L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 7
plume-scientifique
CHAPITRE 7
Il faisait terriblement chaud dans le bois de Vincennes, ce qui n’arrangeait pas ma moiteur d’un voyage en fiacre. Les ombrelles nous préservaient peu des rayons brûlants. On servit de l’eau que je bu à grandes gorgées même si cela n’était pas du goût de l’étiquette. Il y avait pas mal de monde et cela rendait l’ambiance conviviale.
-Je ne crois pas avoir la chance de vous connaître, se présenta un homme.
Il était un peu plus âgé que moi, proche de la trentaine, le visage laiteux et les yeux ambre. Quelques mèches blondes s’échappaient de sa perruque.
-Nous n’avons pas été présentés, répondis-je.
-Monsieur François de la Carrière.
-Roxana de Saint-Germain.
-Charmante, fit-il en me baisant la main. Vous êtes absolument délicieuse.
Ce beau-parleur me décocha un sourire. Ce n’était qu’un galant mais il restait plaisant d’être courtisée.
-Merci monsieur.
Il me fit la cours presque tout l’après-midi. De temps à autre, une dame se moquait : « Ne tombez pas dans ses bras, mademoiselle, c’est un vrai galopin notre François » et alors, il répliquait : « Moi ? Jamais ! Et si un jour ce fut le cas, mon cœur ne pense plus désormais qu’à mademoiselle de Saint-Germain ».
La chaleur ne descendait pas. Les femmes brassaient de l’air chaud qui ne les rafraîchissait pas.
-Et si nous faisions un tour sur le lac ? Proposa un homme.
-Oh oui ! Quelle bonne idée, s’enthousiasma une dame.
-Emmenez-moi faire un tour en barque, demanda la duchesse à un homme brun très élancé et sec.
-Souhaitez-vous participer à cette activité ? Me proposa de la Carrière.
-Pourquoi pas. Cela pourrait nous rafraîchir.
Son regard et son sourire semblaient penser autre chose mais je n’y prêtais pas importance.
Un petit groupe resta sur la rive tandis que des couples se formaient dans les barques. Une dizaine de petits canots envahirent le lac. Je retirais mes mitaines brodées et plongea la main dans l’eau. Comme c’était bon ! J’aurais voulu y plonger tout mon être. François de la Carrière se mit à pagayer vers des saules surplombant l’eau, nous entraînant à l’écart. Au loin, j’apercevais la duchesse dans un stratagème similaire.
-J’ai rarement vu une femme aussi belle que vous.
Je ris en mon fort intérieur, le regard toujours fixé sur la duchesse et son prétendant ; elle se pavanait en montrant les fleurs de son chapeau.
-Vous êtes un flatteur. N’avez-vous pas honte de vous jouer de moi ?
-Je ne mens jamais.
La duchesse avait décrochée une fleur et la faisait sentir à son bien-aimé. Si je ne connaissais pas les intentions de celle-ci, j’aurais trouvé la scène vraiment romantique.
-Encore un mensonge. Qu’attendez-vous de moi ? Vous ne pouvez m’aimer, vous me connaissez à peine.
L’homme brun et sec lui prit les mains et les approcha de son cœur. La duchesse affichait un sourire plus lumineux que le soleil.
-Parfois, l’amour frappe plus fort que l’on ne s’y attend.
-Venez-en aux faits.
La duchesse poussa un cri qui réussit à me parvenir. Alors qu’elle s’éventait d’émotions, je lu sur ses lèvres : « oui ».
-Mademoiselle Roxana, commença-t-il en me prenant la main, je…
Un cri tout proche me réveilla. Non loin de nous, un canot tanguait dangereusement. Et ce que l’on craignait tous arriva, il se retourna. Dans un élan de survie, l’homme se jeta sur notre barque mais il nous entraîna dans sa course.
Froid. Un froid intense me submergea. Dans ma frayeur, j’avais poussé un cri en tombant et désormais, l’eau pénétrait dans ma gorge. Le manque d’air faisait exploser ma poitrine, mes yeux inondés me brûlaient. Je remuais mes bras en tout sens, je ne savais même pas où était le ciel. De toute façon, je ne savais pas comment remonter à la surface et ma robe m’entraînait vers le fond. J’allais me noyer. Je sentis un coup dans mon bras. Puis un autre dans mon flanc. Je me sentais étouffer. Jusqu’à ce qu’on m’attrape sauvagement par la cheville et qu’on me tira. Soudain, l’air pénétra dans mes poumons et m’incendia la poitrine, je toussais et crachotais jusqu’à en vomir. Je sentis des coups dans mon dos, puis un contact dur avec du bois. Les yeux fermés, je tentais de récupérer ma respiration. Une main m’écarta les cheveux sur mon visage, on me releva, on m’essuya les yeux. Je les ouvrais lentement et un visage brouillé apparu. Une voix forte m’hurlait dessus.
