L'alchimie des sentiments_Partie 2 chapitre 14
plume-scientifique
PARTIE 2
CHAPITRE 14
Je n’arrivais pas à me remettre. L’odeur ne quittait plus mes narines. Son visage était imprimé sur ma rétine.
Alors que la Pléiade s’installait dans la Place des Damnés, que tous les membres encore présents préparaient au mieux les divers passages, Aimar avait ensuite sommé ses subordonnés de quitter la place centrale de la planque et de se tenir dans les passages derrière lui. D’ici peu, le traître viendrait par le passage d’en face.
« Ton cadavre sera un exemple parfait. ». Cette phrase avait tourné et retourné dans ma tête à ce moment là. Elle m’avait glacée d’effroi. Le chef avait prononcé une sentence terrible et je devais, hélas, y participer. Au loin, il y avait eut l’écho d’une porte, puis celui de pas se rapprochant. Une vieille femme que j’avais déjà vue était arrivée, accompagnée d’une jeune fille. Elle avait un visage décomposé, plein de tâches de rousseurs, des yeux si beaux que j’avais été attristée de les voir si empreint d’inquiétude. Elle avait des cheveux bruns.
-Que manigances-tu Aimar ? Demanda la marâtre.
-Faites-moi confiance, Mère.
Aimar attrapa la jeune fille et l’amena à mes côtés. Je ne me souviens pas quel sensation j’avais pu avoir, mais comme un besoin irrépressible, je lui avais pris la main et elle m’avait rendu mon étreinte. Elle était si jeune, si frêle. Ce n’est qu’à cet instant que je m’étais aperçue de sa tenue : elle portait une robe de noble, un peu salie et déchirée certes, mais c’était bien de haute facture. Puis je vis, à la lueur du lieu, que le sommet du crâne n’était pas brun mais roux. Sa main tremblait dans la mienne. Je la lâchais précipitamment, comprenant à quelle exécution j’allais assister. Aimar sortit une dague de son veston. Ce fut malgré moi que mon menton se mit à trembler et mon visage s’inonda de larmes. Je m’étais pourtant juré de rester digne. J’avais fermé les yeux dans une ultime vague de larmes et j’avais attendu.
« Adieu, Roxana de Saint-Germain. ».
J’avais senti un liquide s’écouler sur mes pieds et par dégoût, j’avais regardé au sol. Je n’avais même pas crié bien que ma bouche s’ouvrit en grand, le son ne sortant pas. Un haut-le-cœur me pris et je vidais mes tripes sur la roche. Aimar s’approcha et siffla entre ses dents, mécontent de mon attitude.
- Fais-y-toi vite, me dit-il avec mépris, la révolution du peuple en fera bien d’autres et bien pires.
J’essuyais ma bouche d’un revers de manche.
-Prouve-moi ta bravoure Grâce, défigure-la.
J’avais eu envie de vomir une nouvelle fois mais je devais obéir plus que tout. J’étais l’esclave de la Pléiade. Luttant contre mon dégoût, j’avais lacéré ce visage juvénile, écrasé ces doigts habiles, maculé le tissu que j’avais rêvé de porter. Pauvre enfant !
-Grâce ! M’appela le chef. C’est assez. Elle est méconnaissable mais sa sœur saura que c’est Roxana. Voilà ce qu’il en coûte d’être contre la Pléiade. Maintenant je vais accueillir le traître et sa traînée de femme. J’ai si hâte de voir la souffrance dans leurs yeux. Va-t-en ! Va accomplir tes autres tâches. Et gagne en sang-froid ou tu finiras comme elle.
J’étais partie sans demander mon reste. Dans l’internat misérable auquel on m’avait accueillie, cette scène de meurtre ne me quittait pas.
-Blanchard ! M’appela-t-on.
Je soupirais, éreintée. Quelle autre épreuve la Pléiade m’avait réservé ?
Caroline, non Emeline, la réincarnation de la duplicité.
-Cyan, souffla-t-elle telle une catin. Viens dans ma chambre.
-Mère ne va pas être ravie, lui dis-je.
-Aimar a donné sa permission, cette vieille bique ne peut rien dire ! Viens !
Elle me tira jusqu’à ses appartements. Nous étions seuls. Emeline se déshabilla prestement et je ne pus qu’admirer son corps. Sa peau de lait était parfaite et la douceur de ses lèvres pulpeuses pouvait soumettre n’importe quel homme. Oui Emeline était la perfection incarnée, un cadeau empoissonné. Une belle pomme pourrie. Derrière cette charmante apparence se cachait un vice inégalé. Mais ce vice était aussi une femme et à ce titre c’était une faiblesse. Surtout lorsque la vipère désirait ardemment le loup. Ce corps soyeux où glissaient mes mains ne pouvait m’être indifférent mais une pensée venait toujours troubler ma vision des choses. Et c’était celle-ci que je craignais le plus. La peau de lait prenait des couleurs et d’autres formes moins généreuses. J’avais l’impression par moment que des yeux jaunes me transperçaient. Maudite soit cette sorcière ! Je mis plus d’ardeur en ma récompense qui cria de plaisir. Je m’enfonçais encore et encore en elle. Emeline s’accrocha à moi en jouissant. Elle avait beau être une femme experte, il lui manquait deux choses : la passion et la témérité. Deux choses que possédaient Lucretia. Lucretia… Cette maudite femme m’avait-elle ensorcelé au point de trouver bien fade l’objet de mon éternel désir? Ou ce dernier avait-il changé ? Non c’était impossible. De toute façon elle ne serait bientôt plus.
-Cyan ? Minauda Emeline. A quoi penses-tu donc ? Viens donc par ici.
Elle serra ses jambes autour de moi et je ne la fis pas attendre. Elle gémit encore en murmurant mon nom. On aurait dit un vieux rêve.
-Ouiii Cyan. Continue. Fais-moi un enfant.
Je me stoppais net. Un enfant ! Et puis quoi encore !? Un bâtard de cette sorcière ne suffisait déjà pas sur ma conscience !?
-Cyan !? Ai-je dis quelque chose de mal ?
-Arrêtons-nous en là Emeline.
-Cyan !?
-Si je te fais un enfant, Mère va me tuer. J’ai déjà assez de problèmes avec celui de Lucretia.
-Alors Roxana avait dit vrai. Tu l’as engrossé ! Comment as-tu pu !?
-C’est ce que font les mariés pour consommer leur mariage.
-Te marier à cette noble ! Tout ça pour Aimar ! Pourquoi !? Ce n’était pas utile !
-Détrompe-toi. Lucretia était une parfaite couverture à Chambord. De plus j’ai pu lui soustraire quelques poisons fort utiles. Quand Roxana te l’a dit ?
