L'amant africain
Sophie Marchand
"Il" m'a dit : « viens, je vais te montrer ma vie ». Il m'a emmenée dans une sorte de « boîte » un peu glauque aménagée dans un garage, faiblement éclairée et dans laquelle on entend une musique tonitruante : des hommes près du bar ou assis autour de quelques tables, disposées sur les côtés ; des femmes également, certaines habillées en boubou, d'autres en jean et petits hauts. Certaines dansent.
Pas de blancs…, je suis la seule, nous buvons des bières (gazelle…).
Une femme habillée en boubou vient vers lui, ils se serrent la main et échangent apparemment quelques salutations respectueuses : il m'explique qu'il la connaît car elle habite à côté de chez un ami, qu'elle a un enfant à élever et qu'elle est une « femme de vie ». Il me dit «elle n'a pas le choix, qu'est ce que tu veux qu'elle fasse ?» ; il m'explique également que toutes les femmes qui sont ici sont des « femmes de vie » : vertige.
Mon attention est attirée par une scène qui me sidère : à la table d'à côté deux hommes assis, semblant sortis de la nuit des temps ; grands manteaux, bonnets enfoncés jusqu'aux yeux (des peuls( ?) qui viennent juste d'abandonner leur troupeau pour une virée en ville ?). Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau, une fille d'aujourd'hui (profil : jean et petit haut) danse lascivement en se frottant contre l'un deux qui continue à rigoler avec l'autre comme si de rien n'était : fascination devant le choc frontal de deux époques !
"Il" m'a trouvé un hébergement. Je loge dans un petit bourg chez Astou qui me loue sa chambre et son salon équipé d'une petite télé pendant qu'elle-même dort dans une pièce sur un matelas par terre, avec ses enfants et la « petite bonne » d'une dizaine d'années ; Elle fait la cuisine dehors juste devant, sur un gros réchaud posé à même le sol.
Astou est une belle femme comme d'ailleurs la plupart des Sénégalaises, grande, la peau cuivrée, des yeux de biche (ou de gazelle) ; elle est posée, agréable, cultivée : elle me parle du livre que je suis en train de lire, d'une écrivain sénégalaise : Aminata Sow Fall. J'ai apporté plusieurs autres ouvrages d'écrivains sénégalais (Ousmane Sembène, Fatou Diome…) que je compte laisser là après mon départ.
Astou nous fait de temps en temps la cuisine que nous mangeons par terre, enfants et adultes dans un grand plateau mais j'ai droit moi, à une cuillère. Après, c'est la petite bonne qui fait la vaisselle. Des brebis envahissent la cour pour manger les quelques déchets qui traînent.
Un jour, Astou me parle de sa difficulté qu'elle a à se déplacer : elle n'aime pas trop laisser ses enfants seuls avec la « petite bonne » ; elle me dit d'un air entendu « tu sais comme sont les bonnes… ». Je ne réponds rien, un peu interloquée devant cette remarque digne « d'une bourgeoise du seizième (arrondissement) », n'osant lui avouer que non, je n'ai pas de bonne, même si bien sûr moi, j'ai tout le kit de la parfaite petite ménagère : machine à machin, machine à truc etc.
« Il » est dans le salon avec moi et un de ses amis ; il me dit d'un ton coupant et autoritaire : « vas nous chercher du vin à la boutique». Son ami s'arrête de parler apparemment aussi surpris que moi par le ton employé, lui qui me dévore des yeux depuis qu'il est arrivé puis bredouille quelque chose. « Il » éprouve le besoin de se justifier : « elle est là pour voir ce que c'est la vie africaine » et il ajoute à mon intention « demande à Astou qu'elle t'accompagne ». J'obtempère, je veux bien jouer la femme soumise sur ce coup là, apparemment ça a l'air d'être important pour lui. Heureusement j'ai échappé à la corvée d'eau : il m'avait dit en rigolant, il faudra que tu ailles chercher l'eau tous les matins, chez Astou, il y a l'eau au robinet…
« Il » m'apprend des mots ou des expressions en wolof et en sérère qui ne sont pas dans le lexique de « mon Guide du routard »… Il éclate de rire quand j'essaie de les répéter avec application et ne peut s'empêcher d'en parler à Astou qui sourit en baissant la tête avec un air pudique.
Nous roulons en direction de l'école qu'il veut me faire visiter, nous croisons des myriades d'enfants. Il m'explique que certains font plusieurs kilomètres pour retourner chez eux et me demande de m'arrêter pour les prendre en stop : « que des filles » précise t-il. Elles rentrent par grappes, intimidées par ma présence. Il leur explique qui je suis, ce que je fais, qui il est lui-même, leur pose des questions. Contacts respectueux, chaleureux…
Le jour de mon départ, "il" m'encombre de paquets volumineux qu'il est allé chercher exprès sur le marché : graines de baobab, fruits, feuilles de « je ne sais quoi » à utiliser en tisane, surtout pour les enfants etc.
Je remercie, « ravie ». Quelques temps après, je m'en débarrasse, faute d'avoir eu le temps ou le savoir-faire pour les utiliser, un petit pincement de culpabilité au cœur.
Afrique, à chacun son histoire…
Sénégal, 2005
Beau personnage ! j'en connais qui lui ressemblent et j'ai pris plaisir à te lire. j'ai voyagé au mali et au Burkina. J'aime l'Afrique. l'énergie, la force vitale, la simplicité et surtout le rire des gens. j'aimerais y retourner. Tu me l'as permis un peu . Merci
· Il y a plus de 9 ans ·jeanro
moi aussi j'y retournerai je pense mais je me rends compte que je ne décide pas de mes voyages, c'est eux qui s'imposent à moi d'une façon ou d'une autre, le dernier les Cyclades, le prochain ?
· Il y a plus de 9 ans ·Sophie Marchand