L'alchimie des sentiments_Partie 2 chapitre 15

plume-scientifique

CHAPITRE 15

Lorsque je me réveillais, c’était pleine d’une certitude. Je l’aimais.

Jusqu’alors, je ne m’en étais jamais aperçue. Il avait été pourtant si proche de moi mais l’idée ne m’avait jamais effleuré. Il fallait que se soit maintenant, lorsque tout m’avait été arraché, que j’étais désormais seule, que je me rendais compte du manque que j’éprouvais. Il avait toujours été là, il avait partagé mon secret, mes frayeurs profondes. Et moi, je n’avais jamais entendu mon cœur. Je n’avais jamais entendu le sien. Ni écouté ses gestes. Etait-il trop tard ? Restait-il un espoir ? Devant moi se profilait un avenir sombre, une confrontation avec la Pléiade, ma conviction d’aider Lucretia, de sauver Barthélémy.

Barthélémy.

Mon tout petit. Pourrais-je un jour te tenir dans mes bras ? Je n’étais pas mère mais il me semblait qu’on m’avait arraché mes entrailles.

Je l’aspergeais la figure. Il fallait me ressaisir. Mais j’étais confronté à un terrible problème : comment les aider ? Je n’avais pas le moindre plan. Et Monsieur de Gurvan qui attendait mes consignes ! Dans quel désastre nous avais-je tous entrainé ?

La nouvelle de l’absence de Grâce avait mis Aimar dans tous ses états. Il était parti, furibond, puis revenu en me jetant dédaigneusement un vieux morceau de tissus en crachant :

-Si ça marche pas, je dresse le gosse et je tue cette putain !

Il avait alors saisi Lucretia avec force et s’était barricadé dans sa chambre. Malheureusement, je n’avais pas déguerpi assez vite pour ne pas entendre ses cris de douleur. Sur le chemin du retour, je croisais Mère pensive qui me jeta un regard en biais :

-Où est Aimar ?

-Il passe ses nerfs sur son jouet.

Elle repartit en marmonnant « stupide enfant ». Je regagnais l’endroit où j’avais laissé Bart, ma chambre. Quelqu’un s’exclama :

-Surprise !! N’est elle pas de la plus belle facture qui soit ?

Emeline était vêtue d’une magnifique robe et présentait son visage de Mme Caroline d’Eymet.

-Ces nobles sont si corruptibles devant mon charme. Ca me donne envie de souiller toute cette splendeur factice. Cyan, roucoula-t-elle. Viens jouer sous la soie.

-Ou est Bart ?

-Laisse donc le gamin. Cyan je te veux depuis toujours.

-Emeline !? Qu’as-tu fait de Bart ?

-Il est à coté. Cyan attend !

Je partis et ouvrit la porte. Bart était en larmes et ses joues étaient rouges de gifles.

-Emeline…

-Il n’a pas voulu m’écouter ! C’est un vilain garçon, il faut qu’il apprenne à bien se comporter.

-Dehors !

-Cyan…

-Dehors !

-Cyan…Ce n’est qu’un gosse. Tu ne l’aimes pas plus que moi ?

-J’ai dis dehors ! Et que je ne te revoie plus ici !

Je la pris par le bras et la jeta dehors avant de fermer la porte.

-Cyan ! Cyan ! Je t’en supplie pardonne-moi ! Je ne pensais pas à mal Cyan !

Qu’elle continue donc à se jeter sur la porte, à crier et à la griffer de ses ongles jusqu’au sang ! Je filais vers la bassine et m’aspergeais d’eau afin de me calmer. La violence et la méchanceté gratuite…Tel était Emeline et Aimar. Je retournais auprès d’un Bart tremblotant et en larmes.

-Ne pleurs plus Bart. Tiens, ta maman a laissé ça pour toi.

