L'alchimie des sentiments_Partie 2 chapitre 16

plume-scientifique

CHAPITRE 16

Tout était en place et bien mieux que je ne l’espérais. Cyan avait été parfaitement dupe à notre stratagème, il avait accueillit Jeanne sans se poser la moindre question. Elle s’était rendue sur le lieu convenu et j’avais patiemment attendu. J’avais prié pour que cet endroit ne recèle pas de passages secrets autrement, il aurait fallu improviser. Dans la pire des situations, j’aurais pénétré la demeure pour les suivre. Par chance, Jeanne, Cyan et Lucretia étaient ressorti au bout d’un quart d’heure à peine. Le groupe s’était séparé en deux : les femmes d’un côté, escorté d’un grand gaillard maigrichon et Cyan de l’autre. Quel bonheur que nous ayons été prévoyants ! Quelque peu angoissée, j’avais serré le chapelet dans mes mains et masqué mon visage dans une prière. Lorsque les femmes m’avaient dépassé, j’avais jeté un œil derrière moi. Deux paysans avaient incliné la tête en me regardant, s’étaient détourné et avaient filé l’homme de la Pléiade. Quant à moi, méconnaissable sous ma soutane de nonne chapardée à l’une des sœurs de l’orphelinat, j’avais suivi les femmes.

Plus tard, mon cœur s’était dangereusement affolé devant l’image de Barthélémy, inquiété devant cette inconnue qui l’accompagnait, puis glacé devant celle du mendiant qui entrait à leur suite dans une demeure où Lucretia, Jeanne et l’homme avaient pénétré peu avant.

Je commençais à avoir les membres ankylosés à force d’être immobile et mangée par le froid. Cela devait bien faire trois heures que j’étais là. Pour passer le temps, je récitais les prières, faisant tournoyer les perles dans ma main. Cela me rendait également moins étrange même si on ne prêtait guère attention à ma présence. Puis la porte s’était enfin rouverte. Je vis Emeline, cette femme si charismatique, traîner de force Barthélémy. Derrière elle, Cyan, Lucretia mal en point et menottée et les hommes de la Pléiade. Après discussion, la catin emmena l’enfant et les autres prirent une direction différente. Je m’attendais à voir d’autres membres sortir, mais personne n’arriva. Où était Jeanne ? Etait-elle morte ? J’hésitais. Puis je pris le parti de suivre Emeline. Je pris une rue en parallèle, pencha la tête en avant et chercha ma cible. Dans le grand axe, je reconnus mes deux paysans. Tandis que je pistais, les yeux rivés sur ma proie, l’un de mes coéquipiers se détacha de son partenaire, avança nonchalamment vers moi et poursuivi sa route l’air de rien à mes côtés. « Je les suis » soufflais-je.

-Nous prenons les autres, répondit-il. Nous continuons le plan comme prévu.

-Bien. »

Il disparut dans une ruelle. La vipère de la Pléiade tirait comme une forcenée sur Barthélémy et ne se privait pas de lui faire mal. Déjà dix minutes. Je ne savais pas où nous allions, je connaissais trop mal Paris pour reconnaître. Ils prirent à gauche. Des cris retentirent. Je pris peur et courus vers eux. Il faisait presque noir dans le passage. Jeanne et Emeline se battaient furieusement, l’une tentait de poignarder l’autre. Emeline prenait le dessus car Jeanne avait pris un coup de dague dans l’épaule, son sang se répandant sur ses vêtements. Sans vraiment réfléchir, je me ruais sur mon ennemie et nous basculâmes au sol avec fracas. Ma hanche heurta violemment le sol et un gémissement m’échappa devant le coup de talon que je reçu. Elle se releva plus vite que moi et me menaça de son arme. C’est alors qu’elle me reconnue.

-Toi ! cracha-telle. Maudite bâtarde !

