L'alchimie des sentiments_Partie 1 chapitre 8

plume-scientifique

CHAPITRE 8

Lorsque Versailles m’apparut, mes yeux pétillèrent comme une enfant devant un jouet. Quelle magnificence ! Je songeais au Paris misérable que je venais de traverser et qui se mourrait à côté d’une telle opulence, mais le rêve balaya vite la réalité. Lorsque j’avais annoncé mon invitation, la marquise de Pompadour m’avait jeté un bien mauvais regard, elle qui en était désormais « bannie ». J’avais cru mourir d’impatience ! J’avais tourné en rond pendant deux jours entier, Monsieur de Gurvan étant parti pour « une affaire extérieure » la veille.

 On me déposa devant l’une des dépendances, on prit mes bagages et on me dirigea dans les appartements. L’hôtel d’Evreux m’avait paru grandiose, mais Versailles était titanesque. Je passais devant des dizaines de grandes portes dorées en me demandant où je logerais. Finalement, on m’introduit dans un salon grenat où m’attendait Monsieur de la Carrière. Il me présenta mes appartements, bien trop grands pour moi seule. Puis il m’expliqua les règles de la Cour : se lever pour le réveil du roi, observer le petit-déjeuner du roi, puis le déjeuner du roi, le suivre dans toutes ses balades et assister à toutes ces réceptions. « Voilà un homme bien égocentrique ! » Pensais-je.

-C’est l’heure d’une de ses balades, venez, me dit-il en tendant son bras.

Dans les jardins, je m’émerveillais de tout : les jardins si parfaits et géométriques, les fontaines, les animaux et même le potager. Monsieur de la Carrière me racontait quel scandale Louis XV provoquait dans le monde : après avoir choisi la roturière Pompadour, voilà que sa favorite –madame du Barry- était une prostituée !

La compagnie de François de la Carrière me semblait fort agréable et il me tardait d’être au bal masqué.

-Caïn ? Appelais-je. Caïn !?

-Ici mon chaton.

Je pénétrais dans sa chambre et avisa ses bagages.

-Tu compte partir ? Lui demandais-je, vexée.

-Oui excuse-moi de ne pas t’avoir prévenu. Je dois rapidement passer à Paris et emmener Amy à la cour de Versailles pendant que j’ai une réunion avec la guilde des marchands.

-Je vois…Est-ce que…Non rien.

-Qu’y a-t-il ? Tu peux tout me dire.

- Est-il raisonnable que j’écrive à mon Père ?

-Si tu en a envie mais si cela doit te faire souffrir, il vaudrait peut-être mieux t’abstenir.

-Je ne mettrais pas d’adresse. C’est juste pour lui dire que je vais bien. Je ne veux pas de réponse.

-Je pars dans une heure. Tu ne vas pas trop te sentir seule sans nous ?

-Henri sera là et à lui tout seul, il débite un millier d’imbécilité en une heure. Rassure toi je ne risque pas de m’ennuyer.

- Peut-être devrais-je demander à une amie de vous surveiller ?

-Tu as peur ?

-Henri n’a pas bien pris son second rejet.

-Alors nous sommes deux. Je papote, je papote, mais j’ai une lettre à écrire !

Je l’embrassais sur la joue et m’installa dans le bureau. Je pris une plume, de l’encre et du papier et réfléchis. La feuille devant moi ressemblait un peu à mon esprit. Vide. Il ne tenait qu’à moi de la remplir.

Père,

Si vous ne souhaitez pas avoir de nouvelles de votre traitresse de fille alors ne lisez pas plus loin et brûlez cette lettre. Je suis en bonne santé, bien entourée et aussi heureuse que je le peux sans vous. J’ai choisi une autre voie que celle que vous m’aviez destiné : l’alchimie du cœur mais je garde en mémoires tous ce que vous m’avez appris. Sachez que mon amant, à présent mon fiancé, a une bonne situation et est un homme bien. Il ne souhaitait pas ce qui est arrivé mais j’ai été mise au pied du mur trop abruptement pour faire autrement. J’espère que vous, Roxana, Mark et Vladimir trouverez aussi le véritable sens de la vie. En attendant je compte bien me marier et vous faire plein de petits enfants. Affectueusement et aussi navrée, votre folle déception.

 

Je fermais la lettre et rangea le matériel. Je dessinais sur l’enveloppe ma fleur préférée : la violette. Je sortis ensuite en quête de Caïn. Ses bagages étaient dans le hall avec ceux d’Amy. C’est cette dernière que je trouvais finalement.

-Caïn m’a dit que tu allais à la Cour ?

-Caïn ? Ah oui Cyan ! En effet, une amie m’a demandé de lui tenir compagnie. C’est une femme connue, Mme de Barry.