-Peu près sa sortie de la Bastille.
-Qu’a-t-elle dit d’autre ?
-Rien de bien intéressant et elle parlera plus jamais.
-Je comprends qu’Aimar lui ai coupé la langue c’est une vraie enquiquineuse.
-Il l’a tué.
-Pardon !?
-Aimar a tué Roxana. A l’heure qu’il est, il a probablement montré le cadavre à sa pute et se fait un plaisir de profiter. Avec un peu de chance, le gosse ne naîtra pas. Etant donné que tu sembles avoir été coupé pourquoi ne pas dormir un moment avec moi ?
-Tu as raison, lui répondis-je avec un sourire moqueur.
Je me glissais à coté d’elle et elle m’étreignit. Lucretia allait être choquée et en colère. Bafouée du début à la fin. Quelle pauvre fille, j’étais presque triste pour elle. Je me rendis alors compte que ma main caressait les cheveux d’Emeline visiblement ravie. Ce geste, c’était celui que j’utilisais pour calmer les inquiétudes de Lucretia. Étais-je inquiet pour elle ? Certainement pas ! Je délaissais la tête d’Emeline et rangea mes mains sous l’oreiller avant de somnoler en prenant garde aux tentatives d’assassinat.
-Elle cauchemarde encore.
-Cette petite est pénible !
-Ce n’est pas de sa faute !
-C’est une brebis faible. Quelle idée de l’avoir fait entrer dans le clan. Elle ne sert à rien. Vous feriez mieux de lui injecter du poison pour nous en débarrassez.
-Madame Charpentier, allons !
Je sentis une aiguille me piquer le bras. De terreur, je le secouais vigoureusement et m’éveillais en sursaut.
-Du calme, me dit l’infirmière en me recouchant. Madame Charpentier est partie. Il faut que tu te forges et que tu oublies, Grâce. Tu te détruis toute seule.
-Mais Jeanne, rétorquais-je en me mettant à pleurer, je n’arrive pas à oublier. Ca m’obsède sans cesse.
-Je sais.
Six mois.
Et pourtant en ce moi de mai, le corps inerte hantait toujours mes nuits. Je voyais le sang, la chair. Les yeux vides avant que je les mutile, le visage de cette jeune fille qui n’avait rien demandé. Jeanne me caressa les cheveux. C’était une mère pour nous tous ici, à l’orphelinat.
-Allez, lève-toi, Grâce. Tu dois aller t’occuper des petits.
J’obéis et partis à la tâche. Mes sombres pensées s’évanouirent devant l’énergie débordante des enfants. Je les fis taire puis comme chaque matin, une fois une bassine de fer remplie d’eau, je les débarbouillais chacun leur tour, même si la seconde d’après ils se salissaient en jouant. Puis vint le petit dernier, mon favori. Il m’avait fallu plusieurs jours avant de comprendre qu’il se mettait exprès en dernier pour que je m’occupe de lui plus longtemps que les autres.
-Bonjour Barthélémy.
-Bonjour ‘mame Grâce.
Barthélémy avait à peine cinq ans. Avec Béatrix, nous étions les nourrices des orphelins de plus bas-âge. Chaque jour, de nouveaux enfants étaient récupérés ici, à la Maison de la Couche, près de Notre-Dame. Barthélémy était adorable avec ses cheveux blonds tout bouclés et ses yeux gris extrêmement grave. Je le lavais consciencieusement, en délicatesse, et il semblait heureux que je prenne soin de lui.
-‘Mame Grâce, vous m’aimez vous, pas vrai ? Pas comme mes parents.
-Bien sûr que je t’aime Barthélémy, répondis-je le cœur serré.
-Vous m’aimerez toujours ? Vous me laisserez pas tomber comme eux ?
-Toujours.
Je l’embrassais sur le front et il partit en courant rejoindre les autres. Béatrix arriva une nouvelle arrivante, minuscule et en pleurs. Elle devait avoir trois ans et sentait la misère. Je la prenais dans mes bras et entrepris de la laver. Ses pleurs me perçaient les tympans et ses petits doigts serraient ma chemise. Après plusieurs minutes, elle se calma sous mes cajoleries. Béatrix était partie s’occuper des nouveaux nés. J’observais les petits jouer ensemble, s’inventant des jouets imaginaires, faisant de cailloux et de bouts de bois toutes sortes d’objets magiques. Bientôt, les plus âgés entreraient dans une nouvelle perspective, ils apprendraient des tâches, puis des métiers pour aider à entretenir l’orphelinat. Au-delà de seize ans, certains partaient pour vivre leur vie, d’autres restaient pour aider les Dames de la Charité et éduquer les enfants, d’autres encore intégraient la Pléiade. J’entendis le brouhaha de pas en cadence. Rangé par deux, les jeunes garçons, les plus âgés, se préparaient à partir pour le travail. Pierrot les dirigeaient. Il passa devant moi, leva sa casquette et me salua en souriant. Des quolibets et des rires fusèrent derrière lui. Lorsqu’ils sortirent, je frappais dans mes mains pour ramener les enfants.
-Voici une nouvelle venue, leur dis-je. Elle est très petite, je vous demande d’être gentils avec elle.
-C’est qui ?
-D’où elle vient ?
-Elle va rester avec nous ?
-Pourquoi elle pleure ?
-Chut, vous allez lui faire peur ! Tu as un nom ? Demandais-je à la petite fille brune. Mais elle ne dit rien, elle s’accrocha de plus belle à m’en étrangler avec mon col. Alors les enfants, comment allons-nous l’appeler ?
Un florilège de noms se déversa dans la cour puis après de grandes délibérations, ils se mirent d’accord pour la nommer Madeleine. Pleins de bonté, tout naturellement, les orphelins lui offrirent ce qu’ils avaient de plus précieux. Quel dommage que le monde ne garde pas son âme d’enfant.
Lorsque l’heure du coucher arrivait, j’étais toujours prise d’une grande angoisse. L’idée de retrouver mes frayeurs nocturnes n’avait rien d’attrayant. Nous bordions les enfants après leur avoir conté une histoire de notre invention. Rituel oblige, j’allais voir Barthélémy en dernier.
-Ca va mon poussin ?
-Oui. Je suis fatigué.
-Dors bien.
-Dormez bien aussi, ‘mame Grâce.
-Je vais essayer.
-Vous dormez pas ?
-Très mal.
-C’est les démons ? Demanda-t-il effrayé.
-Non, il n’y a pas de démons, Barthélémy. Dieu veille sur toi.
-C’est vous qui veillez sur moi.