Elle s’avança, pleine de hargne, et son visage défiguré, ses cheveux en désordre, son regard haineux, son poignard pointé sur moi, la rendaient aussi laide qu’elle pouvait être belle. La lame me frôlait dangereusement.

-Je savais que l’on aurait dû te crever comme prévu ! Quelle folie a pris Aimar en te laissant vivre ce jour-là ? Mais je vais réparer cette faute. Vas en enfer, Grâce Blanchard !

Elle se rua en avant, je prenais ce que je trouvais comme arme pour me protéger mais sa lame me coupait par endroit. Mais qu’importe la douleur, je devais vivre. Par-dessus son épaule, dans un bref coup d’œil, je vis Jeanne venir à mon aide, bien que tout son corps gauche suintait de rouge. Un immonde gargouillis sortit de sa bouche qui s’ouvrit en grand, ses yeux se dilatèrent, sa main se crispa. Je chassais ma stupeur. « Barthélémy, ferme les yeux ! » Hurlais-je avant de planter mon couteau dans la nuque d’Emeline. Un cri terrifiant s’échappa d’elle mais je n’en tins pas compte et le planta encore, et encore. Enfin, elle s’effondra, entraînant Jeanne avec elle. Epuisée, je m’éloignais dans un état second de cet amas de cadavres. Je pris Barthélémy dans mes bras et fuyais, aussi loin que possible, jusqu’à ce que je tombe d’épuisement. Alors seulement, je serrais le petit de toutes mes forces contre mon cœur et ensemble, nos larmes s’écoulèrent.

-Est-ce que tout est prêt ? Demandais-je, remise.

-Autant que possible, oui, me répondis Edouard. Le chef de la Noctule…

-Josse ?

-Oui. Il a du mal à rester calme. Il manque cruellement de sang-froid. La Noctule est au bord de la dissolution, il n’y pas de tête assez forte pour diriger. Heureusement que les hommes sont loyaux et motivés.

-Une chance aussi que le roi accepte de s’allier à eux.

-Il en va de son royaume et son pouvoir. Il faut écraser la Pléiade. L’éradiquer ne sera pas possible mais si l’on peut au moins éteindre le feu de la révolte…Comment allez-vous ?

-Mieux merci. Et votre attention me guéri un peu plus davantage.

Il passa ses mains sous mes cheveux et colla son front contre le mien. Difficiles allaient être les prochaines heures. Une lourde confrontation allait se dérouler au cœur de Paris.

Nous quittâmes la maison et Emeline s’éloigna avec Bart remplir une autre commission pour Mère. Cela ne me plaisait guère de le laisser avec elle mais elle me promit de me pas lever la main sur lui et je la laissais filer. Surveiller deux otages à moi seul aurait été trop dangereux. Je fis maints détours afin de brouiller le sens de l’orientation de Lucretia avant d’arriver au QG. Une fois sur les lieux, je l’enfermais dans la chambre d’Aimar et partis en quête de Mère. Je la trouvais dans sa chambre où elle m’invita à m’assoir. Elle semblait de vilaine humeur et son chemisier trop serré n’arrangeait en rien les choses.

-De quoi désirez-vous m’entretenir Mère ? Lui demandais-je.

-Cyan…commença-t-elle pensive. Que penses-tu des agissements d’Aimar ? En toute franchise j’entends.

-Il est plutôt violent avec ses hommes en ce moment et passif dans ses agissements.

-Je vois que nous sommes d’accord. Je lui ai fait la remarque et il a rassemblé ses hommes à l’assaut dès qu’il a eut l’information. Il est bien trop impulsif…Cela finira par nous perdre tout comme sa fainéantise et tu ne l’aide pas de ce coté là.

-Que voulez vous dire ?

-Tu en fais trop Cyan. Tu fais son travail mais je ne peux t’en blâmer au vue de ton intelligence. Les hommes commencent à te voir comme un nouveau chef et Aimar le prend assurément mal. Tu deviens son rival malgré toi et malheureusement, nous savons tous quel est le sort qu’il réserve à ce qui l’énerve : il s’en débarrasse.