- Fait-elle partie de l’ordre ?

-Oh grand Dieu non ! Mais c’est une mine de renseignements. Si jamais Henri te taquine trop, n’hésite pas à être méchante avec lui. Je monte en voiture, je crois que ton fiancé était parti chercher les chevaux. Il est probablement en train de les atteler.

Je suivis Amy jusqu’à la carriole où Caïn vérifiait l’attelage alors qu’elle montait. Je soufflais dans l’oreille de mon loup qui sursauta ce qui me fit rire alors qu’il jurait. Je lui tendis la lettre et il la prit en me regardant droit dans les yeux. Oui j’étais sûre. Il la rangea dans sa sacoche puis m’embrassa.

-Tu vas me manquer.

- Rapporte-moi un souvenir.

-Tout ce que tu veux.

-Soit surtout prudent.

-Ce n’est qu’une réunion d’affaire ordinaire rassure-toi. Je t’aime.

Je lui souris heureuse d’entendre ces mots et l’embrassa une dernière fois alors qu’il montait dans la carriole à présent chargée. Celle-ci se mit en route et j’attendis jusqu’à ce qu’elle disparaisse.

-Nous sommes seuls, me dit Henri.

-En effet.

-Et si nous allions nous amuser maintenant qu’il est parti ?

-Si c’est une proposition indécente, tu es tombé bien bas contre un mur Henri. Je doute que Caïn te laisse vivre même si tu es son ami.

-Voilà un chaton bien agressif.

-Monsieur de Breteuil, je ne suis pas ma sœur et vous acharner sur moi ne vous fera que plus de mal. Vous devriez tourner la page aussi dure cela soit il. Je ne le trahirais pas.

-Tu es plus capricieuse que ta sœur. Mais tu as raison. Il y a plein de femmes en ce monde ! Et je suis bel homme.

-Noyez votre peine ne vous soulagera pas. Maintenant il y a un point que j’aimerais régler.

-Lequel ?

-Mon statut au sein de l’ordre et mon mariage.

-Tu intégrerais nos rangs de façon définitive ?

- Tout du moins ce qu’il permettra que j’intègre. Je veux au moins être marquée et utilisée mes dons.

-Je ne peux rien faire dans l’immédiat à ce sujet mais par contre je peux aider pour le mariage. J’ai beaucoup d’amies mariées qui en savent long.

Je lui souris et nous échangeâmes un regard complice. Lorsque Caïn rentrerait, il croulerait sous les surprises.

-Et voici le joyau de Versailles.

Me tenant par la main, Monsieur de la Carrière me montra la galerie des glaces. Une foule de personnages masqués, plus colorés et plumés les uns que les autres enchantaient ce lieu. Les bals masqués étaient l’unique réception où il n’était pas forcé se poudrer les cheveux de blanc. Pour l’occasion, je gardais ma longue chevelure rousse, agrémentée de roses orangées ; je portais une robe de couleur pêche, brodée de fils dorés, plus belle que ce que je n’avais jamais eu et un loup du même ton en forme de cygne, surmonté de plumes d’autruches teintées. François était très élégant dans son costume blanc et bleu roi, une perruque bouclée et châtain sur sa tête, un loup doré. Tandis que retentissait la musique de Beethoven, le roi entra, reconnaissable entre tous par la richesse de son costume, tout d’or vêtu. « Ne le regardez pas ainsi, m’avertis de la Carrière, le roi aime à penser qu’il n’est pas reconnaissable, nous jouons tous le jeu. ». Cette idée me fit rire. Ce soir, j’étais libre, personne ne saurait qui se cacherait derrière mes actions. « Sois Lucretia » Pensais-je. Alors je me remémorais ses gestes, ses mimiques, sa façon d’être. Sans perdre un instant, je plongeais dans la foule.

-Monsieur, dis-je au premier inconnu devant moi, pourriez-vous m’emmener danser ?

-Mais très certainement, mystérieuse beauté.

La salle démarra une danse. Tout en dansant et en discutant avec mon cavalier, j’observais les alentours et les costumes. Des hommes et des femmes trop gras tiraient tellement leurs costumes qu’il semblait qu’ils exploseraient, d’autres étaient très séduisants. Aussitôt ma danse achevée, j’avisais un autre cavalier : tout habillé de soie rouge, il avait des airs de diablotin avec son loup en cuir rouge qui formait un long nez pointu.

-Le diable m’inviterait-il à danser ?

-N’avez-vous pas peur de l’enfer ? Rit-il en s’approchant de moi.

-J’ai déjà trop péché pour espérer le paradis.

Tandis que nous dansions, le roi se faisait courtiser par les dames.

-Puis-je vous voler votre cavalière Satan ? Je vous cède une nymphe.