Je le serrais contre moi. A la cuisine, il ne manquait plus que moi pour le dîner. Tout le monde était fatigué et voulait écourter le repas alors que j’essayais de le retarder. Pierrot m’attira contre lui et me réconforta. Il était si loin de savoir les raisons de mes tourments mais cela me réchauffa le cœur. Cela faisait du bien d’être serrée, de se sentir en sécurité, de sentir son pouls, sa chaleur, son odeur. Malheureusement, il reprit vite ses envies masculines et je sentis qu’il voulait plus. Alors je le quittais abruptement. Je n’étais pas disposée à franchir une étape.
Dans le dortoir des filles, je vis que Béatrix m’attendait.
-Qu’y a-t-il ? Lui chuchotais-je.
-J’ai entendu dire que ton… « épreuve », commença-t-elle prudemment à cause des enfants, t’a beaucoup perturbé. Peut-être devrais-tu quitter la Pléiade ?
Béatrix ignorait tout de ma complicité de meurtre, de la raison de mon intégration dans la Pléiade, de mon impossibilité d’en sortir.
-Je ne peux pas partir. Personne ne peut quitter la Pléiade vivant !
Elle fronça les sourcils. Pour elle, la Pléiade était un groupe de représentants du peuple qui avait décidé de se révolter contre la misère. Elle n’accomplissait que des tâches mineures. Elle ne connaissait pas la face cachée, la révolte sanglante.
-Oublie. Il faut dormir.
Nous nous couchâmes mais elle reprit :
-Tu devrais aller Rue de la Colombe. Il y a un guérisseur là-bas qui pourrait t’aider.
Je songeais que c’était plus d’un prêtre pour ma confession dont j’avais besoin. J’irai le voir pour qu’il me drogue de quelque façon que se soit pour me faire dormir de nuits sans rêves.
Six mois déjà. Six mois depuis que j’avais pleinement réintégré la Pléiade. Six mois à traquer, débusquer, convertir et éliminer la Noctule. Aujourd’hui, il n’en restait plus que le noyau dur isolé dans une chape de ténèbres et de silence. Une prudence excessive qui portait un nom : Josse. Et dire que nous étions si semblable l’un et l’autre. Un jour chez un, le lendemain chez l’autre. Mais au final nous n’avions pas choisi le même chemin et nous nous gênions mutuellement. Josse s’était affaibli, il avait une faiblesse à présent : Amy. Cette dernière était toujours vivante mais elle se faisait fantomatique sous l’œil vigilant du serpent. Mais pour l’heure, je devais faire mon rapport. Je me glissais dans l’ombre jusqu’aux ruelles désertes. Je traversais le dédale parisien jusqu’au repaire. On m’introduisit à l’intérieur et me fit patienter. Ce fut finalement Mère qui vint me chercher.
-Cyan, me salua-t-elle avec un regard sévère. Aimar vous attend. Je vais vous escorter.
-Bonjour Mère.
Je la suivis en silence dans les galeries souterraines. Mère était un des 4 cavaliers et la seule femme de surcroit dans ce monde de misogyne. Une femme de fer avec pour bras droit la plus mystificatrice des femmes de l’ordre.
-Emeline ne cesse de nous enquiquiner à votre sujet, dit elle irritée.
-Je m’en excuse. J’ai été très occupé.
-Vous n’aviez pas à accepter la proposition d’Aimar. Elle a du mal à remplir sa mission à présent.
-Je conçois avoir agit comme un jeune idiot. Cela ne se reproduira plus tant qu’elle ne saura pas faire la part des choses.
Mère acquiesça bien que septique. Et elle avait toutes les raisons de l’être. L’attitude collante et possessive d’Emeline n’était pas prête de me faire revenir dans son lit. Au moins Lucretia était elle plus indépendante et moins étouffante. Quelles pensées étranges. Voilà que je fuyais l’objet de mon éternel désir pour m’attendrir de ma victime. Mère me laissa devant une porte. Je frappais et entra. C’était un salon plutôt bien garni. Aimar avait beau dire, il aimait le luxe. Il attendait d’ailleurs assis sur une chaise.
-Cyan ! Cela faisait longtemps ! Assis toi donc.
Je tirais une chaise et pris place autour de la table.
-Alors quelles sont les nouvelles ? me demanda-t-il ravi.
-Les trois quart de la Noctule ont été anéanti.
-Parfait !
-Mais le quart restant est composé de ses serviteurs les plus fervents avec à leur tête Josse et Amy, ils forment un noyau de dureté.
-Hmmm…Voilà qui est problématique. Tu as tout de même bien travaillé ! Tu mérites de passer du bon temps... Emeline s’en fera un plaisir.
-Sans façon.
Aimar afficha une mine étonnée et je m’expliquais :
-Emeline est trop collante et je la dévie de sa mission. Je tiens a garder ma gerbe loin du couteau de Mère.
Aimar se mit à rire.
-Je te prête ta femme alors. Elle commence à m’ennuyer.
- Non merci. Je me passerais de relation jusqu’à ce que j’aie fait tomber Josse.
-Tu as une idée ? C’est un type retord et difficile à piéger.
-C’est vrai mais nous avons tous une faiblesse. Et la sienne est Amy.
-La Couguar !? Quel drôle de mélange !
-C’est de cette façon que j’ai pu récupérer Lucretia. Il en sera d’autant plus méfiant.
-Comment allons-nous avoir Amy dans ce cas ?
-Amy est faible elle aussi mais face aux enfants. Un orphelin en détresse…
-Choisissons en un parmi les nôtres alors !
-Le choix ne doit pas être un hasard. Il faut un jeune enfant d’environ cinq ans qui ressemble à son défunt frère.
-…et à quoi ressemble-t-il ?
-Un blond bouclé, après il faudra choisir en fonction du caractère.
-Je vais te mettre en contact avec nos réseaux de recrutements…Tiens !
Il me lança une clé que j’attrapais.
-Prend donc du bon temps à coté. Elle sera peut-être plus sauvage après ton passage. Je vais faire le nécessaire pour avoir les infos.
Il sortit sans demander son reste me laissant devant un choix cornélien.
Au petit matin, ma route avait croisé celle de Pierrot. Ou était-ce lui qui s’était volontairement mis sur ma trajectoire ? Il attendait de pied ferme, adossé à un mur, les bras croisés, le visage grave. J’approchais de lui en suivant mon chemin. Il leva le menton et tendit le bras pour m’arrêter.
-Déjà debout ? Lui demandais-je.
-Et toi ?
-Je vais m’acheter quelques médecines pour me soulager.
-Tu es malade ?
-Pour mes cauchemars.
Il se redressa sous ma réponse. Il me relâcha instantanément et m’invita à partir.
-Alors à plus tard, fit-il en commençant à s’éloigner. Je m’interposais.