-Est-ce que vous allez bien ?
-Arrêtez…de…crier.
J’étais épuisée et je m’effondrais. J’étais toujours consciente mais chaque mouvement me semblait un effort surhumain. J’entendis le clapotis de l’eau, le fracas des rames, puis le choc de la rive. On me porta sur le sol, les femmes piaillèrent autour de moi, on me couvrit. J’aurais voulu leur demander de se taire.
-Mais que s’est-il passé ?
-Ils sont tombés à l’eau !
-Oh mon Dieu !
-Combien ?
-Ils étaient quatre.
-Où sont les autres ?
-Sûrement au fond du lac.
-Mais c’est horrible !
-Calmez-vous, marquise.
-Alors, y a-t-il d’autres survivants ?
-Seulement un.
-Qui est-ce ? Monsieur Delatour ?
-Non. Monsieur de la Carrière.
-Béni soit le Seigneur qu’il y ait des rescapés.
Je me mis à trembler, j’avais affreusement froid. Et mal aussi. Peu à peu, les voix s’éteignirent.
Quelques jours avaient passé sans que je n’adresse à Cyan la parole. Je ne comprenais vraiment pas ce qu’il voulait. Oui il m’aimait cela ne faisait aucun doute mais ce n’était peut-être pas le même genre d’amour que j’avais pour lui. On frappa à ma porte. C’est heureusement Henri qui entra.
-Allons donc chère amie ! S’exclama-t-il. Il est temps d’arrêter de bouder et de venir vous amuser.
-M’amuser ?
-Oui la marquise nous a convié à sa…Garden party, un pique-nique géant à la hauteur de la noblesse, se moqua-t-il.
-Je n’ai pas envie d’y aller.
-J’avais demandé à une vieille amie de venir avec nous afin de vous tenir compagnie. Elle va être déçue étant donné qu’elle sera la seule femme de notre groupe. Amy sait beaucoup de choses sur Cyan.
Il éveillait mon intérêt mais c’était sans doute sa stratégie.
-Cyan y sera ?
-Bien entendu et j’ai ouïe dire qu’il avait une surprise pour vous mais il ne me l’a pas avoué malgré tous mes stratagèmes.
-Vous êtes un fin maître, il est dommage que vous vous soyez énervé contre ma sœur si promptement. Mais ce qui est fait est fait. Très bien je vais venir à ce pique-nique. Maintenant si vous voulez bien sortir, je vais me changer.
Il s’inclina et disparut sans doute avertir Cyan.
Il faisait chaud, vraiment chaud. Heureusement la robe beige imprimée de fleurs rouges que je portais était de la matière la plus fine qui soit. Amy m’avait conseillée et aidée à me préparer. C’étaient une belle femme aux longs cheveux blonds bouclés et aux yeux bleus pétillants. Nul doute qu’elle plaisait énormément aux hommes. Mais derrière ce joli minois se cachait une femme aussi belle que gentille, intelligente et redoutable. Une des quatre sénéchaux de l’ordre de la Noctule tout comme Cyan. Les femmes pouvaient donc avoir une place importante au sein de cet ordre et cela m’avait fortement plu. Les dames portaient pour la plupart des chapeaux tandis que nous avions de riches ombrelles en dentelles. Cela ne m’avait pas empêché de me faire un bracelet de fleurs, l’ambiance étant tout de même champêtre. Je me promenais tranquillement avec Amy sous la surveillance de nos hommes. La jeune femme était une amie d’enfance d’Henri et Cyan et je me demandais s’il n’y avait pas plus dans leur relation.
-Grand Dieu non ! S’exclama-t-elle. Je ne me vois vraiment pas avec un homme aussi gentil et respectueux que ces deux là. J’ai besoin de quelqu’un avec plus de…moins de tact, plus de rentre-dedans, vous voyez ?
-Je pense voir le genre de personnage. N’y a-t-il personne qui y corresponde dans votre cœur?
-Malheureusement non. Mais peut être connaissez vous quelqu’un ?
-Mon frère peut-être mais j’ai coupé tous les ponts avec ma famille.