J’échangeais le diable avec Bacchus, ses joues grossièrement fardées pour simuler l’ivresse. La vue des grappes de raisins et des feuilles de vignes perchées sur sa perruque me donna faim. Je zigzagais parmi les nobles, prenais un petit four dans un plateau qui passait, un verre dans un autre, partais danser sur Mozart, reprenais un peu de poisson fumé, dansais un menuet, buvais un verre de « vin des Dieux », et ainsi de suite. Lors d’une danse, je tombai sur Monsieur de la Carrière, tout aussi gris que moi. Je me sentais légère, joyeuse, sans soucis. Le vin le rendait osé et il se mit à me baiser l’oreille, le cou, la joue.

« Monsieur ! Riais-je, vous me chatouillez. ». Il m’embrassa encore plus.

« Allons, François, un peu de galanteries.

-Je n’ai pas envie d’être galant avec vous.

-Désolé mon cher, mais je n’offre pas mon cœur à la légère, ajoutais-je en le repoussant gentiment.

-Alors offrez-moi votre corps.

-Oh ! Voulez-vous m’offusquez ?

-Pas le moins du monde.

-Alors restez sage et faites preuve de patience.

Je le quittais sur un clin d’œil. Un homme m’invita à danser et j’acceptais. La musique était enjouée et les pas de danse rapide, c’était très amusant et grisant. Tous les danseurs riaient follement, le bal était une réussite.

-Laissez-moi vous servir un verre, belle demoiselle, la danse donne soif.

-Avec plaisir !

Mon cavalier nous servit généreusement, puis la soif entraîna la faim et nous dinâmes dans un coin. Je m’amusais follement ! Les grandes fenêtres montraient une nuit d’encre. Des couples se formaient çà et là, agissant plus ou moins avec audace. J’enviais et méprisais ces femmes qui savaient se faire plaisir, se laisser aimer et cajoler. Mon cavalier vint devant moi et me caressa la joue. Je me souvenais, d’un soir, dans un boudoir de madame Pompadour, je m’étais promis d’oublier mes idylles d’amour unique. Il était temps de le prouver. Je me laissais pousser contre un mur. Je ne voulais pas me bafouer, juste être cajoler, qu’on prenne soin de moi ; qu’une fois enfin, on m’aime, même artificiellement. Il prit mon visage dans ses mains et m’embrassa tendrement. Un baiser comment j’en avais souvent rêvé ; quelque chose de léger comme une caresse. Je me sentais chavirer et seule au monde. Il caressait le contour de mon visage et me murmurait des mots tendres que j’écoutais les yeux mi-clos.

« Vous êtes si belle. Mon cœur de libertin s’est soumis à vous dès notre rencontre. Je voudrai ne jamais vous quitter ».

Je coupais ses paroles en l’embrassant. Et tandis qu’on échangeait un baiser, le puissant gong de l’horloge sonna minuit. La foule fit le décompte avec excitation car lorsque minuit serait passé, les masques disparaitraient.

Cinq…Quatre…Trois…Deux…Un…

Je repris mon souffle avec bruit. Mes mains passèrent derrière sa tête et défirent le ruban. Le loup tomba dans ma main. Les invités crièrent de joie en défaisant leur masque.

-Je vous aime, mademoiselle.

Henri de Breteuil !

Finalement, la préparation surprise de mon mariage ne se fit pas. Quelques jours à peine après le départ de Caïn et Amy, nous avions reçu une missive comme quoi l’un des sénéchaux avaient fait échoué la rencontre et que ma sœur avait été aperçue par Amy à la Cour du Roi. Henri à cette nouvelle était devenu fou. Il m’avait ordonné de faire mes valises et nous avions sauté dans le premier carrosse qui passait. L’ambiance à bord était tendu mais je me demandais laquelle des deux nouvelles l’inquiétait le plus.

-Henri, désirez-vous en parler ?

-Ce n’est que folie ! Que pensaient-ils donc en jetant l’agneau dans la tanière de l’ours !?

-Ce sénéchal a trahit ?

-Josse ? Ces méthodes sont brutales mais ils ne nous mets jamais des bâtons dans les roues sans raisons. Non c’est votre Père ! Quel folie de laisser votre sœur aller à la Cour ! Elle va se faire dévorer dès que le vin lui aura monté à la tête. Et croyez moi les nobles ne se gènent pas pour copuler sous les yeux de tous. La Cour est comme l’antre de Satan.

-Vous voulez dire qu’elle sera déshonorée !?

-Oui.

-Grand Dieu !

-Je la sauverais.

-Je vous accompagnerais.

-Non ! Tu resteras avec Cyan. S’il te plait…Je veux lui faire part de mes sentiments. Je pensais oublier mais c’est impossible finalement.