-Que voulais-tu me dire ?
-Rien.
-Bien sûr que si !
-Ce n’est pas bon pour toi.
-Soit tu en as déjà trop dit, soit pas assez.
Il soupira et ajouta :
-Ca concerne ton ancienne épreuve.
Sans doute voulait-il me faire renoncer en précisant de quoi il s’agissait.
-Eh bien ? Parle.
Il s’approcha et chuchota.
-C’est au sujet de la famille de Saint-Germain. Le chef a décidé de faire parvenir des rumeurs sur les jumelles disparues. Jusque là, les recherches étaient sans réponses. Aimar souhaitant les achever, il a fait répandre qu’elles sont mortes dans d’atroces souffrances par la Pléiade.
-Est-ce vrai ?
-Pour autant que je sache, l’une des deux est encore en vie. Dans quel état ? Seul Dieu le sait.
Lucretia de Saint-Germain, prisonnière de la Pléiade. Je ne l’avais su que quelques mois plus tard, grâce à Pierrot à qui j’avais confié mes hantises et qui avait recherché pour moi la famille de Saint-Germain.
-Et…
-Il y a autre chose ?
Il se racla la gorge, mal à l’aise.
-Le comte de Saint-Germain s’est suicidé. On a retrouvé son corps enfermé dans un bureau. Il s’est pendu.
J’étais ahurie. Je restais bouchée bée, le souffle coupé.
-Aimar fête sa victoire.
Bien entendu. Pierrot me jaugea du regard, sur le qui-vive.
-Merci de me l’avoir dit. A tout à l’heure.
Je le quittais, l’esprit perturbé. Je marchais à l’instinct dans les rues. M’éloignais-je de la rue de la Colombe, en étais-je proche ? Cette question me semblait futile. Je tournais au hasard et retomba sur le parvis de Notre-Dame. Finalement, je délaissais le monde extérieur et bruyant pour me recueillir dans le lieu saint. Il fallait que je me retrouve, que je réfléchisse. Que faire Seigneur ? J’étais esclave de la Pléiade, je ne pouvais m’en échapper. Mais ce clan pêchait dans sa quête honorable. Et cette fille…Son fantôme me pourchassait. Et Lucretia de Saint-Germain… Elle vivait et j’étais malgré moi coupable dans le mensonge. Il s’imposait à moi que je rassure la famille de nobles ou mes pensées me persécuteraient. Leur délivrance serait la mienne.
Je me dirigeais vers le postier. Dans la petite boutique, j’avisais un homme d’un certain âge, les cheveux blancs, le visage parcheminé, courbé. Je lui fis part de mon intention et il m’invita vers une petite table éclairée. Il sortit avec précaution son papier à lettre, son encre, sa plume abîmée mais le biseau affuté. Lorsque se fut terminé, il ne posa aucune question sur l’étrangeté de ma lettre, de mon destinataire et de ma volonté de rester anonyme. Je décidais enfin d’aller voir le guérisseur.
A la famille de Saint-Germain,
Mon cœur pleure avec vous la perte de votre bien-aimé patriarche.
Je ne puis, hélas, vous avouez mon nom ni où me trouver.
N’écoutez pas les murmures et gardez espoir car Lucretia est encore à Paris.
Pour ma sécurité, ne me cherchez pas. Répondez-moi à la Poste de Paris.
Le cachet de cire à l’emblème de votre famille me permettra de vous reconnaître.
Au revoir.
Je contemplais la porte en méditant sur la conduite à avoir. Aimar m’offrait son jouet…Lui qui était possessif ! Mon indécision était vraiment ridicule mais je ne pouvais m’empêcher de m’interroger. Etait-ce un piège ? Un test ? A quoi Lucretia ressemblait-elle à présent ? Comment avait elle vécu la perte de son enfant ? Son corps et son esprit avaient-ils été détruit ? Une inquiétude ancienne issue du passé me poussa à l’action. La clé glissa dans la serrure et la porte s’ouvrit sur la pénombre. Je refermais derrière moi et laissa mes yeux s’habituer à l’obscurité. La pièce ne comportait qu’une chaise, un grand matelas, un coffre en bois et des chaînes. Je m’approchais du lit où gisait sous les couvertures une forme inanimée. Je m’assis sur le matelas ce qui provoqua un cliquetis de chaînes. Intrigué je tournais la tête.
-Toi ! s’exclama Lucretia furieuse. Sale traître !
Elle se jeta sur moi mais les chaînes qui la retenaient l’empêchèrent de me faire le moindre mal. Aimar avait pris ses précautions. J’examinais cette étrangère dont les yeux jaunes haineux et les insultes me rappelaient celles de sa sœur. Elles étaient si semblables dans la haine que j’aurais cru voir Roxana. Je l’observais en silence. Son visage rouge de colère faisait contraste avec une fine cicatrice blanche qui courait le long de sa joue. Cette blessure de guerre avait été la vengeance d’Aimar lorsqu’elle avait tenté de lui trancher la gorge avec un éclat de vase. Ses cheveux avaient ternis sans doute à cause du manque d’hygiène et de produits de sa composition. Ses bras étaient eux aussi recouverts de marques. Aimar semblait avoir la main facile sur elle. Lucretia finit par se calmer et le silence s’installa entre nous tandis que nous nous fixions. Des souvenirs communs passèrent sous nos yeux et ma main s’avança vers sa cicatrice. La peau était lisse et froide et mes doigts ne purent que glisser le long, muent par une vieille habitude. Lucretia mordit mon doigt tel une bête enragée. La douleur inonda mon être tandis que le sang coulait. Mais c’était une bien moindre chose. Je lui laissais mon doigt pour l’enfoncer dans sa gorge tandis que je passais au dessus d’elle. Elle lâcha finalement prise à force de s’étouffer.
-Lucretia… l’appelais je d’un ton de reproche.
Elle se figea et je soupirais. Je n’allais pas la frapper tout de même !
-Soit une gentille fille.
Je lui grattais la tête et la libéra de ses chaînes. Elle se frotta les poignets et me regarda avec méfiance, prête à s’enfuir au moindre faux pas Je léchais mon doigt sans la quitter du regard afin d’arrêter l’hémorragie. Aimar la disait ennuyante mais elle n’avait rien perdu de son coté sauvage. Elle cherchait probablement à le faire enrager vu que c’était son seul moyen de vengeance.
-Je me vengerais, me dit-elle avec résolution.
-Dans ce cas laisse-moi-t’-y aider, lui dis-je. Fais-moi donc me languir de ton absence jusqu’à ce que je sois ton esclave si tu le peux.