-C’est vraiment triste. La plupart d’entre nous ont perdu la leur et erre parmi le Peuple dans la douleur et la faim mais c’est ce qui fait notre force et notre cohésion. Sans cela nous ne serions que des opportunistes. Ah ! Il semble que Cyan se soit décidé à venir vous trouver, gloussa-t-elle.
En effet, il venait vers nous d’un pas décidé.
- Excuse-moi Amy mais je vais t’arracher ta compagne pour un moment.
-Très bien mais ne l’embête pas trop.
Amy m’abandonna avec un grand sourire. Cyan me tendit son bras et je le pris. Nous marchâmes en silence jusqu’à un saule pleureur loin des regards. L’eau était toute proche et je me méfiais autant de cet ennemi naturel ci que celui qui m’y avait mené.
-Lucretia te souviens tu de ce que je t’ai dit il y a quelques jours ?
-Il serait difficile de faire autrement, lui dis-je un peu amère en fixant le lac.
Sa main caressa ma joue et tourna mon visage vers lui pour déposer un doux baiser sur mes lèvres. Il prit mes mais dans les siennes puis les baisa avant de s’agenouiller :
-Je te prie humblement d’accepter mes excuses pour la confusion que j’ai distillée dans ton esprit. Je t’aime comme une femme et non comme une sœur ou une amie. C’est pourquoi Lucretia je dois te demander quelque chose. Veux-tu devenir ma femme ?
Le choc agrandit mes yeux tandis que la joie se répandait dans tout mon être. Sa femme ! L’écrin qu’il sortit dévoilait une bague en or finement gravée et incrustée d’une lune de cristal. Un travail qui avait dû demander beaucoup de temps.
-J’ai bien cru qu’elle ne serait jamais prête à temps, confessa-t-il. Et je voulais absolument te faire ma demande avant que nous allions plus loin. Vois tout l’amour et le respect que j’ai pour toi Lucretia. Acceptes-tu de devenir ma femme, celle que je chérirais toujours ?
-Oui !
Je lui sautais au cou et l’embrassais avec joie. Il me passa ensuite la bague au doigt et nous nous sourîmes, les yeux pétillants. C’est alors qu’un grand plouf se fit entendre et que des cris résonnèrent mais je n’entendis qu’un seul d’entre eux :
-Mlle de Saint-Germain !
La peur m’envahit tandis que dans l’eau une chevelure flamboyante s’enfonçait dans les eaux.
-Roxana ! Criais-je en me précipitant.
-Lucretia non tu vas te noyer ! Me retint Cyan. Calme-toi et reste là je vais la chercher.
Un autre plouf suivit. L’homme qui avait crié avait plongé. Il réussi à remonter ma sœur tandis que je me levais en tremblant. Elle avait été repêchée mais était-ce trop tard ? Mes jambes ne tremblèrent plus tandis que je courais vers le troupeau suivis par Cyan. J’écartais les dames qui piaillaient et secoua ma sœur :
-Roxana ! Roxana ! Roxana !
-Amy, occupe-toi de Lucretia pendant que nous la ranimons, ordonna Henri qui venait d’arriver avec la jeune femme.
Amy acquiesça et me fis reculer. Les deux hommes échangèrent un regard entendu et Cyan asséna une série de pression sur la poitrine de ma sœur. Quand il arrêtait Henri l’embrassait et je ne comprenais pas vraiment pourquoi.
-C’est pour faire sortir l’eau des poumons, m’expliqua Amy. Il lui insuffle de l’air et Cyan appuie pour faire sortir l’eau. Fais leur confiance, ils ont l’habitude. Ils ont déjà sauvés beaucoup de noyés de cette façon.
Et en effet Roxana recracha l’eau. Henri demanda alors qu’on l’amène à la propriété la plus proche pour se reposer. C'est-à-dire celle d’Henri.
Des bruits sourds me réveillèrent. Des voix lointaines. Quelqu’un me tenait la main, mais je ne savais pas qui. Ma tête était mouillée et c’était fortement désagréable sur l’oreiller. Je faillis mourir de stupeur.
-Henri ?
Ma voix était toute cassée et faiblarde, comme après un violent coup de froid en hiver.
-Roxana ! Vous êtes réveillée, enfin ! La nuit est tombée depuis une heure, nous étions tous inquiet.
-Qu’est-ce que vous faites là ?
-Vous êtes dans ma demeure.
-Votre demeure, répétais-je, en fronçant les sourcils. Comment est-ce possible ?
Je me souvenais de l’après-midi, du tour sur le lac, de la chute et de mon sauvetage. Mais comment en étais-je arrivée ici ?