-Henri… Oui, je comprends. J’attendrais. N’ai aucun regret.

-Merci Lucretia tu es vraiment… une gentille fille.

-Capricieuse et têtue n’est-ce pas ?

-Tu fais des progrès.

Il semblait être un peu plus libéré maintenant bien qu’il était inquiet. Oui, j’avais envie de voir ma sœur mais j’avais tout aussi peur. Peut-être Henri saurait-il lui montrer par son amour le chemin du pardon. Je ne pouvais qu’attendre et lui faire confiance.

Nous arrivâmes dans un manoir austère.

-Bienvenue chez Josse. C’est plutôt vétuste mais il y a ce qu’il faut. Ne prends pas ombrage de ses remarques. Josse est plutôt … un mauvais garçon. Il a les répliques et les injures faciles. Viens.

Je suivis Henri dans le manoir. Tout était silencieux et il n’y avait aucune décoration juste le mobilier nécessaire. Même pas une âme qui vive. Henri me guida jusqu’à la salle à manger.

-Je vois que tout le monde est là.

Je regardais les personnes présentes. Il y avait Caîn, Amy, un homme brun à l’allure lugubre qui ressemblait un peu à Cyan et une femme brune qui jouait avec ses couteaux.

-Ginie range-moi ça.

La femme soupira et les couteaux disparurent comme par magie.

-Tu t’es ramené une catin à ce que je vois, dit l’homme.

Mes joues s’empourprèrent sous l’offense et Caïn se leva brusquement et le saisi par le col en le menaçant :

-Retire ce que tu viens de dire à ma fiancée Josse !

-Oh alors c’est la tienne.

-Caïn arrête ! Le priais-je avant qu’il ne le frappe.

Il se retint heureusement.

-Caïn…Tu as sorti ton cadavre. Quel gentil toutou à sa sorcière.

Ils allaient s’entretuer ! Mais je fus surprise que ce soit Amy qui frappe Josse. La douce et gentille Amy !

-Il faut se méfier des eaux qui dorment, dit Ginie.

-Les 4 sont là, dit Henri. Cyan le loup, Josse le serpent, Ginie le faucon et Amy la Cougar. Je suppose que votre présence n’est pas un hasard ?

-Tu es ici chez nous de Breteuil et ce sont eux les enquiquineurs.

-C’est une coïncidence voila ce que voulait dire mon frère, reformula Ginie.

-Bon si vous avez fini, dit Caïn. Ma fiancée n’a pas besoin de votre mauvaise influence. Viens Lucretia.

Il me tendit la main et je la pris. Il m’éloigna d’eux et me jeta sur le lit pour me dévorer. Le loup avait faim et le félin comptait bien le tenir entre ses griffes jusqu’à l’épuisement en attendant que le chevalier des prédateurs sauve la demoiselle.

De Breteuil ! J’avais cédé à ses ignobles cajoleries !

-Lâchez-moi. Allez-vous-en !

Je m’écartais de lui et fendis la foule. J’avançais péniblement et pourtant, je voulais fuir le plus rapidement possible vers mes appartements. Atteignant enfin la sortie de la galerie, je pris le dédale de couloirs non moins vide de couples de débauche. Loin d’eux, j’arrivais à un grand escalier qui me mènerait à mes appartements. Je m’appuyais à la rambarde, reprenant mon souffle.

-Roxana…

-Vous ! Répliquais-je, surprise d’avoir été suivie et agacée. N’avez-vous pas eu assez de refus, monsieur ?

-Je ne vous comprends pas ! Pourquoi me rejetez-vous ainsi alors que vous m’aimiez autrefois ?

-Faut-il une raison pour que vous me laissiez en paix ?

-Oui !

-Votre cause nous mènera tous à notre perte. Aussi louable soit votre intention, vous mènerez la France à la guerre, au feu et aux effusions de sang et de larmes. Voyez comme le peuple est devenu sauvage à la mort de son précédent souverain, l’empêchant même de mourir dignement ; qu’en sera-t-il lorsqu’il se révoltera ? Nous mourrons au bout de leurs fourches.

-Est-ce assez pour me haïr ?

-N’est-ce pas déjà suffisant ? Vous n’auriez pas dû y mêler ma sœur.

-Je n’y suis pour rien !

-Rejetez-la de votre ordre puisque vous en êtes le maître.

-Elle a fait son choix.

-Alors ne me demandez pas de vous aimer, achevais-je en montant les marches.

-Roxana ! Cria-t-il, sa voix en écho. Il grimpa les escaliers à toute allure et me rejoignit.