Je lui tendis le ruban qu’il porta à son visage ce qui eut le don de le calmer. Toutes ces péripéties pour un vulgaire bout de tissu… Au moins allait-il écouter à présent. Je m’agenouillais face à lui :

-Bart, j’ai besoin de ton aide pour quelque chose. Lorsque se sera fait tu pourras retourner avec ta maman pour toujours.

-C’est vrai !!?

-Oui.

-Je dois faire quoi !?

-Errer dans les rues que je t’indiquerais comme un orphelin. Lorsqu’une belle et gentille dame blonde viendra te voir tu devras la ramener, lui dire que tu es perdu et lui demander de te ramener chez toi. Tu as juste à l’amener à l’adresse que je t’indiquerais.

-Tout seul dehors…

-Oui mais rassures-toi tu ne passeras que 6 jours dehors et un à la maison.

-La dame chat sera là aussi ?

-Je serais là.

-Hmmm…

Il semblait être réticent à présent.

-Je peux faire en sorte qu’elle s’occupe de toi si tu veux.

-D’accord ! Je ferais.

Le pion était fin prêt et le plan pouvait commencer.

Un mois s’était écoulé. J’avais réussi à convaincre Aimar de me laisser Lucretia durant l’opération ce qui m’avait valut sa colère et celle d’Emeline. Ces deux derniers devenaient vraiment pénibles avec leur nombril et ne pensaient qu’à leur intérêt personnel. Même les hommes commençaient à bouger en silence. Mais je ne m’intéressais pas à leur stérile soif de pouvoir. J’étais plus préoccupé par l’attention déclinante de Bart. J’avais donc invité Grâce à venir nous visiter. Elle arriva en milieu d’après-midi visiblement sur ses gardes. Lucretia servit le thé et je fixais ma tasse. Je la lui tendis.

-Tu n’as pas soif ? me demanda-t-elle.

-Bois d’abord. Tu ne t’es pas encore venger de ma personne ma chère meilleure empoisonneuse de France.

-Tu seras le dernier ne t’en fais pas.

Elle but dans ma tasse et me la rendit sous les yeux éberlués de Grâce. Une fois le thé finit je me levais et me déguisais en mendiant.

-Où allez-vous ? me demanda Grâce.

-Chercher Bart, fut ma seule réponse alors que je laissais la maison aux deux femmes, moi, la seule personne sachant où il se trouvait.

Je refermais la lettre de Monsieur de Gurvan et la rangea soigneusement avec les autres dans un trou du débarras. C’était presque devenu vital que je lui écrive. Etrangement, cela me soulageait plus que de parler avec Pierrot. Peut-être parce que nous partagions cette affaire tous les deux et que chacun pouvait comprendre les sentiments de l’autre. Je lui avais expliqué mes terreurs nocturnes, le travail de ma conscience. Il m’avait parlé de l’atmosphère lourde à l’Hôtel d’Evreux, du mal-être des garçons de la famille dévastée, de son combat à essayer de les garder dans le droit chemin tout en combattant son propre désespoir. Je lui avais avoué mon impuissance et mon ignorance sur comment aider Lucretia et chacun tentions de trouver un stratagème.

J’avais été très soulagée lorsque Pierrot était enfin revenu, que j’avais retrouvé ses bras, sa peau, sa voix. Je ne voulais plus qu’il me laisse seule rien qu’un jour et ma joie avait été telle que l’avais laissé m’entrainer dans des eaux inconnues. Ce ne fut pas idyllique et même passablement douloureux mais avec le temps, je m’étais habituée. « C’est l’excitation. » avait justifié Béatrix. Les jours s’écoulaient et bien que l’on tenta de m’en éloigner, mes pensées allaient toujours vers Barthélémy. C’était plus fort que moi, durant quelques instants, il m’arrivait de sombrer si profondément que quiconque avait abandonné de m’en extirper et attendait patiemment que je revienne à la surface. Je n’osais plus aborder le sujet avec Pierrot tant il me semblait qu’il ne pouvait plus en supporter un seul mot. J’en étais terriblement frustrée et rancunière. « Parfois je me dis que tu aimes bien plus ce gamin que moi » M’avait-il reproché un jour. Hélas, lui dire le contraire m’avait semblé être un ignoble mensonge. Aussi m’étais-je tue. Et ce silence avait un caractère d’aveux.

