quitterais pas cette pièce jusqu’au lendemain.

Parfois l’après-midi, après mes cours, j’allais prendre une collation avec madame de Pompadour et ses amies. Je me faisais discrète, j’intervenais quelques fois. Cela me distrayait et les vivres étaient toujours très goûteux : des sorbets de toutes sortes-melon, cassis, citron, orange, framboises- et délicieux, des macarons, des petits gâteaux secs, quelques fruits frais ou enrobés de sucre, de la pâte d’amande, des fruits pressés ou un chocolat. Septembre s’annonçait clair et ensoleillé mais la fraîcheur d’automne arrivait. Où était Lucretia ? Vivait-elle bien ? Ne subirait-elle pas le froid ? Etait-elle heureuse ? La reverrai-je un jour ?

-Prenez de ces sucreries baronne, elles sont délicieuses.

-Votre robe est ravissante comtesse ! Il faudra m’envoyer votre couturier.

-Quel temps splendide.

-C’est une étoffe de première qualité.

-Il faudrait que je me rachète des perles.

-Hmm, ces sorbets sont tellement rafraîchissants.

-Savez-vous que la duchesse de Bourgogne est de passage à Paris ?

-On dit qu’elle organise un pique-nique à Vincennes.

-Vincennes ! Je ne sais pas si je ferai le déplacement.

-Y serez-vous comtesse ?

-En effet. Monsieur Durocher y sera présent.

-Votre charmant prétendant ? On dit à la Cour que Madame Bertillon en aurait après lui, méfiez-vous.

-J’ai déjà entendu de ces rumeurs mais je ne sais comment lui faire part de mes intentions.

-Je me demande ce que vous lui trouvez. Il est petit et maigre.

-Oui, mais sa bourse, elle, est grande et grosse.

-N’aimez-vous point ?

-L’homme, un peu, la fortune, beaucoup.

-Comme vous êtes !

-Parlez ! Vous cachez bien un amant sous votre lit.

-Quelles fleurs porterez-vous ?

-Des colchiques. Et vous, duchesse ?

-Je ne sais encore.

-Vous devriez porter des anthurium orange ou rouge, des calcéolaires et peut-être quelques brins de blé dissimulés.

Elles se turent et me regardèrent surprises.

-Que dites-vous ? Me demanda madame de Pompadour.

-Je conseillais juste à madame quelques fleurs.

-Pourquoi celles-ci ? Questionna la duchesse.

-L’anthurium invite à une aventure, les calcéolaires expriment une attente de demande en mariage et le blé la richesse.

-Voilà qui est fort intéressant, me complimenta la marquise. J’apprécierai que vous me composiez mes bouquets désormais.

Pouvais-je refuser ? Tout à coup, je devenais leur nouvelle distraction et la marquise me convia d’office au pique-nique.

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