-Je vous en prie, dit-il suppliant, prenant de force mes mains dans les siennes. Ne voyez-vous pas mon amour pour vous ? La moindre pensée de vous me torture au plus profond de moi. Je vous veux mienne et personne, non personne ! ne vous aimera jamais autant que moi !

Il s’agenouilla sur les marches :

-Je m’agenouille devant vous, je me soumets à vous corps et âme. S’il vous plait, Roxana.

-Vous me répugnez !

-Menteuse, cracha-t-il, fou de colère en me jetant contre le mur, ses mains serrées sur mes bras, vous m’aimez et je le sais ! Vous l’avez dit vous-même. Même votre cœur s’est plié durant le bal. Mais vous êtes trop têtue pour passer outre votre orgueil et votre rancune !

-Laissez-moi !

-Votre caractère vous fera tout perdre : l’amour, la paix et même votre sœur.

-Laissez-moi ! Répétais-je en pleurnichant. Je me débattais mais il était trop puissant et je commençais à avoir peur de lui. Il attrapa mon visage et me força à le regarder.

-Vous ne vous soumettrez jamais de vous-même, il faudra vous briser d’abord pour que vous admettiez vos torts ensuite.

Il plaqua sa main sur ma bouche et me jeta à terre. L’angle des marches me fracassa le dos. Il pesa de tout son poids sur moi, à tel point que je pouvais plus bouger. Je pleurais à chaudes larmes, j’étais apeurée. Je poussais des cris plaintifs que sa main amortissait. Je sentis sa bouche sur mon cou et ce contact me dégoutait, son autre main glissant sur mon corps frémissant de peur. Il arrêta sa main sur ma cuisse et plongea son regard dans le mien, m’observant longuement. Ses yeux étaient d’une infinie tristesse et humides, presque rougis. Je cessais de remuer tout en continuant d’exercer une pression pour l’écarter.

-Je vous aime, Roxana, murmura-t-il au bord des larmes. Il baisa mon front et s’écarta d’un seul coup, s’enfuyant à toute vitesse.

Sur les escaliers, je repris une grosse goulée d’air et ma respiration se saccada. Je m’accrochais à la rampe pour me relever et monta les dernières marches. Je courus jusqu’à mes appartements, claqua la porte, la verrouilla en tremblant, puis alla dans ma chambre que je verrouillais également. J’enlevais ma robe à toute vitesse, l’arrachant presque puis versa de l’eau dans un récipient de porcelaine. Le corps transit, je m’aspergeais et me frottais ardemment d’eau froide durant de longues minutes.

J’attendais dans le hall, assise sur les marches, le retour d’Henri. Ginie me tenait compagnie dans le silence. Josse Grisombre et sa sœur Geneviève de son vrai nom, de tous les sénéchaux, étaient ceux dont le passé était le plus sombre. Et ils parlaient peu, surtout Ginie, mais sa présence était loin d’être aussi effrayante qu’au premier abord. La porte s’ouvrit enfin et je me levais :

-Henri !

Mais celui-ci semblait perdu et horrifié.

-Que s’est il passé !? As-tu vu ma sœur !?

-Oui mais…Oh Lucretia ! Je crains d’avoir dis et fais des choses affreuses.

-Comment ça ?

- J’ai perdu le contrôle.

-Henri ! Qu’est ce que tu as fais !?

Il ferma les yeux et me dit tout dans un murmure. Mon sang se glaça et je le giflais.

-Idiot ! Vous n’avez fait que l’effrayer ! Non, vous êtes tous les deux des imbéciles ! Amène moi là bas que je la gifle aussi cette tête de mule!

-C’est inutile. Elle s’est enfermée dans ses quartiers.

-Il n’y a nulle porte que je ne sais ouvrir, lui rappela Ginie.

-Je ne veux pas y aller…

-Es-tu un homme ou une poule mouillée Henri ? Tu es si faible devant une femme que Josse s’en moquerait jusqu’à remettre en cause ton autorité. Et nous savons tous qu’il est de nous le plus extrémiste. Allez viens. Peut-être que sa sœur la ramena à la raison ou une étrangère effrayante.

Henri acquiesça plus inquiet par ce que ferait Ginie à ma sœur que  par accord avec elle. Je ne pouvais pas prévenir Caïn sinon Josse allait rappliquer. Nous partîmes donc pour le Palais Royal le plus discrètement possible afin de sauver la situation.

On frappa à ma porte, mais je ne répondis pas. On frappa de nouveau, le silence fut ma réponse.

-Roxana ? Me demanda la voix de Monsieur de la Carrière.

Je mis un peignoir et jeta un regard rapide dans une glace ; j’étais affreuse : les cheveux en bataille, la mine déconfite, des yeux injectés de sang et bouffis.

-Vous êtes seul ? Demandais-je, craintive.

-Oui, répondit-il, surpris.