Pierrot ne méritait pas le sort que je lui réservais mais je ne méritais pas le mien non plus. Pourquoi ? Pourquoi Barthélémy m’était-il plus cher que lui ? Pourquoi ne me sentais-je pas libre de m’exprimer auprès de lui ? Il était presque affligeant que je sois capable d’en parler avec cet étranger de Monsieur de Gurvan plutôt qu’avec l’homme qui partageait ma vie. Malgré lui, peu à peu Barthélémy avait crée un mur entre Pierrot et moi. J’en étais la seule fautive, il est vrai.

« Barthélémy vit auprès de d’autres gens, m’avait sermonné Jeanne. Il n’est plus là et ne le sera jamais plus. Pierrot est bel et bien là, lui. Accroche-toi aux personnes présentes, pas aux souvenirs. ». Je m’étais défendue d’un tel reproche mais elle avait répliqué férocement. Je trouvais sa pensée injuste et froide, elle me trouvait étrange et ne comprenais pas mon attachement. La querelle avait pris d’énormes proportions et nos cris avaient fusés dans le réfectoire. Je m’étais sentie le dos au mur et ne voulant pas subir la faute, je m’étais justifiée en avouant mon passé, en expliquant toute ma vie, toutes mes souffrances, allant même jusqu’à parler de ma complicité de meurtre. Lorsque mon flot de paroles avait été à sec, j’avais aussitôt regretté mon action. Je n’avais pas le droit de raconter ce que j’avais vécu à la Pléiade, au risque que l’on me fasse taire définitivement. Jeanne était une fille bien mais cela ne signifiait pas qu’elle me couvrirait.

Durant deux jours, nous nous étions évité soigneusement. Puis finalement, elle m’avait adressé la parole à l’abri des autres.

« Ecoute, j’ai bien réfléchi. Pour moi, tu es et tu resteras Grâce Blanchard, la jeune fille admirable qui s’est dévoué à aider les enfants, à leur offrir un sourire dans la souffrance, à leur faire voir un peu de bonheur dans leurs vies sombres.

-Merci Jeanne. Je n’aurais pas supporté que l’on se fâche ainsi.

-Un jour, tu m’as aidé dans une épreuve difficile où bien des gens m’auraient méprisé et humiliée à la face du monde.

C’est vrai. C’était à mes tous débuts ici, je l’avais complètement oublié. Par mégarde, j’avais entendu qu’elle s’était fait engrosser. Mais garder un enfant était impossible. Malgré toute sa réticence, elle avait du prendre le risque de me faire confiance. Je n’aurais jamais eu l’intention de la dénoncer surtout qu’elle avait commis un acte de péché en faisant faire tuer l’enfant. Si j’avais parlé, elle aurait pu être mise à mort. Mais l’idée ne m’était jamais venue, je l’avais soutenue autant que je le pouvais et depuis lors nous étions liées.

-C’était bien normal. Je t’ai déjà dit de ne pas te sentir redevable.

-Mais je le suis. A mon tour, je vais t’aider.

-M’aider ? Non ! Jamais je ne te demanderai pareille chose.

-Si un jour tu as besoin, je serai là.

Trois semaines plus tard, une lettre inquiétante m’étais parvenue. Le symbole de la Pléiade était sur le dos de l’enveloppe. Cyan me sommais de venir pour participer à leur plan.

Ne t’approche jamais plus de la famille de Saint-Germain.

Qu’Aimar se rassure, je n’en avais pas non plus l’intention. Mais que faire ? Je ne pouvais pas désobéir à cet appel. Peut-être était-ce là une chance inouïe de récupérer Barthélémy. Immédiatement, je pensais à Monsieur de Gurvan. Mais je ne pouvais le prévenir, jamais il n’aurait eu ma lettre avant le lendemain. Et pourtant, il me fallait son avis. J’avais beau lutter contre ce problème, il n’y avait qu’une seule solution : que je le rencontre.