-Une fois la Noctule détruite je me ménagerai.

-Non. Cela ne nous mènerait nulle part. Tu dois renverser Aimar, finit-elle avec conviction.

-Pardon !? M’exclamais-je abasourdi. Mère ce que vous dites là c’est…

-Je le ferai pour toi, de ma main s’il le faut, me coupa-t-elle.

-Je ne veux pas de cette place !

-Ce sont justement ceux qui tiennent ces propos qui font des grands chefs. Réfléchis y Cyan.

-Je ne peux rien vous garantir.

-Nous sommes avec toi, le reste viendra de lui-même.

On frappa à la porte et Mère autorisa le gêneur à entrer.

-Mère c’est affreux ! s’exclama ce dernier.

-Qu’y a-t-il donc ? lui demanda-t-elle avec calme.

-Emeline…Elle a été assassinée !

-Emeline…

-Oui, ne venant pas venir votre messager, je me suis inquiété et suis parti à sa recherche. J’ai trouvé son cadavre dans la rue. Elle a été poignardée à la gorge avec violence. J’ai également croisé Miranda, la seconde de Gram. Elle a capturé un espion qui les filait et l’interroge en ce moment. Gram a rejoint le front et s’est placé en embuscade au cas où d’autres hommes viendraient en renfort.

-Très bien. Retourne à ton poste et dis à ton chef de ne pas bouger de position.

-Bien Mère !

-Je vais voir cet espion, dis-je à Mère.

-Oui chef, se moqua-t-elle.

Je quittais la pièce. Elle était folle bien que tout comme moi la mort d’Emeline ne semblait l’affecter. Mais de là à me proposer d’assassiner son propre fils ! Je réalisais soudain qu’elle n’avait aucun sentiment ni aucune pitié véritable. Aimar, tout comme Emeline, était un pantin à la différence que ce dernier lui glissait entre les mains. Oui, le véritable cœur et cerveau de la Pléiade était Mère. Et elle voulait faire de moi son bras droit mais je ne voulais ni de ce pouvoir ni de ce poste de larbin. C’est sur cette pensée que je m’enfonçais dans les sous-sols.

La salle des tortures… Etrangement il n’y avait pas de cris. Les femmes étaient plus douces mais plus vicieuses. J’entrais dans la pièce où l’homme attaché avait été privé de la vue.

-Cyan, réalisa Miranda. Que désires-tu savoir ?

-Qui l’envoie ? Lui demandais-je.

-Grâce Blanchard et Gurvan.

-Grâce… Cette femme cause bien des soucis. Je suppose qu’elle a récupéré Bart. Heureusement il reste Lucretia. Que sait-il d’autre ?

-Pas grand-chose. Grâce serait la catin de Gurvan et Josse sème le désordre dans la Noctule.

-Il a toujours été réfractaire. Il fera tomber la Noctule. Vois ce que tu peux encore tirer de lui.

Elle acquiesça et je quittais ces lieux impies.

Aimar fit son retour triomphal flanqué du géant York. Mais sa joie n’allait pas durer longtemps.

-Cyan, viens boire à votre victoire ! M’invita Aimar. Tu aurais vu la tête de Josse quand York a étripé sa catin sous ses yeux !

Le bourrin rit de sa violence et je ne songeais que trop bien à la rage qui avait habité Josse.

-J’en conclus qu’il est mort, relevais-je.

York grogna son mécontentement.

-Des renforts sont arrivés et il a pu s’enfuir, révéla Aimar. Heureusement Gram avait prévu le coup mais il n’y a pas mis assez d’hommes. Je vais  devoir le punir à ce sujet.

Que c’était insensé ! Aimar aurait pu perdre si Gram n’avait pas agit de son propre chef et il voulait le punir !? Il fallait que je trouve quelque chose… Mais bien sûr !

-Miranda a capturé et interrogé un espion qui les filait. Emeline a été tué par Grâce qui s’est alliée à la Noctule en s’acoquinant avec de Gurvan.