-Nous étions présent au pique-nique. Après votre noyade, nous vous avons conduit ici pour que vous repreniez des forces.
-« Nous » qui ?
Il eut un instant d’hésitation. Un instant suffisamment long pour que dans le silence, j’entendis des voix au-dehors de la chambre.
« Je ne suis pas sûre que votre réapparition soit du meilleur effet ». A qui s’adressait madame de Pompadour ?
« Je n’ai que faire de ce que vous pensez ». Lucretia !
« Ainsi donc, c’est vous le roturier ?
-Surveillez votre langage, marquise.
-Comptez-vous faire l’affront à votre famille de revenir dans sa vie ?
-Taisez-vous ! Je suis ici pour ma sœur.
-Elle sort de la noyade, souhaitez-vous la faire mourir de chagrin ? »
J’arrachais ma main à de Breteuil, lui tourna le dos et me roula en boule pour pleurer silencieusement.
-Faites-la partir, demandais-je.
-La marquise ?
-Non, ma sœur !
Il ne m’écouta pas.
-Elle a besoin de vous, de vous voir.
-Je n’en ai pas besoin.
-Moi aussi, j’ai besoin de vous.
-J’en ai encore moins besoin !
-Vous êtes une enfant têtue et rancunière.
-Grand bien m’en fasse.
Il se leva et sortit la chambre. Je n’entendis pas distinctement ce qu’il racontait, mais je supposais qu’il transmettait le message. La porte claqua et des pas se rapprochèrent.
-Je vous ai fait parvenir une robe, me dit la voix de la marquise. Nous allons pouvoir rentrer. Votre Père doit se retourner les sangs d’un tel retard.
Je sortis du lit en essuyant mes yeux.
-S’il vous plait, madame, la priais-je, ne racontez pas que ma sœur était là.
-Entendu.
Cette foutue Pompadour ! De quoi se mêlait-elle !? Henri sortit de la pièce, la mine sombre.
-Elle est aussi têtue que toi et encore plus rancunière, me dit-il. Elle ne veut pas te voir...
Je quittais la pièce en claquant la porte. Ma propre sœur ne voulait pas me voir ? Combien de fois devrais-je encore souffrir ? La seule décision en accord avec moi-même devait-elle déchirer à jamais mon cœur ? Il fallait que je respire, que je me change les idées. Les larmes coulaient sur mon visage tandis que j’arrachais les mauvaises herbes. Mon esprit était vide, mon cœur en lambeau. Même la douleur de mes mains ne me faisait plus rien. Je pouvais bien attraper le tétanos, je m’en fichais ! Une ombre me cacha le soleil. Une présence rassurante m’entoura de ses bras et je me sentis fondre, en larmes pour ne pas changer.
-S’il te plait arrête Lucretia, me pria mon fiancé.
Mais mes mains ne voulaient pas s’arrêter estimant mériter cette punition. Elles le durent finalement lorsque Cyan les prit dans les siennes et me tira à lui. Je détestais être si faible en face de lui. Il sembla s’en rendre compte car il mit sa main devant mes yeux et me chuchota des mots de réconforts. Je finis par me calmer.
-Viens, me dit il. Il faut soigner tes mains.
Il avait raison. Mon comportement était encore une fois si idiot. J’avais toujours espéré qu’elle me pardonne mais c’était en vain, je le réalisais maintenant. Je devais l’oublier comme tout le reste. Cyan me ramena au manoir et m’installa dans un salon au rez-de-chaussée. Il désinfecta mes plaies et banda mes mains.
-Tu es vraiment doué, lui dis-je avec un pauvre sourire.
-Henri a été mon heureux cobaye durant notre enfance. Un vrai garnement.
-Et toi tu le suivais déjà comme son ombre ?
-Oui on peut dire ça comme ça. Je veillais sur lui comme je le fais avec toi.
-Vous êtes vraiment des gens compréhensifs. J’avais espérer que ma famille le soit aussi. Surtout mon père vu que mon frère est né hors mariage…Mais les choses ne sont pas comme on le voudrait. Je n’arrive pas à comprendre en dehors de la trahison ce qui peut les rendre ainsi. J’ai l’impression que s’ils ne me comprennent pas c’est qu’ils ne m’aimaient pas assez. Si ma mère avait encore été là, elle n’aurait pas agît de la sorte… Sa sœur avait déjà fui avec un homme mais elle ne lui en a jamais voulu.
-C’était une femme sage et aimante.
-Oui. Ma famille possède de grands savoirs mais une étroitesse d’esprit proche de leur amour je pense. Roxana… Je pensais qu’elle était différente.