« Voilà, me dit Béatrix quelques heures plus tard, il n’y a pas mieux dans tout Paris aujourd’hui. Prends-en soin ou nous aurons que gros ennuis ». Par chance, l’une des sœurs de Béatrix travaillait comme lavandière au bord de la Seine. Si les lavandières promettaient aux clients de ne jamais utiliser le linge qu’elles lavaient, en réalité, il en était autrement. Béatrix m’habilla d’un jupon presque blanc et sans accros, de bas modestes, d’un corset qui tenait encore le choc, d’une jupe et d’un chemisier assortis et plutôt bourgeois. J’avais une bien belle allure ! « Laisse-moi arranger tes cheveux, ils sont épouvantables ! ». Elle dompta ma chevelure noire et laissée à l’état sauvage en une coiffure sobre mais soignée. Etrangement, je rougis de me sentir si jolie. « On dirait une princesse allant à un rendez-vous galant, fit-elle. Si Pierrot te voit comme ça, il ne te laissera pas porter ton jupon bien longtemps ». Pierrot…Je ne songeais même plus à lui. J’avais été si désagréable avec lui que je n’osais m’en détacher bien que mon cœur ne batte plus pour lui. « Grâce…Ne te fais pas de doux rêves. Dès lors que cette histoire sera finie, ton noble ne se rappellera même plus ton existence.

-De quoi tu parles ?

-Ne fais pas comme si.

-Qu’est-ce que tu insinues ?

-Les belles lettres, les mystères, ce sont des choses pour les riches. On ne mélange pas les bien-nés et les misérables. Tu n’es rien pour ton précepteur sinon une source d’informations.

Je ne répondis pas. Je n’avais rien à dire. Elle prit mes joues dans sa main et tourna d’un coup sec pour que l’on se regarde dans les yeux.

-Ne le laisse pas te faire faire n’importe quoi. On sait comment ils sont. Reste lucide et digne.

A l’Hôtel d’Evreux, j’avais perdu tout courage et mon esprit répétait en boucle : « vas-t-en ! Vas-t-en ! ». Mes pieds avancèrent jusqu’à l’entrée des domestiques. Par prudence, je tirais un peu plus sur le voile noir du deuil me permettant de cacher mon visage. « Vous cherchez, m’dame ?

-Je souhaiterai voir Edouard de Gurvan, dis-je.

-Qui c’est qui le demande ? On n’entre pas ici comme dans un moulin.

-Dites simplement que je suis la « dame aux lettres ».

Il me jaugea d’un air critique et s’en alla. Le soir tombait, les rues se vidaient et la porte était close devant moi. Et s’il ne revenait pas ? Combien de temps attendrais-je avant d’accepter de partir ? Les rues n’allaient pas devenir sûres et je jetais des brefs coups d’œil alertes derrière moi. Je me sentais ridicule d’attendre devant cette porte inlassablement close. Peut-être même riait-on de moi à l’intérieur. Finalement, une bonne femme apparut dans l’embrasure de la porte. « Entrez.

-Merci, répondis-je pleine de soulagement.

-Hep ! M’arrêta-t-elle. Elle me tendit la main pour la quête. Pour la commission, ajouta-t-elle.

Redevenue irritée, je lui cédais les malheureuses pièces qu’il me restait. Elle me fit un regard ingrat signifiant : « Radine de bourgeoise ». Je pénétrais dans les lieux somptueux.

Quand la porte du salon s’ouvrit, des sentiments contradictoires m’assaillirent : peur, excitation, curiosité, intimidation. Edouard de Gurvan attendait patiemment dans un fauteuil, les jambes croisées, le menton dans la main. La richesse du lieu et de sa tenue m’éblouirent, sa perruque grise impeccablement coiffées en queue de cheval ridiculisait mes cheveux ternes. Je sortis un mouchoir- ma foi bien ancien-pour me masquer la bouche et parler d’une voix étouffée.