-Quoi !? Cette catin et ce noble ! York ! Prends tes hommes et brûles-moi son taudis ! Que la maison de la Couche brûle ! Fais-toi plaisir.

-Bien Aimar, dit York ravi. Je vais faire un carnage en ton nom.

Il eut un sourire mauvais et partit remplir sa macabre tâche. Cette nuit les flammes s’élèveraient, le sang coulerait et la pitié serait oubliée.

-Où est Lucretia !? S’exclama Aimar, furieux.

-A sa place, dans ta chambre, lui répondis-je.

Il partit en furie, la folie dans les yeux et je le suivi, mu par une inquiétude tenace. Qu’allait-il faire ? La violer et la battre comme à son habitude ou la tuer? La dernière option me faisait froid dans le dos car Lucretia était notre dernier moyen de pression sur de Gurvan. Mais l’angoisse qui m’oppressait n’avait rien à voir avec cette réflexion. J’avais peur pour elle. J’entrais à sa suite pour le voir frapper avec violence Lucretia. Il allait la tuer !

-Aimar, Lucretia n’est pas Grâce, tentais-je. Elle n’y est pour rien.

- Tais-toi ! Aboya-t-il.

Il arrêta de la frapper pour accomplir son vice habituel. S’en était trop !

-Aimar ! M’exclamais-je en le tirant par le bras. Calme-toi ! Tu fais leur jeu en agissant ainsi.

-Ne me donne pas d’ordre ! S’emporta-t-il. C’est moi le chef, pas toi !

-Que m’importe d’être chef ! Mon but est de détruire la Noctule, mais toi, le tien est bien plus haut, tu es l’espoir du peuple, le justicier, le pourfendeur de la monarchie ! Ton but est de renverser le Roi !

-Que veux tu que je fasse !? Je suis seul contre tous ! Tu aides des bâtards comme Grâce et voilà comment ils te le rendent : en te trahissant.

-Alors c’est à eux que tu dois infliger ton courroux.

-…Oui…Je la remplirai jusqu’à ce qu’elle crève ! Les femmes sont toutes des catins. Hors de ma vue ! Tous autant que vous êtes ! Jai besoin de réfléchir.

Aimar envoya valser Lucretia vers la porte. Je la relevais et la fit sortir. Elle s’écroula dans le salon, tant ses jambes tremblaient. Elle était en état de choc et ne pouvait certainement pas marcher. Je la pris dans mes bras et l’emmena dans ma chambre. Je fis appeler Miranda qui s’occupa d’elle pendant que Gram me tenait compagnie dans le salon :

-T’en fais une tête ! s’exclama Gram moqueur. T’es amoureux toi. Elle te voulait quoi Mère ?

-Dis pas de conneries. Comme toi elle voulait me parler d’Aimar. Qu’est ce que vous avez tous à me vouloir pour chef !?

-Tu es le plus compétent. Si Mère est avec toi alors tu n’as pas vraiment le choix mon ami.

-Tu savais que c’était elle la Pléiade ? Je n’ai guère envie d’être son pantin.

-Elle joue très bien son jeu et seul un œil avisé peu réussir à la percer. Mère ne pense qu’à son but et nous sommes les moutons qui l’y mènerons, Cyan. Mais tu sais ce que tu penses des moutons, n’est ce pas ?

-Ils peuvent cacher un loup. Et toi dans quel camp es tu ?

-Le tien. Même si cela t’embête, tu es le meilleur choix. Je sens que tu nous mèneras à la victoire.

-Et nous sommes tous très confiant à ce sujet, dit Miranda. Elle va bien.

-Maintenant que c’est dit…Allons faire la fête !

Gram attrapa Miranda par la taille et sortit d’une démarche joyeusement chaloupante. Ils faisaient vraiment envie. C’était donc cela l’alchimie entre un homme et une femme. Je soupirais devant la perte de la mienne et entra dans la chambre. Lucretia semblait dormir. J’étais moi-même fort las et je m’effondrais sur le lit.