La serrure fit des petits claquements sourds et j’ouvris la porte.

-Entrez, le priais-je.

-Mademoiselle Saint-Germain ! Allez-vous bien ?

-Pas vraiment, répliquais-je.

Je verrouillais la porte derrière lui. Je m’assis sur mon lit, il fit de même sur un fauteuil, instaurant la distance respectueuse qu’il se devait. Comment pouvais-je expliqué mon état ? Je lui contais ma mésaventure et ne donnant comme unique explication que je connaissais Monsieur de Breteuil de précédentes soirée chez la marquise. François de la Carrière semblait terrorisé. Il soupira et se pris la tête entre les mains. Finalement, il vint vers moi et me pris les mains. Malheureusement, comme par réflexe, je les lui retirais. Je crois que ne pourrais plus accepter une telle promiscuité durant un certain moment. Il s’excusa de son geste.

-Je suis terriblement désolée pour vous, mademoiselle. Voilà deux fois que je faillis à votre sécurité. Désormais, je vous protègerai consciencieusement.

Je le remerciais lorsqu’on frappa à la porte.

-Avez-vous laissé la porte des quartiers ouverte ? Lui demandais-je, apeurée.

-Non ! Lorsque j’ai vu que vous aviez fermé, j’en ai fait de même avec ma propre clé.

Alors qui avait pu ouvrir ? On frappa trois fois de nouveau.

-Roxana, ouvre ! M’ordonna une voix familière.

De la peur, je passais à l’énervement. Encore elle !

-Lucretia ! J’en ai assez de te trouver partout où je suis. Vas-t-en ! Et emmène avec toi ce monstre de Breteuil.

-Ouvre-moi, il faut qu’on parle ! Cria-t-elle en frappant sur la porte.

-Pas question !

La porte s’ouvrit avec fracas et je poussais un cri.

-Assez de gamineries ! Me dit une femme imposante que je ne connaissais pas. Elle avait des airs de tueuse.

-Ginie…Ce n’était vraiment pas obligé.

François me jeta derrière son dos comme pour faire bouclier avec son corps.

-Partez ou j’appelle la garde.

-On veut juste parler, commença Lucretia.

-Apelle la donc qu’on leur troue la peau à ces chiens de la royauté ! Vociféra l’inconnue que je présumais être Ginie.

-François j’ai peur, chuchotais-je. Il serra ma main en signe d’acquiescement.

-Ginie, ça suffit ! Protesta cet ignoble vermine d’Henri.

-Si je te parle, Lucretia, proposais-je, vous partirez définitivement sans que jamais plus je ne vous revoie ?

L’idée ne sembla pas plaire à deux des trois membres présents.

-J’accepte, me répondit Lucretia. D’un geste de la tête, tout le monde, excepté nous deux, sortit.

Tout se jouait maintenant. J’étais stressée je dois dire.

-Excuse cette entrée fracassante mais Ginie n’est pas une femme de patience surtout lorsque cela concerne sa famille… Henri est comme un frère pour elle. Mais il a été trop loin même s’il le regrette sincèrement.

-Je ne veux pas entendre parler de lui !

-Il le faut Roxana, lui dis-je en la prenant dans mes bras.

- Lâche-moi !

-Non tu es ma sœur. Et en tant que telle, je suis la seule qui puisse t’ouvrir les yeux et te blesser. J’en prendrais toute la responsabilité. Henri t’aime comme un fou. Chaque jour, il ne peut penser qu’à toi et ma présence lui rappelle toujours ton nom. Il vit avec le fantôme de son désir au quotidien mais jamais il ne m’a touché car je ne suis pas toi. Il ne voit que toi Roxana et il n’y a pas un jour sans qu’il soupire en pensant à toi. Il n’est pas ton ennemi. Tu vois en lui celui qui t’a arraché ta vie, ta sœur et ton cœur mais il n’en est pas le fautif.

-Tu dis n’importe quoi ! C’est sa faute ! Tout !

-Est-ce une faute de reprendre la seule chose que son père bien aimé à laisser derrière lui afin que les effusions de sang inutiles ne se produisent pas ? Tu ne vois en la Noctule qu’une bande de fous qui cherchent à faire tomber les nobles dans la mort mais ce n’est que la face noire de la pièce. Nous aidons aussi le peuple en leur offrant des soins, un toit parfois ou même de la nourriture mais jamais d’armes. Une poignée de bourgeois ne peuvent pas nourrir le tout Paris et ce, peu importe leur richesse.

-Je ne veux rien entendre de cette secte !