-Mon nom est Grâce Blanchard.

-Vingt-six lettres sans jamais pouvoir avoir le moindre indice de vous. Et voici que vous me donnez votre identité avant même que je vous adresse un mot.

-Je ne pouvais prendre le moindre risque dans une lettre.

-Vous en avez pourtant pris beaucoup. Malgré cela, vous n’osez vous montrer.

-Un patronyme est toujours plus aisé à changer qu’un visage.

-Certes. Installez-vous.

J’obéis tout en prenant le siège le plus éloigné possible.

-Pourquoi oser venir me rencontrer maintenant ?

-La Pléiade m’a convoqué. Je dois les aider dans leur plan. Je présume que Lucretia et Barthélemy seront présents.

-C’est une occasion propice et malgré cela, nous n’avons aucun stratagème, aucune aide.

Il regarda dans le vague. Je baissais la tête honteusement. Je lui avais fait voir de belles promesses, un avenir plus beau, une libération pleine de succès alors qu’en réalité, il n’y avait rien.

-Je suis désolée…

-Pourquoi ? Répliqua-t-il en se tournant vers moi.

-Je…J’ai semé tellement d’ennuis. Si seulement… Si seulement je pouvais les aider. Si je pouvais être auprès d’eux. Si je pouvais échanger ma place. Si je pouvais…

Les mots s’étranglèrent dans ma gorge. Quelle fille stupide ! Quelle fille faible ! A force de n’avoir eu personne à qui dire de vive voix ma détresse, elle se déversait comme une marée devant cet homme. J’étais honteuse.

-Je vous pris de m’excuser.

J’essuyais rapidement mes yeux avec mon mouchoir.

Pendant plusieurs heures, nous cherchâmes une idée, un plan. Plus nous conversions, plus les pensées devenaient claires et les problèmes se résolvaient. Enfin, nous avions aboutit à un résultat. La nuit était bien entamée et il proposa d’appeler un fiacre à ses frais, ce que j’acceptais volontiers. A dire vrai, j’éprouvais un pincement à le quitter. Tandis que j’attendais à la porte, il récupéra sa redingote sur le dossier du fauteuil ainsi que le mouchoir sur la table. Je le remerciais mais sa main ne me lâcha pas. Malgré le voile noir devant moi, je vis ses yeux ténébreux me transpercer, me sonder, comme s’il venait de réaliser que c’était bien moi, la fille à qui il écrivait chaque jour. Sans même réagir, je l’avais vu soulever ce mur de tissu entre nous deux et ce fut comme si nous nous rencontrions pour la première fois. Je vis la stupeur sur son visage mêlée d’un sourire imperceptible. Moi qui ne supportais les avances de Pierrot, je sentis mon corps entier brûler d’un désir que je ne connaissais pas. Alors je l’embrassais de tout mon soûl sans prendre conscience de cet acte. Et c’est avec délice que je m’abandonnais entièrement.

Le froid sur ma peau me réveilla et je cherchais à tâtons le drap. Sur l’instant, je m’étais demandé où je me trouvais avant de me remémorer une merveilleuse nuit. Je me retournais en souriant. Edouard était toujours là, endormi, ses cheveux poivre et sel en bataille. Béatrix devait fulminer de ne pas m’avoir vu rentrer. Mais je savais que j’avais eu raison de céder. Jamais encore je n’avais ressenti pareille chose. Dès lors que mon corps avait frôlé le sien, une grande liberté m’avait envahit, comme si enfin, j’accomplissais un désir depuis toujours existant mais que j’ignorais. Lorsque nos lèvres s’étaient scellées, la seule chose qui nous vint fut : comment avions-nous pu attendre ?