-Tu peux pleurer devant moi Lucretia.
-Non j’ai assez pleuré dans tes bras ces derniers temps. Il est temps que je passe à autre chose comme tu l’as fait jadis. Je vais tout oublier.
-Lucretia…
-Non je ne veux plus de ce nom. Il me rappelle de trop mon passé. Je dois en changer… Je vais prendre mon deuxième prénom : Crescence. Une plante qui croît dans une autre direction.
-Lucretia ce n’est pas la solution.
-Tu l’as bien fais, pourquoi ne le pourrais pas ?
-J’étais encore un enfant alors mais toi, tu es une femme et tu es forte. Tu es Lucretia de Saint Germain malgré toutes les souffrances.
-Caïn Lanoir.
-Je me suis défait de ce nom mais si ce la te permet de ne pas abandonner le tien, je le sortirais de sa tombe.
Je soupirais alors que la porte s’ouvrit sur Pompadour.
-Vous avez dit Lanoir ? releva-t-elle. James Lanoir ?
-Oui je suis son fils.
-Votre mère es-elle ici ?
-Non, elle est morte de faim dans les rues de Paris. Si vous pouviez ne pas raviver de mauvais souvenirs, je ne dirais rien au sujet de notre parenté à vos amis de la noblesse.
La Pompadour acquiesça et se retira songeuse.
-Caïn ?
Il se raidit au contact de son prénom mais me répondit difficilement :
-Nous sommes cousins. Mais c’est du passé, je préfère me concentrer sur l’avenir. Le tien et le mien.
J’acquiesçais. Je comprenais parfaitement. Je l’attirais à ma moi et le serra dans mes bras. Nous avions tous deux besoin de réconfort et ce qui sembla doux à ce moment là, fut passionnel la nuit venue.
-Vous sentez-vous apte à étudier ? Me demanda Monsieur de Gurvan.
-Je crois.
-Alors nous ferons du latin.
Alors que nous avions commencé depuis une demi-heure seulement, on frappa à la porte.
-Entrez ! Répondit le précepteur.
-Quelqu’un demande à voir mademoiselle Saint Germain, dit une bonne.
Etrange. Monsieur de Gurvan me jeta un regard interrogateur.
-Qui est-ce ? Demandais-je.
-Un monsieur.
-Cela peut-il attendre ?
-Je ne sais pas, mademoiselle.
-Allez-y, me dit le précepteur, mais soyez brève.
Je suivis la bonne jusque dans un salon et elle me laissa seule avec celui qui me demandait.
-Monsieur de la Carrière ? Dis-je, surprise.
Il se retourna vers moi. Il semblait visiblement ennuyé et inquiet.
-Mademoiselle Saint Germain, me salua-t-il. Comment vous portez-vous ?
-Ca va, je vous remercie.
-Votre santé me préoccupait.
-Cela me touche. Avez-vous fait le déplacement pour cette nouvelle.
-En effet, je m’en veux terriblement.
-Il ne faut pas, ce n’est pas de votre faute.
-Je souhaiterai me faire pardonner. Acceptez mon invitation à la Cour pour quelques temps.
A la Cour ? Grand Dieu ! Même Père ne m’y introduisait pas, bien que proche du roi.
-Eh bien…
-S’il vous plaît, mademoiselle. Un refus de votre part m’effondrera.
-Ce sera avec joie que je viendrai.
Un sourire illumina son visage. Il me fit le baisemain et ajouta avant de s’en aller : « Je vous attends dans deux jours. Au revoir. ».
Ce fut dans un état second que je retournais à la bibliothèque.
-Excusez mon absence, monsieur. Une invitation à la Cour.
-A la Cour ?
Comme souvent lorsqu’il était contrarié, Monsieur de Gurvan fronçait les sourcils.
-Je ne suis pas sûre qu’une demoiselle telle que vous devrait y aller.
Telle que moi ? Je piquais la mouche.
-La Cour est un repère de sauvages, ajouta-t-il devant mon visage fermé. Personne ne vous fera de cadeaux, vous serez vite une cible de moqueries. Les gens qui entourent le roi sont aussi faux que leurs artifices et chacun écrase l’autre du mieux qu’il peut. Il n’y a rien de profitable pour vous là-bas.
-J’en ai entendu parler. Je saurai être méfiante.
Bien qu’aussi noir, rigide et impassible que d’habitude, il laissa transparaître un léger scepticisme. Décidément, personne ne me pensais capable de m’en sortir seule dans la vie.
-Reprenons cette leçon de latin, finit-il par dire.