-L’amour Roxana. C’est cela l’alchimie la plus précieuse en ce monde. Il faut que tu le comprennes. Sans amour on est rien. Tu es ma sœur et je t’aime, donc je te courrais toujours après, peu importe à quel point tu me blesses ou je me blesse moi-même. On ne peut vivre pour toujours gâté et choyé comme nous l’avons été. Tôt ou tard nous devons quitter le nid. C’est ainsi qu’est la vie. La façon et les raisons dont je l’ai fais n’étaient peut-être pas des plus louables et j’en ai beaucoup souffert mais cela était inévitable. Si j’avais choisi de rester avec vous, une moitié de moi serait quand même morte et toute ma vie, je me serais menti à moi-même en me cachant derrière une image qui n’est pas moi. Tu aimes Henri.

-C’est faux ! Je le déteste !

-Parce que tu l’aimes. C’est encore plus douloureux. J’aurais pu moi aussi te détester parce que tu m’as renié, cela aurait été bien plus facile pour moi, mais je ne l’ai pas fait. Parce que c’est la solution de facilité et qu’elle ne mène qu’à la ruine de l’esprit. Je ne te demande pas de pardonner dans l’immédiat. Calme-toi juste, puis réfléchie. Demande toi pourquoi tu prends les choses toujours aussi mal. Est-ce vraiment de la faute des autres ou de ta propre faiblesse ? Nous sommes tous faibles Roxana mais c’est à nous d’en prendre conscience de l’accepter et de vivre avec elle en harmonie. Je n’ai jamais été aussi peureuse et pleurnicharde que depuis mon choix. J’en venais même à me détester pour cela. Mais petit à petit, je sens que je l’accepte et j’arrive à redevenir moi-même sans masque ni artifice. Je sais que tu es assez forte pour y arriver. Cela ne se fera pas tout de suite et je subirais les états d’âmes d’Henri jusque là. Mais j’ai confiance, tu trouveras ton vrai toi et aussi tout ce que désire ton cœur.

Je lui caressais les cheveux et l’embrassais. Il me restait une dernière chose à dire et se serait fini.

-Je t’aime ma sœur, je vous aime tous, toi, Père et nos frères mais aussi ceux de l’ordre. Peu importe qui nous sommes, ce qui importe ce sont les liens qui nous unissent. Lorsque tu rentreras, une lettre aura été lu, Père sera probablement furieux ou peut-être sage mais ne le laisse pas t’influencer que se soit lui ou un autre, même moi. Pour finir, je te poserais une dernière question. Tu n’es pas obliger d’y répondre tout de suite. Je peux encore attendre et même si c’est non je garderais un possible oui jusqu’à ce jour. Roxana, veux-tu être ma demoiselle d’honneur ?

Je vis le choc se peindre sur son visage. C’était peut-être trop. Je lui caressais la joue et l’embrassais sur le front avant de me lever.

-Je n’ai pas encore de date mais ta robe attendra malgré ton refus. Si tu acceptes, tu sais où me trouver, je ne bougerais pas. Comme promis ceci sera ma dernière poursuite. Libre à toi de reprendre le flambeau ou de perdre une partie de toi à jamais. Je t’aime ma sœur.

Je versais quelques larmes malgré moi et quittais la chambre. Henri s’avança vers moi mais je l’arrêtais :

-Elle a besoin de se reposer et d’être seule. Monsieur, dis-je à l’homme qui semblait être son protecteur. Dès que possible, enlevez-la à ce lieu dangereux. Si vous pouviez juste pour ce soir la laisser en paix, je vous en serais reconnaissante.

-Je ferais ce que je devrais, me dit-il.

J’acquiesçais et tira Henri par la manche.

-Rentrons avant que mon fiancé ne retourne chaque pierre du manoir et que Josse ne le tue.

-Tu serais surprise de voir que mon frère n’est pas celui qui aurait le dessus.  Lorsqu’Amy est dans les parages, Josse n’est plus qu’une inoffensive grenouille, se moqua Ginie.

Je lui souris faiblement et salua une dernière fois l’ami de ma sœur avant de partir d’un pas décidé en trainant le malheureux Henri derrière moi.

J’étais lasse. Terriblement lasse. J’en avais entendu de trop. Je me rendais compte, trop tard, que j’avais mille questions à lui poser. J’avais congédié ce brave François de la Carrière et n’aspirait qu’à une chose : dormir. Je me lavais la figure, me brossais les cheveux et bus un peu d’eau. Une nouvelle fois, on frappa à ma porte, lentement, de manière très précise. Encore ! Je n’avais plus de force, je lâchais un « entrez » épuisé et indifférent en remontant mes draps sur moi. Le loquet se baissa doucement, la porte s’ouvrit en grinçant.

-Monsieur de Gurvan ? M’étonnais-je en me relevant d’un bond, ma voix déraillant dans un aigu atroce.