Il battit des paupières et se tourna vers moi, encore ensommeillé. Mon sourire était figé sur mon visage, ma mains caressais son torse, je ne voulais plus le quitter une seule seconde. La matinée s’écoula dans la tendresse. J’étais heureuse et amoureuse. Mais je ne devais pas oublier ce qui m’attendait. Je me rhabillais et le quittais sur un ultime baiser. D’ici quelques heures, c’était des projets bien moins voluptueux que nous devrions réaliser.

-Je t’ai promis de t’aider, annonça Jeanne, fermement. Je tiendrais parole.

J’admirais le courage de cette femme. Derrière son minois fragile et poupon, se cachait une redoutable guerrière.

-Récapitulons : je suis Grâce Blanchard- toi- convoquée par la Pléiade. J’ai défiguré Roxana de Saint-Germain. Barthélémy est aux mains de Cyan, un grand ténébreux aux yeux gris, fort et bras droit d’Aimar. Il y aura sans doute Lucretia, la sœur jumelle de Roxana. Elle est rousse aux yeux jaunes dorés teintés de vert. Elle est prisonnière de la Pléiade. Aimar- notre cher chef de clan- est robuste, imposant, châtain. De toute façon, ce n’est pas un obstacle puisqu’il t’a imposé de ne pas les voir.

-C’est cela, confirmais-je. Je n’en sais pas plus.

-A mon avis tu en sais bien plus, mais peu importe, j’ai l’essentiel. Une chance que tes ennemis ne t’aient jamais rencontré, je vais pouvoir subtiliser ta place en toute discrétion. Et toi ? Que vas-tu faire ?

-Tu le découvriras en temps voulu. Sois prudente. Et si jamais tu risques trop ta vie, abandonne.

-Abandonner ? Je ne connais pas ce mot.

-Jeanne…

-Allez. Il temps d’agir.

Je glissais dans les rues silencieuses vers ma proie aussi lentement que ma démarche boiteuse le permettait. Un mendiant boiteux ayant subit l’ingratitude de la chance et du temps, voilà ce que j’étais. J’avisais le gosse qui pleurait au bout de la rue. Soudain, un éclair blond apparut derrière lui et l’entraina dans l’ombre alors qu’il se débattait. Le poisson était ferré. Je bifurquais dans une rue et fis le tour du pâté de maison jusqu’à avoir un bon angle sur la rue où se tenait ma cible. Le gosse pleurait dans les bras de la blonde qui le réconfortait. Ils commencèrent à discuter mais j’étais trop loin pour les entendre. Finalement elle lui prit la main et le guida à travers Paris tandis que je les pistais. C’était quitte ou double. La mènerait-il à la ruche, à la caverne ou au terrier ? Ne sachant pas où étais ce dernier, je ne pouvais avoir aucune certitude. A tout moment le piège pouvait se refermer sur moi. Alors que les rues défilaient, je reconnus le secteur ce qui m’arracha un sourire. La femme et l’enfant frappèrent à une porte. Une femme inconnue l’ouvrit et serra l’enfant contre elle avant d’inviter la blonde à entrer tandis que je fis le tour et passais par la fenêtre. La cuisine était vide et je clignais des yeux pour chasser le brouillard passager de ma vision. Je m’approchais de la porte la tête lourde quand une exclamation se fit entendre :

-Lucretia !?

-Amy !? S’étonna-telle.

Je glissais hors de la pièce et glissa mon couteau sous la gorge d’Amy.

-Bienvenue Amélie, lui glissais-je froidement à l’oreille.

-Cyan… dit elle sombrement.

-Grâce, tu peux ramener Bart avec toi. J’ai ce que je voulais.

-Cyan ! s’exclama Lucretia. Que comptes-tu faire d’elle ?

-Tout dépend de Josse.

-Il ne viendra pas, me répliqua Amy.

-Vos querelles ne risquent pas de le refroidir si ta vie est en danger.

Je rapprochais le couteau de sa gorge. J’avais l’impression que le contrôle m’échappait. Lucretia fit un pas en avant.