Je l’embrassais et elle tenta de me mordre. Mais je connaissais mieux que quiconque ses points faibles que j’assiégeais sans pitié avec douceur. Aimar ne pensait qu’à posséder une femme et ne se satisfaisait que de son propre plaisir mais il était sot. Lucretia gémit comme autrefois ce qui fit s’embraser mes sens. Nous plongeâmes dans notre relation. Prisonniers du passé, nos corps se chevauchèrent l’un après l’autre dans une danse tantôt sensuelle, douce et sauvage. Lucretia aurait pu me tuer mais elle était bien trop noyée dans ses doux souvenirs et sensations que je m’efforçais de faire coller avec ceux du passé. Elle finit par s’assoupir et je restais un moment à ses cotés en songeant qu’il aurait été agréable d’avoir une telle femme si j’avais voulu accomplir mon mensonge de devenir le maitre de la Pléiade. Mais je ne pouvais m’imposer aux extrémistes toujours plus nombreux que seul Aimar savait gérer. Et puis, la Révolution était le seul moyen de faire bouger les choses et cela passait par l’exécution des nobles. La Noctule s’était depuis le début fourvoyée car elle ne versait qu’une goutte de paix dans un océan de malheurs. Je sortis du lit et me rhabillais. J’enchainais à nouveau Lucretia sans la réveiller et l’embrassa sur le front avant de sortir. J’avais une Noctule à détruire et rien ne m’en empêcherait.
Les couloirs étaient interminables tandis que je cherchais Aimar. Mais finalement se fut Mère ave son chemisier trop petit que je trouvais. Elle s’avança vers moi et me tendit un pli :
-La liste et l’adresse de nos orphelinats. Prends Caroline avec toi. Elle se fera passer pour ta femme. Des gens de bonnes situations cherchant un enfant à adopter.
-Très bien.
-Elle est dans ma chambre.
J’acquiesçais et partit à sa recherche. Je la trouvais au lieu dit, vêtue humblement. Elle m’adressa un sourire radieux et m’embrassa avec enthousiasme.
-Alors mon cher ami, allons nous avoir cet enfant ?
-Nous en aurons un. Un couple de marchands. Te faire passer pour une femme infertile ne devrais pas poser de problèmes.
-Tant que je suis ta femme je me moque du reste ! J’ai préparé une petite voiture.
Je la suivis et nous partîmes dans les rues de Paris par ce beau 12 mai.
Comme a l’accoutumée, ils se levèrent, je les lavais, ils mangèrent. L’air frais d’avril en avait enrhumé plus d’un. Pour les soulager, Béatrix avait concocté un mélange d’huiles essentielles : menthe poivrée, lavande, thym, girofle et cannelle de Ceylan diluées dans de l’eau. Comme souvent, mon cœur se serra en voyant la petite assemblée. Madeleine n’était plus là, tout comme Martin, Pierre, Léonide et Jean. Des enfants abandonnés, il y en avait chaque jour ; les rangs grossissaient toujours, alors que des départs, il y en avait peu. Les enfants arrivaient bien souvent jeunes, trop d’années s’écoulaient avant leur départ et l’orphelinat débordait. Alors des enfants disparaissaient, véritables marchandises d’un trafic secret. Qu’importent à qui ils étaient vendus, l’argent des gens de la charité ne suffisait pas pour entretenir tous les pensionnaires.
Dans un mouvement, je sentis le papier sur mon corps. Mon cœur battit la chamade. J’étais tombée des nues lorsqu’un des subordonnés du postier m’avait interpellé en repassant devant la boutique par hasard. Je n’aurais cru avoir une réponse. Le cachet caressait ma peau et chaque seconde, je craignais que l’enveloppe s’échappe, que quelqu’un la découvre à travers le tissu. Enfin, le soir arriva. Il me tardait d’aller dans la chambre !
Je traversais les couloirs lorsque je vis un fiacre entrer dans la cour. Une visite nocturne ? Un homme et une femme d’après leurs ombres. Je descendais les escaliers, quittait le bâtiment, luttais contre le froid, puis entra dans le bâtiment central. Tout était noir à l’exception d’une lumière provenant de la cuisine. Je longeais le mur et restais à distance. La vaisselle s’entrechoquait, les chaises raclaient au sol.
-Je vous sers du jambon ? Demanda la Mère supérieure.
-Oui ! Répondit une voix irritée et familière.
-Reste aimable, Emeline.
-Oh la paix, Cyan. On a trimé toute la journée sans succès. Aimar nous fera la peau si on n’a pas de gosse.
-On en trouvera un. On le volera s’il le faut.
-Si tu m’avais écouté, on aurait déjà fini. Le gamin de ce matin faisait l’affaire.
-Il ne correspondait pas du tout. Il avait au moins trois de plus.
-Et alors ? La garce y aurait vu son macchabé de frère grandit, c’est tout.
-Ne fais pas ta mule.
Elle lâcha un grognement rustre. C’étaient eux. Les membres les plus influents de la Pléiade. Ils prenaient refuge dans l’une de leur « propriété ». Pourquoi étaient-ils ici ? Que cherchaient-ils ? Je m’approchais encore et jeta un regard vers l’intérieur. Ils me tournaient le dos, la Mère supérieur les servait comme des rois. « Je pense avoir ce qu’il vous faut » Dit-elle. Elle sortit un instant et j’entendis sa voix donner un ordre en écho. Elle réapparut juste après. Ils étaient, juste là. Ils se goinfraient comme des porcs. La porte grinça et Béatrix entra. Elle tirait Barthélémy derrière elle. Mon Barthélémy. Mon cœur se serra. Emeline poussa un cri d’exclamation, de surprise mêlée de joie. Elle se jeta sur lui, le passa en revue, lui pinçait les joues, le jaugeait vulgairement. Je sentis un goût de rage en moi, l’envie de l’arracher de cet enfant. « Il est parfait ! ». Cyan hocha la tête en signe d’approbation. Je me sentis défaillir. Non ! Pas lui ! Pas mon Barthélémy. Egoïstement, j’aurais pu leur offrir n’importe qui mais pas lui. Le petit blond était apeuré, au bord des larmes ; les miennes coulaient déjà. On me crevait le cœur. Mue d’un désespoir, je courus à perte d’haleine jusqu’à ressortir dans la cour, faire le chemin inverse pour retourner aux dortoirs. Je cognais à la porte du quartier des garçons comme une forcenée. Grégoire ouvrit, le visage blanc et les yeux bouffis. A ma vue, il appela Pierrot. Malgré le froid, il avait accouru torse nu et je me jetais sur lui, en pleurs, n’alignant pas correctement deux mots. « Grâce, prend ton temps ». Prendre du temps ? Je n’en avais pas ! Au contraire, je le laissais filer. Ma colère ne me fit que bredouiller davantage. « Barthélémy ! » Crachais-je enfin distinctement.