-Ce monde est fou, murmurais-je.

-Seuls les hommes le sont.

Je sursautais et me tournais vers elle. Elle semblait si fatiguée que je me détendis et lui répondis :

-Oui c’est vrai. Moi le premier pour rester près de toi.

-Moi, la seconde, pour ne pas pouvoir te tuer malgré tout.

-Désolé.

-De quoi ?

-Je ne sais pas trop. De tout je pense.

-Tu as des regrets ?

-Ca se pourrait, je ne sais pas moi-même. Je n’ai jamais fait cas des sentiments. Pardon pour toute cette violence inutile.

Je lui caressais la joue comme pour apporter un peu de douceur à son corps et son esprit meurtri. Elle se rapprocha de moi et m’étreignit.

-Je te déteste encore plus quand tu fais ton gentil, confia-t-elle au bord des larmes.

-C’est dans ma nature. Je suis un protecteur peu orthodoxe.

-En effet…

Un long silence s’en suivi durant lequel elle resta à m’enlacer et à se caler contre moi comme dans un vieux souvenir. Finalement elle ne bougea plus.

-Lucretia ?

-Hmmm ?

-Si je te mettais une dague dans les mains, tu tuerais Aimar ?

-Assurément.

-Ou moi ?

-Ton sort n’a pas encore été décidé. Laisse-moi dormir maintenant.

J’acquiesçais et passais mon bras au dessus de sa tête avant de m’endormir près d’elle comme lorsque nous étions un couple.

Quelle situation étrange, pensais-je.

Je me sentais hors du temps, dans un autre monde. Mon rêve commençait et se finissait dans cette chambre. Vaste, belle, riche, colorée, douillette. Je n’étais plus une fille de rue mal habillée, affamée, repoussante, je portais des vêtements dignes, trop peut-être par rapport à ce que j’étais avant. Barthélémy était plus beau que n’importe quel petit prince avec sa chemise blanche, son visage rose et joufflu, ses bouclettes propres, folles et dorées, ses yeux azur qui enfin, et mon cœur en fut chaviré, respiraient le bonheur et la sérénité. Je me balançais d’avant en arrière, dans une berceuse qui me faisait tout autant somnoler.

Oui, c’était vraiment étrange. Comme si la monstruosité n’existait pas derrière ces murs, comme si personne ne me guettait, ne m’en voulait, ne désirait me voir morte.

J’entendis le bruit de la serrure dans la porte. Je couchais Barthélémy et me rendis vers l’entrée. Je suivis Edouard dans le salon.

-Quelles nouvelles ?

-Les plus désagréables, hélas.

-Que se passe-t-il ? Demandais-je en m’asseyant.

-Nous avons été surpris et un capturé nous a vendu. La Pléiade a fortement riposté et beaucoup d’hommes sont morts. La Noctule est presque a néant. Josse est devenu inutile.

Le choc me laissa sans voix. Alors nous avions perdu.

-Nous avons encore l’appui du roi. Il reste une chance.

-Elle est très mince, répondit-il.

-Mais elle est là. Nous ne pouvons pas rester ainsi, il faut abattre cette révolte sanguinaire.

-Il y aura toujours bien plus de gens en leur faveur qu’en la nôtre. Ils ont des arguments bien plus convainquant.

Je laissais choir ma tête dans les mains.

-Qu’en est-il des Saint-Germain ?

J’attendis longuement la réponse mais elle ne vint pas. Il restait droit et figé, le regard au loin. Parfois cet air absent me faisait rêver à mon tour mais là, je le détestais.

-Qu’en est-il ? Insistais-je.

-Vladimir a beaucoup évolué auprès des Penseurs. Il milite pour ce renversement de monarchie. Il est trop jeune pour en mesurer l’ampleur. Mark est déboussolé et préfère poursuivre sa vie en niant au mieux ce qui l’entoure.