-Recule ! Lui ordonnais-je. Ou je lui tranche la gorge !

-Tu ne tiendras pas plus longtemps Cyan, me dit-elle. J’ai glissé un somnifère dans ton thé. Amy décampe !

Je n’eus pas le temps de réagir qu’Amy me donna un coup bien placé, dégagea sa gorge et s’enfuit. Quelle stupidité ! Alors qu’enfin je l’avais attrapé j’allais perdre la partie. Je tournais la tête vers elle pour voir un colosse l’assommer.

-Gram, murmurais-je.

-Yo ! Me retourna-t-il. T’as l’air pâlichon depuis le temps Cyan mais toujours aussi bien entouré.

-J’ai quelques problèmes. Mets-les tous aux arrêts avant que je ne succombe au somnifère.

-Ah la catin d’Aimar ! Réalisa-t-il. Les gars entrez ! Miranda, un antidote !

Je n’eus pas le temps d’en voir plus que la drogue m’emporta.

Je me réveillais avec un mal de crâne du diable. Je ne m’étais pas senti en position de faiblesse depuis longtemps.

-Bien dormi ? me demanda Miranda.

Je me redressais en grommelant et avisa la pièce. La chambre de l’étage. La femme brune aux yeux sombres qui me faisait face me dévisagea. A une époque, elle avait tenté d’avoir Josse mais à présent, il semblait que c’était Gram qui l’avait eu.

-Où est Gram ? Demandais-je.

-Parti faire un tour. Il a enfermé les prisonniers dans l’autre chambre sous bonne garde.

Elle n’avait pas perdu de sa perspicacité. J’aimais travailler avec elle pour son esprit qui ne soufflait que ce qui intéressait son interlocuteur. Je me levais et descendis au salon où un petit groupe de quatre hommes campaient. Ils portaient tous les couleurs de Gram, un noir verdâtre. Gram, tout comme moi et Mère, était un des quatre cavaliers de la Pléiade. Il occupait un peu la même place fonctionnelle que Ginie et Josse au sein de la Noctule. Je passais devant eux sans un mot et entra dans la chambre.

-Dehors, ordonnais-je au garde. Je me charge d’eux.

Il obéit et j’analysais la situation. Lucretia gisait inanimée et ligotée avec des traces de claques sur le visage. Amy était ligotée contrairement à Bart et Grâce qui étaient tout deux les liens respectifs des cordes invisibles qui les liaient. Je pris une carafe d’eau et lança le liquide à la figure du chat qui crachota et se réveilla.

-Tu viens de commettre là ta première et dernière erreur vis-à-vis de moi Lucretia. Ne compte plus sur moi pour t’éloigner du courroux d’Aimar.

-Je ne t’ai rien demandé, cracha-t-elle.

-Je ne pensais pas que tu étais aussi pathétique que ta sœur lorsqu’elle était en colère et haineuse.

-Laisse ma sœur en paix !

-Un objet ne parle pas, lui dis-je courroucé avec un regard menaçant en imitant Aimar qui lui cloua le bec. Quand à vous deux vous êtes libre de rentrer chez vous. C’est du bon travail.

-T’es le pire ! s’exclama Amy. Utiliser un enfant… Tu fais honte à sœur Mathilde.

-Ta faiblesse t’a mené ici, peu importe le moyen tant que le résultat y est avec le moindre mal possible. Ainsi va la survie. Il faut savoir exploiter toutes les ressources et les faiblesses d’autrui.

-Et que serais la Pléiade sans son géni en la matière n’est ce pas Cyan ? S’amusa Gram sortit de nul part.

-Gram… Que fais-tu ici ?

-Aimar réclame son chien pour garder la maison pendant qu’il attaque le QG de la Noctule. Mes hommes les ont enfin débusqués, finit-il avec un sourire.

-Non ! S’horrifia Amy.

-Et il t’a envoyé toi ?