-Quoi Barthélémy ? Répondit-il agacé.
-E…eux !...Ils…Ils veulent…
-Chut, dit-il doucement en me serrant contre lui. Tu ne peux rien faire. C’était à prévoir.
-No…Non !
J’étais effondrée. J’entendis le gravier crisser et les pas se rapprocher. Mes pleurs doublèrent. Personne ne nous interpella, on nous ignora. Dans l’ombre, peut être ne ressemblions nous qu’à un couple amoureux. Je tournais la tête juste assez pour jeter un regard mais pas assez pour être reconnue. Je voyais Barthélémy s’éloigner de moi, toutes mes pensées allaient vers lui. Comme unis par un lien, il se tourna vers moi. Il était bouleversé mais gardait le silence. Son regard suppliant m’acheva. Nous nous regardâmes aussi longtemps que nous le pûmes, dans de longs échanges muets mais lourds de sens. Portant ma main à la bouche, je lui envoyais un baiser lointain. On me l’arrachait. Mon petit être à moi. Le fiacre partit totalement. Aussitôt qu’il disparaissait de ma vue, je m’enfuis comme une voleuse. Je marchais presque en courant, ne prenant aucun soin à être discrète. Dans le dortoir, je me jetais sur ma couche. Je n’avais même plus à cœur de lire cette lettre. Je ressassais encore, encore et encore cette même scène. Les yeux bleus de Barthélémy, ses boucles blondes, les larmes sales sur ses joues, ses petites lèvres me mimant : maman.
Nous avions l’enfant ! Le plan pouvait enfin commencer. Mais avant tout nous devions le rassurer. Et ce n’était guère évident vu qu’il pleurait en criant « maman ». Un orphelin ne pouvait pas avoir de mère, c’était si stupide. Emeline s’énerva ce qui n’arrangeait pas les choses. A croire que les enfants étaient immunisés contre ses talents.
-Ca suffit laisse-le ! Lui ordonnais-je.
-Pourquoi lui ? L’autre était tout aussi bien et moins chiant ! C’est une vraie lavette !
-Emeline il ne t’appartient pas de décider. Laisse-le ou je vais me fâcher.
-Mais Cyan…
-Silence !
Elle sursauta tout autant que le gosse. Je regardais ce dernier qui se recroquevilla avant de soupirer. Qu’est ce que j’allais faire de cet élément récalcitrant… Il me fallait déjà canaliser sa peur et pour cela je devais d’abord me débarrasser d’Emeline. Le charriot s’arrêta à destination et j’ouvris la porte et la tint. Emeline descendit en rabrouant le gosse :
-Allez descend donc ! Descend je te dis !
Elle l’attrapa par le bras et le tira dehors, ne récoltant que des cris.
-Emeline lâche-le, tu aggraves les choses.
-Il doit apprendre à obéir ! Regarde donc moi ça ! On dirait un noble avec ses petits caprices.
-Emeline tu devrais retourner voir Mère. Je m’occupe de lui.
Elle ouvrit la bouche mais je l’arrêtais d’un regard qui n’admettait plus aucune réplique. Elle s’empourpra et disparut. J’attendis un moment avant de me tourner vers le môme :
-Viens mon garçon, tu dois être fatigué. Je vais te montrer ton lit.
-Je veux maman.
-Je t’en trouverais une en attendant. Tu rentreras chez toi.
-Pas la vilaine dame.
-Vilaine…
Je me retins de rire. Emeline était vilaine. Elle qu’on disait magnifique ! Mais je ne pouvais qu’être d’accord avec lui. C’était une pomme empoisonnée. Je lui tendis la main :
-Viens. Il fait noir et qui sait quelles vilaines personnes ou créatures se tapissent dans le noir.
Il frissonna mais accepta ma main. Je le conduisis dans la chambre où je lui laissais le lit et m’installais devant mon bureau. Je pouvais à présent mettre en place le plan.
Je m’étais réjouit trop vite. Le gosse n’était pas coopératif mais je me gardais bien de le dire à Aimar. J’avais essayé de lui trouver une « maman » mais aucune ne semblait lui aller. Il ne restait plus qu’une seule possibilité avant de devoir le laisser aux mains peu scrupuleuses d’Aimar.
-Je vais te présenter quelqu’un, lui dis-je.
Il me suivit sans dire un mot. Je le conduisis là où je ne souhaitais que fuir. Je frappais à la porte et Aimar ouvrit.
-Bonjour Cyan. Voilà notre petit lapin. J’ai préparé ce que tu m’as demandé j’espère que cela sera payant. J’ai à faire pour le moment mais tu sais où elle se trouve.
J’acquiesçais et il sortit. J’entrainais le lapin vers l’antre du chat. Pour le coup, la pièce avait été aménagée et les chaines avaient disparues. Lucretia attendait assis sur une chaise, un livre à la main. Qu’est-ce qui avait bien pu la faire changer d’avis ? Lorsqu’elle nous vit, elle se leva en souriant. Au gosse, pas à moi et j’en eu un certain malaise vu qu’elle m’ignora.
-Bonjour jeune homme. Je suis Lucretia. J’espère qu’ils n’ont pas été trop méchant avec vous ?
Elle lui caressa affectueusement les cheveux et il sembla se détendre. Le gamin acquiesça. Il n’y avait rien de mieux que la douceur et la sincérité d’une mère. Je quittais la pièce en prenant soin de fermer derrière moi. Il ne restait plus qu’à attendre.
Long, vraiment long. Que faisaient-ils donc !? J’ouvris la porte doucement. Lucretia fredonnait une chanson tandis que le petit s’endormait. Je fermais discrètement la porte.
-Comment va-t-il ? Lui demandais-je.
-Il a très peur et ne jure que par sa mère.
-Aimar va se charger de lui si tu n’arrives pas à l’amadouer.
-Grâce Blanchard.
-Pardon ?
-C’est le nom de sa mère. C’est une personne de l’orphelinat.
-D’accord. Je m’occupe du reste, finis-je en me levant et en partant.
-Cyan, me rappela-t-elle. Cet enfant… Ne t’évoque-t-il aucune culpabilité ?
-Je ne vois pas de quoi tu parles.
Je partis en fermant derrière moi. Culpabilité ? Enlever un orphelin ne me faisait rien. Alors pourquoi demandait-elle cela ? Pensait-elle encore à celui qu’elle avait perdu ? Je n’avais rien demandé de ce coté là. C’était juste une erreur. Oui une erreur de ma chair et de mon sang… Peut être que oui je ressentais de la culpabilité d’être aussi soulagé de ne pas avoir une attache supplémentaire. Mais l’heure n’était pas aux états d’âmes ! Je trouvais Aimar dans le couloir.