J’étais sidérée. Ni avait-il plus que moi pour encore penser à leur sœur ? Pourquoi ma conscience était-elle plus mise à l’épreuve que celle de ses propres frères !

-Il faut partir…Déclara calmement Edouard mais d’un ton qui laissait plus place à la décision qu’à la supposition.

Partir ? Où donc ?

-La révolte va se propager comme la peste et enfler à vue d’œil. D’ici quelques années, c’est une vague sanglante qui d’abattra sur le pays.

-On ne peut pas partir. Elle est toujours avec eux.

-Elle y sera jusqu’à la fin. Ils ne la laisseront jamais libre, pas vivante. C’est une cause perdue, tout comme vouloir combattre la colère du peuple.

-Non. Il…Il reste le roi. On pourrait…je ne sais pas, il y a un moyen de pouvoir reprendre le dessus, j’en suis sûre !

-Il n’y en a pas. Il faut fuir.

-Fuir ? Où exactement ?

-N’importe où, loin d’ici…

-Comme des lâches ? Répliquais-je en haussant le ton, fortement agacée de ses propos.

-Peu m’importe que nous ayons l’air de lâches ! Hurla-t-il en faisant volte-face, hors de lui. Je me fous de savoir ce qu’en penseront les autres ! Ni même si cela plait à qui que se soit !

Je restais coite, les yeux écarquillés de stupeur.

-Ce que je veux avant tout c’est vivre ! Vivre avec toi ! Que se soit en Italie, en Espagne ou n’importe où, que l’on pauvres ou riches, je m’en moque ! Je veux que l’on vive, que l’on donne des frères et des sœurs à Barthélémy !

Mon cœur s’emballa mais mon corps resta immobile. Il passa la main dans ses cheveux d’agacement.

-Mais si ce que tu souhaites avant tout c’est régler cette affaire, alors soit. Je patienterai. Je te protégerai. J’irai mourir en essayant de sauver Lucretia s’il le faut.

J’eus l’envie irrépressible de me jeter dans ses bras. Il me tournait ostensiblement le dos, les bras croisés, le regard rivé dehors. Sans doute était-il gêné de sa confession. Si l’on m’avait dit que je tomberai éperdument amoureuse de cet homme, j’aurai ris aux éclats. Il n’avait été rien pour moi auparavant et maintenant, je n’envisageais pas de m’en séparer. Quelle opération, quelle magie, quelle alchimie étrange avait opéré sur moi ? Pourquoi soudainement tout me plaisait ? Ses silences et son visage sérieux, son charisme son intelligence et là, sa fougue dissimulée et son cœur généreux.

-Jamais, au grand jamais, je t’enverrai mourir pour une autre, ni même pour mon Salut, répondis-je en l’enlaçant, mon visage enfoui dans ses épaules. Si tu meurs, je meurs avec toi.

Mes mains agrippèrent son chemisier. Il caressa ma main d’une part et porta l’autre à sa joue. Sa barbe naissante piquait ma peau. Mes doigts frôlèrent ses lèvres. Il baisa ma paume. Et la relâcha brutalement, se collant à la fenêtre.

-Que se passe-t-il ?

Un brouhaha féroce pénétra lorsqu’il ouvrit les vitres. Dans la rue, les passants s’agitaient. Au loin, un nuage de fumée noirâtre s’élevait.

-Un incendie ? Demandais-je.

-Qu’est-ce qui brûle ? Alpaga Edouard à une personne au hasard en bas.

-Je ne sais pas mais ça s’agite.

-On dit que Paris s’enflamme !

-C’est la Cathédrale. Un prêtre a oublié d’éteindre les cierges.

-Mais non ! C’est un forgeron qui a mal maitrisé son feu.

-Balivernes. C’est un fou qui voue un culte aux flammes de Satan.

-Vous divaguez ! Je sais ce que je dis.

-C’est vous la vieille folle !

-Mais puisque j’en viens.