-Eh oui ! T’es un bon toutou Cyan. Trop bon même. Tu commence à faire peur à Aimar ; il pourrait bien tenter de te supprimer. Et je plains l’homme qui devra détruire ce grand héros que tu es car il n’en sortira assurément pas indemne.

-Il serait stupide qu’il agisse ainsi.

-Ce ne sont que des bobards ! s’exclama Emeline furieuse. Il le considère comme un frère !

Que faisait-elle ici !? Ne me dites pas qu’elle me courait encore après !?

-La peur rend les hommes irraisonnables. Qu’est que tu fais là ? S’irrita Gram avec un claquement de langue désapprobateur.

-Mère m’envoie chercher Cyan vu que tu mets 50 ans. T’es plus tout jeune on dirait. J’ai des ordres pour lui alors dégage !

-Parle-moi mieux jeune fille ou ton visage ne resta aussi joli plus longtemps ! Sans Mère tu n’es rien.

Voilà qui étaient aussi cinglant que vrai. Gram avait tout juste la quarantaine, on ne pouvait pas le considérez comme vieux vu son état de conservation. Il se passa une main dans ses cheveux poivre et sel et annonça à l’assemblée:

-Le jour où la Pléiade se déchirera je ne veux pas me retrouver entre vous deux lorsque la bataille fera rage.

-Quel lâche ! Se moqua Emeline.

Gram lui lança un regard mauvais et elle se cacha derrière moi. Je ne savais pas que le venin des vipères pouvait se retourner contre elles.

-Je te couperai a langue un jour, la menaça Gram. J’y vais. Miranda, les gars, on bouge !

-Attend ! Le retins-je. Prends Amy avec toi. Balance son corps devant l’armée ennemie, ça les démoralisera ou les enragera, les conduisant ainsi à la faute.

-L’esprit d’un renard et d’un loup combiné. Tu es un redoutable adversaire Cyan. Prends garde à York. Il se ferait un plaisir de t’embrocher.

-Je m’en souviendrais.

Gram disparut avec Amy vers le champ de bataille. Il ne resta bientôt plus que les pions dans la pièce.

-Il est fou, commenta Emeline. Mère ne laissera jamais cela arriver.

-Elle n’a pas grand pouvoir même si c’est son fils.

-Ca ne signifie rien. Elle t’estime plus que lui tu sais ? On fait quoi d’eux ?

-Aimar a-t-il laissé des instructions ?

-Il veut juste tester un nouveau jeu sur son jouet. Rien de plus.

-Dans ce cas, Grâce et Bart, vous pouvez rentrer chez vous.

-Grâce ? Grâce Blanchard !?

-Oui tu le vois bien !

-Mais cette femme n’est pas Grâce !

-Tu en es sûre !?

-Bien sûr ! J’étais là quand elle a désarticulée et défigurée Roxana avant de vomir son estomac. Une si belle initiation gâchée ainsi. Tuons-la ! Elle et sa complice !

Lucretia et l’imposteur tremblèrent de rage et de peur. Je pouvais encore tirer quelque chose de tout ceci et délier le danger éventuel s’il existait.

-Non, lui dis-je. Prend Bart et laisse la femme. Si Grâce désire récupérer le gosse elle devra passer par moi. Je ne dirais rien à Aimar à ce sujet si elle vient s’explique sur sa conduite.

-Mais…gémit Bart.

-Tu resteras avec moi tant qu’elle ne montrera pas qu’elle tient à te récupérer. Qui sait si elle ne t’a pas déjà abandonné ?

-Ce n’est pas vrai ! cria l’intruse. Ne l’écoute pas Barthélémy !

-Allons-y, j’ai encore fort à faire, finis-je en l’ignorant.

Je mis Lucretia debout et la poussa vers la sortie. Emeline frappa la fausse Grâce avec force.

-Tu as de la chance sale chienne, lui dit-elle.

Elle prit Bart par le bras et le traîna derrière nous avec pour destination le QG.

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