-Il faut trouver Grâce Blanchard sinon le gosse ne fera rien, lui dis-je.
-Grâce !?
-Tu la connais ?
-Bien sûr. Elle est celle qui a défiguré Roxana pour moi. Va donc la chercher. Je suis sûr qu’elle fera ce qu’on lui dit.
J’acquiesçai et entra dans la pièce avec Aimar. Ce dernier resta dans le salon tandis que j’allais dans la chambre. Si Lucretia l’apprenait, la mission était vouée à l’échec car elle se vengerait sur Grâce.
-Lucretia, l’appelais-je. Viens nous allons chercher sa mère.
-Pourquoi moi ? demanda-t-elle soupçonneuse.
-Prend le gosse avec toi. Nous partons pour une maison plus commode. Aimar n’est pas d’humeur.
Elle acquiesça et prit le petit dans ses bras avant de me suivre. Elle pouvait fuir ou me tuer à tout moment mais la présence de l’enfant et ma vigilance l’en empêchaient aussi sûrement que des chaînes. C’est dans une carriole que nous disparurent tous encapuchonnés dans la nuit.
Hôtel d’Evreux, 17 Mai 1861.
A la personne ayant écrit à la famille de Saint-germain,
Je ne sais comment accueillir votre lettre. Tous ces mystères entourant votre missive renforce mon inquiétude et ma méfiance. Pourquoi ne pas dire qui vous êtes ? Comment avoir foi en vos dires ? Quelle preuve y a-t-il que l’espoir dont vous nous parlez n’est pas une illusion pour achever nos cœurs ?
Je ne sais que faire face à cela. Mais je ne puis ignorer votre présence.
Voici quelques pièces pour vous permettre de continuer de m’écrire.
Il me tarde d’en apprendre plus.
Edouard F. De Gurvan, précepteur des enfants de feu Monsieur le Comte de Saint-Germain.
Paris, 18 Mai 1861.
Monsieur,
Je comprends votre étonnement et votre méfiance à mon égard.
Sachez que je mets à chaque instant ma vie en péril en vous écrivant de la sorte. Ce que je vous ai dit n’est pas pure invention et Lucretia de Saint-Germain est bel et bien en vie. Si je le sais, c’est parce que je côtoie de près –contre mon gré, croyez m’en bien- cette société que l’on nomme la Pléiade.
Je prie Dieu chaque jour pour que vous récupériez cette damoiselle rapidement.
Inconnue.
Hôtel d’Evreux, 19 Mai 1861.
Madame,
Ce que je vous m’écrivez m’effraie au plus haut point. Vous êtes proche de la Pléiade alors comment vous faire confiance ? Croire que vous prenez des risques à m’avouer la vérité est-elle une preuve suffisante ? Je n’y vois, moi, qu’un piège pour m’attirer dans l’antre de la Pléiade.
Laissez cette famille faire son deuil en paix.
Edouard F. De Gurvan.
Paris, 22 Mai 1861.
Monsieur,
Votre dernière lettre m’a longuement laissé perplexe.
Il est vrai que je n’ai aucune preuve à vous apporter si ce n’est ma sincérité la plus profonde. En guise de bonne foi, je n’ai d’autre idée que de vous expliquer ma situation. Il plaira alors à Dieu de faire que vous croyez en mes paroles.
Pour des raisons qui sont les miennes, j’ai dû accepter d’entrer dans la Pléiade. De mes propres yeux, j’ai vu Aimar Rémi ôter la vie de Roxana de Saint-Germain. Depuis ce jour, elle hante mes pensées à chaque instant. Alors je crois n’avoir d’autres choix que de l’aider à apaiser la douleur de sa famille. Il y a peu, j’ai découvert que sa sœur était aussi prisonnière du clan. Je n’ai d’autres vœux que de vous aider à la sauver, Monsieur.
C’est cette trahison qui pourrait me coûter la vie si l’on venait à me découvrir.
Persécutée par mon péché, c’est auprès d’un prêtre que j’ai trouvé refuge. C’est lui qui écrit sur cette feuille ces mots que j’aimerai tant pouvoir vous dire directement. Et c’est sous la bénédiction de Dieu que nous plaçons nos vies.
Voici mon message ab imo pectore.
Inconnue.
Hôtel d’Evreux, 23 Mai 1861.
Madame,
Je crois en vos paroles.
Dites-moi ce que nous devons faire pour sauver Lucretia de Saint-Germain.
Edouard F. De Gurvan.
Mon cœur battait à tout rompre. J’étais tellement angoissée qu’il me semblait que je respirais plus bruyamment qu’un chien. Tapie sous une fenêtre de l’orphelinat, j’entendais les voix de l’ennemi. Il était revenu, celui qui m’avait pris mon Barthélémy. Mais il n’était pas seul. Elle était là. Lucretia de Saint-Germain. Elle tenait dans ses bras Barthélémy, je l’avais vu. En plus d’être effrayée, j’étais frustrée. Ils étaient si proches, les deux personnes qu’il fallait que je sauve. Et pourtant, je ne pouvais rien faire. Il y avait des hommes de la Pléiade avec eux et Cyan, le bras droit d’Aimar. Tout bas, beaucoup des révolutionnaires disaient que c’était lui le véritable chef, celui à craindre, celui qui prendrait un jour le pouvoir et les mènerait sur le champ de bataille. Qu’aurais-je pu faire contre eux ? Pourquoi étaient-ils ici ? Avait-on découvert ma traîtrise ?
« Installez-vous, la Mère supérieure va venir, déclara la voix tremblotante de Béatrix.
-Inutile. On n’a pas besoin de la voir. Amenez-nous Grâce Blanchard.
-Grâce ? Lâcha-t-elle d’un ton surpris.
-Allez, vite !
J’entendis le froissement des vêtements et les pas précipités. Mon corps menaçait de défaillir. Je plaquais mes mains sur ma bouche pour respirer avec moins de bruit. Ainsi donc, j’avais été découverte. J’entendis des voix crier mon nom, plus ou moins loin. Je m’éloignais de la fenêtre et partit en courant. Les coups de ceinture de la Mère Supérieure dans mon dos me lancinaient. Dans l’église, je me signais rapidement et cherchais le Père Geoffroy. « Mon Père, soufflais-je, ils sont venus à l’orphelinat ! Ils me cherchaient ! Barthélémy et la noble étaient avec eux. Je ne savais pas quoi faire… ».
-Venez, me dit-il.