Cela n’avait ni queue ni tête ! Ils se chamaillaient entre eux et cela ne nous avançait pas.

-Ce sont eux, dit-il.

Je me tournais vers Edouard et il me rendit son regard.

-La Pléiade. Ils attaquent.

-Mais où ? Questionnais-je, l’image de la colonne noire devant moi.

Des cris stridents retentirent. Un fiacre passa à toute allure, bousculant des gens au passage. Edouard quitta la fenêtre précipitamment, sortit en claquant la porte et le temps que je me retourne, il arrêtait déjà un passant. L’homme ne songeait qu’à fuir et Edouard dû le retenir de force pour entendre jusqu’à la fin les explications. Je sentis le désarroi l’envahir, l’hésitation. Il revint tout aussi vite et barricada la porte. Sans mot dire, il ferma les volets et les fenêtres à double tour. J’avais beau lui demander, il ne disait rien. En coupe-vent, il me saisit le poignet et m’entraina dans le salon, la pièce la plus reculée de la demeure parisienne où se trouvait Barthélémy, jouant tranquillement avec les premiers jouets de sa vie. Il leva ses petits yeux étonnés vers nous. Les portes se refermèrent derrière moi. Mais que se passait-il à la fin ?

-Edouard ! Sommais-je nerveuse et énervée. Vas-tu me…

Il plaqua sa main sur ma bouche. Surprise, je ne relevais pas et il me serra de toutes ses forces contre lui.

-Essaye de ne pas paniquer, souffla-t-il.

Tandis que je le regardais, interloquée, mon échine se redressa. Des cris sauvages au-dehors me donnèrent des sueurs froides. Barthélémy se jeta dans mes jupons. Je le pressais contre moi pour le rassurer mais à mon tour, je me blottissais contre Edouard.

Le son du verre brisé, des objets détruits, les cris hystériques de femmes ; le chaos comme une tempête passa près de nous, puis s’éloigna. Nous attendîmes longuement avant de nous remettre à bouger, comme suspendus, comme si le silence bafoué briserait un fragile équilibre.

-Maman…

-Chut. Ce n’est rien. Un mauvais moment.

Je lui détournais les idées en jouant bien que mon esprit était entièrement dirigé vers ce qu’Edouard pouvait découvrir. Il revint le visage blafard. Barthélémy avait repris ses jeux et oublié la frayeur d’il y a quelques instants.

-C’était bien eux, fus-je informée dans la chambre. Un véritable désastre. Ils s’en sont donné à cœur joie.

-Il y a des cadavres ?

-Sur tout leur passage.

-Quelle horreur. C’est quoi cette odeur ?

Quelque chose me soulevait le cœur. Je masquais mon visage pour ne plus sentir avant de rendre.

-La chair brûlée. Paris empeste la mort. Et le crime.

-Ce sont des monstres !

-Nous étions visés. C’est un message de leur part.

-Comment cela ?

Il me regarda gravement.

-Il y a…des cadavres d’enfants.

Instinctivement, ma main se porta à mon ventre.

-Tu veux dire… ? Non ! NON ! Oh mon dieu, ce n’est pas possible !

Je me mis à pleurer malgré moi. J’étais fautive. J’avais mené à la mort des personnes innocentes !

-Oh non… !

-Maman ?

-C’est affreux !

-Chérie, tu n’y es pour rien.

-Bien sûr que si ! Je le savais, je n’aurais jamais dû me rebeller. J’aurais dû continuer à vivre cachée, rester à ma place ! Tout cela aurait pu être épargné.

-Ce n’est pas vrai, ressaisis-toi.

-Pourquoi tu pleures maman ?

-On ne peut pas prévoir leur violence. Cela se serait produit tôt ou tard, avec ou sans toi.

Il prit mon visage dans ses mains. Et son visage était aussi décomposé que le mien. Ma souffrance était la sienne, mes larmes étaient les siennes.

-Je t’aime, soufflais-je.

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