S’il était gêné de me voir dans pareille situation, il n’en laissa rien paraître. S’il n’avait pas eu ce visage toujours impassible et ses yeux profondément noirs et mystérieux, je n’aurais pas reconnu mon mentor. Il avait retiré sa perruque qui, désormais, pendait mollement dans sa main, immonde chose blanche et poudreuse. Ses cheveux longs avaient disparus, ils étaient courts, il semblait plus jeune que ses quarante ans bien qu’on distinguait plus nettement des cheveux blancs parmi sa chevelure charbon. Par ailleurs, ses cheveux était bien la seule trace de noir ! Lui toujours austère, arborait un costume émeraude et or. Que lui était-il arrivé ?

-Bonsoir mademoiselle de Saint-Germain.

-Heu…Bonsoir monsieur.

-Il est temps de rentrer.

Ce n’était ni une question, ni un ordre.

-Vous aviez raison, monsieur, avouais-je, penaude, je n’aurais pas du venir ici.

Il ne répliqua pas. J’étais devenue habituée à ses longs silences paisibles. Il me fixa simplement, il semblait dans une grande réflexion.

-S’est-il passé quelque chose ? Demanda-t-il finalement en fronçant les sourcils.

Je détournais le regard. J’hésitais à parler, à la fois pleine de pudeur et de honte, et en même temps je me sentais le besoin de me confier à cet homme. Devant mon doute, il coupa le fil de mes pensées.

-Rentrons. Vous me parlerez en temps utile.

Je pénétrais dans le salon avec mes compagnons. Caïn qui faisait les cents pas se jeta sur moi :

-Dieu soit loué tu n’as rien ! Où étais-tu passée ?

-Eh ! Nous aussi on va bien ! Lui fit remarquer Ginie. Enfin physiquement…

Caïn me regarda dans les yeux. Je soutins son regard sans ciller. J’allais parfaitement bien étrangement. J’embrassais ses lèvres avec douceur afin de chasser son inquiétude.

-Peuh ! Épargnez-moi ça, grogna Josse. Je déteste le miel.

-Tu n’aime rien de toute façon, lui dit sa sœur.

-Qu’est ce que vous faisiez ?

-Affaire personnelle. Garde ta langue de vipère dans ta bouche pour ce soir.

-Je retourne dans ma chambre, dit Henri.

-Hmmm, fit Josse alors qu’Henri quittait la pièce.

-N’y pense même pas Josse !

-T’es chiante Ginie.

-Josse tu devrais mieux parler à ta sœur ! Le réprimanda Amy.

-La gérontocrate m’a parlé ?

Amy s’empourpra et trembla de....rage ?

-Tu… Espèce d’imbécile !

-Quel sens de la répartie. Je suis impressionné, se moqua-t-il.

- Allons-y avant que ça dégénère, dit Caïn en me prenant par le bras.

-Attends, lui dis-je. Josse, Amy n’aime pas les personnes âgées, elle préfère les mauvais garçons.

-Lucretia ! s’exclama Amy.

-Les mauvais gars hein ? Sourit dangereusement Josse. Sais-tu seulement ce que c’est petite cougar ?

-Sortez ! nous ordonna Ginie en nous poussant hors du salon.

J’eus juste le temps de voir Josse soulever Amy du sol come un vulgaire sac de grain et ouvrir d’un coup de pied avant que Ginie ne ferme la porte.

-Montez ! ordonna Ginie.

-Mais Amy…

-Cyan fait la monter avant qu’il commence !

Il acquiesça et me tira derrière lui.

-Je veillerais au grain t’inquiète chaton, dit Ginie en entrant dans le salon et en verrouillant derrière elle.

-Qu’est ce qui…

-Ne te pose la question Lucretia. Viens.

Il me mena à l’étage où j’hésitais. Mais ce n’était pas pour Amy mais pour Henri. Amy était forte mais Henri était brisé. Je frappais à la porte mais personne ne me répondit. Je posais ma main sur la poignée mais Caïn m’arrêta.

- Parle-lui ici mais n’entre pas. Il n’est pas en état.

-D’accord. Henri, j’ai parlé à ma sœur. Je lui ai expliqué votre conduite. Elle ne va pas vous pardonnez tout de suite mais soyez patient. Elle a un travail à faire sur elle-même avant de pouvoir revenir vers nous. Mais il faut que vous sachiez que votre relation ne sera peut-être jamais celle que vous désirez… Reposez vous Henri. Vous avez de nombreux amis pour vous épauler. Vous n’êtes pas seul ne l’oubliez pas. Bonne nuit Henri.

Je pris la main de mon fiancé et le guida dans notre chambre afin de prendre un repos bien mérité. Pour la première fois depuis longtemps, j’étais en paix avec moi-même.

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