Il me fit descendre dans la crypte et referma la porte. Le froid me revigora. Je lui expliquais plus calmement ce que j’avais vu et entendu. Il m’assura qu’il me garderait en sécurité autant qu’il le faudrait. Quand il partit, un torrent de larmes m’inonda. Je me retrouvais seule et démunie. Comment aider la famille de Saint-Germain en étant pourchassée ? Comment rassurer Béatrix et Pierrot ? Comment récupérer Barthélémy ?
Grâce Blanchard… Un autre problème. Mes hommes la cherchaient actuellement mais elle semblait absente. Il fallait croire que le monde était contre moi ces temps ci. Où avait-elle pu bien aller !?
-Savez vous où elle aurait pu aller ? Demandais-je à la Mère supérieure.
-Non je ne vois pas…
-Un amant ?
-Pas que je sache.
-Hmmm. De qui était-elle proche ?
-Barthélémy, Béatrix et Pierrot.
-Puis je les rencontrer ?
-Je suis Beatrix, dit d’une voix tremblante la femme qui nous avait accueillit.
-Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal chez Mlle Blanchard ?
-Non à part quelques cauchemars récurrents.
-Quels genres de cauchemars ? demanda Lucretia.
-Lucretia retourne dans la voiture avec Bart. Escortez là.
Deux de mes hommes l’encadrèrent. Je n’avais pas de temps à perdre.
-Si jamais Mlle Blanchard revenait, elle pourra nous trouver à cette adresse. Nous allons avoir besoin de son concours. Sur ce, veuillez excusez cette visite impromptue.
-Oh mais c’est un plaisir de vous recevoir, s’exclama la Mère Supérieure en s’inclinant.
Cette vieille sorcière… Elle était si différente de sœur Mathilde et sa ceinture avait l’air fort usé pour juste être porté. Je la saluais et regagna le carrosse. J’ordonnais à mes hommes de chercher dans les apothèques et les églises du coin avant de regagner la maison avec Lucretia et le gamin afin d’établir un plan de secours.
-Où étiez-vous ? Hurla la Mère Supérieure en abattant son ceinturon pour la sixième fois.
Mes jambes se recroquevillèrent mécaniquement sous la douleur. Pour la sixième fois, je répétais que j’étais désolée d’être sortie sans prévenir. Je ne pouvais clairement pas dire que j’avais créché à l’église toute la nuit mais aucune excuse ne mettait venue à l’esprit et j’en payais cher le prix.
-Qui voyez-vous en cachette ?
J’en sentais qu’elle ne fatiguerait pas de sitôt. Aussi était-il préférable d’aller dans son sens.
-C’est le postier, mentis-je.
-Sale pécheresse ! Enfant du diable !
Elle se défoula une ou deux fois et me laissa enfin tranquille. Je me laissais aller sur le sol ; mes jambes me lancinaient et je n’étais capable d’aucun mouvement. J’aurais pu rester toute la journée allongée dans le débarras mais Jeanne vint me voir, jaugea l’état de mes jambes et somma Grégoire de me porter jusque dans le dortoir. Elle m’appliqua un onguent qui empestait et me banda avec un tissu crasseux récupéré on ne sait où.
-Désolé, fit-elle, je fais avec ce que j’ai.
-Je te remercie. Je ne vais pas faire la fine bouche.
Je grimaçais, cela piquais fortement.
-Où est Pierrot ? Il n’a pas eu de torts ?
-Il n’est pas là. Parti hier avec quelques garçons, un chantier à Vincennes.
Parti ? Je me retrouvais vraiment seule cette fois.
-Tu aurais du nous avertir que tu allais le voir, on t’aurait couverte.
Si seulement c’était aussi simple.
-Ils ont laissé une adresse pour toi. Ils veulent que tu ailles les voir.
-Pourquoi ? Demandais-je, inquiète.
-Ils n’arrivent pas à calmer Barthélémy.
C’était tout ? Ils étaient là pour cela ? Ils ne savaient pas que je trahissais l’ordre qui m’avait épargné ?
-Qu’ils aillent se faire foutre ! Si Barthélémy ne leur convient pas, qu’ils me le rendent ! Qui sait ce qu’ils veulent faire de lui ?
-Ne parle pas si fort ! On pourrait avoir de gros problèmes ! Ne joues pas à la plus maligne avec eux où on te retrouvera morte dans le caniveau.
Elle n’avait pas tort. La porte s’ouvrit à toute volée. Mon cœur se figea de terreur. Jeanne blanchit et nous nous regardâmes.
-Dehors, ordonna Aimar, le visage sinistre et sa carrure imposante nous surplombant.
Jeanne ne se fit pas prier. Il referma la porte d’un claquement sec, se jeta sur moi et m’attrapa au col. Il me releva de force mais mes jambes ne tenaient pas et je glissais à nouveau sur le sol. Alors il m’agrippa et me tint fermement contre le mur. Ses doigts se resserrèrent sur mon cou et je suffoquais.
-Où étais-tu ?
-J’étais sorti sans permission voir le…
-Pas de ça avec moi ! Hurla-t-il en m’étranglant un peu plus. Ou j’achève ta vie comme j’aurais déjà du l’avoir fait.
-Je… Je m’étais cachée…
-Pourquoi ?!
-Elle était l…là. Vous m’…avez ordonné de…ne plus…ap-p-prochez quiconque de cette fam…famille, haletais-je.
Il relâcha vaguement son étreinte.
-Tu voudrais me faire croire que c’est par obéissance que tu as déserté ta niche ?
-Je le jure.
Il colla son visage tout près du mien, mes yeux voyaient flou tant il était proche et son haleine emplissait l’air que j’avais du mal à respirer.
-Tu ne vis que parce que je l’ai toléré. Ne l’oublie jamais. Chaque minute de ton existence est un don du ciel de ma part. Tu devrais être en train de brûler en enfer comme le reste de ta famille.
J’acquiesçais docilement.
-Quoi qu’il advienne, ne t’approche jamais plus de la famille de Saint-Germain ou quiconque en lien avec eux. Occupe-toi seulement d’élever mes futurs subordonnés ici.
-Oui.
-Quand à l’enfant blond, comment fait-on pour l’amadouer ?
-Il y un objet qu’il aime particulièrement. Une sorte de gri-gri. Je ne vois pas d’autres possibilités autrement.
-Amène-le.
Il s’écarta pour me laisser partir chercher l’objet. Une fraction de seconde, je songeais que c’était idéal pour m’enfuir. Mais c’eut été une folie. Je n’eus pas besoin de partir, l’objet était dans la poche de mon tablier. Je sortis un bout de ruban qui était à moi autrefois et qui portais une odeur agréable de peau et de parfum. Aimar jeta un regard dédaigneux sur l’objet minable. Il l’empocha et partit sans un mot. Je sombrais sur le sol.